Dark thoughts, hateful encounter ft. Lévine et Eilea
'ennui. Chose profitant à la créativité et à l'introspection. Lévine n'en avait jamais été friand. Ni de l'ennui, ni de tout le bénéfique qui pouvait l'accompagner. Il s'était fermé à l'art par simple idée reçue, occupant plutôt son esprit par des recherches, que son cerveau, une fois trop occupé par un trop-pleins d'informations, n'était plus à même de traiter convenablement. Prétextant de souffrir de quelques oublis, il avait mis ça sur le compte de ses petites nuits, plutôt que sur un acharnement qui ne le mènerait qu'au-devant d'un mur. Il avait retenu tant de recettes d'élixirs, qu'il fut bientôt incapable d'en comprendre tous les ingrédients, trop jeune, et surtout, trop épuisé pour en retirer quoi que ce soit. Bien sûr, il s'était ressaisi et avait réussi ses examens avec un brio qu'il avait peine crue. Donc, par orgueil, il s'était pensé capable de tout gérer en solitaire, sans déléguer des tâches pour lesquelles il n'était pas assez expérimenté. Cela avait donné lieu à ses plus belles enquêtes, des réussites telles qu'elles en furent extrêmement gratifiantes. Mais également à des échecs si cuisants qu'il eut du mal à les cacher à sa hiérarchie.
Il ne se pavanait pas tel un paon, mais pourtant la tête haute, prenant son parti d'avoir autant de squelettes dans son placard, que tout un dressing pouvait bien contenir. Il souriait, cachant la peur qui parfois, venait le tenailler comme tout à chacun. Ne tenant pas un bistouri, ou n'ayant pas la vie de qui que ce soit entre ses mains, il avait cependant retenu la leçon suivante : Arrêter un criminel ne ramènera pas une victime, mais permettra de sauver toutes celles qui auraient suivi. Si, au commencement, Lévine s'était illustré uniquement par besoin de reconnaissance de ses supérieurs et intérêts cachés, il devait bien reconnaître qu'il avait pris goût à son boulot. La pression qui venait donc motiver toutes ses réflexions et hypothèses au cours d'une enquête, n'était plus motivé par un but égoïste, mais bien parce qu'il avait appris à apprécier ce gain intérieur autrement plus altruiste.
Ils étaient amenés à sauver des vies, que ce soit par une arrestation, ou des moyens plus radicaux, comme il avait été possible de les observer au cours des guerres. Si cela pouvait être difficile, puisque allant avec son lot de désavantage, parfois, les bons jours, il en occultait tout le négatif pour regarder les noms des familles qu'il avait aidé à soulager d'un terrible fardeau : l'inconnu. Alex avait participé à ce changement soudain de perspective, lui ayant fait prendre conscience que sa place était ici, auprès de gens qu'il pourrait aider, plutôt qu'ailleurs. En lui évitant des dommages irréversibles en se lançant à sa poursuite, il avait quitté la chape de plomb qui l'empêchait de voir le monde autrement qu'en noir et blanc. Il s'était habitué au gris avec Stan, Elvy et Johann.
La passion n'était pas venue tout de suite, et encore moins son sens de la justice. Son père, l'agent William Serger était un homme de bien. Un policier s'étant engagé tout juste à sa majorité pour se mettre au service d'autrui. À son décès, le jeune garçon qu'il était, avait été surprit de voir autant de collègues faire le déplacement pour lui rendre des hommages élogieux. Chacun vanta ses capacités de leadership et son sens aigu du sacrifice. Prendre une balle dans la poitrine pour désarmer un braqueur avait permis d'épargner une bonne dizaine de vies dans cette banque. À peine avait-il rendu son dernier souffle qu'on le plaça au panthéon des héros.
Pourtant peu superstitieux, Lévine fut quasi certains de l'avoir entraperçu cette nuit-là, où il avait recouvert tout le carrelage des toilettes du deuxième étage avec son sang. Un halo lumineux qui lui avait dit que son heure n'était pas venu. Il l'avait interprété comme étant un message d'un être cher qu'il avait perdu un mois plus tôt, plutôt qu'une manifestation de son cerveau lui provoquant des hallucinations. Il voulait bien croire que c'était cela qui l'avait motivé à réviser, et à apprendre jusqu'à vomir toute la théorie à des oraux, plutôt qu'une envie passagère pour continuer à vivre. Bien que ce ne soit pas totalement contradictoire.
Croit ce qui te permet de mieux dormir la nuit, avait un jour dit un ancien chef d'unité. Il voulait y croire, mais ne dormait pas mieux pour autant.
L'ennui lui avait donné ça, l'ambition de se montrer digne d'un nom qui n'était connu que d'un côté du monde, qui, jusqu'à récemment, avait toujours été divisé en deux. Le noir et le blanc. Les sorciers et les moldus.
Son mépris pour certains de ses condisciples s'était expliqué, suite logique à toutes ses révélations sur sa vocation. Il ne détestait pas la majorité parce que c'était plus simple de choisir la haine à une quelconque forme de respect. Plutôt puisqu'il ne se reconnaissait dans aucun d'eux. Il ne voyait aucune flamme dans leurs yeux, ni la juste place que méritait ce travail au fond de leur regard. Il fallait être solide – bien qu'il ne le soit pas toujours – pour encaisser la souffrance et les atrocités de leurs affaires. Le sang-froid était une qualité indispensable, et le ministère se devait de recruter des éléments compétents et sûrs, auxquels il pourrait accorder du crédit et sa confiance. Le département n'était pas une aire de jeux après tout.
