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[20/01/96] Cloportes, camomille, cousines - Andrée

 :: Pré-au-lard :: Les Boutiques :: La Boutique de l'Apothicaire Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas
Sam 6 Aoû 2022 - 23:39
 Samedi 20 janvier 1996

Laurel agita ses doigts dans les airs pour les détendre, comme si ses mains s’étaient soudain transformées en accromentules épileptiques. Elle détestait faire des gammes. Il y avait toujours trop d’altérations à la clé dont il fallait se souvenir, et c’était absurde. Quel morceau pour piano avait vraiment une armure de 6 bémols ? Est-ce qu’elle avait l’air de jouer de la fichue clarinette ?! La jolie Serpentard jeta un regard torve au cahier d’exercices devant elle sur le lutrin comme si elle pouvait le brûler des yeux. La vérité était que si elle ne s’entraînait pas un peu sérieusement, elle n’aurait plus le niveau pour jouer en public quand elle en avait besoin, et elle ne pouvait pas se le permettre. Elle savait très bien qu’elle ne serait jamais concertiste, et elle devait admettre que la majorité du temps, jouer ne lui procurait même pas un plaisir extraordinaire. Mais c’était une compétence sociale qu’elle se devait de cultiver, ça faisait bien et accompli lors d’une soirée, et c’était un talent considéré. Elle n’avait jamais vraiment eu à réfléchir sur le fait qu’elle allait jouer du piano, choisir un instrument, ou quelque chose du même genre : il y avait un pianoforte dans son salon et sa mère lui avait enseigné son usage, tout simplement.

Et puis… Et puis, il y avait ces moments de grâce. Le plaisir de faire tricoter ses doigts à toute vitesse sur un passage maintes fois répété, jusqu’à ce que ses mains connaissent le chemin seules sans que son cerveau ait à intervenir. Ces passages si expressifs qu’elle avait la sensation de hurler de rage ou sangloter avec l’abandon d’un enfant malgré son assise bien droite sur son tabouret, et s’en sentait immensément soulagée. Ces cadences où elle était libre de faire ce qu’elle voulait, tempo rubato à l’extrême, pluie de trilles et d’appogiatures ou dénuement poignant dans la pression tenue d’une pédale. Au fond d’elle-même, elle savait bien que c’était pour ces instants-là, qu’elle égrenait désormais une étude. En vérité, son niveau était meilleur que ce que la bonne société aurait simplement exigé. Pas aussi bon que ceux qui jouaient par passion pure, et s’entraînaient avec toute la rigueur dont elle manquait, jour après jour. Sa propre aisance naturelle avait cessé depuis longtemps de lui conférer un avantage, sous-exploitée, mais au moins sa pratique lui permettait-elle d’apprécier plus encore les performances des musiciens de l’école. Laurel aimait ce qui était beau, et si elle manquait de discipline ou de la vulnérabilité totale nécessaires pour toujours l’atteindre elle-même, elle l’admirait énormément chez les plus talentueux qu’elle, sans jalousie aucune.

Satisfaite d’avoir rempli son devoir, elle était désormais plongée dans une sonate, se laissant emporter par le plaisir de la profondeur des accords lorsque main gauche et main droite étaient enfin assemblées, donnant un tout nouveau charme aux motifs musicaux. C’était enfin fluide, plaisant. La récompense.

« Humhum… Laurel ? »

Ses doigts déraillèrent en pleine cadence, la laissant résonner irrésolue dans l’air. Cela lui procura un sentiment d’attente insupportable, presque urgent, et le goût amer d’une discordance dans la bouche, mais la jeune fille plaqua un sourire sur son visage, et fit pivoter son tabouret d’un mouvement de pied pour faire face à l’intruse.

