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Funèbre Requiem | Samedi 30 septembre 1995 | Lévine Serger

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Dim 26 Avr 2020 - 19:08
❝ la mort fascinante, artistique, illustrée par un art ardent, décomposition d'une mélodie déchirante... ❞
Funèbre Requiem

Lévine & Merlin

Les iris de la demoiselle rencontrèrent ceux de son reflet. Le regard ironique de ce dernier lui arracha un rictus moqueur. Les cernes sur son visage ne disparaissaient pas depuis quelques jours. Depuis ce jour. Depuis Aria. Depuis que la blonde avait arraché ses œillères.

Cette nuit encore, elle n'avait presque pas dormi. Une ou deux heures, tout au plus. Trop peu. Elle s'était entraîné sans relâche, avait appris de nouveaux maléfices et charmes des années supérieures à la sienne. Elle devait s'améliorer, n'est-ce pas ? Elle voulait être brillante. Elle voulait être admirée. Un beau mensonge, un poignard en plein cœur qui lui faisait encore mal.

Des excuses, voilà ce que c'était. Des excuses pour ne pas retrouver le sommeil. Elle aimait fermer les yeux et laisser son esprit voyager dans les inventions étranges de son subconscient. Elle adorait se retrouver dans les merveilles que son âme était capable de consolider, de créer. Pourtant, elle n'en avait ni l'envie, ni la force. Elle avait peur de ce gris-bleu pâle. Elle avait peur de ses mèches neigeuses. Elle refusait de l'imaginer. Cette amie n'existait pas. Elle n'existerait jamais.

Un fait qu'elle voulait accepter, mais que son intimité lui refusait. Comme cette nuit. Beurk s'était invitée dans son songe sous une forme macabre. Macchabée allongé, son violon immaculé reposant sur sa poitrine, elle lui avait susurré des mots que Merlin avait oublié à son réveil. Un sursaut l'avait extirpé de son cauchemar. Où était-ce, déjà ? Elle ne s'en souvenait pas.

Elle pinça les lèvres, se retenant de briser la vitre qui lui renvoyait sa silhouette voûtée, pathétique. Ses vêtements étaient trempés par sa sueur et ses mèches auburn restaient engluer contre son faciès. À la place, elle agrippa d'une poigne fragile le rebord de l'évier et se pencha en avant pour coller son front contre le miroir. Il était gelé. C'était agréable, reposant. Pendant une seconde, elle n'eut plus l'impression que sa tête allait exploser, que ses yeux allaient éclater.

Sa souffrance revint aussi vite que sa disparition. À l'image d'un papillon se débattant pour quitter sa chrysalide, elle recula son visage de quelques centimètres, pour le laisser choir sur le verre face à elle. Une, deux, trois fois. Elle se figea. Elle avait besoin d'une douche, de l'eau brûlante sur sa peau pour faire disparaître ses sensations. La douleur de la brûlure l'ancrerait dans le présent. Puis de l'air. Loin de Poudlard. Loin des corridors où elle risquait de la croiser.


~

Pendant presque une heure, elle avait laissé ses pas la guider. Elle n'avait aucun but précis, aucune destination en tête. Elle n'était plus à l'école, avait pu quitter son domaine. Entourée par trop d'inconnus, elle s'était sentie suffoquer. Elle n'avait pas peur des humains. Elle n'avait aucune phobie sociale. Elle les regardait dans les yeux, avançait sans crainte, acceptait leur jugement, normalement. Aujourd'hui, c'était différent. Elle ne se l'expliquait pas. Elle ne comprenait pas.

Elle avait peur. Peur des pupilles qui se tournaient dans sa direction. Peur des murmures sur son sillage. Peur de ces gens qui finiraient inévitablement par l'oublier. Elle ne valait rien, une donnée dérisoire. Elle n'avait rien qui pousserait ces êtres à se rappeler de son existence. Son prénom serait négligé au profit d'un nom emprunté. Pourquoi l'évoqueraient-ils, alors qu'elle s'appelait Merlin, honnêtement ? Tout le monde se rappellerait toujours, inévitablement, de l'enchanteur d'Arthur, pas de sa petite personne. Elle n'était qu'une sang-pure parmi d'autres, enfermée dans un bal solitaire avec d'autres nobles effaçables.

Au fond, elle savait que son souhait ne se réaliserait jamais. Un de plus. Comme avec elle. C'était cette réalisation qui l'avait poussé à se diriger vers cette demeure. Une habitation abandonnée, sombre, austère, à l'écart des autres. Le Cabane Hurlante avait quelque chose de mystique, de magnifique. Pendant plus d'une heure supplémentaire, elle était restée assise sur un rocher à l'observer. Elle refusait de penser, mais ne parvenait pas à chasser les images. Il suffisait qu'elle clignât des yeux. Elles s'imposaient à sa vue. Encore.

Elle détestait sa mémoire qui lui faisait encore défaut. Elle voulait oublier, était-ce trop demandé ? Sans conteste, le destin en avait décidé autrement. Un signe à déchiffrer, à comprendre. Elle avait besoin de son jeu de tarot, d'une tasse de thé vide ou d'une boule de cristal. C'était cette idée qui l'avait poussé à remonter les rues du village, pour reprendre le chemin du château. Elle ne l’atteignit pas.

À côté d'une ruelle, elle se figea. Une sensation. Une impression de déjà vue. Son cœur s'emballa. Elle avait envie de vomir. Non, ça ne pouvait pas être réel. Elle n'était pas morte. Elle était dans la salle commune de Serpentard ou dans la salle d'Art et Lecture, à jouer avec Sessho. Elle n'était pas morte. La bille remonta le long de son œsophage, brûla sa gorge sur son passage. Elle tituba vers la scène qu'elle reconnaissait. Elle avait besoin d'aide. Elle n'était pas morte.

Sa main appuyée sur un mur, elle avançait lentement, les orbites écarquillaient. La blonde était allongée au sol, sa longue crinière lui offrant une auréole dénaturée par le liquide carmin qui la tâchait. La peau pâle, entièrement à nue, laissait voir sa gorge ouverte sur ses cordes vocales tirée, un archer aussi noir que la nuit déposé dessus. Un violon macabre. L'image de Beurk disparu lentement au profit de la réalité. C'était la baguette offrant ces mélodies, sa couleur, qui avait dissipé l'illusion.

Son cœur manqua un battement. Elle se redressa. Sa main abandonna son appui. Aria n'avait pas disparu. Le soulagement s'invita, puis devint lointain. Une bulle intemporelle dans l'iris de la voyante. Elle ne parvenait plus à détacher son regard du corps. Une jeune femme d'une vingtaine d'années. La douleur se dissipa lentement, au profit du sentiment qui la poussa à se rapprocher. Un pas, puis l'autre. Elle voulait la toucher. Elle voulait s'assurer qu'elle était tangible. Elle voulait s'en saisir, terminer l'œuvre. Elle voulait permettre à la mélodie d'être composée, le doux son d'un violon fascinant les foules, son funèbre requiem.

Une main se saisit de son poignet. La douleur revint, se déversa dans son corps jusqu'à trouver l'origine du malaise. Le contact la dégoûtait. Elle tourna un œil assassin vers l’inopportun qui venait de l’interrompre. Elle était si proche et trop loin. Les habits la mirent en garde. Le ministère. La police magique.

« Alors comment ça, tu voulais parfaire ton art, hein ?, l'accusa le gardien de la paix. C'est pas suffisant de faire ça à ta victime, il faut que tu prépares bien la scène de crime ! Parle ! T'es foutue de toute façon, salope ! »

L'homme, trop grand, trop fort, l'obligea à se retourner, à se positionner face à lui. Ses yeux lançaient des éclairs dans sa direction. Merlin fronça les sourcils, un bourdonnement désagréable s'installant dans la conversation. Elle ne saisit pas ses propos. Scène de crime ? Sa victime ? Quelle sorte de fable racontait-il ? C'était ridicule.

Comme deux aimants, ses opales retournèrent se perdre sur le cadavre. Elle força, chercha à se dégager, mais n'y parvint pas. Elle voulait caresser la peau froide, s'approprier les défauts de son anatomie, comprendre qui elle avait été. Un électrochoc. Elle se figea, un rictus moqueur prenant place sur ses lèvres, alors qu'elle comprenait enfin. Elle pouvait être longue à la détente, parfois. Comment pouvait-elle se tirer de ce mauvais pas ? Elle n'avait aucune issue.

« Hé ! Vous-là ! »

Le hurlement d'une voix d'homme, lointaine. Il fut suivi d'un sifflement strident. Les lèvres de l’oniromancienne se pincèrent sous l'effet désagréable sur ses tympans. L'agent tourna son regard dans la direction d'où provenait le son, avec un air d'incompréhension peint sur son faciès, mais l'accusée ne regarda pas, ne le vit pas.

« Vous avez eu votre diplôme dans une chocogrenouille ?! Lâchez là immédiatement, où je m'arrange pour que vous fassiez le piquet devant le chaudron baveur pendant six mois ! »

L'emprise sur son poignet disparue. Le bourdonnement s'évapora. Attirée, fascinée, envoûtée, retournant dans sa spirale d'irréalité, l'adolescente s'échappa de la vigilance du sorcier. Un pas, puis un autre. Comme une pianiste s'apprêtant à débuter un morceau, elle releva la main devant le cadavre. Ses courbes seraient siennes.

À quelques centimètres, elle s'immobilisa, paralysée. C'était la voix de Lévine qu'elle venait d'entendre ? Les battements de son cœur, jusque-là au ralenti, s'accentuèrent brutalement, augmentèrent d’intensité. Elle fit volte-face sèchement et braqua ses pupilles dans les siennes. Un sourire extatique s'empara de ses lèvres. Elle n'avait pas rêvé, il était là.

