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[09/12/95] Des plantes et des maux # feat Andrée de Kérimel

 :: Pré-au-lard :: Les Boutiques :: La Boutique de l'Apothicaire Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas
Mer 5 Mai 2021 - 18:55
Des plantes et des maux
feat Andrée de Kérimel | Samedi 9 décembre 1995
Le réveil fut brutal. Comme une claque en pleine tête alors que Morphée vous tenait bien au chaud dans ses bras. Et en effet ce fut bien une claque qui la tira de cette étreinte. Elle tourna la tête et battit un instant des paupière. Le jeune homme à côté d’elle commençait à se rendormir. Avait-elle rêvé ?

- Jayce. J’ose espérer que t’as pas fait ça.
- Tu ronflais, répondit-il simplement, sans chercher à s’excuser d’avantage.
- Va te faire ! En plus tu prends toute la couette !

La blonde lui asséna un violent coup d’épaule et tenta de tirer le duvet molletonné jusqu’à son menton. Mais ces mouvements déformèrent son visage d’une grimace de douleur et elle abandonna toute tentative. « Fais chier », l’entendit ton murmurer. Alors à contrecœur elle repoussa toute trace de chaleur pour s’asseoir au bord du lit. Elle sentit ses muscles grincer et s’étonna de ne pas avoir fait craquer d’articulation dans la manœuvre. Depuis un peu plus d’un mois maintenant, c’était devenu son quotidien. Se réveiller en compote, s’asseoir, étirer le tout et avaler son masque pour faire comme si tout allait bien. Assise en sous-vêtements sur le rebord du lit, elle fit rouler sa tête pour mieux en détendre toutes les fibres. On entendit alors un clac significatif. Elle avait parlé trop vite.

Elle resta dans cette position quelques temps, les avant-bras appuyés sur ses genoux, observant les passants par la fenêtre. La vie commençait à s’éveiller au dehors. Un glissement de doigts sur ses côtes la tira de ses pensées.

- Ça a encore changé de couleur et ça s’est étendu.

Pour seule réponse elle haussa les épaules. Sa main aussi avait changée de couleur. Ses tremblements et ses faiblesses étaient devenus difficiles à cacher. Au château, on chuchotait parfois sur son passage. Elle était certes les yeux de la bibliothèque, elle en était aussi les oreilles. Elle savait ce qui se disait sur elle et faisait de son mieux pour les ignorer. Mais tout la ramenait à cette soirée.

- Tu devrais aller…
- On en a déjà parlé, Jay’. J’ai pas envie d’aller à Sainte-Mangouste.
- … voir de Kérimel. Elle est peut-être pas médicomage mais j’suis sûr qu’elle pourrait te trouver un truc.
- C’est bon je gère.

C’était faux. Elle ne gérait plus grand-chose ses derniers temps. En soupirant elle se leva et se dirigea vers la salle de bain pour profiter de quelques moments de relaxation bien mérités. La nuit avait été agitée de mauvais rêves et les douleurs l’avaient souvent sortis de quelques états de somnolence. Son meilleur ami avait peut-être raison, il était peut-être temps de faire quelque chose.

En sortant de longues minutes plus tard, bien habillée et bien coiffée, elle remarqua une liste d’ingrédients placardée sur la porte d’entrée. La blonde secoua la tête de dépit. Il avait déjà pensé à tout…

~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~

La boutique de l’apothicaire était à deux pas de chez le sorcier chez qui elle passait une partie de ses nuits depuis quelques jours. Il lui servait de gros nounours, à défaut d’être un réveil matin délicat elle lui trouvait au moins une utilité. Le carillon sonna joyeusement lorsqu’elle poussa la porte de la boutique. Elle avait commencé à prendre l’habitude de venir, de discuter avec le vieux Patterson ou croiser la jeune De Kérimel. Elles avaient échangé quelques fois toutes les deux, testé quelques breuvages de Jayce à la Tête de Sanglier mais sans plus. Leurs échanges étaient restés simples mais sans plus. Les quelques fois où elle était venue à la boutique car le barman avait véritablement une fainéantise immense de lever son arrière-train un weekend, elle avait eu plus souvent à faire au patron qu’à la potionniste. Aussi fut-elle un peu étonnée lorsque ce fut elle qu’elle vit. Elle lui offrit néanmoins un sourire poli.

- Salut ! Hum, j’aurai besoin de... elle regarda la liste que lui avait dressé Jayce. Plante à pipaillon, de volitflore et de géranium dentu, si tu as. Et aussi de… euh, je sais pas, j’arrive pas à lire. Mais Jayce m’a dit que tu saurais.

Elle lui tendit la feuille, un peu gênée de ne pas réussir à relire les lignes de son ami. En même temps il fallait avouer qu’il n’y avait pas vraiment mis du sien non plus dans la rédaction de la liste. La bibliothécaire n’osait même pas imaginer qu’est-ce que le barman pourrait bien tenter avec tous ces ingrédients. Ses derniers essais de cocktails avaient été plus qu’infructueux et son estomac s’en souvenait encore. Alors que son regard se perdait sur les rayonnages, Alex remit plusieurs fois sa mèche de cheveux derrière son oreille, signe de nervosité. Elle tourna la tête d’un côté, puis de l’autre, observant qu’il n’y avait bien personne d’autre dans la boutique.

- En même temps, est-ce que t’aurais des trucs genre des plantes ou des potions ou j’sais pas trop quoi contre les douleurs ?

Au moins le premier pas était lancé. C’était tout sauf simple pour la sang-mêlée de demander ce genre de choses et de détourner l’attention pour que personne ne sache qu’elle parlait d’elle. Tout du long elle avait regardé ailleurs, faisant passer les choses pour une simple demande anodine.

- C’est pour ami, ajouta-t-elle presque trop rapidement pour être crédible. Il est tombé de balai en se prenant un cognard et depuis il se plaint d’avoir mal au dos. J’lui ai toujours dit d’éviter de foncer comme un bourrin mais il écoute jamais rien.

La jeune femme avait apporté ses précisions dans de petits gestes de mains, comme pour ponctuer son désarroi face à cet ami maladroit. Elle n’avait pas complètement menti. Elle était bien tombée. Pas de balai, mais elle avait bien chuté en se prenant un objet contondant assez efficace. Bon, pas un cognard mais l’idée et la violence était similaire. Elle avait bien mal au dos. Pas que, mais en partie. Et elle avait définitivement foncé comme un bourrin sans réfléchir. Au moins elle avait retenu la leçon.
Alex Brekke
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Alex Brekke

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Mar 18 Mai 2021 - 23:44
Des plantes et des maux
ft. Alex Brekke
Il y avait quelque chose de profondément mélancolique dans l’agitation incessante d’une masse de personnes inconnues concentrée en un seul lieu. Ce vendredi-là, la place tournante du Ministère de la Magie français ressemblait à une ruche lors de heures les plus pleines. Des sorciers et des sorcières guindés, habillés de toges et de robes uniformes et stricts, exécutaient un ballet répétitif. Leurs échanges conféraient à la scène le bourdonnement caractéristique des abeilles – sans doute l’impression de la ruche venait-elle de là.
 
Leur danse incessante donnait le tournis à Andrée.
 
Assise sur l’un de ces blocs en marbre que le Ministère mettait à disposition de ses visiteurs, elle attendait depuis près de deux heures son Portoloin de retour. Encore une fois, elle se demanda ce qui l’avait poussée à faire ce voyage.
 
C’était un mari et un père aimé. Un homme d’affaire droit, juste, apprécié de ses pairs. La douleur ressentie par ses proches, infinie, est à l’image de l’amour qu’ils lui portaient et qu’ils lui porteront longtemps encore : éternel.
 
Elle se sentait comme une intruse, enfermée dans ces murs qui ne voulaient pas d’elle. Le Ministère de la Magie français semblait faire plus de cas des assertions de Potter au sujet du retour supposé du Seigneur des Ténèbres que son homologue anglais ; sans fermer ses frontières ni instaurer de surveillance outrancière dans les quartiers sorciers, les contrôles auxquels elle avait été soumise était bien plus poussés que ceux qu’elle avait vécu à quatorze ans. Ou alors elle ne s’en souvenait pas.
 
Déformation infantile, peut-être.
 
Comme celle qui abîmé les sentiments qu’elle avait porté à son père. Aujourd’hui, elle ne savait plus s’il avait été un modèle, un repère ou un inconnu. Sûrement un peu des trois.
 
Andrée, enchantée – puis-je vous appeler ainsi ? Je suis la femme de Pierre, Anne. Votre belle-mère, en fait ! Sachez que nous avons beaucoup pensé à vous ces derniers jours. Cette épreuve doit être terrible pour vous.
 
La jeune femme s’enserra la taille avec ses bras, comme si ce geste d’auto-défense pouvait suffire à repousser toutes les pensées sombres qui l’assaillaient. Cela faisait plusieurs années que la française avait relégué son passé familial aux oubliettes. Elle pensait s’en être acquittée, avoir suffisamment guéri pour ne plus le traîner comme un boulet.
 
Un père disparu, retrouvé, dont la fille était trop reliée à son passé pour qu’il l’accepte vraiment.
 
Une mère présente, étouffante et distante à la fois, dont la folie avait rongé les liens qui la tenaient attachée à sa fille.
 
Un beau-père cruel, charismatique, emprisonné à Azkaban, et dont la colère et la haine avaient pourtant avait servi d’inspiration à la belle-fille.
 
Et une enfant perdue, seule, sans repère ni chemin, qui continuait de hanter les nuits de l’adulte qu’elle était devenue.
 
Pas si accomplie que ça, l’adulte. Il y avait encore des progrès à faire.
 
Jusqu’à la fin, sa famille l’aura accompagné. Jusqu’à la fin il aura aimé ceux qui le chérissent. Anne, Charlotte et Amélia, sa femme et ses filles bien aimées ; Quentin et Sophie de Kerimel, son frère et sa sœur ; et tous ces amis qui ont pu nous visiter aujourd’hui ; tous, nous prions pour lui et n’oublions pas que le voyage ne fait que commencer. La vie dans l’au-delà, comme nous le savons tous, est à la mesure de la personne qui part. Dans le cas de Pierre de Kerimel, elle sera fabuleuse.
 
Andrée de Kerimel vous envoie ses salutations, elle aussi – Andrée aurait voulu cracher, crier, insulter, mais elle s’était tue en ravalant son acidité. Aussitôt la cérémonie achevée, elle s’était levée. La première, droite dans son habit noir d’encre, aussi strict et sobre que le voulait la coutume, hautaine avec son masque de dédain et d’aristocratie. Au fond d’elle, elle voulait pleurer, pleurer sur son sort et sur ce père qu’elle aurait voulu mieux connaître, pleurer sur la vie qu’elle n’avait pas eue et que ces sottes d’Amélia et de Charlotte avait vécue à sa place.
 
Au lieu de cela, elle avait balayé l’assemblée du regard et avait lentement descendu l’allée de l’église. Si le pasteur ne daignait pas de se souvenir de son existence, elle ferait en sorte qu’on la remarque autrement. Ce n’était pas comme si on l’avait invitée au dîner qui avait lieu après.
 
Un rendez-vous avait été convenu pour début janvier pour que le notaire familial lui confiât toutes les modalités de son héritage. Peut-être serait-ce l’occasion de mettre au jour les secrets enfouis de M. de Kerimel, ricanait Andrée en son for intérieur. Il s’agissait presque d’un espoir : découvrir que cet homme si blanc et si honnête était en fait un scélérat de la pire espèce.
 