« Hello Lavinia. Je peux t’aider ? »

« Je peux t’acheter des oreilles ? » était ce qu’elle aurait réellement dû demander, mais elle ravala ses paroles, frustrée. Cette bécasse aurait au moins pu la laisser finir son morceau, ça ne lui aurait coûter que cinq minutes de silence. Mais c’était visiblement trop difficile pour Mademoiselle. Appartenir à la Brigade Inquisitoriale, avec tous ses pouvoirs, lui montait à la tête et depuis une semaine, elle ne perdait plus une occasion de rappeler à ses camarades de dortoir que son temps à elle était le plus précieux d’entre tous, avec toutes ces réunions si secrètes auxquelles assister pour « planifier la sécurité de l’école » et ses rondes à effectuer. Laurel doutait que leur protection contre les mangemorts repose sur les épaules d’une quelconque quatrième année comme elle, mais elle était trop maligne pour la contrarier. Lavinia aimait se rengorger en partageant des infos à ses amies, toujours avec une grimace torturée comme si elle trahissait le pire des secrets avant de leur révéler avec deux jours d’avance le contenu du prochain décret d’éducation, mais Laurel aimait être tenue au courant, quitte à la brosser un peu dans le sens du poil. Ca ne faisait de mal à personne, et si jusque-là, malgré tous ses défauts, Lav’ n’abusait pas de son autorisation à punir et enlever des points à ses camarades, la petite Flint n’avait pas l’intention de lui servir de cobaye.

« Tu m’avais promis qu’on irait ensemble à Pré-au-Lard ! Je n’ai pas eu le temps de terminer mes emplettes, avec les… évènements de la semaine dernière. »

Lavinia pinça les lèvres, et Laurel sentit une boule d’angoisse lui remonter dans la gorge : rien qu’au souvenir du dimanche précédent, elle se sentait épiée par une centaine d’oeils dorés, qu’elle pouvait imaginer flotter en l’air dans la salle de piano aussi bien qu’ils l’avaient fait dans le village sorcier. C’était une image aussi belle que perturbante, et elle en avait fait des cauchemars plusieurs fois dans la semaine. Elle cacha son trouble en rassemblant ses partitions, le mood musical définitivement envolé.

« Tu as raison. Laisse-moi juste aller ranger ça et prendre ma bourse au dortoir. Moi aussi, j’ai des courses de retard. »

***

Depuis que le règlement les obligeait à ne se déplacer que deux par deux dans le village sorcier, les week-ends à Pré-au-Lard avaient perdus une grande partie de la spontanéité qui faisait leur charme. Laurel fit le pied de grue chez Derviche & Bang, où Lav’ déposait un Rappeltout à réparer et eu une conversation interminable avec le vendeur, un jeune homme « plutôt mignon, non ? » qui s’avéra être le petit copain de sa sœur aînée. A Gaichiffon, elle essaya une nouvelle robe, mais ça ne valait pas les créations de Delyla Gavril chez Madame Guipure, et repartit donc bredouille. Lavinia, elle, repartit avec une nouvelle robe de chambre et une paire de pantoufles. Sa camarade trouva ces emplettes hilarantes, mais elle savait très bien que les nouveaux vêtements seraient admirés bruyamment dès le soir même dans leur dortoir, et que Lavinia ne manquerait pas de les enfiler dramatiquement chaque fois qu’elle reviendrait de l’une de ces fameuses rondes qui l’autorisaient à veiller et se promener dans les couloirs bien au-delà du couvre-feu.

« Il faut que je passe chez l’apothicaire pour refaire mon kit de potions, tu as besoin de quelque chose ? »

« Oh, je… Oh, regarde, c’est Pansy  et Daphné ! PANSY ! »

Lavinia agita frénétiquement la main vers les deux cinquième année. Pansy Parkinson, reine autoproclamée des Serpentard, était membre de la Brigade Inquisitoriale comme elle, et elle n’allait pas manquer une occasion de se faire remarquer avec une fille aussi populaire. Laurel, de son côté, était beaucoup moins fan de Pansy, qui ne traitait guère sa petite cour avec respect, et dont les potins disaient qu’elle avait des vues sur Drago Malefoy, sans préciser si cela était réciproque. Les Vertes et Argent se saluèrent avec une bonne humeur démonstrative malgré les courants agitant le groupe d’adolescentes. Pansy proposa d’aller boire un verre aux Trois Balais pour se réchauffer, et Lavinia et Daphné acceptèrent immédiatement avec enthousiasme.