Voyager dans une autre unité avait permis d'élargir un peu plus sa vision du métier, et mettre en avant ses propres lacunes. Il manquait d'empathie et de sens social. Il n'était pas celui qui venait réconforter les veuves éplorées et il était toujours mal à l'aise à l'idée de devoir montrer une compassion sincère pour les victimes – les coupables, eux, n'y auraient jamais droits. Mais, il y travaillait, développant ses facultés relationnelles à chaque fois que cela lui était autorisé. Il avait pris sur lui de décharger Stan des mots de réconforts et s'était entraîné au cours de leurs récentes investigations. Un succès tout mitigé, qui au moins, avait eu le mérite de convaincre Amanda qu'il pouvait posséder un cœur et qu'il n'était pas simplement une coquille froide.
Craquant ses doigts, il soupira, regardant avec un sourire satisfait la pile parfaitement droite de ses dossiers achevés. Les aiguilles de l'horloge n'indiquaient pas une heure très avancée, en tout cas, pas autant qu'elles auraient pu, et il décréta que c'était assez pour aujourd'hui. Dans un petit geste crâneur, il fit tourner sa plume dans les airs d'un geste anecdotique de la main, pour qu'elle puisse se poser seule dans son étui. Son carnet de notes finit dans son tiroir, et il ramassa sa tasse vide, d'une belle et rassurante couleur grise, où le chat était poursuivi par un bouvier bernois. En un coup d’œil, il devina la sieste de son ami, bien que celui-ci soit passé maître pour la dissimuler. Sans un bruit, l'auror salua le reste du bureau d'un signe de tête, et quitta la pièce en ne prenant pas un, mais deux mugs. Il confia le deuxième à un stagiaire, un secrétaire sans doute, auquel il donna l'ordre de le remplir pour son équipier. Une petite attention qu'il regretta aussitôt faite. Qu'il ne s'y habitue pas de trop, pensa Lévine.
Après un détour par la salle de pause, il accueillit l'affluence du chaudron baveur avec un enthousiasme en demi-teinte. Il était pour sûr appréciable de quitter les locaux mornes du ministère, mais quitter une jungle pour une autre lui apparut comme une idée à discuter. Il ne s'y attarda pas une seconde de plus, et traversa l'avenue la plus passante d'un pas rapide, jouant des coudes pour s'extraire de la haute effervescence, avec l'agilité d'un félin. Prenant donc le contre-pied de cette destination saugrenue que fut le Chemin de Traverse, il chercha quelques bonnes boutiques à visiter sans réels arrières pensées. Elles se dessinèrent puis se peaufinèrent au fur et à mesure de cette balade qui devient finalement relaxante. Il n'acheta pas grand-chose, des babioles tenant dans ses poches pour égayer son appartement, se promettant de faire un arrêt en rentrant dans cette échoppe d'antiquités. Il avait toujours eu un faible pour les meubles anciens, au vécu et à l'histoire pouvant se lire sur les coutures ou dans les écritures du bois.
Le Black Candle n'était pas un bar qu'il avait déjà fréquenté par le passé, que ce soit avec des collègues ou en solitaire. Au vu de sa localisation, il devait jouir d'une belle renommée pour être autant pris de la salle aux terrasses. Détachant finalement son insigne, devenu superflu, il se glissa dans la clientèle pour s'installer à une table vide. Peut-être que sa consœur vit son arrivée et son approche tout autrement. Lorsqu'elle l’apostropha, il marqua un temps d'arrêt, pour contenir un sursaut.
« Serger. Sérieux ? La journée est pas assez pourrie pour croiser votre tête toujours aussi joyeuse ? »
L'attaque gratuite le piqua au vif, et il abandonna aussitôt toute retenue sur la colère qui mangea sa maigre bonne humeur. Loin d'en rougir ou de se décontenancer, il se para de son plus beau sourire.
« Bonjour à vous aussi, Auror Fuller. Vous êtes en permission, ou bien votre oncle vous a donné une autorisation de sortie comme une écolière ? », répondit-il d'un ton mielleux.
Par défi, il tira la chaise qui faisait face à sa collègue pour s'y installer, les mains jointes dans une posture effrontément moqueuse.
« Attendez… Me dites pas que je vais avoir le droit à une surveillance agaçante ? Merci, mais j’ai passé l’âge d’avoir un babysitter, surtout un comme vous. J’ai toujours préféré les clowns heureux et colorés, que ceux qui sont tristes et monochromes. »
Il étouffa un rire de moitié, le laissant traîner au fond de sa gorge pour l'agacer un peu plus. Il s'humecta les lèvres, non pas en cherchant sa réplique, mais plutôt pour se délecter de cet échange, qui finalement, était plus agaçant du côté de son adversaire.
« Je suis toujours fasciné d'observer la protubérance de votre ego, Auror – le titre coula sur sa langue avec la même douceur factice que s'il voulait faire plaisir à un enfant en lui donnant l'air d'un adulte - Fuller. Ou bien vous lancez-vous dans la compétition du meilleur paranoïaque face à Alastor Maugrey ? », son sourcil s'arqua. « Bien que pour cela, il faudrait que vous puissiez vous opposer à lui dans un quelconque domaine, je le crains. », son esquisse navrée accompagna un geste de la main faussement défaitiste et dramatique.
De l'index, il héla un serveur, lui demandant un verre d'absinthe, puis, il s'en retourna à la gamine la plus bruyante du ministère.