Ou au moins que quelques affaires louches noircissaient ses mains gantées d’homme d’affaire.
 
— Le Portoloin en direction de King’s Cross, Londres, partira dans cinq minutes. Veuillez rejoindre votre cabine de départ et prendre garde à n’oubliez aucune affaire personnelle.
 
Lentement, Andrée détacha son regard des incessantes allées et venues des bureaucrates français. Retrouver l’air anglais lui ferait le plus grand bien.
 
 
Le samedi rimait immanquablement avec obligations. Liées à la Boutique, évidemment, et aussi liées au stock de la Boutique. Le samedi était le jour qui voyait passer le plus de visage ; les étudiants les plus âgés renflouaient parfois leur stock d’ingrédients, les amateurs un peu dégourdis cherchaient de nouvelles associations pour leurs mélanges risqués et les professionnels s’informaient des nouveautés fraîchement arrivées. En parallèle de toute cette affluence, Mr Patterson comptait sur elle pour la tenue du registre de l’inventaire et pour la gestion des commandes, des livraisons et des factures.
 
Son patron la soutenait parfois dans la besogne, contrôlant la situation d’un œil expert, lui donnant quelques consignes et lui recommandant un ou deux nouveaux fournisseurs, mais il évitait les samedis comme la peste et s’était même équipé d’un apprenti pour que ce dernier s’occupe des week-ends dans la Boutique du Chemin de Traverse.
 
Elle grommela – elle estimait travailler suffisamment pour mériter une augmentation. Elle peinait parfois à concilier ses activités de potionniste et de gérante d’échoppe.
 
Même en deuil, il était inconcevable qu’elle s’arrêtât ce samedi-là.
 
Une brève accalmie dans le flux et le reflux des clients lui permit de s’accouder sur le comptoir. Sa tempe battait, ses yeux piquaient. À peine entamée que la journée pesait déjà de tout son poids – les secondes passeraient lentement, ce jour-là. Très lentement.
 
Le carillon de bienvenue tinta à nouveau et la sorcière se retint de soupirer. À la place, elle se composa un sourire de façade, même si elle n’était pas persuadée qu’il masquait l’intégralité de sa fatigue.
 
Debout au milieu de la boutique, elle eut la surprise de reconnaître Alex Brekke. Une fille qu’elle croisait parfois à la Tête de Sanglier, quand son barman, Jayce Penbrock, se mettait en tête de lui faire tester de nouveaux mélanges – souvent plutôt ratés, il fallait l’avouer. Andrée ne savait pas grand-chose sur Brekke, si ce n’était qu’elle travaillait à Poudlard. Et son nom. Il fallait dire que la commerçante ne s’était pas montrée très curieuse à son sujet.
 
Andrée pencha la tête sur le côté, mi-curieuse mi-avenante.
 
— Bonjour, Alex, dit-elle d’un ton qu'elle voulut rendre agréable.
 
— Salut ! J’aurais besoin de... Plante à pipaillon, de voltiflore et de géranium dentu, si tu as.
 
Andrée hocha la tête et se dirigea vers un pan de son mur de tiroir. Tout en l’écoutant, elle commença à réunir les ingrédients, silencieuse.
 
— Et aussi de... euh, je sais pas, j’arrive pas à lire. Mais Jayce m’a dit que tu saurais.
 
Dos à la jeune femme, Andrée leva discrètement les yeux au ciel : Penbrock lui laissait parfois des listes de courses pour qu’elle puisse préparer ses ingrédients la veille pour le lendemain, et force était de constater que son écriture souffrait d’un certain manque d’élégance.
 
Andrée se saisit du papier que lui tendait la jeune femme, plissant les yeux en déchiffrant les mots. Heureusement qu’elle connaissait les ingrédients – elle ne pouvait blâmer Alex de ne pas les reconnaître.
 
— Je te prépare ça, lui sourit-elle. Patiente juste un instant.
 
Avec des mouvements rôdés par l’habitude, elle ouvrit, saisit, choisit, pesa et empaqueta. Comme à chaque fois, elle tenta de déchiffrer la liste : quelle boisson le barman allait-il concocter, cette fois-là ? L’un des classiques que proposait le pub ou une invention qu’il présenterait comme « une exclusivité de la maison » pendant quelques semaines ?
 
Une chose était sûre, la plupart des ingrédients qu’il avait mentionnés se mariaient admirablement bien avec le citron vert flambé.
 
— Et voilà !, dit-elle en lui tendant un sac en papier. Je mets ça sur la note de Jayce, il paie à la fin du mois.
 
Sa cliente s’en saisit mais ne bougea pas. Hésitante, elle fit mine d’inspecter la boutique. Curieuse, Andrée plissa les yeux et inspecta son visage. Visiblement, ce que Brekke s’apprêtait à lui confier lui coûtait.
 
— En même temps, est-ce que t’aurais des trucs genre des plantes ou des potions ou j’sais pas trop quoi contre les douleurs ?
 
Andrée haussa les sourcils, incertaine de la demande de la bibliothécaire. D’un geste de la tête, elle l’invita à poursuivre. Alex répondit aussitôt, empressée et trébuchante dans sa manière de parler.
 
— C’est pour un ami. Il est tombé de balai en se prenant un cognard et depuis il se plaint d’avoir mal au dos. J’lui ai toujours dit d’éviter de foncer comme un bourrin mais il écoute jamais rien.
 
— Sacrée chute, commenta Andrée en examinant la jeune femme.
 
Quelque chose lui soufflait qu’Alex n’était pas tout à fait à l’aise avec sa requête. Qu’elle ne lui livrait pas toutes les informations. Et que pour une raison inconnue, elle ne voulait pas lui en livrer l’intégralité.
 
Elle croisa les bras. Sa cheville se tordait au rythme d’une pulsation imaginaire – un mouvement qui lui rappelait un peu la danse et qui lui permettait de focaliser ses pensées plus facilement.
 
— J’ai plein de choses contre la douleur, finit par dire Andrée. Le problème, c’est que les plantes comme les potions ont un effet spécifique. Selon l’origine du mal de dos de ton ami, le bon remède peut tenir en une plante ou en une autre, et prescrire la mauvaise pourrait occasionner des effets secondaires très peu désirables.
 
C’était l’une des bases fondamentales que les médicomages et chercheurs de Saint-Mangouste lui avaient appris en premier. Une règle qu’il ne fallait jamais négliger ; on assistait à trop de catastrophes à cause d’imprudence lors de la prescription des médicaments.
 
— L’idéal, c’est que ton ami aille à l’hôpital pour avoir une ordonnance précise d’un médicomage et d’un radiomage1. À ce moment-là, je pourrai réaliser les potions qu’ils ont prescrites.
 
Elle eut un sourire en coin. Peut-être s’apprêtait-elle à jouer avec le feu – ou à fouiner dans ce qui ne la regardait pas -, mais quelque chose titillait sa curiosité. Une attitude qu’avait Alex : fuyante sans l’être vraiment, explicite sans donner suffisamment de détails pour l’être tout à fait.
 
— Mais je suppose que si ton ami ne l’a pas fait, c’est qu'il ne le veut pas. Dans ce cas, il faudrait qu’il vienne ici pour que je puisse au moins localiser les os ou les muscles touchés. Je ne peux rien te donner sans avoir d’idée précise sur ce qui ne va pas.
 
Après tout, ne disait-on pas que mal utilisées, de remèdes bienfaiteurs les plantes pouvaient se transformer poisons mortels ?
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Andrée de Kerimel
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Mer 26 Mai 2021 - 19:48
Des plantes et des maux
feat Andrée de Kérimel | Samedi 9 décembre 1995
Elles ne se connaissaient pas vraiment. Un nom, un prénom, un métier, un tutoiement vite engagé et quelques verres dans une taverne miteuse. Sans le barman de ladite bicoque elle n’aurait très certainement jamais mis les pieds chez la potionniste. C’était toujours lui qui la sortait de toutes les mauvaises passes et une fois n’était pas coutume elle se retrouvait bien dans la boutique à attendre. Le sourire commerçant ne parvenait pas à cacher pour autant son état. De la fatigue ? De l’agacement ? De la nervosité peut-être ? Alex aurait été incapable de déterminer concrètement la situation de la vendeuse mais elle n’était pas totalement dans son chaudron. On avait tous ses jours avec et ses jours sans. Aujourd’hui était peut-être un jour sans pour toutes les deux.

Dans son sourire agréable elle accepta tout de même la longue liste d’ingrédients aussi illisibles qu’inconnus pour la bibliothécaire. Elle n’avait jamais été vraiment douée pour les cours de botanique et de potion et ce n’était pas maintenant qu’elle envisagerait de rattraper son retard dans un domaine qui ne l’intéressait pas plus que ça. Une petite remise à niveau en sortilèges peut-être, mais clairement pas de la botanique.

- Et voilà ! Je mets ça sur la note de Jayce, il paie à la fin du mois.

La blonde murmura un merci alors qu’elle saisissait le sac de fournitures. Si Jayce payait uniquement à la fin du mois, elle pouvait donc saluer la jeune femme et s’en aller prestement dans un au revoir vague. Mais ce n’était pas complètement pour cela qu’elle était venue. Et même si elle ne savait pas comment aborder les choses et que son ego ne voulait pas les aborder, elle se devait de se lancer. Tout le long de son explication hasardeuse elle sentit le regard d’Andrée peser sur son côté, comme si elle pouvait lire en elle. Je te jure Jayce que si elle peut lire dans les pensées je hanterai tes nuits pour l’éternité.

- Sacrée chute.

Ah ça pour avoir été une sacrée chute, c’en fut une ! Le pied de la potionniste battait la cadence, lui rappelant son maître d’école qui tapotait toujours sa chaussure en la toisant les bras croisés dès lors qu’elle somnolait dans le fond de la classe en attente d’une réponse à une question qui n’était jamais parvenue jusqu’à ses oreilles. Elle avait à peu près la même position, le regard sévère et les lunettes rondes en moins. Au fond d’elle, Alex avait comme l’intuition qu’Andrée ne la croyait pas entièrement. Mais elle avait l’air d’aller dans son sens. Pour le moment.

- J’ai plein de choses contre la douleur. Le problème, c’est que les plantes comme les potions ont un effet spécifique. Selon l’origine du mal de dos de ton ami, le bon remède peut tenir en une plante en une autre, et prescrire la mauvaise pourrait occasionner des effets secondaires très peu désirables.

Étrangement elle s’était doutée que le sens du vent n’irait pas toujours dans son sens. La conversation lui échappait un peu et elle ne savait pas trop comment reprendre pied. Il n’y avait pas de pommade magique pour tous les petits bobos, ou de petits cachets simples comme chez les moldus. Tout était… différent ici, et elle l’oubliait parfois. Tout était plus intense, plus dangereux. Plus… Plus tout, en fait.

- Ouais, j’avoue que s’il pouvait éviter de s’attirer des furoncles ou une diarrhée du feu de dieu il t’en serait très certainement hyper reconnaissant, plaisanta-t-elle.
- L’idéal, c’est que ton ami aille à l’hôpital pour avoir une ordonnance précise d’un médicomage et d’un radiomage. A ce moment-là, je pourrai réaliser les potions qu’ils ont prescrites.