Merlin
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Lun 4 Mai 2020 - 17:30
Funèbre requiem.Lévine & Merlin
When I was 16 my senses fooled me. Thought gasoline was on my clothes. I knew that something would always rule me... I knew this sin was mine alone. ( Arsonist's Lullabye → Hozier ) ••• C'était la fin du mois de Juillet. Il pleuvait. C'était rare. Sa mère était couchée. Elle était fatiguée. Les examens n'étaient pas bons. Il le savait. Il était resté avec elle. Il n'avait pas beaucoup dormi. Une heure. Ou deux ? Il n'avait pas compté. Ses paupières se baissaient. Un peu plus à chaque seconde. L'orage tonnait dehors. Il voyait la lumière des éclairs de sa chaise. C'était beau. C'était peut-être ça qui l'avait maintenu éveillé. La beauté de ce spectacle. Comme un feu d'artifice naturel. Les gouttes venaient taper contre le carreau. Il faisait frais. Pas froid. Pas chaud. Un juste-milieu.

Debout, il avait simplement regardé les parterres de fleurs s’inonder. Il n'aurait pas besoin de les arroser. Une corvée en moins. Il avait oublié la tondeuse. Elle était réparable. Remplaçable. Comme tout. Même lui. Sauf elle. Emmitouflé dans sa veste, il était resté là. Dans le silence de la chambre, les mains sur la vitre, sa respiration régulière formant un cercle fumeux. Effaçable. Là-bas, il n'entendait pas le tonnerre. Il était étouffé. Lointain. Le ciel pleurait. Il éclatait de rage. Il aimait ça. Que les éléments aillent dans son sens. Dans sa vision. Derrière lui, elle bougea. S'agita. La nuit n'avait jamais été aussi calme. Il enchaînait les cigarettes. Le vent soufflait. Vif. Violent. Bientôt une nouvelle année. Un nouveau calvaire. La pluie n'avait pas la même saveur. Le gris n'était pas aussi serein. Plus noir. Plus morne. Dehors, la tempête faisait trembler les vitres, claquait les portes. Il voulait dormir. Plus tard. Quand la pluie cesserait.


***

« Bon alors, je fais oiseau. », fit Stanislas en posant les carrés d'ivoire, qui allèrent se placer sur le plateau pour s'y fixer. Satisfait de voir les cases s'allumer de vert, signifiant la parfaite existence de son mot formulé, il se laissa tomber contre le dossier de son siège, envoyant son pied contre la cheville de son équipier.

Quel con. Une insulte qui s'étouffa contre ses dents serrées. Il avait dormi. Une nuit quasi complète. C'était donc dans des dispositions correctes, qu'il venait affronter l'idiotie qu'il devait respirer dans ce bureau. Elle lui donnait la migraine. Il était tôt. Des heures supplémentaires. Une matinée écourtée pour des notes à trier. Ça le rendait malade. Il détestait cette tenue. Détachant le regard de son journal, il baissa les yeux sur l'ensemble réglementaire du service. Un insigne doré. Deux baguettes croisées. L'Élite comme elle aimait l'appeler. Une chemise blanche. Une longue veste arrivant à ses mollets. Elle tenait chaud. Trop. Bottes serrées. Insupportable. Il était de corvée. Il devait attendre qu'une affaire se présente. Par dépit, il cacha son expression désabusée derrière ses mots croisés à peine entamés, pour tirer sur son col. Il était déjà en sueur.

« Mot compte double. Bien joué. Ça te fais quinze points. », compta l'aspirant, en appuyant sur les lettres déposées. La plume volant à ses côtés s'empressa d'inscrire le nouveau score. Et certainement des commentaires. Il détestait les plumes à papote.

Lévine remonta sa jambe contre le pied de sa chaise de bureau, qu'il s'était forcé de déplacer pour feindre un intérêt pour leur partie. Distraitement, il massa l'os meurtri par la brutalité du flemmard. Lorsqu'il s'agissait de parfaire l'arrangement d'un dossier, il venait mimer une sieste. En revanche, pour jouer, il était vivace. Agité. Comme un fou. Il pourrait l'envoyer à Sainte-Mangouste sous ce prétexte. Judicieux. Logique. S'il craquait. Ne tenait plus le coup.

« Callaghan ! », un sifflement accompagna son cri. Bruyant. Ingérable. Il appuya son oreille contre son épaule. Écrasant le tube qu'il avait placé. Il le lui paierait. « C'est votre tour ! », plan qui prenait de plus en plus d'importance. De crédibilité. Il l'envisageait. Cruellement. Une camisole. Bien serrée. Peut-être qu'il pourrait l'étrangler avec la sangle. Le réduire au silence. Une délivrance. Il enfonça son visage dans le papier, retenant un juron. Une fissure sur son masque. Comme il savait les faire. Lui. Toujours lui. Le même. Tout le temps. Il inspira. Doucement. Lentement. Ne pas faire de gestes brusques. Ne rien lancer. Ne rien jeter. Frustration. Agacement. Colère.

« Lévine ? », l'appela Elnath dans un murmure, couvrant les cris intérieurs de sa rage. Il y songeait. L'encrier était à portée. Pas loin. Il n'avait qu'à tendre le bras. Viser la tête. Il savait faire. Il n'en avait aucun doute. Lèvres pincées. Dents serrées. Se calmer. Lévine retira la protection de son visage. Sourire. Sourire. Encore sourire.

« Oui ? », aimable, mesurée. Un timbre linéaire. Il le regarda. L'invita à continuer à parler d'un mouvement du poignet. Calme feinté. Était-il dupe ? Peut-être. Sûrement. Comme les autres. Ou un peu moins ? Il ne le connaissait pas. N'avait pas eu le temps de le cerner. Pas encore. Mais ça viendrait. Tôt ou tard, il saurait. Il verrait les faiblesses qu'il cache. Ses lourds secrets. Tout le monde en a.

« Je te parie que quand elle revient, ça fera : Clactic. Clactic. », il ponctua son bruitage puéril d'un claquement de doigt. Un à chaque fois. Des enfants. Navrants. Épuisants.

Devait-il rire ? Sans doute. Rentrer dans son jeu. Se fier à ses réactions. S'adapter. Voulait-il l'ami ? Le confident ? Le complice ? Il pouvait faire son choix. Il souffla un rire. Râpeux du fond de la gorge. Nausée. Le café était imbuvable. Charbon liquide. Noir. Sans fin. Ça avait le même goût. Celui de la terre. D'une grotte humide. Froide. Obscure. Celle qu'il fuyait. Il attrapa la hanse de sa tasse. Grise. Il laissait la blanche à Stanislas. Elle lui convenait mieux. Armure immaculée reflétant la lumière. Il était aveuglant. Un soleil trop vif qu'il ne pouvait regarder trop longtemps. Il voulait s'en éloigner. Cette chaleur était insupportable. Il l'était. Tout l'était. Ce bureau. Cette table. Ce plateau. Ce café. Ce bruit de marche dans son dos. Cette gazette dans ses mains. Ces mots qu'il ne devinait pas. Ces notes volantes. Tout. Il inspira. Respirer. Un peu à chaque fois. Jamais trop.

Clactic. Clactic.

« Je te l'avais dit. », Elnath se recula, lui indiquant de l'index la démarche de Callaghan. Il tourna la tête. Réflexe inconscient. « C'est le bruit de ses talons hauts. »

Elle était assez petite. Même avec ses échasses. Rouges. Ou noires. Jamais une autre couleur. Callaghan portait un tailleur. Parfaitement taillée. Sur-mesure. Une vraie fortune pour quelques centimètres gagnés. Pour une taille retirée. Un ajustement hypocrite. Pas de veste lourde sur ses épaules. Seulement un chemisier crème, et sur sa poche, l'éclat d'un insigne obligatoire. Réglementaire. Entre ses bras, un dossier était comprimé. Résidus d'une sombre affaire. D'une découverte macabre. D'une disparition non élucidée. La première d'une longue série. Lévine n'aimait pas son métier. Il se complaisait dans cette routine surchargée, sans s'y mêler réellement. Hors des rangs. Hors du temps. Comme un spectateur de sa propre existence. Il n'en était pas fier. Pas véritablement amer. Sûrement, était-il indifférent. Côtoyer l’infamie était comme une piqûre de rappel. Une plongée dans des profondeurs oubliées. Qu'il voulait cacher à tous. Y comprit lui-même.  

C'était douloureux. Terrifiant. Mais il en recherchait toujours. Un peu plus.

« C'est à moi. », elle s'installa, les jambes croisées. Pétasse. Elle claqua les papiers sur le bureau. Déranger. Tout se décala. Résistant à l'envie de remettre de l'ordre dans les affaires de son collègue, il préféra se soustraire à cette vision qui lui hérissa le poil. Ses mots croisés. Trop de cases vides. De définitions incompréhensibles.

« Hé bah, vous voyez que vous jouez votre W. », Stan s'arma d'un sourire taquin. Niais. Il soupira. Discrètement. Il l'agaçait. Les pièces s'accrochèrent au plateau. « Edrew ? C'est quoi ça ? »

« Le mot merde que tu lis à l'envers, espèce d'idiot. Et j'ai encore mon putain de W. », un regard mauvais. Un sourire en coin. Un jeu perpétuel. Ils s'allouaient à une comédie grotesque. Fausse. Le chat et la souris. Pathétique. Ridicule. La chaise grinça sous une posture froide. Une reine toisant un sujet. Lèvres retroussées. Elle était comme une pâle copie, imitation ratée d'une magistrate. Hautaine. Orgueilleuse. À claquer.