« Je vous rejoins après mon saut chez l’apothicaire, alors, c’est à deux pas ! »

Personne n’avait envie de perdre son temps à acheter des yeux de Véracrasse ou du mucus de musard, et les filles approuvèrent donc le plan. Laurel se sentit immédiatement soulagée de ne pas avoir à les rejoindre tout de suite, et de sa solitude momentanément retrouvée. Si deux membres de la B.I. ne voyaient rien à redire à ce qu’elle magasine seule, personne d’autre ne pourrait le lui reprocher. Sans perdre plus de temps à trainer dans la rue où toutes sortes de manifestations auraient pu se produire, elle salua ses camarades qui s’éloignaient déjà et, pivotant sur ses talons, se dirigea vers la boutique de l’apothicaire d’un pas léger.

***

Le carillon qui résonna quand elle franchit la porte lui rappela un instant sa propre matinée musicale interrompue, ce qui acheva de la mettre d’excellente humeur. L’air sentait les herbes séchées : elle reconnu l’odeur de la lavande, et quelque chose de plus poudreux, qui flottait en l’air, presque astringent. Mieux valait probablement ne pas savoir. Le temps que ses yeux s’habituent au côté relativement sombre de la boutique après l’éclat aveuglant de la neige à l’extérieur, et elle s’avança vers le comptoir, fouillant d’une main dans son sac à main bandoulière pour en sortir la liste des ingrédients dont elle avait besoin.

« Bonjour ! J’aurai besoin de… camomille, de bile de tatou, d’œufs de cloportes et d’épines de porc-épiques, s’il vous plaît. »

Levant le nez de sa liste, elle adressa un sourire aimable à la vendeuse. « C’est dommage qu’on doive apprendre à faire de la potion Aiguise-Méninges sans avoir le droit de l’utiliser aux examens ! » lança-t-elle, comme une petite banalité plaisante.

L’expression avenante de son visage se figea toutefois un peu tandis qu’elle regardait plus attentivement la vendeuse. Elle fronça le nez : elle était certaine de l’avoir déjà vue quelque part, mais où ? Derrière elles, le carillon retentit une seconde fois tandis que le client précédent quittait la boutique. Laurel se retourna machinalement : une grande bourrasque de vent froid s’engouffra par la porte ouverte et agita la cape de l’homme tout en noir.

Tout en noir. Lui revint d’un coup en mémoire le visage de sa cousine Amélia, le mois précédent, le visage inondé de larmes silencieuses, en train de lui désigner la vendeuse d’un coup de menton. « Tu vois la fille là-bas ? C’est Andrée, la fille de la première femme de Papa. C’est la première fois que je la vois. » Contrairement à ses demi-sœurs, Andrée de Kerimel ne pleurait pas, elle, et Laurel l’avait fixée tandis qu’elle remontait l’allée de l’église la première à la fin de la cérémonie, surprise d’apprendre qu’elle avait une troisième cousine, même par alliance. Sa mère lui avait donné quelques informations à leur retour, mais peu, comme si parler d’elle était honteux. Apparemment, sa mère était folle et s’était remariée à un Mangemort. Pas étonnant que les Flint ne se vantent pas de la connexion. Laurel avait pensé que c’était tout de même cruel de ne même pas l’avoir invitée au dîner de réception : est-ce qu’elle n’avait pas perdu son père aussi ? A moins que ça soit elle qui n’ait pas voulu venir ? Si étrange. Elle-même n’aurait jamais pu s’imaginer si en dehors de sa propre famille. Elle avait réellement été surprise de découvrir un secret de famille à cet endroit-là, comme si cette part d’ombre et de mystère n’avait pas sa place dans le jardin de simples propret de sa tante Anne.