L’hôpital était tout sauf une possibilité envisageable pour la londonnienne. Jayce l’y avait poussé, l’avait déposé devant. Elle y était entrée, avait été prendre des nouvelles de Miss Pot-de-fleur – qui avait un prénom finalement – et était repartie sans parler de son état. Avouer à quelqu’un qu’elle souffrait ? Et puis quoi encore ! C’était déjà bien assez difficile de ressasser à cause de la douleur, il était hors de question de devoir en plus expliquer en détail la situation et lire le jugement dans le regard du corps médical.

- Mais je suppose que si ton ami ne l’a pas fait, c’est qu'il ne le veut pas. Dans ce cas, il faudrait qu’il vienne ici pour que je puisse au moins localiser les os ou les muscles touchés. Je ne peux rien te donner sans avoir d’idée précise sur ce qui ne va pas.

Ouch. 50 points pour Gryffondor. Jayce tu es un homme mort, elle lit dans les pensées. Andrée avait touché les éléments sensibles, tourné ses phrases de manière subtiles pour l’amener à parler. Avait-elle compris qu’elle ne parlait définitivement pas d’un ami mais d’elle-même ou tentait-elle de démêler le vrai du faux ? Quoiqu’il en soit, elle n’avait plus trop le choix de se lancer.

- Hum, je sais qu’il est tombé sur des briques. Assez violemment. Et qu’il a mal aux côtes, genre, celles-là. Elle désigna deux paires de côtes de sa main valide, l’autre étant serrée dans sa poche de pantalon. Et que c’est assez gonflé, chaud et d’une couleur chelou.

Elle n’était pas aveugle et n’étouffait pas à ce point son déni pour ne pas s’en apercevoir. Parfois devant le miroir elle regardait son corps déformé, tâtait pour mieux évaluer l’ampleur que prenait les choses. Parfois les larmes montaient à ses yeux lorsqu’elle toussait et que ses os semblaient vouloir perforer ses chaires et ses organes pour mieux s’extirper de son corps. Souvent elle finissait les mains crispées sur le bord de l’évier, détestant cette allure frêle et faible qui lui faisait face comme un rappel incessant qu’elle avait évité le pire.

En soupirant la blonde laissa tomber son menton, sa tête oscillant un instant. Quand faut y aller, faut y aller.

- T’as des commandes particulières à faire, là tout de suite ? Demanda-t-elle, décidée et pourtant si incertaine.

Son ton n’était pas aussi déterminé qu’habituellement. On y sentait aisément l’hésitation de se confier et de montrer ses plaies, de se laisser examiner un instant. Elle espérait qu’Andrée pourrait leur accorder un moment d’intimité pour parler de tout ça Même si elle avait relevé le regard sur la brune l’air de rien, elle ne réussit pas à le soutenir longtemps, bien vite rattrapée par sa peur qu’un autre client ou le patron lui-même ne les aperçoivent. Pathétique.

Elle s’approcha d’elle, se mordant la lèvre de nervosité. Elle aurait aimé que son courage et sa désinvolture ne reste pas devant la porte d’entrée et l’accompagnent jusqu’au bout, histoire qu’elle ne se retrouve pas à avoir envie de fuir comme une enfant apeurée. Une fois à ses côtés, leurs corps faisant barrage à toute vision environnante, Alex se lança enfin. Elle sortit son poignet de sa poche en grimaçant et le tendit légèrement devant elle. Le sang qui affluait enfin après la compression de son jean faisait palpiter ses doigts et trembloter sa main de manière incontrôlée. Certaine zone avaient viré au verdâtre, d’autre aux teintes brunes mais l’ensemble paraissait inquiétant.

- Je crois qu’il a eu quelques légers problèmes d’atterrissage, aussi. Balai capricieux, tu vois.

Elle tenta un sourire faible pour accompagner sa petite plaisanterie, contrite.
Alex Brekke
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Alex Brekke

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The good one or the real one ?
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Ven 2 Juil 2021 - 22:42
Des plantes et des maux
ft. Alex Brekke
Les tortillements de main et les hésitations d’Alex avaient presque quelque chose de touchant ; si Andrée avait été ce genre de personne, elle aurait certainement tenté de la rassurer et de découvrir avec douceur ce qui la rendait si mal à l’aise.

Les deux jeunes femmes se connaissaient très peu, mais les brefs moments qu’elles avaient passé à deux suggéraient que la bibliothécaire était quelqu’un d’assuré. En tout cas, suffisamment pour donner le change et pour paraître à son aise en compagnie d’une inconnue. Certes, Penbrock avait été présent à chaque fois, mais ses obligations de barman l’avaient obligé à s’éclipser régulièrement.

Elles ne se connaissaient pas, mais Andrée était douée pour décrypter les gens. La certitude que quelque chose ne tournait pas rond pulsait en elle. Et elle voyait que ses yeux noirs, fixés sans ciller sur la jeune femme, la plongeaient davantage dans l’inconfort.

— J’ai plein de choses contre la douleur, finit-elle par dire une fois qu’Alex eût terminé son histoire. Le problème, c’est que les plantes comme les potions ont un effet spécifique. Selon l’origine du mal de dos de ton ami, le bon remède peut tenir en une plante ou en une autre, et prescrire la mauvaise pourrait occasionner des effets secondaires très peu désirables.

— Ouais, j’avoue que s’il pouvait éviter de s’attirer des furoncles ou une diarrhée du feu de dieu il t’en serait certainement hyper reconnaissant, dit Alex.

Son détachement dissimulait mal sa nervosité grandissante. Un faible sourire étira les lèvres d’Andrée. Le problème s’avérait ardu à décortiquer.

Elle lui donna les conseils de base, espérant la convaincre qu’elle n’était pas la solution définitive et lui extorquer la vérité. Certes, elle travaillait pour Saint-Mangouste ; certes, elle avait des connaissances en médicomagie, connaissances toutes relatives toutefois. Aucune erreur de diagnostic de sa part n’avait été à déplorer jusqu’à présent, mais elle n’en avait pas établis beaucoup. Et il était connu que les os fragilisés et les muscles froissés, c’était autrement plus délicat qu’une douleur au ventre ou un mal de tête chronique.

L’expression d’Alex lui suggéra qu’elle n’était pas prête à suivre ses recommandations. Le visage fermé, elle tergiversait. Alors Andrée fit ce qu’elle aurait voulu éviter, car sa proposition s’éloignait des règles déontologiques qu’elle s’était fixées : elle lui proposa d’ausculter elle-même son ami.  

Merlin fermerait les yeux sur son incartade, elle savait qu’elle était douée. Le nombre d’heures de formations qu’elle avait suivies n'égalait certes pas le cursus universitaire d’un médicomage, mais elles s’accumulaient. Il n’y aurait pas d’erreur de diagnostic.

— Hum, je sais qu’il est tombé sur des briques, répondit Alex. Assez violemment. Et qu’il a mal aux côtes, genre, celles-là. Et que c’est assez gonflé et d’une couleur cheloue.

Andrée se mordit les lèvres : les conditions de la chute ne l’intéressaient pas. Pour pouvoir travailler correctement, il lui fallait voir le patient. Le toucher. L’analyser.

Peut-être parlait-elle de Jayce Penbrock ? L’hypothèse était loin d’être incohérente ; à sa connaissance, ils étaient très souvent ensemble. À l’idée d’examiner quelqu’un qu’elle connaissait, même professionnellement, elle se tendit. C’était ridicule, mais l’opération lui semblait tout à coup plus délicate. Une timidité mal placée sur laquelle il lui faudrait travailler – hors de question que cette pudeur lui portât préjudice dans un futur plus ou moins proche.

Il ne s’agissait que du travail. Une auscultation n’avait rien d’intime.

— J’ai besoin d’une analyse de la zone touchée, Alex, pas d’une description. Il faut que tu me l’amènes. Je ne te donnerai rien sans diagnostic précis.

La blonde soupira, sembla rendre les armes. Les mots qu’elle prononça eurent l’air de lui arracher l’intérieur de la bouche :

— T’as des commandes particulières à faire, là tout de suite ?

Il s’agissait donc d’Alex. La découverte ne l’étonna pas plus que cela – elle comprenait désormais d’où venaient toutes ces hésitations. Pourquoi faisait-elle autant de résistance, en revanche, c'était impossible à savoir.

Andrée ignorait si la perspective d’ausculter Alex était moins terrifiante que celle d’examiner Penbrock. Sans doute que oui : Alex paraissait de nature plus calme que le barman, et surtout, il ne s’agissait pas d’une cliente. Juste d’une connaissance. Une amie d’un client.

Ça changeait tout.

La potionniste secoua la tête en se forçant à sourire de façon naturelle. Elle ne découvrait pas sa peur de l’intimité – cependant, c’était la première fois qu’elle interférait dans son travail.

La bibliothécaire, de son côté, n’avait pas l’air beaucoup plus rassurée qu'Andrée. Elle se rapprocha progressivement, presque craintivement. Soudain, au moment où la médicomage d'un jour se demanda s’il ne fallait pas qu’elle reculât d’un ou deux pas, Alex sortit le poignet le plus terrifiant qu’elle eût vu depuis longtemps. Oscillant entre le noir, le brun et le vert, la chair était gonflée et tuméfiée.

— Je crois qu’il a eu quelques légers problèmes d’atterrissage, aussi, ajouta-t-elle devant la grimace de l’apothicaire. Balai capricieux, tu vois.

— Ce ne sont pas des côtes, dit Andrée bêtement.

Délicatement, elle glissa ses mains sous la zone blessée. Son œil expert guettait à la fois les expressions de la jeune femme, pour déterminer ce qui lui faisait mal, et aussi les reliefs de sa peau. Certaines parties de la main étaient dures.

Une grosse entorse. Peut-être une fracture.

Andrée ne put retenir une grimace en imaginant son supplice, grimace qui s’élargit lorsqu’elle comprit que ses côtes étaient sans doute dans le même état.

— Suis-moi.

Pour une fois, aucun chaudron ne bouillonnait sur les tables encombrées de l’arrière-boutique et les fenêtres étaient ouvertes et dégagées. En revanche, des parchemins traînaient çà et là, couverts de son écriture penchée et élégante. La surface de son bureau croulait sous les notes, les post-it et les grimoires anciens.

D’un geste de la baguette, Andrée expédia le tout dans son atelier, à l’autre bout de Pré-au-Lard. Hors de question d’exposer des travaux confidentiels aux regards, même s’ils étaient innocents.

Elle tourna l’unique chaise de la pièce vers elles et invita Alex à s’y asseoir.

— Ton poignet est sûrement cassé, mais je vais quand même l’examiner de plus près. Et ensuite, ce sera le tour de tes côtes, fit-elle d’un air sévère. Depuis quand tu t’es fait ça ? Tu aurais dû consulter immédiatement. Si j’en crois l’état de ta main...

Évidemment, elle tut le fait qu'elle-même avait fui les services hospitaliers le soir d'Halloween.

D’une main légère, elle souleva le bras d’Alex, ignorant ses manifestations de douleur. La baguette pointée sur la zone blessée, elle lui effleura la peau du bout de son arme.

— Ça fait au moins un mois. Ou plus. Et c’est une entorse.

Elle tapota doucement la blessure, fit le vide dans son esprit. Un craquement sonore plus tard, le poignet commença à désenfler.