« Je rajoute cette unique lettre E. », Elnath se lança. Rideau mettant fin à leur numéro quotidien. L'un parlait, l'autre riait. L'un criait, l'autre le faisait plus fort. Il en avait déjà mal à la tête. « Et je joins ensemble, les mots : Rougeur, Gorgone, Lierre.. »

Bla. Bla. Bla. Pourquoi fallait-il parler autant ? Lui, qui s'était imaginé une matinée de silence, de tranquillité au milieu des dossiers, en était déçu. Atterré. Il voulait encore dormir. Recommencer comme cette nuit. Pas de cauchemars. Pas de cigares. Pas de masques gravés. Mais une silhouette rassurante. Lointaine. Carrée. Un père sans doute. Un souvenir perdu dans les limbes. Un rêve étrange. Un songe qui persistait. Mais dont les images lui échappaient. Avaient-ils discuté ? Sûrement. Il voulait se rappeler. Retourner devant cette ombre pour en percer le mystère. Il la voyait encore, sous ses paupières abaissées. Aucun trait. Aucun signe distinctif. Existait-elle ? Quelque part ? Le connaissait-il ? Sans doute. Pourrait-il le retrouver ?

« Et ça me fait un total de 188 points. », la plume nota fiévreusement. Il arqua un sourcil. Combien ? Fier, l'apprenti piocha un nouveau carré pour le placer sur son chevaler.

« C'est bon, ferme la, on a comprit que tu étais le meilleur. », mauvaise foi. Voilà qui le ferait redescendre. Le karma avait frappé. Une punition qui lui arracha un sourire. Sincère. Moqueur. « Et toi, faux frère, tu me retires ton sourire. », il le pointa de l'index, faussement outré. Lévine mordit l'intérieur de sa joue. Tic emprunté sur l'un des leurs. Mimer la gêne. L'amusement. « Tu es censé me soutenir. Pas te moquer ! »

Ils pouffèrent. Ensemble. À l'unisson. Stanislas était prévisible. Facile à lire. Ses réactions étaient toujours les mêmes. Identiques. Il pouvait les anticiper. C'était rassurant. Il n'était jamais surpris. Prit au dépourvu.

« Je te soutiens dans ta défaite, Stanislas. », il lui désigna le damier bien rempli, l'invitant à jouer à son tour. Le contrarier. Le piquer au vif. Il se renfrogna, les sourcils froncés. Réussite. Un crayon à la main, il s'intéressa à sa propre occupation. Se concentrer. Oublier la bulle qui avait éclaté dans son abdomen à leur instant de complicité. C'était faux. Ils n'étaient pas amis. La mine passa sur les cases. « Moyen de réduire la densité démographique en huit lettres. », énonça-t-il sans relever les yeux.

« Génocide. », un mot, d'un ton tranquille. « Et c'est à toi, Stanislas. »

G.E.N.O.C.I.D.E. Il nota. Sans faire de commentaires. Il ne le comprenait pas. Une énigme. Pour l'instant.

« Hein ? Sérieux ? », il les regarda à tour de rôle, surprit. « Ça rentre ce truc ? », Lévine hocha la tête. « Mais sérieusement ? Ils mettent ça dans la gazette ? », un haussement d'épaules en réponse, qui ne l'arrêta pas. Il était lancé. « Et toi ! Comment tu sais ça ? », Stan avait changé de cible.

« Simple question de logique. », Elnath secoua les mains devant une fureur enfantine. Ibranovitch alternait entre humeur joviale et colère. Il suffisait d'une parole. D'une phrase pour le faire changer. C'était amusant. Distrayant. Une note volante l'empêcha de répondre. Oiseau de papier, qui alla se nicher dans la paume de la chef d'unité. Une affaire. Une activité. Un vol. Un cambriolage. Une agression. Un meurtre. La dernière l'enthousiasmait. C'était malsain. Mais il voulait bouger. Callaghan le déplia. Le silence se fit. Impatient. Trente secondes. Une minute.

« Serger. Ibranovitch. Vous y allez. », un verdict. Elle leur lança leur directive de mission. Il retient un sourire satisfait. De mauvais goûts. Il préféra une mine sérieuse. Plus adaptée. Il s'empara du papier pour en prendre connaissance. Assassinat. Corps mutilé. Mise en scène. Voilà qui promettait des heures en extérieur. De baignade dans le morbide. Il passa le mot à son équipier, qui tout en se dirigeant à sa suite vers la porte, en lisait le contenu.

« Et toi, tu restes là. Il y a des dossiers à trier. », mettant un point aux espoirs de l'aspirant. Il baissa la tête. Piteusement.

« Gardes la maison pour nous. », Stan sourit, récoltant un regard noir. Il se perdit dans un rire, qui cessa une fois la sortie bouchée. Le couloir était désert. Tout le monde travaillait.

« On ne sait pas à quoi s'attendre ? », Lévine secoua la tête. « Je n'aime pas ça. »

« Je sais. », et c'était probablement ce qui lui plaisait le plus.

***

Il pleuvait à Pré-au-Lard. Pas de brouillard. Pas comme cette fois-là. Mais une fine rosée mouillant leurs uniformes. Ils venaient de sortir des Trois-Balais. La propriétaire n'était plus surprise. Les Auror avaient tous les droits. Entrée. Sortie. Allés et venus. Un raccourcit pratique pour le village. Le bâtiment était idéalement situé. Lévine décrocha la cigarette de son oreille. Tordue. Pliée. Comme son esprit. Il résista à l'envie de la jeter. Il voulait la noyer dans la flaque. Les faire disparaître. Elle et sa comparaison inévitable. Il la porta à sa bouche, refermant ses lèvres sur un filtre humidifié. C'était désagréable. D'un claquement de doigts, il l'alluma. La deuxième de sa matinée. Il ralentissait. Sa mère le lui avait demandé.

« Par où ? », demanda son équipier en observant l'avenue. Il était tôt. Les élèves dormaient. Le temps n'inspirait pas les sorties. Pas aujourd'hui. Il inspira une bouffée de tabac brun. Il lui brûla la gorge, rendant sa voix plus rauque. Dispersant la fumée devant son visage, il pointa la gauche d'un mouvement de main.

« À gauche. À la deuxième rue, on tourne à droite. », il se mit en route. Marche tranquille. Les morts ne bougeaient pas. Ne s'enfuyaient jamais. Il devait faire taire son enthousiasme. Mal venu. Stan n'aurait pas compris. Aucun ne le pourrait. La mort ne l'effrayait pas. Ne l'attirait pas vraiment non plus. C'était autre chose. Plus profond. Plus complexe. Il pourrait penser autrement. Ne plus être lui un moment. Il serait le meurtrier. Le cerveau malade d'un fou. Il troquait ses envies meurtrières contre celles d'un autre. C'était comme enfiler une nouvelle peau. Un masque différent. C'était fascinant. Vital.

Ils tournèrent. La ruelle était sombre. Mal éclairée. Le ciel était gris. Le soleil absent. La pluie redoubla d'intensité, finissant de tremper sa cigarette. Il soupira, consentant à la faire tomber dans l'eau. Une moitié. C'était du gâchis. Un grondement agita les cieux. Lévine releva la tête, imbibant ses cils de gouttes translucides. De l'orage. C'était tragique. Cliché. Il stoppa son avancée, pour se perdre dans les nuages sombres qu'il distinguait. C'était beau. Un éclair déchira le coton. Une lame acérée sur un mouton. Un double homicide. C'était exaltant. La joie grimpait. Se frayait un chemin entre ses entrailles malmenées par une culpabilité refoulée. Il y penserait plus tard. Quand tout serait fini.

« Mais qu'est-ce-que... ? », la voix de Stan le ramena, le força à regarder devant eux. Deux silhouettes. Frêle et imposante. Un homme et une femme. L'uniforme ne trompait pas. La police était déjà là. Présente pour des accusations infondées. Son équipier pensait la même chose. Il le savait. Il le connaissait. Il ne rata pas son froncement de sourcils et ses poings serrés. Il était en colère. Chauffé par des nerfs déjà malmenés. En prévention, Lévine se boucha une oreille, prêt à affronter les cris, les injonctions de ce dernier.

« Hé ! Vous là ! », il l'avait prédit. Les doigts pliés gagnèrent la bouche de Stanislas. Le pouce et l'index. Un sifflement strident lui arracha une grimace. Il faisait toujours ça. Il était monté comme une horloge. Et sonnait aux mêmes heures. « Vous avez eu votre diplôme dans une chocogrenouille ?! Lâchez là immédiatement, où je m'arrange pour que vous fassiez le piquet devant le chaudron baveur pendant six mois ! », une menace qui fit mouche. Sans surprise.

Ils avancèrent. L'un plus rapidement que l'autre. Lévine traînait. Il jaugeait la situation dans son ensemble. La femme se décala. Il le vit. Le cadavre. Mise en scène intéressante. À genoux, les jambes écartées, dénudée. Les bras le long du corps, avachi sur une pique imaginaire. Sa colonne avait dû être brisée. Soutenue par des broches métalliques pour se figer dans cette posture. Elle avait les cheveux longs. Blonds. Elle n'était pas laide. Quelconque sans doute. Passe-partout. Sa bouche, mâchoire brisée, recrachait le bout d'un instrument. Un violon. Sa gorge, ouverte sur ses cordes vocales, finissait d'inviter à une musique terrifiante. Il s'arrêta aux côtés de son binôme. Il était agressif, rajoutant des menaces sur celles qui avait déjà suffi. Entêté. Acharné. Loin de briser sa concentration, il leva simplement la main, les invitant au silence. Les excuses cessèrent.