« Excusez-moi, je pense que nous nous sommes déjà vues. Andrée de Kerimel ? »


Elle bénit l’absence de Lavinia : pour une fois que Pansy Parkinson servait à quelque chose ! Cette rencontre inattendue ne concernait personne à Poudlard.
Laurel Flint
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Laurel Flint
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Sam 18 Mar 2023 - 13:30
Cloportes, camomille, cousines
ft. Lauren Flint
Andrée poussa la porte du studio et s’éloigna d’un pas pressé, préoccupée. Son état d’esprit s’était fait ressentir pendant le cours d’aujourd’hui ; la professeure lui avait reproché des pas moins précis qu’à l’accoutumée, un enchaînement de mouvements confus, et même une maladresse inhabituelle dans la flexion des genoux, juste après un saut de transition.

Une maladresse.

En plus de quinze ans de danse, d’abord classique, puis moderne, personne ne lui avait reproché d’être maladroite. Personne n’avait osé, d’abord, et puis sa grâce naturelle ne prêtait pas à ce genre de qualificatif.

— Quelque chose te préoccuperait-il ? lui avait demandé Mrs Melbourne, sa moldue de professeure de danse.

Andrée s’était contentée d’un bref signe de tête, une façon bien à elle de lui signifier que ce n’étaient pas ses affaires. La vieille femme avait pincé les lèvres, pas convaincue par sa parade. Mrs Melbourne avait pour Andrée une affection que la jeune femme ne comprenait pas. Et en même temps, cette attention maternelle était rassurante – il y avait bien longtemps qu’Andrée ne comptait plus que sur elle-même.

La potionniste remonta les rues de la bourgade écossaise. Sauf exceptions, elle ne s’entraînait plus à Londres. Besoin de plus de discrétion ou envie qu’on la laissât tranquille, la vraie raison, elle ne la connaissait pas vraiment. Petit à petit, elle avait simplement pris conscience de la répulsion que lui inspirait Londres désormais, et surtout le Londres sorcier. Certainement une réminiscence de ses aventures passées – braquage du Ministère, manifestation pirate, traque harceleuse de la part du service des Aurors. Lorsqu’on y pensait plus avant, elle avait en effet un certain passif avec la capitale.

Alors quand elle pouvait s’y dérober, elle évitait de s’y rendre.

Les images du rassemblement de l’Œil, la semaine précédente, lui revinrent en tête. La manifestation ne s’était pas mal passée ; en vérité, selon les critères de l’association secrète, il s’agissait même d’une franche réussite.

L’illusion dorée qu’elle avait projetée dans les airs avait parfaitement touché sa cible. L’intervention anonyme de ses collègues, démultipliant ce regard accusateur, avait fait le reste du travail. En s’efforçant à l’honnêteté, il fallait l’admettre : la jeune femme était fière d’elle, et fière de la cause qu’ils défendaient.

Mais quand ses pensées dérivaient, ce n’étaient plus les membres de l’Œil, masqués et engagés, qui restaient imprimés sur sa rétine. C’étaient les badauds pris au piège dans la foule, la nuque tordue vers l’estrade et les pupilles sans matière, le visage déformé par la terreur pour la plupart. Elle avait aperçu des passants à terre, en proie aux larmes ou au déni. Elle avait aperçu la colère – contre eux, contre le Ministère, contre le monde entier. Elle avait aperçu la tristesse et la résignation. Sans pouvoir mettre de nom sur les visages, sans parvenir à les distinguer d’ailleurs, elle avait assisté à ce déferlement d’émotions négatives et elle en était responsable. En partie.