Andrée se redressa et fouilla dans les tiroirs de son placard. Beaucoup plus grands qu’ils n’en avaient l’air de prime abord, ils étaient compartimentés en petits casiers dans lesquels étaient stockés de nombreux onguents, potions et herbes médicinales. Ce stock lui servait d’ingrédients lorsqu’elle travaillait ses potions à la Boutique, mais le plus gros était chez elle.

— Vu l’état de ton poignet, tu ne peux pas t’attendre à ce que ça guérisse tout de suite. Tu devras le crémer pendant une bonne semaine et l’immobiliser le plus possible.

Elle sortit une petite boîte métallique du tiroir et se retourna. Mais loin de le lui tendre, elle croisa les bras et se campa sur ses jambes.

— Avant d’examiner quoique ce soit de plus, dit-elle, car il était désormais évident que les côtes dont Alex parlait plus tôt étaient les siennes, tu vas me dire ce qu’il s’est passé exactement. Car à ton histoire de balai, je n’y crois pas une seconde.

C’était un peu direct, mais dans le cadre de son travail, Andrée s’embarrassait rarement de cérémonies. L’efficacité était son credo : une question, une réponse, et on pouvait avancer.
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Dim 17 Oct 2021 - 20:12
Des plantes et des maux
feat Andrée de Kérimel | Samedi 9 décembre 1995
Le fossé entre la théorie et la pratique était toujours immense, Alex le savait depuis longtemps. Se pointer docilement chez la potionniste semblait simple, sur le papier. Dans les faits elle avait l’air d’une enfant paniquée à l’idée qu’on découvre quelle bêtise elle avait pu faire. Promis, elle n’avait rien cassé. Hormis elle, évidemment. Et peut-être un Mangemort, aussi.

L’antiquaire la fixait, jaugeant ses paroles comme pour en séparer le vrai du faux. Et clairement on ne pouvait pas dire que la bibliothécaire avait l’air de la convaincre totalement de ses dires. Elle était nulle pour mentir, ce n’était pas de sa faute. Mais finalement elle parvint, à sa manière, à lui exprimer qu’elle avait besoin d’aide. Lorsqu’elle tendit sa main malmenée, la remarque d’Andrée la fit sourire.

« Ce ne sont pas des côtes . » Il était vrai. Ce n’étaient pas des côtes. Mais il était hors de question qu’elle se déshabille comme ça en plein milieu de l’achalandage comme si de rien n’était. La blonde n’était certes pas la plus pudique des femmes, elle avait tout de même des valeurs. Ne jamais se déshabiller la première fois, un peu de respect.

Lorsqu’elle vit la compréhension de la situation gagner progressivement le visage de son interlocutrice par l’agrandissement conséquent de sa grimace à l’imagination des dégâts, elle hocha la tête avant de la suivre. Ce n’était plus le moment de reculer. Même si elle rêvait de fuir à la moldue, de se carapater loin d’ici et de ne plus y remettre les pieds.

C’était la première fois qu’elle pénétrait dans l’arrière-boutique d’un établissement comme celui là. Il ressemblait en quelque sorte à la réserve de la bibliothèque, pleine de grimoires en tous genres. Docilement Alex s’assit sur la chaise nouvellement dégagée.

- Ton poignet est sûrement cassé, mais je vais quand même l’examiner de plus près. Et ensuite ce sera le tour de tes côtes. Depuis quant tu t’es fais ça ? Tu aurais dû consulter immédiatement. Si j’en crois l’état de ta main…

Fracture. C’est tout ce qu’elle avait retenu. Elle se doutait bien en voyant les changements de couleur successifs, la difficulté de mobilité et les boursouflures qui ne désenflaient pas qu’il y avait plus qu’une entorse. Mais sa stupide fierté l’avait empêché d’aller faire ce qu’il aurait été normal de faire, à savoir consulter un spécialiste.

Le soulèvement de son bras lui tira un plissement de paupières beaucoup plus intense que la normale. La douleur irradiait ses doigts et son poignet, comme si le sang qui les sustentait était fait de lave et de roche tranchante. Le léger glissement de la baguette sur sa peau semblait être celle d’une lame qui parcourait le tracé réticulé de ses veines. La surprise passée, elle réussit à rouvrir les yeux en serrant très fortement les dents.

- Ça fait au moins un mois. Ou plus. Et c’est une entorse.

Bien joué Sherlock, la datation est exacte. Une grosse entorse, finalement ? Peut-être que le poignet avait-il été épargné, mais pas les doigts. Après tout c’était la brune qui s’y connaissait, pas la blonde. Alex commença à soupirer de soulagement lorsque le craquement se fit à la fois entendre et sentir. Il se transforma donc en un gémissement de douleur étouffé entre ses dents, accompagné en rythme d’un tapotement de pied et de la crispation de tous ses autres membres. C’est qu’un mauvais moment à passer, c’est qu’un mauvais moment à passer, pensa-t-elle.

Imperturbable la potionniste poursuivait l’inspection de son placard pendant que de son côté Alex marmonnait les jurons les plus imaginatifs qu’elle pouvait. C’était toujours mieux que la potion poussos qu’elle avait avalé après s’être cassé le pied en sautant d’un mur quand elle était petite – à croire que les murs et elle c’était une histoire d’amour indéfectible – mais cette remise en place restait de loin une très mauvaise partie de plaisir.

- Vu l’état de ton poignet, tu ne peux pas t’attendre à ce que ça guérisse tout de suite. Tu devras le crémer pendant une bonne semaine et l’immobiliser le plus possible.

Pour la première fois, la londonienne sourit de soulagement en tendant la main vers la boîte que tenait la jeune femme.

- Oh niquel, une semaine ça va être tranquille !

Mais alors qu’elle aurait pu enfin saisir l’objet brillant, tel un nifleur devant un tas de mornilles, le mouvement de recul et le croisement de bras de son médecin du jour la laissa pantoise. Elle n’en avait pas fini ? Elle était prête à payer sa crème et ne plus faire d’histoire, comme une enfant sage.

- Avant d’examiner quoique ce soit de plus, tu vas me dire ce qu’il s’est passé exactement. Car à ton histoire de balai, je n’y crois pas une seconde.

Et merde… Cette histoire paraissait trop belle pour qu’elle s’en sorte à trop bon compte.

- Quoi ? C’était pas crédible ? Franchement, en me connaissant un peu plus tu saurais que me vautrer en balai est loin d’être un événement impossible. J’ai toujours été une piètre voleuse.

Et ça c’était bien vrai. Autant son habileté à sauter partout, à escalader, grimper, se faufiler n’était plus à prouver, mais dès lors qu’elle quittait le plancher des botrucs pour chevaucher un morceau de bois, c’était peine perdue.

Acculée, Alex n’avait plus vraiment le choix d’avouer. Et quitte à y aller, autant s’y jeter franchement. Plus vite c’était fait, plus vite elle s’en sortirait.

- Je me suis prise un mur dans la gueule le soir d’Halloween, lâcha-t-elle, presque froidement. Elle tentait de contenir ses émotions, entre douleur et colère à l’évocation de ce souvenir. Je courrai dans Pré-au-Lard quand un connard a fait péter le mur à côté de moi. Du coup je me suis retrouvée projetée à plusieurs mètres à cause du choc et des briques.

La sang-mêlée se redressa sur son assise pour s’étirer. Rester trop longtemps assise lui procurait de vifs fourmillements tout le long de son névraxe et engourdissait ses muscles lombaires.

- Je sais que j’aurai dû aller voir quelqu’un plus tôt, Jayce me le redit tout le temps. Mais j’avais clairement plus de choses à gérer en général, à Poudlard, personnellement et tout pour passer du temps auprès des médecins. Et puis je pensais que ça passerait.

Fallait croire que l’opération était loin d’être une réussite.
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Lun 25 Oct 2021 - 16:54
Des plantes et des maux
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Du coin de l’œil, Andrée observa Alex. En considérant ses précédentes affirmations et les hésitations qu’elle marquait dans son discours, aucun doute n’était permis : elle lui mentait. La potionniste n’avait aucune idée de ses motivations ni de la cause de ses mensonges, mais elle détestait qu’on la prît pour une idiote.

Empêcher ses traits de refléter son agacement releva du tour de force. La fatigue qu’elle accumulait depuis plusieurs jours, entre l’enterrement de son père, la préparation de la mission de l’Œil et sa double activité parfois dangereuse, se ressentait de plus en plus. Malgré l’admirable self-contrôle qu’elle avait, ses émotions surgissaient parfois fugacement avant qu’elle ne pût se reprendre.

Elle claqua la langue au moment où elle comprit qu’Alex comptait s’en sortir sans plus de cérémonie. À vrai dire, elle se retint de lui répondre de manière cinglante et se contenta de lui demander la vérité.

Toute la vérité.

— Quoi ? C’était pas crédible ?

Andrée soupira, lasse. L’envie de s’asseoir l’envahit soudain, mais le seul siège de la pièce était occupé. À la place, elle croisa les bras et bascula son poids sur l’une de ses jambes – un signe criant de ses nerfs qui arrivaient à bout de patience pour qui la connaissait. Andrée ne croisait jamais les bras ; c’était une posture qui révélatrice d’un état d’esprit instable, colérique ou harassé, et personne ne devait deviner celui de la Française.

Sauf aujourd’hui, apparemment.

Andrée pencha la tête sur le côté, incitant sa patiente du jour à continuer.

—Franchement, en me connaissant un peu plus tu saurais que me vautrer en balai est loin d’être un événement impossible. J’ai toujours été une piètre voleuse.

— Je ne vois pas pourquoi tu m’aurais menti sur la personne à soigner et pas sur la cause de ces blessures, rétorqua Andrée. L’un va avec l’autre.

Question de logique : Alex ne supportait visiblement pas qu’on la prît pour quelqu’un de faible, même si elle souffrait le martyr. L’apothicaire ne pouvait la blâmer ; elle-même rechignait à demander de l’aide et avait tendance à chercher à se débrouiller seule. La mission à venir en était une preuve évidente. Malgré la difficulté de l’entreprise, elle se serait débarrassée de Serger avec joie, ou de n’importe qui d’autre d’ailleurs, pour qu’elle n’eût personne d’autre qu’elle-même à prendre en charge.

Se sentir responsable ou dépendre de quelqu’un d’autre, très peu pour elle.

Pour autant, Andrée ne pouvait qu’imaginer la douleur latente qu’Alex devait ressentir à chacun de ses mouvements. Même l’ancienne Serpentard n’avait pas assez de fierté pour se laisser souffrir ainsi. Ego mal placé ou sentiment d’indépendance particulièrement féroce, Andrée n’aurait su dire ce qui avait motivé Alex pendant toutes ces semaines.

Pourquoi prétendre une chute de balai, alors ?

— Je me suis pris un mur dans la gueule le soir d’Halloween, finit par marmonner la jeune femme tandis que la bouche d’Andrée s’arrondissait silencieusement. Je courais dans Pré-au-Lard quand un connard a fait péter le mur à côté de moi.

Andrée secoua la tête alors qu’elle finissait de comprendre de quoi il en retournait.

— Du coup je me suis retrouvée projetée à plusieurs mètres à cause du choc et des briques.

— Et tu as réussi à quitter les lieux immédiatement après ? s’étonna Andrée. Belle prouesse. Tu dois avoir une résistance à la douleur particulièrement développée.