« Veuillez pardonner mon équipier, Monsieur. Nous reprenons l'affaire. », il était fasciné. Comme il l'avait été. Et il n'était pas le seul. Elle était là, dans une position similaire à l'œuvre qu'elle observait. Elle se tourna vers eux, bondissant sur ses pieds. Prise en faute. Interrompu. Leurs regards se croisèrent. Elle lui sourit. Et il la reconnut. Shafiq. Une fillette perdue dans un monde qu'elle ne comprenait pas. Elle n'en avait pas conscience. Trop choyée. Trop protégée. Privilégiée. Un déni qu'elle avait enfin passé.

« Tu veux que je m'occupe d'elle ? », Stan posa une main sur son épaule. Il secoua la tête, éclaboussant son visage. Il ne lui en tint pas rigueur.

« Non. Tu peux t'occuper de sécuriser la zone, s'il te plaît ? », le brun acquiesça. Chacun avait son rôle. Ses capacités. Celles de Stanislas serviraient. Mais pas maintenant. Plus tard. Quand le corps serait à la morgue.

Il le sentit s'éloigner. Comme un vent froid qui paralyse. Il l'entendit interpeller le pauvre fonctionnaire, lui intimant de le suivre. Autoritaire. Agaçant. Ils étaient seuls. Il lui sourit. Aimablement. Accueillant. Comme lors de leur première rencontre.

« Bonjour, Merlin. », il approcha, se plaça à ses côtés. Les mains dans les poches. Patient. Tranquille. Une apparence soigneusement entretenue. Il bouillait. Il sentait l'excitation prendre plus de place, l'invitant à se mettre au travail. À imaginer. À revoir la scène dans tous les détails. Même les plus sordides. Ceux qui lui feraient faire des cauchemars. Il voulait les interpréter. Il désirait être lui. Faire la seule chose pour laquelle il était doué. Devenir un monstre.

« A ton avis, que pensait-il ? », il bougea, se mit en mouvement. Il ne pouvait pas rester en place. Il contourna le corps mis à nu, pour faire face à son interlocutrice. « Aimait-il la musique ? Le violon ? Ou bien, détestait-il ça, au point de vouloir le mettre en avant de cette manière ? », il se pencha en avant, amenant l'une de ses mains sous le menton de la victime, qu'il soutient de l'index. Ils étaient seuls. Au milieu d'une bulle morbide. Elle y était entrée de son plein grès. Il ne faisait que l'accompagner.

« Est-ce là l'envie de montrer sa haine, ou son amour ? », il fit glisser son doigt, pour l'arrêter au début de l'ouverture. Il la frôlait. Il sourit à nouveau. Finement. D'une sincère complicité. « Si tu étais à sa place, pourquoi l'aurais-tu fait ? »

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Lévine Serger
Admin rusé
Lévine Serger

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Comme de la neige sur le sable

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Jeu 7 Mai 2020 - 20:49
❝ la mort fascinante, artistique, illustrée par un art ardent, décomposition d'une mélodie déchirante... ❞
Funèbre Requiem

Lévine & Merlin

Parlons, dansons, ne nous arrêtons jamais si ce n'est pour louer nos démons.

Morbide fascination. Deux termes qui pouvaient, d'une ironique facilité, résumaient l'enchanteresse déchue d'un songe abîmé. Cadavre envoûtant d'un côté, homme captivant et bien vivant de l'autre, Merlin se retrouvait être la barrière inconsciente d'une avancée précipitée. Elle était, dans un même temps, la fondatrice inespérée d'une cavalière pour une danse sublimée.

Un violon, une fine pluie comme accompagnant, et deux aimants s'apprêtaient à se rattacher l'un à l'autre. Lumière et obscurité, amour et haine, solitude et entourage. Ils se préparaient à se mêler, se mélanger, pour ne former qu'un être parfait. Un duo vertigineux aux dangers insoupçonnés.

« Veuillez pardonner mon équipier, Monsieur. Nous reprenons l'affaire. »

Prise en faute, fillette effrayée devant ses vices oubliées, la demoiselle se retourna vers les trois hommes présents. Elle était jeune, en troisième année, mais son contact l'avait marqué. Une vision, un passé déchiré qu'elle n'avait pas su saisir dans son entièreté.

Voyageuse intemporelle aux regards transperçant toutes les réalités, l'Aiglonne n'avait pu que constater les dégâts irréparables. Elle n'avait pas compris, elle n'avait pas admis qu'il ne s'agissait pas que d'un passage de Mara. Elle en avait été témoin, elle les avait vécu. Des faits, même si elle refusait de se l'avouer, irrémédiables.

« Tu veux que je m'occupe d'elle ? »

La voix de son sauveur, de celui qui lui avait permis de s'extirper de la poigne dure et brutale du policier, la rappela à la scène qui se jouait. Une pièce de théâtre, une œuvre sordide qui s'apprêtait à réellement débuter. Ils s’avançaient. Acteurs des temps modernes qui se drapaient de leurs plus belles allures, ils s'approchaient.

D'un pas, elle se recula. Elle ne désirait pas partir, elle ne désirait pas s'évader de cette horrible vérité. Le meurtre était ignoble, mais d'une beauté irrésistible. Un spectacle grandiose. Elle refusait qu'il se dissipât, car il était l'appel d'une inspiration pour l'improvisation de magnifiques proses. Ou préférait-elle un tableau, une poésie ? Ou à l'image de l'objet qui l'habitait, un macabre requiem, une belle mélodie ?

« Non. Tu peux t'occuper de sécuriser la zone, s'il te plaît ? »

Sauveur ou fossoyeur ? Accorderait-il les instruments, puis la guiderait-il vers un avenir radieux, à l'image du premier violon s'assurant de la bonne composition ? Ou serait-il le mal personnifié, venant ruiner des efforts vains, l'idée oiseuse d'une félicité asservi où elle passerait sa vie à demander pardon ?

Grimaçait-il ? Rictus bienveillant, les premières notes de leur balade se firent entendre. Souriait-il ? Mine avenante, les premiers mots d'une longue conversation se permirent de prétendre au bon déroulement de ce qu'elle allait apprendre.

« Bonjour, Merlin. »

Surprise ou ravissement ? L'enlèvement de son âme se fit avec la douceur d'une caresse. Un geste inconscient, inconstant, son index venant retracer la courbe de sa lèvre inférieure, avant que l'ongle fût brutalisé par ses dents. Effarement ou contentement ? La possibilité qu'il pût se souvenir d'elle ne lui avait jamais traversé l'esprit, alors encore moins de son prénom.

« Bonjour, Lévine. »

Un souffle, à peine audible, comme si elle refusait de briser la magie de l'instant. Deux monstres tapis dans l'esprit de deux personnes si différentes, aux passés incomparables, mais aux perversités communes, aux péchés équivalents. L'ondulation d'un miroir à double sens qui s'éveillait pour offrir, à un individu fantasmé, le reflet de sa propre personnalité. Deux balles, un barillet. Qui tirerait-le premier ?

« A ton avis, que pensait-il ? »

Son interlocuteur bougeait, se mouvait comme un serpent autour d'une proie qu'il chassait, ce même si elle était déjà assassinée. Ses opales suivirent ses faits et gestes, retracèrent son parcours, pour finalement se stopper sur la femme statufiée. Que pensait-il, l'avait-il questionnée ? Pourquoi poser cette interrogation à elle, simple cinquième année ? L'incompréhension pointa le bout de son nez, mais se retira avec une rapidité insoupçonnée.

« Aimait-il la musique ? Le violon ? Ou bien, détestait-il ça, au point de vouloir le mettre en avant de cette manière ? »

Une invitation au banquet ? L'appel d'une gourmandise qui enflait ? À l'image d'une créature des ténèbres effacées derrière un voile de pureté maintenant déchiré, elle laissa, sur ses babines, sa langue glisser. Le savoir que l'Auror lui proposait, lui partageait, repas pour une noirceur enfermée, la forçait à détacher ses chaînes, à ouvrir les portes de cette prison renforcée.

« Est-ce là l'envie de montrer sa haine ou son amour ? »

Aurait-elle démontré sa haine en la déposant de la sorte, à nue, aussi belle qu'une Ève dérobée ? Aurait-elle hurlé son amour par une telle œuvre à la fantaisie à peine voilée ? Ne disait-on pas qu'il n'y avait qu'un pas entre l'amour et la haine, ridicule à franchir, à dépasser ?

« Si tu étais à sa place, pourquoi l'aurais-tu fait ? »

Merlin ne répliqua pas immédiatement. Elle se rapprocha et laissa ses genoux se plier, son visage se penchant vers un sens, puis un autre ; elle réfléchissait. Miroir inconscient de son interlocuteur, elle laissa sa main glisser le long de la nudité exposée de la victime, de sa victime, pour se contenter de la retirer pensivement. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Aria s'imposa à son esprit, et ce fut avec une horrible sensation de culpabilité, qui s'étouffa par un agacement impalpable, qu'elle répliqua.

« Pour son talent. Par amour, mais jalousie. »

Il lui désignait la sombre vague, où le fond n'était plus visible depuis longtemps et elle plongea. Elle plongea la tête la première, prête à dompter ce monstre géant, pour enlacer ce dragon grondant. Elle voulait être libre et entière, elle voulait sortir et s'enfuir.