C’était une nécessité, elle le savait. L’Œil agissait comme cela : pacifique, mais agressif dans les esprits. C’était son objectif, sa raison d’être. Et Andrée était d’accord avec eux. Aucun changement ne survenait sans bataille.

Ils leur avaient fait mal, Andrée en avait conscience. Et même sans être empathique, même si elle était persuadée au fond d’elle du bien-fondé de leurs actions, elle ne pouvait s’empêcher de revoir Andrée, douze ans, hypersensible à la noirceur du monde qui l’entourait, aux manigances crasses de son beau-père à moitié Mangemort et à la folie naissante de sa mère esseulée.

Comment cette enfant aurait-elle réagi devant l’Œil et son discours de fin du monde ?

Andrée souffla, s’alluma une cigarette et immobilisa la trajectoire de ses pensées mouvantes.

Ressentir ne servait à rien. La situation ne réclamait qu’une chose : une réflexion froide, objective, dénuée de tout sentiment trop envahissant. Les seuls qu’elle acceptait étaient ceux qui pouvaient les aider dans leur entreprise – ceux qui les guideraient sur la voie de l’insoumission, ceux qui les aideraient à soulever le peuple, à faire ressentir à chaque sorcier cette flamme de rébellion qu’ils avaient en eux.  

La culpabilité n’avait pas sa place dans leur combat.

Lorsqu’Andrée expira la première bouffée de nicotine, ses pensées avaient déjà retrouvé leur linéarité habituelle, et elle s’éloignait sur les pavés humides de Culloden.


— Cela fera seize Mornilles et vingt-trois Noises, dit Andrée à l’homme qui se tenait devant le comptoir.

Le carillon tinta au même moment et une jeune fille entra dans la boutique. Une étudiante de Poudlard, l’identifia immédiatement Andrée. Elle ne portait pas l’uniforme réglementaire, étant donné qu’elle n’était ni dans l’enceinte de l’école, ni en semaine de cours, mais sa jeunesse ne trompait pas.

La vendeuse reporta son attention sur son client, qui finissait de sortir ses pièces. Andrée hocha la tête lorsqu’il déposa la somme exacte sur le plateau du comptoir : cela lui éviterait au moins de compter. Les Moldus avaient de la chance avec leur système de monnaie à chiffres ronds.

La nouvelle venue s’avança tandis que le client précédent rangeait ses achats dans un sac en toile qu’il avait amené.

— Bonjour ! lança l’adolescente, joyeuse.

Farfouillant d’une main dans une sacoche, la jeune fille fixa son attention sur la liste qu’elle en sortit.

Andrée pinça les lèvres.

Parce que si l’étudiante n’avait pas encore scanné son visage, l’apothicaire, elle, l’avait déjà reconnue. Elles ne s’étaient pas croisées souvent – une seule fois, en fait. Mais au sein un contexte hostile, Andrée retenait toujours – toujours – le visage de ceux qui y évoluaient. Et celui de Laurel Flint en faisait partie.

Elle espéra au plus profond d’elle-même que la Flint ne la reconnaîtrait pas. La probabilité était élevée. Après tout, tout le monde n’avait pas une mémoire des visages aussi bonne que celle d’Andrée.

Inconsciente de ce qui se jouait, l’adolescente énonça sa liste de course :

— J’aurais besoin de… camomille, de bile de tatou, d’œufs de cloportes et d’épines de porc-épic, s’il-vous-plaît.

— Tout de suite, répondit Andrée en se détournant au moment où Laurel Flint relevait les yeux.

Elle bénéficierait ainsi d’un petit répit.

— C’est dommage qu’on doive apprendre à faire la potion Aiguise-Méninge sans avoir le droit de l’utiliser aux examens.