Car Andrée savait parfaitement de quel mur Alex parlait : sauf si plusieurs attentats avaient eu lieu ce soir-là – ce dont elle doutait fortement vu les articles qui étaient parus sur cette nuit-là -, elle-même avait souffert de l’explosion. Oh, de blessures mineures, pas de gros dommages à déplorer. Et contrairement à la Brekke, elle avait fait en sorte de se soigner rapidement.

La jeune femme fronça les sourcils. Elle avait proposé des potions régénérantes juste après que les Mangemorts eussent pris la fuite. Alex était-elle déjà partie, ou avait-elle ignoré l’offre délibérément ?

— Tu n’as pas vu qu’on proposait des potions de premier secours ? demanda Andrée en écho à son raisonnement.

Elle préféra taire le fait que l’initiative venait d’elle-même, bien que ce ne fût pas très compliqué à deviner.

La guérisseuse d’un jour soupira et finit par s’approcher de sa cliente, le flacon de crème à la main. Alex s’étira comme un chat. C’était rassurant, en un sens : elle avait conservé une partie de sa mobilité, malgré l’état de ses côtes.

Côtes qu’il fallait encore qu’elle examine.

Elle s’accroupit d’Alex pendant que la jeune femme poursuivait son explication :

— Je sais que j’aurais dû aller voir quelqu’un plus tôt, Jayce me le redit tout le temps. Mais j’avais clairement plus de choses à gérer en général, à Poudlard, personnellement et tout, pour passer du temps auprès des médecins. Et puis je pensais que ça passerait.

— M’est avis que tu aurais gagné plus de temps en allant consulter qu’en te mentant à toi-même, marmonna-t-elle. Retire ton tee-shirt que je puisse constater l’étendue des dégâts. Je ne te laisserai pas partir sans avoir regardé ça.

Elle posa la décoction de plantes sur la table pleine à craquer, concentrée sur sa tâche. Elle attendit qu’Alex lui donnât son feu vert pour examiner ses blessures.

— Pourquoi as-tu prétendu une chute de balai ? demanda Andrée par curiosité. Honnêtement, c’est beaucoup plus ridicule qu’une attaque d’un groupe de Mangemorts clandestins.

Une fois que la jeune femme lui eût donné la possibilité de tâter sa peau, elle fit de son mieux pour occulter la nudité partielle de sa vis-à-vis. Aucun voyeurisme mal placé ; Andrée n’était simplement pas à l’aise avec l’intimité. Sans doute un relent de son éducation, qui lui avait inculqué que dévoiler un morceau de peau était honteux.

Sa mère aurait sans doute hurlé au scandale si elle avait eu connaissance de la façon de vivre de sa fille.

Elle effleura la zone d’un toucher papillon. Une large palette marronâtre marbrait la peau d’Alex. Une fois de plus, Andrée se demanda quelle foutue fierté l’avait motivée à ne pas se soigner. Une visite éclair à l’infirmière de Poudlard aurait suffi à atténuer ses douleurs.

— Je pense que tes côtes sont fêlées, soupira-t-elle finalement. Je ne sais même pas comment tu as fait pour le cacher et pour le supporter pendant tout ce temps. Tu n’as pas besoin de ta liberté de mouvements, pour ton métier ? Ranger les livres, tout ça ?

La procédure pour guérir des os fêlés était plus compliquée que pour remettre un poignet en place. Moins que dans le cas d’une brisure, certes, mais si Alex voulait retrouver l’intégralité de son amplitude d’antan, elle devrait se reposer quelques jours.

Andrée saisit sa baguette mais suspendit son geste, incertaine :

— Ça risque de faire un peu plus mal que pour le poignet. Tu me dis quand tu es prête ?
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Sam 11 Déc 2021 - 15:23
Des plantes et des maux
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Toute son attitude criait l’agacement. Elle le sentait et le voyait. Alex n’était pas dupe quant à la raison pour laquelle Andrée se retenait du mieux qu’elle pouvait de lui lancer de cinglantes vérités. Oui, elle mentait. Et alors ? Elle avait ses raisons après tout. Raisons à la con, certes, mais ses raisons quand même.

Elle avait déjà subi suffisamment d’interrogatoires depuis ce soir-là. Jayce, des dizaines de fois, tentant de comprendre qu’elle vésanie avait traversée ses pensées pour agir de la sorte. Penley, qui tentait de son mieux de la discréditer. Miss Pince, par ses regards insistants sur sa silhouette courbée qu’elle tentait de redresser autant qu’elle le pouvait pour éveiller le moins de soupçon. Subir à nouveau un interrogatoire d’un spécialiste de santé quel qu’il soit n’était pas entré dans ses priorités. Elle saurait se débrouiller.

La preuve était que finalement elle avait eu tort. Et sacrément tort.

- Je ne vois pas pourquoi tu m’aurais menti sur la personne à soigner et pas sur la cause de ces blessures. L’un va avec l’autre.

1-0. Il était vrai que son mensonge était grossier, mal tissé. Une improvisation de dernière minute entre la lassitude et la panique. Habituellement son simple regard dissuadait de poser plus de questions. La blonde devait être trop fatigué pour qu’il fonctionne sur la potionniste. Ou alors elle n’en avait que faire de préserver ce semblant d’intimité. Foutus médicomages.

Évoquer les véritables raisons de son mensonge et de ses douleurs relevait d’un sacré défi. Parce qu’on lui avait appris que chez les Brekke, si on subit on se tait. Parce qu’il n’y a que les faibles qui parlent. La londonienne avait beau tenter de briser le schéma familial en se comportant à l’opposant de ce que son père lui avait appris, il y avait des choses qu’on n’oubliait pas.

- Et tu as réussi à quitter les lieux immédiatement après ? Belle prouesse. Tu dois avoir une résistance à la douleur particulièrement développée.

La blonde ne répondit rien, se contentant d’hausser les épaules. Elle ne parvenait plus à distinguer dans la voix de sa camarade d’allégeance si son propos tenait d’un véritable étonnement ou d’un sarcasme savamment orchestré. Au fond de son estomac bouillonnait une sorte de colère sourde qui se développait au fur et à mesure que la jeune femme la mettait en face de ses propres échecs. Ce soir-là elle avait juste eu l’impression de mourir sur place. Alors quand ses muscles avaient accepté par elle ne savait quel miracle d’obtempérer, elle n’avait pas demandé son reste.

- Tu n’as pas vu qu’on proposait des potions de premier secours ?

- Non, j’ai même pas cherché à comprendre ce qui s’est passé. J’étais complètement sonnée et la seule chose à laquelle je pensais c’était à me tirer d’ici au plus vite avant qu’un de ces bâtards m’achève. Jayce m’attendait et j’avais promis de pas jouer les héros. J’ai pas cherché plus loin, dès que j’ai pu me relever j’ai tracé.

Sa voix s’était fait sèche, l’énervement perçait sans qu’elle parvienne à le retenir totalement.

- Je sais que j’aurais dû aller voir quelqu’un plus tôt, Jayce me le redit tout le temps. Mais j’avais clairement plus de choses à gérer en général, à Poudlard, personnellement et tout, pour passer du temps auprès des médecins. Et puis je pensais que ça passerait.

- M’est avis que tu aurais gagné plus de temps en allant consulter qu’en te mentant à toi-même. Retire ton tee-shirt que je puisse constater l’étendue des dégâts. Je ne te laisserai pas partir sans avoir regardé ça.

La mâchoire serrée, Alex obtempéra, retirant difficilement son haut pour ne rester qu’en brassière. Une humidité gagnait progressivement ses yeux alors qu’après avoir donné son accord d’un signe de tête, Andrée effleurait les ecchymoses de ses côtes. Voulant empêcher toute trace de douleur de glisser sur son visage elle tourna la tête, se mordant la lèvre pour tenter au mieux de se contenir.

- Pourquoi as-tu prétendu une chute de balai ? Honnêtement, c’est beaucoup plus ridicule qu’une attaque d’un groupe de Mangemorts clandestins.

La blonde soupira en haussant les épaules, las.

- J’en sais rien ! Parce que si c’est ridicule c’est que c’est pas grave. Par fierté à la con, par déni. Parce que j’essaie de me répéter pour pas devenir dingue que rien ne s’est passé. Parce que j’ai pas envie d’attirer la pitié parce que j’ai pas été foutu de réfléchir et que j’ai foncé comme une conne en plein dans la gueule du loup. Parce que si j’arrive à me convaincre que c’était qu’une petite chute la douleur disparaîtra comme par magie. Ne rien dire à personne c’était tenté de me convaincre moi. Alors ouais c’était complètement con mais c’est le seul truc qui me fait à peu près garder la tête hors de l’eau parce que y a trop de gens qui comptent sur moi pour que je passe mon temps à me plaindre d’avoir été une pauvre victime de merde pas capable de se défendre et qu’a bobo.

Sa gorge était serrée, douloureuse. Elle n’avait pas réussi à retenir le flot d’émotions qui étaient remontées subitement. Une petite pointe rougeâtre perlait sur sa lèvre qu’elle avait trop serrée en tentant de se contenir. Ses joues étaient humides et sa voix tremblotante. Elle se sentait pitoyables et en même temps complètement perdue.

- Sans Mister Serger je serai même pas là pour en parler, je crois. C’est insupportable cette idée d’avoir une dette envers quelqu’un. La douleur c’était en même temps me rappeler à quel point j’ai été faible et stupide…

Du revers de sa main libre elle tenta de chasser les traces de sa détresse sur son visage. Ses yeux rougies et sa langue qui passait nerveusement sur ses lèvres restaient les seuls signes de son passage aussi brutal que fugace.

– Pardon, je suis pathétique, marmonna-t-elle.

Le changement de sujet lui fut plus que bénéfique.

- Je pense que tes côtes sont fêlées. Je ne sais même pas comment tu as fait pour le cacher et pour le supporter pendant tout ce temps. Tu n’as pas besoin de ta liberté de mouvements, pour ton métier ? Ranger les livres, tout ça ?

- C’est parfois dur de porter les gros ouvrages. Mais j’ai réussi à me souvenir de quelques sorts pour m’aider. Il y a toujours Miss Pince pour superviser les choses et au besoin de râler un peu sur les élèves pour qu’ils remettent les choses dont ils n’ont plus besoin à leur place.

Cacher sa douleur relevait de toute une stratégie. Feindre l’ignorance devant les regards persistants sur sa démarche oscillante, sembler ne pas entendre les murmures lorsque la noirceur de sa main se voyait. Soudoyer à coups de petites menaces les élèves pour qu’ils fassent d’eux-mêmes une partie de son travail de rangement.

- Ça risque de faire un peu plus mal que pour le poignet. Tu me dis quand tu es prête ?

- Je te fais confiance. Plus vite c’est fait plus vite je te fous la paix, rit-elle légèrement pour tenter de détendre l’atmosphère.