« Parce qu'elle est belle, avec son violon. Si talentueuse avec son instrument. Mais si laide dans ce présent. Insupportable sans ma vision. »

Douce corde qui vibre ce soir, doux son qui me guide dans le noir, ne t'arrête jamais si ce n'est pour te voir.

Merlin
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Mer 16 Sep 2020 - 19:28
Funèbre requiem.Lévine & Merlin
When I was 16 my senses fooled me. Thought gasoline was on my clothes. I knew that something would always rule me... I knew this sin was mine alone. ( Arsonist's Lullabye → Hozier ) ••• Yeux dans les yeux, Lévine cessa de tourner. De s’épancher dans les allés et venus possessifs d'un criminel refoulé. D'un psychopathe par procuration, par habitude, par excuse. Celle de ne pas être le fautif premier. Le spectateur coupable d'un spectacle grisant ses sens, émoustillant d'une voluptueuse mélodie, les neurones de ses pulsions destructrices, pervertie par le désir de voyeurisme. C'était comme espionner les travers d'un voisin par un rideau opaque, par le store mal fermé d'une salle de bain, ou en détournant le regard sur un courrier abandonné. Que voulait-il y voir ? Discerner dans l'embranchement d'une serrure trop ouverte ? Les sourires sous les masques ? Sans doute. Les bas instincts d'un intellect brouillé ? Sûrement. Ou bien les mots formés à bout de bouche, dans un écran de fumée de joint ?

Les lucarnes de Merlin Shafiq, renvoyèrent chez lui, le délicat écho d'une opinion partagé. D'une symbiose commune, liant les spectres de leur folie commune. Comme une étreinte. Comme une main tendue tirant vers le fond. Il serait son guide. Sa lanterne jusqu'aux abysses de leur déchéance, qu'il aménagerait en tombeau, en salon délabré, en caverne d'aiguilles souillées de leurs rêves consumés. Elle aussi, elle pleurait en silence. Oui, elle aussi, elle partageait cette incompréhension du monde, des autres. Il le sentait. Son cœur en battait la chamade dans sa poitrine, rehaussant son souffle glacé par la pluie, d'une chaleur qui fit naître sur ses lèvres, la ligne d'une esquisse douloureuse, méprisait de sa comédie actuelle. De ce rôle de tueur aux sentiments puissants, rugissant sur la lame d'un ciseau tranchant les fils du destin. De l'inéluctable. Comme un juge, un bourreau, un accusé. Elle était sa glace, son reflet dans le miroir. L'ombre de sa fascination morbide, de cette scission interne se floutant. Une barrière s'enflammant pour dans un jet de lumière, lui dévoiler une dernière fois, les cendres de sa raison, de ses limites.

Elle était un rappel à l'ordre. Un ancrage sur une scène surréaliste. Une chape de plomb sur sa conscience meurtrie de son agonie, de sa solitude. Une seringue surgissant des ténèbres pour l'enfermer dans un état de somnolence, mettant à malle l'espoir fugace d'appuyer sur ses épaules pour la noyer de questions tranchant sa gorge dévoilée, de la toxine de l'aveu, de l'emballement nocif de son admiration.

Pourquoi ? Pourquoi pouvait-elle se demander ? Pourquoi ces questions vide de sens ? Vide d'intérêts ? Pour nourrir le monstre se tapissant dans les ombres. Dans les opalines d'un regard le transperçant de part en part. Pour jeter un os aux dents cisaillées qui viendraient lui arracher un bras, un œil, une jambe pour l'empêcher de courir, de fuir ses inéluctables démons. Son égoïsme l'encourageant à continuer. Son égocentrisme la forçant à contempler, à s'ouvrir les veines sur sa voix larmoyante. Son individualisme l'étranglant dans un silence angoissant. Sa rage, comme un moteur, la poussant à couler ses pieds dans le béton. Sa peur la plaçant sur le pont d'un lac, d'une rivière de lave, de boue, de sang. Sa férocité déchiquetant sa peau à vif, son âme écorchée en place public. Sa lâcheté l'assommant d'un coup de masse. Les remords la réveillant de ses cauchemars, pour d'une voix vibrant dans tout son être, comme une basse poussée à fonds, à éclater ses nerfs dans un ultime râle.

Son doigt glissa sur le larynx exposé de la musicienne, gueule ouverte sur l'orage d'une fin de matinée, les genoux pliés comme un pénitent devant l'autel de sa démence, écartés d'un même abandon. Trois égarés. Trois morts sur le bord d'une route trop longue, trop emmêlée. La terreur se plaçait toujours en fanion de fort, de château, sur les collines qu'il ne pouvait éviter, contourner. Le gel du labyrinthe des catacombes hérissa son épiderme d'un frisson, le propulsant d'une inspiration partagée dans une réponse, d'une délectation paradoxale. Le plaisir d'une conversation, se heurtant au blindage de son professionnalisme, à l'épée de son esprit critique, de sa maturité se confondant en excuse sur la plaine aride de sa curiosité.

« Pour son talent. Par amour, mais jalousie. », articula l'élue de son attention, en portant sur la victime la caresse de sa chute dans la fosse aux serpents, aux fauves de l'inavouable, le plaçant en seul témoin. En seul juré de sa performance.

« Parce qu'elle est belle, avec son violon. Si talentueuse avec son instrument. Mais si laide dans ce présent. Insupportable sans ma vision. », elle compléta sa pensée en adoptant sa position. Tout près de l’œuvre. Aux premières loges d'une représentation funèbre, sous la coupe d'un chef d'orchestre, répandant dans sa poitrine le chant de l'orgue sous les notes appuyées d'un requiem.

C'était l'amour. L'avarice d'une émotion à sens unique. La jalousie de devoir partager la fleur en manque d'eau, se perdant sur le chemin de la pourriture, en dénigrant le parfum de sa propre éclosion. Une rose se moisissant au contact du poison sociétal, perdant de son rouge, de son éclat passionnel, de sa vie. Mourir pour retourner à la terre. Renaître sous les mains d'un artisan. Sous les doigts d'un amant s'enveloppant dans le velours malade. La mort dans l'expression d'un geste, d'un signe. Le théâtre dans une mise en scène, dans les détails. Comme si le Diable s'y cachait, il en rechercha l'éclat, les indices subtils distillés sous la clarté d'un ciel gris, d'une averse finissant de peindre le gravier du carmin de la découverte.

Elle était intéressante. Fascinante. Et comme un papillon se perdant dans sa quête de lumière, il s'accrocha à l'halogène de ses conclusions, à leur lien enroulant leurs poignets, leurs doigts, leurs esprits tourmentés. Les héros tragiques de leur propre vie, s'éveillant sous le prisme macabre d'un son éternel, d'un mutisme imposé. Son ongle dériva sur les cordes, qu'il ne s'autorisa pas à pincer, mais seulement à frôler, pour s'imprégner des intentions meurtrières ondulant sa chaire de leur vibrato. Le piano d'une course dans une ruelle, de la fuite, de la filature. Puis, l'allégretto du pinceau courant sur la toile, de la peinture déchirant le blanc, l'inconnu, pour transformer, transfigurer le réel pour le rêve, le fantasme. Et enfin, l'explosion dans une envolée, dans une pression finale, faisant taire les battements sourds de son cœur, pour laisser les tambours de sa raison chavirer dans les vagues de sa désillusion, de son réveil.

« Un artiste montant dans la folie de son art. », son majeur retraça la pointe de l'instrument, sans toucher une preuve essentielle, sa voix portant dans un murmure du fond du coffre. « Se perdant dans les méandres des notes, dans une partition qu'il complète un peu plus à chaque fois. Comme une histoire, une quête sur de multiples morceaux. »

Le sous-entendu d'un recommencement, d'un précédent et d'un suivant activa les alarmes de son instinct refoulé. Du chasseur sur les traces de sa proie. Du jeu de la douleur sur un chat errant s'amusant d'une souris laissée à sa merci, à son bon vouloir, à sa pitié impossible. Il se voulait souvent renard. Mais gardait en son sein les déviances névrotiques d'un félin abandonné, gâché sur le bord d'un trottoir, luttant contre la soif, la faim, les coups et l'ignorance. Comme lui. Comme l'incompris souhaitant exprimer sa voix, ses cris intérieurs. Un animal que l'on bat. Que l'on laisse. Que l'on caresse. Que l'on délaisse.

« Es-tu connaisseuse d'animaux, Merlin ? », il daigna quitter les joues de la sculpture humaine, pour s'adresser à sa complice. Il se redressa, claquant ses talons contre le sol. Ses mains souillées regagnèrent ses poches, sa veste, dans laquelle elles s'enfoncèrent, se heurtant aux contours d'un bijou, d'une bague.

Il n'y prêta pas attention. Il y avait plus important.

« L'on prête aux chats les mêmes instincts qu'aux grands fauves. Aux tigres. Aux lions. Leur octroyant cette même... », il sembla chercher ses mots, ses termes, roulant des yeux dans le mime d'une réflexion.

« Impulsivité soudaine, dirons-nous. Néanmoins, la croyance populaire les prive de toute rancœur, d'une faculté de mémoire sur le long terme, qui conduit les humains à la vengeance, à la reproduction des sévices subits durant l'enfance, par exemple. », sa main quitta son antre pour qu'il puisse l'agiter dans les airs d'un mouvement, un revers contre le vent, accompagnant son explication. Comme un professeur devant un tableau à craie devant une élève attentive.