Andrée fit l’erreur de se retourner pour la dévisager – le sourire de sa voix l’intriguait un peu. Du coin de l’œil, elle vit la jeune Flint se figer. Elle pinça les lèvres. Visiblement, son anonymat serait de courte durée. Elle se retourna immédiatement vers les étagères derrière le comptoir, en sortit un sachet de camomille, et contourna son espace de travail pour rejoindre les rangements de l’espace principal du magasin.

Avec soin, lentement, elle choisit les ingrédients : un petit pot en métal dans lequel s’entassaient les œufs de cloporte – l’acier en favorisait la conservation -, un bocal en verre de la taille d’un pot de confiture qui renfermait la bile, et un tout petit sac en papier d’épines de porc-épic.

Laurel Flint n’avait toujours pas parlé. Peut-être Andrée s’était-elle trompée, finalement.

Elle osa se retourner, plus par nécessité que par envie. Son comportement finirait par être suspect.

— Il faudra faire attention aux épines de porc-épic, dit la vendeuse pour trancher le silence opaque. Les spécimens qui les ont données étaient vigoureux et… elles sont aiguisées.

La Flint ne répondit pas tout de suite. Andrée se rendit compte qu’elle faisait l’objet d’une étude approfondie. Puis la plus jeune ouvrit la bouche :

— Excusez-moi, je pense que nous nous sommes déjà vues. Andrée de Kerimel ?

Ladite Andrée ne dit rien : elle retint un soupir traître, la fixa quelques secondes et regagna son comptoir pour peser les aliments.

Andrée n’était pas « famille ». Elle l’avait été, plus jeune. L’admiration dévorante qu’elle vouait à son père l’avait rendue aveugle un moment, et elle avait mis du temps avant de se rendre compte que sa mère n’en portait plus que le nom, et plus les responsabilités. En grandissant, le seul moyen qu’elle avait trouvé pour se défendre avait été de nier. De nier et de se barricader de l’intérieur.

Elle n’avait jamais vraiment investigué sur la famille de sa belle-mère. Pour elle, Anne de Kerimel était et serait toujours une imposteuse. Avec le temps elle avait appris à accepter la réalité, mais outre le nom de ses belles-sœurs, Andrée ne savait rien de sa belle-famille.

Avant l’enterrement, toutefois, elle s’était préparée. Si elle devait faire l’hypocrite pendant toute une journée, entourée de Scroutts à pétards prêts à exploser au moindre mot de travers, il fallait qu’elle sût qui étaient ses adversaires.

Elle était donc tombée sur le nom des deux sœurs d’Anne, et en poursuivant ses recherches, sur le nom des Flint. Elle s’était découvert une ribambelle de cousins par alliance, elle qui s’était toujours crue seule de sa famille résidant en Grande-Bretagne. Elle n’avait su mettre de mots sur ce que la découverte lui avait fait ressentir. Regrettait-elle de ne pas avoir eu connaissance de ces informations plus tôt, quand la petite Andrée avait désespérément besoin de bienveillance ? Ou repoussait-elle inconsciemment ces nouveaux liens, vecteurs de trop de mauvais souvenirs et d’une enfance de solitude et de rejet ?

Elle pinça les lèvres :

— Pour quel usage vous faudra-t-il ces ingrédients ? demanda-t-elle d’une voix éteinte pour repousser l’inévitable. Je vous en mets pour une Aiguise-Méninge, plusieurs, ou comptez-vous utiliser certains d’entre eux pour d’autres choses ?

Le ton de Laurel Flint lui indiqua que l’adolescente aussi attendait sa réponse. Et que plus elle attendrait, plus la négation serait compliquée – et peu crédible.

— Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrées, lâcha finalement Andrée. Mais je suis bien Andrée de Kerimel. Vous êtes ?

Sa question prit les intonations traînantes et les voyelles trop appuyées qu’elle réservait aux échanges compliqués. C’était ainsi qu’elle parlait aux membres de la Haute, c’était ainsi qu’elle avait discuté avec les invités de l’enterrement de Pierre de Kerimel et c’était ainsi qu’elle s’exprimait quand elle abhorrait la personne d’en face.