Pour mieux se préparer elle serra le plan de travail de bois dans sa main et serra les deux. Elle abaissa doucement ses paupières en respirant profondément. Ce n’était toujours qu’un mauvais moment à passer.
Alex Brekke
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Mer 9 Fév 2022 - 3:13
Des plantes et des maux
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Andrée était de ces personnes qui parlaient peu mais qui écoutaient beaucoup. C’était un comportement naturel chez elle, qui s’était développé dans l’ombre, presque insidieusement, et qui un beau jour avait fait partie intégrante de sa personnalité. Elle ne situait pas vraiment le moment où elle avait commencé à s’effacer, à préférer l’ombre aux spots de la scène – était-ce au moment où les enfants de son âge lui avaient tourné le dos, ou cela remontait-il à encore plus tôt dans son enfance ? Dans tous les cas, la jeune femme avait développé une certaine habilité à comprendre le fonctionnement des gens qui l’entouraient. Sans être empathe – elle compatissait rarement aux malheurs des autres, sauf quelques exceptions ciblées -, elle savait reconstruire le schéma de pensée d’une personne – même si là encore, quelques anomalies faisaient défaut à la règle.

Alex Brekke ne faisait pas partie de ces contre-exemples. Bien sûr, elle ne connaissait rien à son passé. Évidemment, elle n’avait pas connaissance de son éducation, de sa situation familiale ni des traumatismes que la bibliothécaire avait vécus. Mais pour Andrée, il était évident que la jeune femme avait du mal à exprimer ses émotions, surtout lorsqu’elles étaient négatives. Peut-être parce que la potionniste souffrait elle-même de cette pudeur exacerbée – encore qu’Andrée fît son possible pour ne rien dévoiler du tout à son entourage.

En tout cas, les faits étaient là : la blonde n’avait dit à personne à quel point ses blessures l’handicapaient et avait préféré subir plutôt que de se montrer vulnérable. Et la posture défensive qu’elle adoptait depuis le début était révélatrice d’à quel point baisser ces barrières, du moins en partie, lui était coûteux.

Ses théories comportementales se vérifiaient souvent d’elles-mêmes, au détour d’une attitude ou du choix de mots de la personne. Il ne s’agissait pas là d’une victoire – pas vraiment. Simplement de l’assurance qu’Andrée ne s’était pas trompée, qu’elle pouvait continuer à se fier à son instinct et qu’elle demeurait en sécurité, bien au chaud derrière ses barrières à elle.

Pour autant, un sentiment de satisfaction tout à fait inapproprié se nicha au creux de son estomac lorsqu’Alex s’avoua vaincue, lasse. Il lui arrivait parfois de l’éprouver au cours de conversation personnelle complexes, que les sous-entendus rendaient particulièrement vicieuses. Le cas s’était présenté au cours de l’enterrement de son père, pendant lequel elle avait dû faire face aux harpies qui composaient sa belle-famille. Dans ces moments-là, oui, il fallait l’avouer, le sentiment d’avoir l’ascendant sur l’autre personne était particulièrement plaisant.

Mais dans la sphère professionnelle, Andrée avait à cœur de garder ses distances. De ne pas s’impliquer, et de voir cet outil d’analyse comme un levier lui permettant de mieux faire son travail. Elle nota dans un coin de sa tête de se pencher sur cette réaction.

La jeune femme détendit son visage, pour se débarrasser de cette émotion naissante et pour tenter de décrisper sa cliente tout à la fois. Elle poursuivit l’inspection de ses côtes, un prétexte qui leur permit de garder un semblant de pudeur émotionnelle pour toutes les deux. Visiblement, le vase débordait – et pas qu’un peu.

— Sans Mr Serger je serais même pas là pour en parler, je crois, dit Alex C’est insupportable cette idée d’avoir une dette envers quelqu’un. La douleur c’était en même temps me rappeler à quel point j’ai été faible et stupide… Pardon, je suis pathétique.

— Mr Serger, hein ? se sentit-elle quand même obligée de relever, une certaine amertume dissimulée tout au fond de son intonation.

Elle releva la tête vers la blonde et ancra ses yeux dans les siens. Ses aveux lui faisaient douloureusement penser à quel point elle avait été elle-même inutile, cette nuit-là. Et terrifiée par le regard de reproche que ses collègues d’allégeance, ses clients et même ses proches, lui porteraient s’ils le savaient. Halloween resterait gravé en elle comme une défaite. Restait à tirer les enseignements de cet échec et de faire en sorte de ne pas refaire les mêmes erreurs.

— La douleur n’est pas un signe de faiblesse ou de stupidité. Elle est là pour te rappeler à quel point tu peux aller loin pour les choses que tu penses juste. Elle est là aussi pour te signaler quand il ne faut pas aller plus loin, quand ton corps va lâcher et que ton esprit suivra probablement. C’est pour ça que tu aurais dû aller consulter tout de suite – pas parce que tu es faible et que tu ne peux plus supporter plus de souffrances, mais justement pour être capable de faire plus la prochaine fois.

Andrée retourna à son inspection, fit glisser ses doigts sur la peau marbrée d’Alex. La ligne était fine entre ce qu’elle pouvait lui dire et ce qu’elle devait taire pour se préserver. Elle jaugea la jeune femme pour moduler son propos : la bibliothécaire n’avait pas l’air d’être inactive, elle semblait préférer l’action aux coulisses.

— Et puis tu sais, même les meilleurs stratèges ne peuvent pas tout savoir. Certaines personnes sont faites pour la réflexion, pas pour l’action, et elles n’ont pas été capable de prévoir ce qui allait se passer ce soir-là.

Elle pinça les lèvres ; c’était son rôle à elle, normalement, de réfléchir aux tenants et aboutissants d’un enchaînement de faits imprévisibles. Mais sans réfléchir elle s’était jetée dans la gueule du loup, imprudente, et elle avait handicapé ses compagnons d’arme en plus de se mettre en danger elle-même.

D’un léger sourire – si l’absence d’expression qu’elle avait pris garde à peindre sur son visage pouvait être appelée ainsi -, elle hocha la tête sur le côté :

— Ce mur a explosé sans que personne n’y puisse rien, sans que personne ne l’ait vu venir. Le fait que tu te sois retrouvée à côté était un hasard complet. Tu n’aurais pu rien faire. Aucun humain normalement constitué n’aurait pu réagir assez rapidement pour éviter les chocs.  

Évidemment, elle aurait pu se faire soigner avant, mais Andrée jugea inutile de le rappeler.

La médicomage d’un jour se releva, épousseta sa robe de sorcière. Elle ne prétendait pas posséder de quelconques compétences de psychomage – d’ailleurs, elle s’en défendait. Mais Alex était en détresse, sur le plan physique comme sur le plan psychologique. Puisque la démarche ne coûtait rien à Andrée, tenter de la rassurer était la moindre des choses.

Son regard se fit compatissant lorsque le verdict tomba. Comment avait-elle pu supporter des côtes fêlées pendant un mois, Andrée l’ignorait, mais la couardise n’entrait certainement pas en jeu. La plupart des personnes qu’elle connaissait, qu’elles fussent habituées aux blessures ou pas, auraient été incapable d’accomplir cette prouesse.

— Ça risque de faire un peu plus mal que pour le poignet. Tu me dis quand tu es prête ?

— Je te fais confiance. Plus vite c’est fait plus vite je te fous la paix.

Un souffle s’échappa de sa bouche, expression sarcastique de l’ironie de la situation, mais elle ne releva pas.

— Tu vas devoir rester immobile pendant un moment. Cinq minutes, par là. L’idée, c’est que j’accélère artificiellement ton métabolisme pour qu’il se répare de lui-même en peu de temps. Essaie de ne pas bouger, même si tu as mal.

Andrée lui donna un bout de bois qui traînait là pour qu’elle puisse s’y cramponner.

La concentration requise n’avait rien à voir avec celle qu’elle avait dû mobiliser pour le poignet foulé ; elle expira, longuement, et une fois qu’elle fut sûre que ses pensées fussent linéaires, elle passa à l’action.

Elle pointa la baguette vers la zone blessée, plissa les yeux pour se concentrer et mut sa baguette en un enchaînement de formes précis. La sensation n’avait rien d’agréable : un craquement retentirait, signe que les côtes mal placées reprenaient leur position d’origine, suivi d’une douleur au moins aussi intense que celle du choc d’origine puis d’une longue et vive démangeaison.

Andrée observa le visage d’Alex, guettant les signaux annonciateurs d’une douleur trop importante. La jeune femme avait prouvé sa force mentale, mais personne n’était fait pour résister à ce genre de souffrance.

— Ça va te piquer pendant quelques minutes encore, prévint-elle. Le temps que les os et les tissus abîmés se construisent de nouvelles bases.

Puis la potionniste se détourna pour sortir deux chaudrons, farfouiller dans ses tiroirs et étaler devant elle pilons, mortiers et autres ciseaux de précision. Car autant elle avait des onguents régénérateurs pour les blessures mineures, autant la situation présente réclamait une forme de médicamentation plus poussée – et surtout, des traitements qu’elle n’avait pas en stock et qu’elle devait fabriquer.
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Dim 15 Mai 2022 - 17:01
Des plantes et des maux
feat Andrée de Kérimel | Samedi 9 décembre 1995
Ce n’était pas son genre d’ouvrir les vannes, de mettre des mots sur ce qui ne tournait pas rond autour d’elle. Mettre des mots c’était donner un certain ancrage, une réalité à ce qui ne devait rester qu’un cauchemar d’une nuit. C’était admettre qu’elle n’était pas sans faille, que derrière sa nonchalance, ses sarcasmes et ses grands sourires insouciants il y avait quelque chose de plus fragile. Une enfant qui avait eu du mal à se construire, qui s’était reposée sur les malheurs des autres pour ne pas devoir prendre le temps de réfléchir aux siens.

Avouer ce qui la tourmentait, laisser libre court à sa faiblesse et la cacophonie de sa boîte crânienne n’était pas dans ses cordes. Et pourtant la blonde avait fini par laisser une petite brèche s’entrouvrir, brèche qui avait cédé sous l’amoncellement de sensations et de non-dits qui s’étaient accumulés. Colère, honte, tristesse, douleur. Tout un tas d’immondices qui lui laissaient un amer goût de dégoût sur la langue, qui étreignaient sa cage thoracique peut-être même plus violente que ses multiples fractures. Dans l’amertume et l’ironie de l’interrogation de la potionniste, Alex s’attendait déjà à ce que les prochains propos que la brune tiendrait ne ferait qu’approuver ce qu’elle pensait.

« La douleur n’est pas un signe de faiblesse ou de stupidité. Elle est là pour te rappeler à quel point tu peux aller loin pour les choses que tu penses juste. Elle est là aussi pour te signaler quand il ne faut pas aller plus loin, quand ton corps va lâcher et que ton esprit suivra probablement. C’est pour ça que tu aurais dû aller consulter tout de suite – pas parce que tu es faible et que tu ne peux plus supporter plus de souffrances, mais justement pour être capable de faire plus la prochaine fois. »

Ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait, et peut-être était-ce pire encore. Se convaincre qu’elle n’était qu’une plaie, un fléau d’inutilité était paradoxalement plus aisé à supporter que celle d’avoir été juste humaine. Être mise face à ses limites, à l’idée qu’elle ne pouvait pas tout gérer en permanence, qu’elle n’était pas un roc insubmersible, qu’échouer faisait partie du quotidien de tout le monde, sorcier ou non. C’était dur à entendre et à encaisser.

Les doigts qui reprennent leur exploration sur ses côtes brunies arrivèrent presque comme des sauveurs. Ils atteignaient sa peau comme pour mieux la détourner de l’effet nucléaire que ces quelques propos avaient eu dans son esprit. Repos de faible durée, malheureusement.