« Cependant, l'on a pu observer que les chats, par le procédé du mimétisme inter-espèce, en étaient venues à assimiler et démontrer un comportement se rapprochant de l'Homme. Frappe un chat et il te griffera. Abandonne-le, et il s'en souviendra et ne sera plus disposé à accorder sa confiance sans montrer les crocs. », il haussa les épaules avec nonchalance, détachant son timbre du dramatique situationnel. Elle devait apprendre. Elle devait comprendre.

« Des chasseurs jouant avec leurs proies jusqu'à les torturer et les laisser en pièces. Ne trouves-tu pas que tu ressembles à un chat à te lécher les babines sur le sort d'une pauvre souris ? », une bombe sur une fin de tirade, qui s'accompagna d'un sourire. L'étirement d'une bouche qui dévoila le blanc de ses dents.

Le cours était terminé. Comme une sonnerie. Les cloches de sa question pourraient agiter le cerveau en ébullition de l'adolescente, qu'il n'en aurait aucune appréhension, aucune culpabilité. À s'approcher du Soleil, Icare s'en était brûlé les ailes. Elle, c'était en touchant la glace de la Mort, qu'elle s'était piquer sur les dents d'un piège à loups. Sur le poison d'un serpent.

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Lévine Serger
Admin rusé
Lévine Serger

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Comme de la neige sur le sable

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Mar 13 Oct 2020 - 17:28
❝ la mort fascinante, artistique, illustrée par un art ardent, décomposition d'une mélodie déchirante... ❞
Funèbre Requiem

Lévine & Merlin

« Pour son talent. Par amour, mais jalousie. Parce qu'elle est belle, avec son violon. Si talentueuse avec son instrument. Mais si laide dans ce présent. Insupportable sans ma vision. »

Aria s'était imposée à son esprit. Illusion d'une âme égarée sur un chemin tortueux, ses traits s'étaient superposés jusqu'à être absorbé par le macchabée. Les notes envolées, volées aux temps, à une cage aux toiles d'ombres, à une solitude simulée. L'esprit ravagé par la rêverie l'avait emporté jusqu'aux couleurs des tapisseries de l'antre des artistes. Face à la fenêtre, le corps d'une amie imaginaire entourée d'immenses bibliothèques et des divers instruments entreposés. 

Ce fut la voix de son bourreau, dissimulé sous les traits d'un mentor onirique, qui ramena Merlin. Elle reprit alors pied avec la réalité, saisit la véracité des faits. Au début, ce fut le choc qui la poussa à se reculer avec une vivacité non-feintée.

« Un artiste montant dans la folie de son art, dit-il, l'allure pensive, trop loin et trop proche d'elle comme du corps, paradoxe sur pied l'effrayant et la fascinant d'un même mouvement. Se perdant dans les méandres des notes, dans une partition qu'il complète un peu plus à chaque fois. Comme une histoire, une quête sur de multiples morceaux. »

Il ressemblait à un prédateur. Un animal humant l'air pour dénicher son rival. Un être refusant que son terrain de jeu fût bafoué par les actes, les vices d'un autre déviant. L'envoûtant, Lévine caressait l'esprit d'un détraqué pour plonger dans sa folie, avouant sa connaissance, sa détermination, se plaçant comme l'égaré délirant osant marcher sur les traces du meurtrier. Sans s'arrêter. Il allait s'abreuver de la haine fantaisiste d'un fou. Se noyer dans les méandres d'un esprit effrayant. Mais il plongeait, plongeait à corps perdu, à cœur oublié, se régalant de son propre esprit fragmenté. 

Et ainsi, aussi tordu que cela pût paraître, enfermée dans l'irréalité d'une scène où elle ne pouvait plus fantasmer être la spectatrice involontaire, elle le trouva beau. Une beauté macabre, captivante. La jeune femme en fut pétrifiée sur place. Incapable d'effectuer le moindre geste. Effrayée par sa propre pensée. Effrayée par les mots et les gestes d'un serpent s'enroulant déjà autour de son cou pour étouffer ses cris de désespoir. Proie avant même qu'il ouvrit la bouche, proie avant même de le saisir pleinement. Elle avait perdu, elle s'était égarée et il l’accueillait dans cette fatalité avec la morsure d'une analyse métaphorique.

« Es-tu connaisseuse d'animaux, Merlin ? », demanda-t-il sur le ton de la conversation, daignant à peine offrir une œillade à sa future victime.

Toujours figée sur place, la Serdaigle se contenta d'un haussement de sourcil. La curiosité, vilain défaut l'ayant suivi toute sa courte vie, revenait à grande vitesse pour s'emparer de sa psyché. Elle voulait savoir, désirait comprendre son raisonnement. Celui d'un homme aux expériences profondes, cachées, qu'elle avait eues le loisir de frôler, par le passé, à travers un cauchemar éveillé.

« L'on prête aux chats les mêmes instincts qu'aux grands fauves. Aux tigres. Aux lions. Leur octroyant cette même... »

Miroir charismatique d'un professeur soignant ses silences, l'auror empruntait le trait pour le sublimer d'une mimique évocatrice. L'oniromancienne se laissa convaincre, son esprit se refusant à la moindre critique.

« Impulsivité soudaine, dirons-nous. Néanmoins, la croyance populaire les prive de toute rancœur, d'une faculté de mémoire sur le long terme, qui conduit les humains à la vengeance, à la reproduction des sévices subits durant l'enfance, par exemple. »

Son attention était acquise, captive des gestes et des expressions de l'acteur. Talent acquis et savouré, il s'en servait comme un chef d’orchestre guidant son premier violon. Musicienne obligée, elle se laissait bercer, suivait un tempo sans qu'aucune question vînt la bousculer.

« Cependant, l'on a pu observer que les chats, par le procédé du mimétisme inter-espèce, en étaient venues à assimiler et démontrer un comportement se rapprochant de l'Homme. Frappe un chat et il te griffera. Abandonne-le, et il s'en souviendra et ne sera plus disposé à accorder sa confiance sans montrer les crocs. »

Il fut pourtant évident à cet instant que la leçon était décalée. Qu'elle n'avait pas sa place dans la composition. Qu'elle s'invitait comme une scène brisant la cohérence entière d'une pièce. L'enchanteresse acquiesça lentement suite à ces mots, sans prononcer le moindre son.

« Des chasseurs jouant avec leurs proies jusqu'à les torturer et les laisser en pièces. Ne trouves-tu pas que tu ressembles à un chat à te lécher les babines sur le sort d'une pauvre souris ? »

Le regard de l'Aiglonne s'obscurcit. Après le choc venait le déni. Un déni qu'elle passa à une allure surnaturelle, d'autant plus qu'elle s'y complaisait habituellement. La bulle dans laquelle ils se trouvaient venait d'éclater. Le fantasme était ainsi écartelé pour ne laisser que la réalité, triste et sombre. Le cadavre. Elle. Son approche. Elle eut envie de vomir. La colère, bête sauvage, monta vite, mais se dissipa comme une flamme n'ayant pas assez de comburant.  

Ce fut avec une froideur empruntée qu'elle répliqua, trahie cependant par les vibrations incontrôlés de son corps et de sa voix. Les paroles qu'elle prononça étaient motivées par la panique qui la submergeait.

« Un chat retombe toujours sur ses pattes et sait se cacher, se camoufler, ne pas être remarqué, non ? »

Prise dans un piège dont elle ignorait la finalité, elle se retrouvait à se débattre comme une lionne en cage, comme un oiseau aux ailes brisées. Elle voulait fuir. Vite et loin. Ne plus être avec lui, ne plus le voir ni l'approcher. Un besoin qui se dissiperait si vite qu'elle en viendrait à l'oublier, à l'occulter.

« Hors, je suis là, devant vous, dit-elle dans cette même précipitation. Ensorcelée par votre regard, par vos remarques, incapable de bouger, incapable de me relever. »

Jouant un jeu qu'elle ne maîtrisait pas, elle s'inventait une force qu'elle ne s'imaginait pas posséder. Le jeu de l'actrice laissait à désirer, mais le talent pouvait s'entraîner, pouvait s'acquérir par la pratique. Loin d'être inné chez elle, mais sans être inexistant, elle s'inspirait vite et bien de ce qu'elle venait de vivre et de voir. C'était trop peu, sur l'instant. Trop peu devant un maître de la discipline.

« Figée devant votre charisme envoûtant. Ou plutôt votre sourire... Que vous m'offrez... Comme un vampire me dévoilerez ses crocs. »

Une bombe, une première. Un maléfice jeté à la figure de son adversaire. Trop facile à esquiver. Trop facile à dévier. Le geste était beau, mais la finalité facile à deviner. Elle renchérit la seconde suivante, espérant le coincer, sans même avoir ne serait-ce qu'une chance d'y arriver.

« Qui est le chat, véritablement, Monsieur Serger ? Vous ? Moi ? Ou serait-ce vous et moi ? »

L'improvisation touchant à sa fin, Merlin reprit son souffle, jusque-là inconsciente de l'avoir à moitié retenu. La poitrine comprimée à l'idée d'une violente réaction devant sa funeste réalisation, la demoiselle chercha une échappatoire qu'elle ne trouva nulle part. Ce fut donc, comme elle l'avait prédit, incapable d'effectuer le moindre mouvement qu'elle se força à l'attente. Une attente qui se fit longue. Les secondes s'étiraient, s'arrêtaient, se disloquaient sans grande logique, se métamorphosant en des dizaines d'éternités pour sa perception faussée.