Laurel Flint ne pouvait pas le savoir, bien sûr. Mais sa diction à elle seule annonçait en fait la couleur : Andrée savait pertinemment à qui elle avait affaire.
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Andrée de Kerimel
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Andrée de Kerimel
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Dim 16 Avr 2023 - 17:40
En un regard, Laurel eut la certitude que l’apothicaire l’avait reconnue, presque avant que son propre souvenir à elle lui permette de l’identifier. Et visiblement, ça n’avait pas l’air de la réjouir. La jeune Serpentard n’avait reçu qu’un regard froid à sa petite plaisanterie, et n’essaya pas de relancer la conversation plus avant. Trop avenant devenait incommodant… Pendant que la vendeuse fouillait dans ses pots et bocaux, le cerveau de Laurel, lui, carburait, cherchant à la replacer. Pas à la soirée du Nouvel An, pas dans les groupies de son frère aîné (elle avait un air si sévère qu’elle aurait plutôt fait fuir Marcus)… Ce n’était pas la première fois qu’elle venait acheter des ingrédients de potion, évidemment, et elle avait plutôt la conversation facile avec les commerçants. Certains, comme Miss Gavril, étaient même presque des amis, des complices de ses virées shopping, donnant vie à ses lubies de fashionista… mais la jeune femme en face d’elle desserrait à peine les lèvres, si ce n’était pour donner des avertissements. Faire attention aux épines de porc-épic ? L’adolescente, tout à ses réflexions, mis quelques instants à répondre.

« Très bien, merci beaucoup. Je penserai à utiliser une pince pour les manipuler et adapter mes dosages. »

En vérité, Laurel n’était pas l’élève la plus appliquée en potions et  il y avait fort à parier qu’elle oublierait ces conseils de précision d’ici à la prochaine utilisation des épines, finissant avec l’une d’elle plantée dans le doigt ou bien ne songeant pas à la couper, ruinant les dosages de sa concoction. La vendeuse, elle, manipulait chaque ingrédient avec une dextérité précise qui rendait pince ou gants bien inutiles. La jeune fille observa la chorégraphie de ses doigts tandis que la lumière se faisait dans son esprit, et osa finalement une approche.

Andrée de Kerimel, puisque c’était elle, la fixa d’un regard insondable, avant de se consacrer entièrement à sa balance sans répondre. Laurel se retint de se mordre la lèvre. Avait-elle été indélicate en pointant une connexion qui ne s’était jamais retrouvée concrétisée qu’à un enterrement ? Après tout, si Andrée était le « secret de famille » un peu honteux de sa tante Anne, comment Andrée elle-même pouvait-elle bien les considérer ?

Clairement, il n’y avait pas eu d’affection entre eux tous lors des obsèques d’oncle Pierre. Sur le moment, Laurel avait été choquée que la fille de son oncle (c’était bizarre de penser à elle comme une cousine quand on ne l’avait jamais vue) ne soit pas plus impliquée, accueillie dans la cérémonie quand elle venait de perdre un parent. Si elle-même avait perdu son père, elle aurait été dévastée. Pour toutes les tensions et limites qu’il puisse y avoir parfois dans leur relations, comme dans celle de n’importe quel père avec sa fille adolescente, c’était et serait toujours son père, celui qui l’avait élevée et dont elle portait le nom, le sang, non ? Pourtant, personne n’avait mentionné Andrée dans les discours sur l’oncle Pierre, et elle non plus n’avait pas pris la parole. Un peu tard, elle se demanda qui avait exclut l’autre lors de ces funérailles.