« Et puis tu sais, mêmes les meilleurs stratèges ne peuvent pas tout savoir. Certaines personnes sont faites pour la réflexion, pas pour l’action, et elles n’ont pas été capable de prévoir ce qui allait se passer ce soir-là. »

Peut-être était-ce d’ailleurs ce qui lui avait fait cruellement défaut ce soir-là, la réflexion. Elle avait foncé comme elle l’avait toujours fait, se fiant à son instinct et ses valeurs, embarquant dans sa folie Cébren. Qui aurait pu être blessé, par sa faute. D’autres auraient pu mourir aussi, par sa faute. L’autoflagellation devenait plus qu’un sport ces derniers temps.

« Ce mur a explosé sans que personne n’y puisse rien, sans que personne ne l’ait vu venir. Le fait que tu te sois retrouvée à côté était un hasard complet. Tu n’aurais pu rien faire. Aucun humain normalement constitué n’aurait pu réagir assez rapidement pour éviter les chocs. »

Elle n’avait rien répondu mais ce que l’antiquaire avait dit se frayait son chemin dans les méandres de sa réflexion. Elle était humaine. Elle n’y était pour rien. Elle avait échoué par incapacité, certes, mais parce que personne ne les avaient, ces capacités nécessaires. Elle avait juste atteint des limites. Pas forcément les siennes mais les limites humaines en général.

Le sujet était clos, elles pouvaient à nouveau se concentrer sur ses côtes malmenées. Il fallait détendre l’atmosphère, fait comme si la Londonienne n’avait qu’une blessure légère, une petite entorse voire même une simple écharde.

« Tu vas devoir rester immobile pendant un moment. Cinq minutes, par-là. L’idée, c’est que j’accélère artificiellement ton métabolisme pour qu’il se répare de lui-même en peu de temps. Essaie de ne pas bouger, même si tu as mal. »

Au point où elle était, même si elle lui annonçait qu’elle allait lui retirer un rein sans anesthésie la jeune femme serait prête à coopérer. Tout ce qu’il fallait pour enfin la soulager était bon à prendre. Car elle en était finalement arrivée à l’idée qu’il était temps de se pardonner un peu en acceptant un petit coup de pouce.

« Je te jure que si en plus de côtes mal remises je finis avec une écharde sur la langue, je dépose une plainte directement au Magenmagot, plaisanta-t-elle avant de glisser le morceau de bois tendu entre ses dents. »

De cette manière, elle pouvait se cramponner de sa main valide sur le bois du plan de travail et laisser son poignet en convalescence se reposer. De la même manière que la médecin d’un jour se concentrait pour ne pas se louper, Alex ferma les yeux pour se concentrer sur sa respiration.

Inspirer. Expirer.
Inspirer. Expirer.
Ne surtout pas bouger.

Son poignet n’avait effectivement été qu’un faible avant goût, un amuse-gueule avant le banquet. Le craquement de ses os raisonna en même temps que le cri de douleur étouffé par le bois dans lequel ses dents s’enfonçaient. Le goût acre dans sa bouche, la contraction à l’extrême de sa mâchoire n’était absolument rien comparé à ce tiraillement dans sa poitrine. Son esprit était vide de tout raisonnement. Impossible de se souvenir qu’il ne fallait pas bouger, qu’il fallait respirer. Elle courba le dos inconsciemment, rentra sa tête dans les épaules. Elle aurait voulu fuir, se tortiller dans tous les sens.

La baguette qu’elle savait être encore pointée sur son thorax l’en dissuadait. Fuir n’aurait rien changé, à part empirer les choses. Elle comprenait d’une certaine manière ceux qui sombraient sous la folie d’un Doloris. Seul le fait de savoir que sa douleur ne serait bientôt qu’un lointain souvenir l’aidait à se maintenir à flots.

Son palpitant tambourinait, comme s’il souhaitait à nouveau briser les côtes qui s’étaient replacées. Ses dents restaient profondément plantées dans le bois, incapable de relâcher la pression qu’elles exerçaient. Ses bras tremblaient d’épuisement et alors qu’il ne restait que des fourmillements, elle se sentit tourner de l’œil.

Elle se laissa tomber sur la chaise la plus proche. Le choc de son postérieur sur l’assise ne lui tira aucun tressautement de douleur. A ce stade, elle pourrait supporter n’importe quoi. Elle relâcha la contraction de ses maxillaires, restant la tête penchée en arrière, la bouche ouverte et le souffle haletant.

L’expérience était similaire à celle d’avoir couru un marathon sans aucune préparation. Elle lui laissait chaque muscle de son corps endoloris, le souffle court, la tête embrumée.

« Ça va te piquer pendant quelques minutes encore, le temps que les os et les tissus abîmés se construisent de nouvelles bases.
- Franchement tu pourrais m’annoncer que je vais prendre feu je serai pas choquée, souffla-t-il dans un petit rire. Wow tu déconnais vraiment pas quand tu disais que ça allait être plus dur que le poignet. »

Elle pencha la tête, observant les gestes experts de la jeune femme. Son œil novice ne voyait qu’un amas de plantes, d’outils et de trucs à l’usage absolument inidentifiables. Le silence s’installa dans la boutique, seulement brisé par le bruit des ustensiles. Pour peu elle se serait endormie là, sur cette chaise inconfortable, comme après une soirée d’ivresse.

« Je sais pas comment te remercier. » Elle avait à peine marmonné. Les mots avaient eu du mal à sortir, pas par leur sens et leur portée mais simplement par la fatigue globale qu’elle ressentait. Et pourtant c’était vrai, elle ne savait pas comment remercier la potionniste, à la fois pour tout ce qu’elle avait dit et fait. Ce n’était pas simplement ses os qu’elle avait soigné mais tout un ensemble de petits rouages qu’elle avait dégraissé et qui se remettait à nouveau en fonctionnement.
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Mar 14 Juin 2022 - 19:52
Des plantes et des maux
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Alex était douée pour masquer ses émotions. Reflet d’une enfance peut-être difficile, pendant laquelle la fillette qu’elle était alors avait probablement dû s’endurcir pour respecter les règles qu’on lui imposait. Peut-être que ces préceptes l’avaient poursuivie jusqu’à l’âge adulte ; personne n’était capable de se maîtriser ainsi s’il ne s’était pas longuement entraîné avant. Andrée le savait d’expérience.

La voir craquer l’avait un peu étonnée. Elle ne l’avait pas prévu, même si cela lui permettait de vérifier ses hypothèses quant à la nature de ses blessures – à sa nature d’oiseau effarouché à elle.

Pour autant, elle comprenait : elle aussi voulait craquer, parfois. Souvent. Et avoir des amis sur lesquels compter vraiment, des amis auxquels elle pouvait parler de l’Œil, des Mangemorts, de sa double-activité de potionniste pas toujours légale, et de tous les soucis de son quotidien qu’elle ne pouvait partager à personne – tout ça, ça lui manquait. Bien sûr, Émilie lui prêtait volontiers une oreille attentive ; pour autant, elle ne pouvait pas comprendre. Pas vraiment. Parce qu’elle ne vivait pas en Angleterre – pas encore – et parce qu’elle ne faisait plus partie de son monde – et Andrée était incapable de prédire si un jour leurs deux mondes se fondraient l’un dans l’autre à nouveau.

Ce fut peut-être parce qu’elle comprenait qu’Andrée entreprit d’alléger la culpabilité d’Alex. Bien sûr, elle avait une part de responsabilité – tout les acteurs de cette soirée-là avait eu leur part de responsabilité. Mais celle de certaines personnes, Andrée elle-même pour ne pas la nommer, dépassait largement celle des autres.

Les mots coulèrent tout seul, sans qu’elle n’eût besoin d’y réfléchir avant.

Peut-être parce que c’était les mots qu’elle aurait aimé qu’on lui dise pour la rassurer, elle.

Elle dut bientôt se reconcentrer sur les côtes d’Alex, qui avaient une couleur si terrifiante qu’Andrée grimaça. Elle grimaça encore lorsqu’elle annonça son verdict, et encore alors qu’elle anticipait la douleur de la jeune femme lorsque l’apothicaire lui remettrait les os en place.

— Essaie de ne pas bouger, même si tu as mal.

Pour autant, son conseil était aussi difficile à appliquer que si elle lui avait demander de ne pas grelotter à l’intérieur d’une chambre froide. Parfois, le corps est pris de réflexes impossibles à réfréner.

Elle lui tendit un bout de bois afin qu’elle ne se mordît pas la langue au moment de la douleur. Et aussi pour limiter les cris. Elle était suffisamment surveillée pour que des soupçons de torture ne vinssent s’ajouter à son dossier.

— Je te jure que si en plus de côtes mal remises je finis avec une écharde sur la langue, je dépose plainte direct au Mangenmagot, dit la blonde avant de fourrer le bout de bois dans sa bouche.

— Pas sûre que tu sois en état de porter plainte contre quoi que ce soit si je te loupe, rétorqua Andrée d’une voix sourde.

Toute sa concentration était à présent dirigée sur les flancs de la bibliothécaire, sur sa baguette et sur sa connaissance de l’anatomie humaine. Dire le sort ne suffisait pas. Il fallait le diriger avec la pensée, afin que la magie captât l’intention du guérisseur et agît au niveau des bons muscles, des bons tendons et des bons os.

Un travail d’orfèvre.

Andrée se demanda brièvement s’il était aussi difficile que cela de soigner des côtes dans le monde Moldu. Peut-être faudrait-il qu’elle s’intéresse à leurs méthodes, et intégrer un service hospitalier moldu afin d’observer leurs pratiques.

Elle se reconcentra sur son objectif.

Et elle lança son sort, le dirigeant par la force de sa pensée et par la précision de ses mouvements de poignet.

Alex gémit ce qui aurait ressemblé à un hurlement de douleur sans le morceau de bois. Ses dents l’agrippaient de toute la force de sa mâchoire, dont les lignes étaient si dessinées qu’elles semblaient vouloir s’échapper.

Enfin, la douleur sembla refluer et Alex se laissa aller sur la chaise. Son visage luisait de transpiration, ses yeux étaient fuyants. Pour avoir subi de nombreuses entorses, déboîtements et articulations brisées au cours de ses expérimentations dansantes, elle savait à quel point ça faisait mal.

Même si tous les manuels théoriques s’accordaient à dire que les côtes étaient l’une des parties les plus douloureuses à réparer, étant donné leur nombre, leur finesse et leur étendue tout à la fois.

— Ça va te piquer quelques minutes encore, prévint Andrée.

Puis elle entama la préparation d’une décoction qui fortifierait ses os suite à ce traumatisme. S’ils étaient resoudés, ils étaient loin d’être aussi solides qu’avant l’effondrement du mur.

— Franchement, tu pourrais m’annoncer que je vais prendre feu que je serais pas choquée.

Andrée souffla un rire.

— Wow, poursuivit Alex. Tu déconnais vraiment pas quand tu disais que ça allait être plus dur que le poignet.

— Généralement, la douleur des soins est proportionnelle à celle de la blessure, expliqua Andrée en tournant le breuvage dans le sens des aiguilles d’une montre. Réparer des os est parfois même plus douloureux que de se les abîmer. Et puis les côtes… Les côtes sont un endroit particulièrement délicat.

Un silence s’étira. Andrée aimait le silence. D’autant plus que la plupart des gens le trouvaient inconfortable.