Merlin
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Mar 27 Oct 2020 - 20:06
Funèbre requiem.Lévine & Merlin
When I was 16 my senses fooled me. Thought gasoline was on my clothes. I knew that something would always rule me... I knew this sin was mine alone. ( Arsonist's Lullabye → Hozier ) •••  La fascination. Doux poison paralysant les sens, les envies, les désirs. Comme une bulle de cristal, d'imposture, reflétant l'éclat de ses propres vices, de son miroir identique. L'acceptation tacite d'une communion, d'une complicité sanguinaire, meurtrière. Petite princesse avide de frissons, elle s'était avancée dans les méandres d'un labyrinthe tortueux, où ne l'attendait que le souffle sinistre des fantômes, des spectres, les cadavres gisant sous ses pas, sous les pieds de sa tour d'ivoire. Une cuillère en or, sculptée de ses privilèges, jetée dans le gobelet du Graal, pour en avaler tout le suc de la trahison, de la perdition, confondant dans la bêtise, l'idiotie, l'innocence, ou la méconnaissance, le diamant de l'ouvrage, avec les doigts osseux des squelettes accueillant son voyage au centre de la Terre, vingt mille lieux sous les mers de sa curiosité.

Comme un charmeur, il patientait, habitué des planches, des scènes, des spectacles. Être l'ami, l'amant, la joie, la peur, feindre la tristesse, le désarroi, la surprise d'être en pleine lumière, sous le joug d'une dague sous la gorge. Jonglant avec les sentiments, les sensations, il ménagea son effet, se drapant de la cape rouge des bonnes intentions, de la main tendue, déposée sur le plateau d'argent de son plus pur désintérêt. Le discours, le cours, l'apologie d'une culture différente perça ses lèvres, et il troqua sa danse magnétique pour le stoïcisme d'un enseignant, le charisme fédérateur d'un orateur. Les pauses calculées volées à la fumée d'une cigarette, sous les vapeurs alcoolisées d'un Whisky âgé, et la distance, le froid mordant de ceux observant le monde sur l'estrade des supérieurs, des gouvernant. Être là, les bottes dans la vase de la médiocrité, de l'illusion, s'enfonçant dans les sables de la confiance facilitée ; mais aussi plus haut, grimpant sur les sommets inatteignables d'une philosophie dépassée, jouissant de la stature imposante d'une statue antique, aux mystères irrésolus.

Comme un retournement de situation, fusil de Tchekhov posé sur une table décrépie, il avait retourné l'arme contre son auditoire, s'offrant le luxe, le délicat parfum d'une domination, d'une victoire coulant sur sa langue comme une liqueur sucrée. Désarmée de ses accusations, de cette menace voilée sous des mots savamment choisis, l'apprentie se fit proie, souris découvrant la tromperie d'un fromage en plastique, trop tard, après que ses pattes ne soient réduites en bouillie des dents d'un piège acéré.

Le pouvoir de la faire plier hérissa sa colonne d'un frisson délectable, appréciateur, si bien que dans son euphorie de puissance, d'intimidation, il s'était perdu dans un sourire franc, d'une sincérité morbide, convulsant ses épaules des prémices d'un rire, d'une envolée le prenant déjà à la gorge. N'était-ce pas hilarant ? N'était-ce pas tordant ? Ironique ? Naître soumis, enchaîné aux barreaux d'un lit, sous l’œillade du satin, de la soie d'un amour paternel, d'une caresse affective. Un baiser sur le front valant mille diamants, mille souffrances. La récompense pour son obéissance. Quittant un statut d'esclave, il se complaisait en galérien, à la poupe d'un navire voguant sur les mers de leur Atlantide perdu, pour mieux se fracasser contre l'inconnu des Bermudes. Un voyage sans retour. Et c'était volontaire, ticket et passeport à l'entrée, qu'elle était montée.

Pauvre souris. Pauvre âme grimpant sur les rives sanglantes du Styx, charmé, ensorcelé par un Charon démoniaque. Face à la supercherie d'une mise en abîme, d'une balade les roulant dans la boue, entachant leurs êtres d'une symbiose, d'une fusion, elle voulait fuir, sauter sur la première rive, priant que ne l'attendrait alors pas les faux et les maux, qui la plongeraient dans une agonie plus terrifiante encore.

Tant de fois il les avait vu courir, s'enfuir à toutes jambes loin de son emprise, de sa folie, de cette ivresse le poussant à la chasse, à l'écharpe. Tant de fois, ils s'étaient déconfit en excuse, en alibis bidons. Tant de fois, il avait vu juste, avait eu raison. Tant de fois, il les avait incarnées. Monstre. Démon. Humain. Homme. Femme. Sorcier. Et tant de fois, il les avait haïs encore plus. Toujours plus. À chaque visage. Chaque masque. Chaque boucherie. Chaque parole. Chaque acte. Chaque seconde. Son souffle s'emballa dans sa poitrine, et il peina à cacher, refouler la montée de lave pourchassant ses pensées, ses idées, son devoir. Elle revenait. Elle murmurait à son oreille d'en finir. Avec eux. Avec elle. Avec tous. Sans échappatoire. Sans retard ou débâcle. L'éventrer en place publique, exhiber à la bienséance ses remous freudiens, peindre sur une toile encrassée et sans saveurs, l'ultime tentative de la lâcheté d'un agneau se pensant loup.

La peur inonda son regard, sa bouche s'époumonant dans un râle inaudible. Brebis galeuse implorant sa pitié, sa clémence. La colère mordit son esquisse, qui se plia dans un rictus cruel, implacable. Possédait-elle leur fierté ? Pouvait-elle crier s'il appuyait assez ? Ou préférerait-elle trancher sa langue, la couper de ses dents plutôt que de s'abaisser à supplier ? Une part de lui voulait frapper, cogner sur cette belle gueule jusqu'à s'en briser les os, la chaire, faire éclater ses œillères, ses réticences. Qu'elle sombre comme lui, n'avait plus la force de remonter. Presque compatissant. Presque tendre. Presque à regret.

« Un chat retombe toujours sur ses pattes et sait se cacher, se camoufler, ne pas être remarqué, non ? »

Elle montrait les crocs, se rétractait. Animal sauvage hérissant ses poils, ses griffes. Allait-elle le déchirer de ses dents ? De sa terreur palpable ? La glace gagnait ses pupilles. Façade cachant le trémolo de sa voix. De son timbre. Elle coulait. Elle restait à genoux. Sans le souffle. Sans l'envie de se remettre sur ses jambes. Le pouvait-elle seulement ? Face au cigare de sa torpeur, de ses cauchemars, en aurait-il la force ? Le courage ? Peut-être ? Sans doute que non. En miroir, il s'accordait à ses mouvements, en sens inverse. L'exact opposé. Elle ne pouvait plus respirer. Lui, s'en sentait libéré. Elle se précipitait. Lui, désirait prendre son temps. Elle le craignait. Lui, s'en sentait galvaniser. Meilleur. En vie. S'épanouissant comme un bourgeon au printemps, dans les fleurs du mal. Dans la douleur de l'autre. Un bain de minuit lui ouvrant les sens, faisant sauter sa casquette d'enquêteur, de sympathie apparente.

« Hors, je suis là, devant vous. Ensorcelée par votre regard, par vos remarques, incapable de bouger, incapable de me relever. »

Qu'elle continue, lui susurrait son sadisme, son instinctive reproduction. Lever la main. Gifler. Une fois. Deux fois. Un revers. Une caresse. Saigner à blanc ses espérances. Ses rêves. Ses songes. Ses fantasmes. Mettre en avant ses anomalies, ses difformités. Pour que dans la glace, elle ne voit plus que le reflet de ce qu'elle déteste, de ce qu'elle exècre. Qu'elle comprenne. Qu'elle saisisse. Partiellement. Entièrement. Du pied-droit, il s'abandonnait à son souhait, à cette solitude épanché par la présence, l'étreinte de cette souffrance comprise, à cette torture qui faisait frémir ses doigts. Ambivalence qui l’amenait au pied gauche. Recul. Détachement. Professionnalisme. Elle était une suspecte. Prise sur le fait. Il devait la mettre face au présent. À ses actes.

« Figée devant votre charisme envoûtant. Ou plutôt votre sourire... Que vous m'offrez... Comme un vampire me dévoilerez ses crocs. »

Et Lévine cessa de sourire. Progressivement. Sa bouche se détendit, et s'affaissa dans une ligne fixe. Froide. La pluie fouetta ses joues. Durement. Jusqu'à lui faire mal. Comme une douche. Comme une libération. Une bouffée d'oxygène. Une remise à zéro. Il penchait. Il vacillait. Il était maintenant solide. Rigide. Impassible. Plus d'hésitations. D'indécisions. De controverses. De scénarios catastrophes. Simplement lui. Seul. Il se sentit vide. Fatigué. Lassé. L'air sentait l'humidité. Et en regardant ses bottes, il se vit dans une flaque. De la boue. De l'eau. Et la vague de ses yeux. De son regard. De son ancrage. Identiques. Après un moment de surdité, de silence, il l'entendit clairement. Distinctement. La conséquence de son lâché prise.

« Qui est le chat, véritablement, Monsieur Serger ? Vous ? Moi ? Ou serait-ce vous et moi ? »

La découverte. La stupéfaction. La mise à nue d'un secret. D'une face cachée. Être percé à jour. Un peu. Trop. Il avait baissé sa garde. Exulté de sa victoire. De son bonheur. De sa satisfaction. Être le Maître. Être le fouet. Être l'épée. En oubliant le bouclier. En oubliant tout le reste. Le lieu. Le drame. L'enquête. Pourquoi l'avait-il interpellé ? Pourquoi l'avait-il entraîné ? Pourquoi lui avait-il montré son schéma d'interprétation ? Pour la voir briller. Pour discerner dans cette bulle d'émerveillement, la même monstruosité grandissant en lui. Grignotant les miettes de sa raison. De ses résolutions. De ses obligations. De ses promesses. Et aveux. L'enlisait dans la faiblesse. La vulnérabilité. La folie. Comme lui. Et il aurait rêvé, un peu d'elle, quelque part. Il aurait voulu voir en elle, ce grain, ce manque, cette lumière éteinte. À jamais. Pour toujours. Le chat abandonné dans une ruelle, dans un carton. Au rabais. Soldé. Vendu. Consommé. Consumé. Le félin délaissé. Jamais vraiment adopté. Jamais vraiment accepté.  

