AccueilRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
Le deal à ne pas rater :
Cartes Pokémon : la prochaine extension Pokémon sera EV6.5 Fable ...
Voir le deal

Limbes de glace - Pastiche de Baudelaire

 :: Le Multivers :: Section Fiction Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas
Mer 3 Mar 2021 - 15:05

Il y a en cet hiver une saveur toute particulière. Peut-être est-ce parce que ce n’est pas mon premier mais qu’il y règne une saveur de dernier. Il est loin, le temps où ma jeunesse donnait de la fougue à mes guibolles ankylosées par le froid. Il est loin, le temps où je tentais de séduire ces dames par de folles cabrioles de danseur de bal. Il est loin, le temps où ma hardiesse me faisait chausser mes lames pour fendre les glaces des lacs gelés par le froid. Et pourtant, je suis là, me tenant debout devant ce paysage nivéen, les langueurs de la brise sifflotant délicatement à mes oreilles.

Le frimas a recouvert les feuilles des frênes. Les sapins aux épines pourtant robustes laissent ployer leurs branches sous l’épais manteau qui les recouvre. Les arbres semblent au repos, endormis, figés hors du temps. On les dirait patientant de toute leur sagesse le retour du printemps.

La terre est recouverte, blanchie, brillante sous le soleil. Vierge de traces, vierge de passage, vierge de foulures, elle renvoie à mes pupilles une candeur de jeune femme. Sans souillure, sans maîtrise des gaudrioles, elle laisse sa pureté s’étaler au grand jour. Quelques hardis s’y lancent pourtant, laissant derrière eux de maigres trous. Ce sont des écureuils, qui n’ayant pu obtenir leur sustentation dans l’épaisseur blanchâtre se hâtent de retourner se blottir là où le vent ne peut les atteindre.

Les reflets de l’astre solaire sur l’adret m’éblouissent un instant. Il me semble immense de là où je me tiens, pente infinie vers des contrées que je ne saurai définir. Une part de mystère l’enveloppe, l’étreint, m’étreint. Je me sens si maigre dans cette immensité qui me dépasse de sa splendeur et de sa perfection.

Et puis il y a ce lac, douceur fluide qui garde précieusement en son sein mes rires d’adolescents. L’été il est mon refuge de fraîcheur lorsque le mercure grimpe à m’en faire dégouliner les paupières. Il est le gardien des baignades, des batailles, des chamailleries de tous âges. Il est le gardien des amours secrets, des embrassades glissées dans ses recoins. L’automne il laisse miroiter les teintes des frondaison sur sa surface, la brisant de reflets enflammés. Il voit reposer sur ses traits ridés le reste de vie des feuilles, les emportant dans une navigation incertaine. Le printemps il est le spectateur du bourgeonnement, de la naissance des fleurs qui pointent lentement vers la tiédeur délicate qu’il y règne.

L’hiver, il est l’objet de mes fascinations. Nulle ride ne trouble sa surface. Nulle feuille ne vient se laisser bercer. Nulle vie semble l’habiter. Cet hiver, il est figé. Figé par les glaces qui semblent aussi profondes que les tréfonds de l’enfer.


L’Enfer. L’enfer, c’est cette foucade qui me prend soudainement et me fait m’élancer sur la glace. L’enfer, c’est le suintement de mes chaussures. L’enfer, c’est la sensation de tremblement des mes muscles qui ne supportent pas l’effort pour me maintenir aussi droit que les résinifères qui me font face.

Mais l’enfer, c’est surtout le craquement du lac qui se fend peu à peu sous mes pas et qui résonne dans chaque parcelle de mon corps. Celui qui m’entraîne soudainement à me mouvoir, celui qui hurle d’envie de m’engloutir mais qui me fait surtout fuir.

Fuir. Fuir. Fuir à tout prix. Fuir plus que de raison. Plus mes talons heurtent la surface, plus le lac gémit, mugit, rugit. Les fissures surgissent au même rythme, toujours plus épaisses, toujours plus menaçantes.

Autrefois j’étais danseur, fin et élégant, doué dans mon art. Aujourd’hui je danse encore, dessinant un subterfuge d’orchésographie sur la mélodie cinglante des cliquettements de ma destinée.

Dans un sursaut final, les blandices d’une délicatesse passée laissent place à une bouche béante qui m’avale, m’engloutit. C’est le froid qui m’attaque le premier, engourdit lentement mes muscles déjà vieillis, coince ma cage thoracique dans un étau implacable.

Mes membres s’agitent frénétiquement. Mes paupières s’obstinent à demeurer ouvertes malgré l’étreinte glaciale que subissent mes globes qui leur murmure la promesse d’une cécité certaine. Mes yeux restent fixés sur la surface qui semble s’éloigner d’avantage à chacun de mes mouvements.

Est-ce donc cela qui m’attendait depuis ma création ? Sombrer dans l’eau aussi certainement que dans le laudanum ? Finir dans un lac à défaut d’une boîte ? Être étendu dans les tréfonds d’un loch, nourrissant les poissons au lieu des vers d’une étendue de terre sablonneuse ? Si tel était vraiment mon destin, peut-être aurais-je du profiter des paresses au soleil et des tendresses de la vie.

Mes bras ne bougent plus. Mes jambes ont cessé le combat. Me suis-je réellement battu ? La dyspnée me fait sentir étrangement tous les recoins de mon corps ; les brûlures de ma peau, l’infinité de liaisons et de sensations existantes. La surface n’est plus qu’un lointain souvenir. Ce n’est plus l’heure de fixer la surface, mais de me le laisser envahir par le froid et la noirceur. Peut-être ai-je pivoté, me suis-je retourné vers le néant, mais toujours étant que je ne vois plus le jour. L’espérance a laissé sa place à l’aphotique.

Mes paupières ont cédé. Elles se sont closes sur une vision d’un conglomérat de roches, d’eau et de mort. Car c’est la mort désormais qui m’enveloppe dans son manteau pour m’emmener dans d’autres contrées, sans froid, sans glace, sans neige et sans hiver.

Alex Brekke
Membre
Alex Brekke

_________________

The good one or the real one ?
Revenir en haut Aller en bas
Page 1 sur 1

Sauter vers :
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
 :: Le Multivers :: Section Fiction-