Puis :

— J’aurais peut-être dû te dire ça tout à l’heure, mais il faut être assez compétent pour réparer des côtes. Ça peut vite tourner au désastre, tu sais ? Tu as de la chance que je le sois… Mais ne fais pas confiance à n’importe qui pour ce genre de chose, la prochaine fois.

Elle ajouta à sa potion une poignée de baie et de la poudre de noyaux broyée. Les minutes défilèrent et virent la mixture s’épaissir. Puis elle se dirigea vers un chaudron plus grand, et entama la préparation d’une seconde potion.

— Je ne sais pas comment te remercier, entendit-elle derrière elle.

La jeune femme tourna la tête, l’observa un instant puis haussa les épaules. Elle ouvrit la bouche, prête à avouer sa culpabilité de n’avoir pas su gérer l’attaque, mais elle retint ses mots avant qu’ils ne sortissent. Elle inspira brusquement et expira lentement.

Qu’Alex ait réussi à avouer ce qu’elle avait sur le cœur ne voulait pas dire qu’Andrée ferait de même.

— C’est mon devoir. En tant que collègue.

Comprendre : en tant que membre de l'Œil.    

Elle se reconcentra sur la potion. C’était un médicament simple à préparer, rapide à faire également – moins de dix minutes -, mais elle fit mine de devoir se concentrer pour se donner une contenance.

— Et Merlin sait que ce serait inhumain de te laisser avec tes côtes cassées sans rien faire pour les réparer, ricana-t-elle cyniquement.

Andrée se rendit compte qu’elle avait ôté son masque brièvement au moment où elle remarqua qu’elle redevenait sarcastique. Le sarcasme était sa meilleure attaque comme sa meilleure défense. Et elle le maniait suffisamment bien pour que les gens ne l’interprétassent pas comme du sarcasme – pour eux, c’était juste sa personnalité.

— Ne t’inquiète pas, Alex, tu ne me dois rien. Par contre tu diras à Penbrock de penser à venir payer son compte à la fin du mois. Il oublie tout le temps.

Elle versa la potion fumante dans un récipient en verre d’un litre et le baume épais dans un pot en bois qui sentait la fumée. Sur le premier, elle écrit « Antidouleur », tandis que sur le second elle rédigea des instructions et des préconisations d’application.

Puis elle fourra l’ensemble dans un sac et lui tendit le tout.

— Prends la potion si tu as mal aux côtes. Une gorgée ou deux, pas plus. Elles te feront souffrir pendant quelques jours encore. Ton corps n’est pas fait pour supporter un tel traitement.

Elle ne précisa pas si elle parlait des soins ou du temps qu’Alex avait mis à réagir avant de se faire soigner.

— La crème, tu l’étales en couches épaisses le matin, le midi et le soir pendant deux semaines. C’est elle qui permettra à tes côtes de se solidifier comme avant. Actuellement, elles sont aussi fragiles que celles d’un enfant, donc tu fais attention. Et si tu croises des Mangemorts, tu transplanes. Tu ne t’amuses pas à les combattre.

Elle pinça les lèvres.

— Et à la bibliothèque, essaie de privilégier la magie au port de charge lourde. Je sais que Pince n’est pas la plus facile à vivre mais… Bon, si tu ne veux pas de complication, évite juste de porter plus d’un kilo à la fois pendant les deux semaines qui viennent. Et fuis les mouvements brusques, aussi.
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Sam 9 Sep 2023 - 18:30
Des plantes et des maux
feat Andrée de Kérimel | Samedi 9 décembre 1995
« Pas sûre que tu sois en état de porter plainte contre quoique ce soit si je te loupe. »

C’est pas une mauvaise manière de voir les choses. Il ne se passa que quelques secondes avant que le branle-bas-de-combat ne soit lancé par la potionniste dans l’entièreté de son corps, temps insuffisant pour tenter de répondre quoique ce soit.

L’intensité des soins apportés avait été tout sauf tranquille et relaxant. Ses muscles tendus peinaient à se détendre, ses os fraîchement assemblés dans un ordre correct semblaient palpiter comme pour mieux lui faire entendre leur existence et même des zones pourtant non touchées par les dégâts de cette soirée là revendiquaient leur fonctionnement de manière fort peu agréable. La transpiration perlait encore sur son front, l’ensemble de ses membres tremblait comme après un effort intense – ce qui avait été le cas – et son énergie semblait s’être fait la malle quelque part au fin fond d’une contrée imaginaire.

Pour tenter de se refaire une contenance il ne lui restait que l’ironie. Non pas une ironie mordante, frôlant le sarcasme et la désinvolture mais plutôt celle d’un humour se voulant léger pour espérer tirer une réaction positive à son interlocutrice et détendre une atmosphère qui en avait définitivement besoin.

« Généralement, la douleur des soins est proportionnelle à celle de la blessure. Réparer des os est parfois même plus douloureux de de se les abîmer. Et puis les côtes… Les côtes sont un endroit particulièrement fragile. »

La fragilité de ces os, elle l’avait bien souvent expérimentée. Un poing porté pile dans le sternum ou un pied ajusté sur ces petites lamelles thoraciques lui avait permis de se sortir de nombreuses fois d’affaires qui auraient pu mal tourner. Mais c’était la première fois qu’elle le ressentait elle-même et elle en vint même à s’excuser mentalement pour tous les adversaires à qui elle avait infligé cette douleur, d’autant plus que la médecine moldue ne pouvait rien contre ne serait-ce qu’une fêlure dans cette zone.

Le silence qui s’installait dans l’arrière-boutique était des plus reposants. La bibliothécaire avait posé ses deux coudes sur la surface plane de bois et soutenait sa tête à l’aide de ses pouces appuyés sur son arrête nasale. Difficilement elle tentait de reprendre un contrôle plus calme de sa respiration afin d’apaiser les palpitations dans ses tempes et les tremblements entiers de son corps.

Elle entendait Andrée s’affairer, comme dans un arrière plan lointain. La blonde sentait que quelque chose venait de percuter en elle. Pas seulement un mur, ni même tous ses os dans un chamboule-tout géant mais quelque chose de plus grand. De plus profond. Et la potionniste y avait un jouer un grand rôle.

« J’aurais peut-être dû te dire ça tout à l’heure, mais il faut être assez compétent pour réparer des côtes. Ça peut vite tourner au désastre, tu sais ? Tu as de la chance que je le sois… Mais ne fais pas confiance à n’importe qui pour ce genre de chose, la prochaine fois.
- Je comptais pas qu’il y ait une prochaine fois, clairement. Y a pas grand monde à qui on peut faire confiance en ce moment. Mais Jayce te fais confiance et tu m’as aidée quoiqu’il arrive. J’ai pas besoin de plus. »

C’était un peu comme un conseil silencieux. Bien sûr qu’il y aurait des prochaines fois. Enfin certainement, si elle s’engageait dans la voie d’action qu’elle commençait à emprunter. Peut-être pas des bobos de cette grandeur, mais des moments à devoir appeler à l’aide quand elle ne pouvait plus gérer toute seule.

« Je ne sais pas comment te remercier. »

La londonienne capta son attention. Ce fut bref, une simple œillade avant un haussement d’épaules. Pourtant elle était sûr qu’il y avait quelque chose dans ce regard, ce tressautement d’inspiration, cette longueur de souffle qui cachait bien des mots et éveillait sa curiosité. Mais elles n’étaient pas amies, juste des connaissances – bien que ce moment passé pesait dans la balance du côté du un peu plus qu’une simple connaissance – aussi la sang-mêlée se retint de faire le moindre commentaire, de mentionner les interrogations adéquates pour creuser la question.

« C’est mon devoir. En tant que collègue. Et Merlin sait que ce serait inhumain de te laisser avec tes côtes cassées sans rien faire pour les réparer.
- Raison de plus de t’avoir fais confiance.
 »

Les gestes de De Kérimel était précis, mesurés, concentrés. Tout l’inverse de ce que pourraient faire ces dix doigts, même entièrement soignés.

« Ne t’inquiète pas, Alex, tu ne me dois rien. Par contre tu diras à Penbrock de penser à venir payer son compte à la fin du mois. Il oublie tout le temps. »

Au contraire, se dit-elle, j’ai beaucoup plus à te devoir que ce que tu penses. Elles étaient collègues. Pas des amies, plus des connaissances. Des collègues. Ce n’était qu’un terme pour les uns mais pour Alex c’était désormais une responsabilité à assumer. Elle avait une dette envers Lévine, elle en avait une envers la Française désormais. Pas la même dette, mais elle savait qu’elle ferait tout son possible pour leur rendre la pareille – directement ou indirectement. Ne sachant que dire elle hocha simplement la tête, signifiant par la même occasion qu’elle passerait le message au client saugrenu de l’herboriste.

« Prends la potion si tu as mal aux côtes. Une gorgée ou deux, pas plus. Elles te feront souffrir pendant quelques jours encore. Ton corps n’est pas fait pour supporter un tel traitement. La crème, tu l’étales en couches épaisses le matin, le midi et le soir pendant deux semaines. C’est elle qui permettra à tes côtes de se solidifier comme avant. Actuellement, elles sont aussi fragiles que celles d’un enfant, donc tu fais attention. Et si tu croises des Mangemorts, tu transplanes. Tu ne t’amuses pas à les combattre. »

La jeune femme grimaça en hochant la tête. Tu es courageuse, Alex. Un jour, c'est ce qui te coûtera la vie si tu n'y prends pas garde. C’est ce que Serger lui avait dit avant qu’ils ne se quittent, le jour où il l’avait fait rejoindre L’Œil. Elle n’avait plus juste à se protéger égoïstement. Ce n’était plus seulement les copains qu’il fallait défendre mais tout un monde qui brinquebalait de plus en plus de jour en jour. Il fallait qu’elle apprenne à se défendre mieux, à utiliser cette magie qu’elle avait tant détestée. Se faire violence. Sur tous les plans.

Attentivement elle écouta les préconisations de la spécialiste en enfilant son haut, notant mentalement ce qu’elle allait devoir faire. Se faire violence, avait-elle dit.

« Merci pour tes conseils, vraiment. Et pour ton temps aussi et… tout ça. » Son vague geste de main englobait tout ce qui venait de se passer. Ce moment de confession, les os, les onguents, la sororité dans l’Œil. Le nouvel objectif qu’elle avait réussi à lui insuffler. Le sac d’onguents à la main, elle bafouilla un vague au revoir avant de se diriger vers la sortie.

Elle fouilla dans sa poche à la recherche de quelques pièces tintant qu’elle lui tendit. « Pour les ingrédients que t’as utilisé. Je sais pas combien je te dois mais si jamais y a pas assez tu mettras ça sur la note de Jayce. Pour la souffrance gratuite de nos estomacs il nous doit bien ça. »

Elle ouvrit la porte avant de se raviser à nouveau. « Et hum… passe un de ces quatre à la Tête de Sanglier ou même à l’appartement de Jayce », elle ne précisa pas où, sachant que l’adresse était toujours notée sur les factures qu’elle lui adressait, « je crois qu’il tient enfin une recette correcte avec du citron vert flambé. Ça pourrait être sympa de découvrir ça ensemble, si ça te dit. » Son regard et son sourire franc laissait entendre toute la gratitude qu’elle portait pour la jeune femme. Elles seraient quoiqu’il arrive amenées à se revoir.
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