« Pour quel usage vous faudra-t-il ces ingrédients ?  Je vous en mets pour une Aiguise-Méninge, plusieurs, ou comptez-vous utiliser certains d’entre eux pour d’autres choses ? »

« Et bien… » Sa belle assurance s’était un peu fissurée, face à l’absence de réponse et d’enthousiasme de la potioniste. « Assez pour refaire un kit de potions standard de quatrième année, s’il vous plaît. » Elle n’était pas trop du genre à faire des productions de philtres extra-scolaires, et la majorité des ingrédients coûtaient trop chers ou étaient trop dangereux pour que l’on s’entraîne à la pratique seul. Pas quand on avait son faible niveau de motivation, en tout cas.

«  Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrées. Mais je suis bien Andrée de Kerimel. Vous êtes ? »

Laurel haussa légèrement un sourcil sans se départir du sourire poli qui ne l’avait pas quittée depuis son entrée dans la boutique et était actuellement en train de mourir desséché sur ses lèvres. Sa cousine par alliance l’avait reconnue avant elle, c’était sûr, et elle souhaitait visiblement lui laisser la joie de lui annoncer qu’elles s’étaient rencontrées dans un enterrement au milieu des chuchotis scandaleux. Quoi que déçue par cette attitude, Laurel ne se démonta pas. Etait-ce si différent de n’importe quelle conversation dans la salle commune de Serpentard, ces derniers temps ? Son éducation de sang-pure l’avait entraînée à pousser par-dessus les insinuations et sous-entendus pour tenir une conversation. Maintenant, par quel côté généalogique expliquer la chose le plus clairement ?

« Laurel Flint. Ma mère Estérelle est la sœur de votre belle-mère Anne, si je ne me trompe. »

Après avoir exposé la situation avec le moins d’artifices possibles, elle lâcha son sac à main bandouillère, qui se balança légèrement sur son épaule, et tendit la main par-dessus le comptoir.

« Enchantée de faire votre connaissance et de découvrir que nous ne sommes pas si loin l’une de l’autre. » Un temps. Après un bref regard vers la porte pour s’assurer de leur solitude, elle décida d’adresser l’Eruptif dans la pièce. « Nous nous sommes croisées à l’enterrement de votre père. Toutes mes condoléances. Oncle Pierre était quelqu’un de bon. Il doit beaucoup vous manquer, à vous aussi. »

Il n’y avait rien d’autre que de sincérité et de la compassion dans sa voix. Elle aurait aimé pouvoir lui dire cela en décembre, même si elle doutait que cela adoucisse la peine de sa… et bien, de sa cousine par alliance. Elle n’était pas oubliée en tout cas. Pas entièrement. Elle avait beau ne jamais avoir été présente aux fêtes de famille, maintenant qu’elle y repensait, elle était certaine que la photo de petite fille aux grands yeux sérieux dans le bureau de son oncle c’était elle, plus jeune. A l’époque, Laurel n’avait pas demandé de qui il s’agissait car elle n’aurait jamais dû aller dans ce bureau, attirée qu’elle était par l’armée de petits soldats de collection, qui formaient des figures militaires géométriques dans leur vitrine, sous la conduite d’un Napoléon miniature.

Andrée de Kerimel avait toujours des yeux sérieux. Laurel lui offrit un sourire qui plus que poli, se voulait amical. Elle ne savait pas trop ce qu’il résulterait de cette rencontre fortuite, mais elle aurait bien aimé en savoir plus sur cette cousine mystérieuse. Par curiosité, par mémoire envers un oncle qu’elle avait aimé, pour la petite fille de la photo dans la vitrine peut-être, qui n’aurait pas due être seule le jour où enterrait son père, peu importait pourquoi. Devrait-elle parler de cette rencontre au reste de sa famille ? Elle balaya l’idée et s’efforça de se concentrer sur l’instant présent. Pour l’instant, il n'y avait pas matière à raconter grand-chose. Elle verrait plus tard. Pas sûr qu’ils aient envie de recevoir des nouvelles d’Andrée de toute manière. Elle fut parcourue d’un léger frisson : à son tour d’ignorer allègrement un tabou familial.


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