« Un chat, dis-tu ? Sans doute. », répondit-il de prime abord. Son ton se fit plus lointain. Plus sec. Plus sévère. La déception serra ses poings. Son abdomen. Son estomac. Tout se retourna. La situation. Leurs échanges. Ses propres mots. Ses hypothèses. Comme un château de cartes soufflé par le vent. Par la tempête. Un jeu de domino atteignant enfin la ligne d'arrivée.

En vain. Tout était un échec. Médiocre. Pathétique. Échec. Défaite.

« Mais à ton avis, Merlin, quel animal pourrait te convenir ? Quelle créature incarnerait cette envie que tu as ? », une pause dans son élocution. Dans ses questions rhétoriques, psalmodiées avec lenteur. Sans couleurs. Sans remords. Sans états d'âmes.

« Ce besoin d'admirer la mort sans pouvoir la donner toi-même ? », une claque, un coup de massue. Le sombre de ses yeux, reflétant le ciel sinistre, orageux, se fixa à celui de Merlin.

Pas de colère. Pas de tristesse. Pas de joie. Par de rires. Pas de sourire. Mais un étrange flottement de sincérité. De véracité. Un vide intense. Un trou noir creusant sous ses genoux. Ils étaient différents. Lui, il voulait la donner. Et l'avait déjà fait. Par le feu. Par la soif. Par la vengeance. Par la rancœur. Par la fièvre. Et il recommencerait. Parce qu'il y avait pris goût. Au sang. Au cri. À cette vie coulant dans ses veines, par la mise à mort.

« Ne réponds pas, j'ai déjà la réponse. », coupa-t-il avant toute interruption. Il ne voulait pas l'entendre. Pas cette fois. Qu'elle se taise. Qu'elle subisse. Qu'elle attende la conclusion. La fin de leur entretien. Elle avait perdu de son intérêt. De sa mise à l'écart. Elle était quelconque. Comme les autres. Et devant lui, tant de fois, ils montraient leur vrai visage. Tôt ou tard.

« Un charognard. »

Corbeau des cadavres. Vorace des résidus laissés pour compte. Des carcasses dont personne ne voulait. Rapace écœurant de son physique. De son utilité. De son désir. Dévoré un os déjà rongé. Une œuvre déjà exposée. Un tableau déjà déchiré. Bâclé. Fascination curieuse. Empruntée. Simulée. Répétée. Et approprié. Sans doute, avait-elle déjà vu les restes d'un passage à tabac. D'un combat. D'une guerre. D'un éclat vert. Pour en redemander, sans pouvoir cuisiner son propre festin. Il lui avait proposé une expérience. Elle s'était rétractée. Elle avait réalisé, qu'elle n'était pas adaptée pour remplir son assiette de nouveauté. De frissons. De sensations fortes. De chaos, qu'elle aurait causé. Recherché. Apprivoisé. Elle n'était pas prête. Et il n'était pas certains qu'elle le serait un jour.

« Voilà ce que tu es. », asséna-t-il une nouvelle fois. Un coup de poignard. Un coup-de-poing en plein visage.

Il se décala, lui laissant une vue plongeante sur cette pauvre femme. Sur sa bouche ouverte. Sa gorge béante. Ses cordes vocales jouant une mélodie funèbre sous la brise. Ses orbites éternellement opaques. De ses os brisés. De sa mâchoire disloquée. De sa peau blafarde. Translucide. De sa face tordue de souffrance. De douleur. Comme une offrande. Comme un sacrifice. De l'art pour tout esprit maladif. Il la laissa face à elle-même. Face à sa déraison. Ses illusions. Ses scarifications. Ses regrets. Ses nausées.

« Et je n'ai pas de temps à perdre avec ça. », une conclusion qui perça la brume, et qui libéra sa brève complice de ses entraves, de ses chaînes.

Lévine la toisa un instant. Sans un mot. Sans interrompre d'une pique cinglante les tirades intérieures, imprécises, de la jeune fille. Puis, comme un chat solitaire, il traça sa route. Tout droit. Sans se retourner. Sans égard pour ce pauvre oiseau, aux ailes broyées. Stan avançait déjà. Quelqu'un l'accompagnait. La cavalerie venait délivrer la princesse de son tortionnaire. Et sous ses pas, le vide augmentait. Le temps ne lui avait jamais semblait si beau. Si juste. Si à propos. La pluie était reposante. L'orage grondait. Seule pépite de vie filtrant son ouïe. Il voulait dormir. Ne plus être lui, sous la chaleur d'un sommeil sans rêves.

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Lévine Serger
Admin rusé
Lévine Serger

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Comme de la neige sur le sable

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Mar 3 Nov 2020 - 21:40
❝ la mort fascinante, artistique, illustrée par un art ardent, décomposition d'une mélodie déchirante... ❞
Funèbre Requiem

Lévine & Merlin

Vous êtes-vous déjà pris d'affection pour un rêve, un songe, une illusion de votre esprit ? Vous est-il déjà arrivé, par mégarde, de laisser votre pensée s'envoler, construire tout un univers irréaliste ? Le genre de monde où seul votre imaginaire fait sens. Le genre de terre à mille univers de votre réalité. Les règles y sont décousues, et pourtant, vous y trouvez une logique imparable.

Et vous êtes là, maître de l'espace et du temps de cette galaxie qui n'appartient qu'à vous. Vous êtes là, dieu ou déesse invisible, indiscernable pour vos personnages, à décider le destin de chaque être que vous avez conçu.

Merlin, elle, était de ces êtres fantaisistes. Elle possédait une imagination pouvant paraître sans limite et, cultivée, elle savait construire un monde complet qu'elle parvenait à fusionner avec son présent. Un don pratique lui offrant une ouverture d'esprit certaine, mais aussi une tendre faiblesse. Personne n'avait le droit d'entrevoir ni de toucher sa création.

Merlin s'imaginait parfois être le personnage principal d'une histoire. Arrogant, pouvait-on penser, mais ainsi, elle souhaitait seulement se protéger. Certaines actions qu'elle avait pu subir avaient été difficiles à encaisser, mais elle avait su garder la face. Sa rêverie avait été sa force, mais une force qui finissait parfois par se disloquer. Elle ne laissait, dans ces instants, qu'un gouffre de douleur.

Colère, tristesse, mensonge. Trois termes qu'elle haïssait pour ce qu'ils représentaient à ses yeux : une grande partie de sa vie. Il ne s'agissait que d'une impression, mais persistante, elle parvenait à anéantir sa psyché durant ses moments de solitude. Seule face à son reflet. Seule face aux contes qu'elle narrait, qu'elle se narrait. Et ainsi, plus pernicieux encore, elle se donnait l'image d'une menteuse invétérée ; elle se donnait l'illusion que toutes ses connaissances la fixaient de ce même regard réprobateur.

Dans ce songe, si Merlin était le protagoniste, Lévine, par cette fascination qui l'avait attirée, s'était mu en une sorte de mentor. Un mentor fantasmé qui, par sa simple présence, pouvait la guider sur le chemin de la réussite.

Un instant, elle s'y était vue, dans cette histoire. Un instant, seulement, elle y avait cru. Puis l'homme, d'un simple rictus suffisant, l'avait frappé. Les mots suivants l'avaient violenté plus que nécessaire et, prise dans le piège par surprise, elle s'était retrouvée figée, bloquée par la terreur qui s'insinuait dans ses veines. La seule défense possible était la contre-attaque, car aucune fuite ne lui était permise. Loin était l'époque où Beurk se jouait de la souffrance qu'elle lui causait. Ce n'était plus une petite vipère qu'elle avait face à elle. C'était un démon.

« Un chat, dis-tu ? Sans doute. »

Le sourire du susnommé la pétrifia, mais quand il se fana à une allure irrationnelle, elle se retrouva incapable de détourner les yeux. Plus dangereux encore que la peur primaire, la fascination qu'elle ressentit, qui reprit le dessus un temps, la terrorisa. Aussi beau que terrible, le mentor dévoilait son visage sous un nouveau jour. Celui d'un antagoniste si ingénieux qu'il l'avait dupé depuis des années.

Là, l'horreur de la scène la frappa avant même qu'il eût besoin d'ouvrir la bouche. Elle comprit. Toutes les alarmes dans son esprit s'affolèrent, lui hurlèrent de fuir le plus loin possible de cet être. Elle ne bougea pas un cil ; c'était trop tard. Le mal était déjà fait. La rêveuse, prisonnière de sa propre perception faussée, ne parvenait plus à se mouvoir.

« Mais à ton avis, Merlin, quel animal pourrait te convenir ? Quelle créature incarnerait cette envie que tu as ? »

Elle n'était pas un chat. Ni même une souris prise au piège. Elle n'était qu'une humaine, idiote, face à un diable se jouant d'elle. Une créature infernale qui s'apprêtait à la tourmenter, à lui infliger bien des maux par ses mots. Fataliste sur son sort, l'oniromancienne souhaita se détacher de la scène, voulut se réfugier derrière ses barricades chimériques.

« Ce besoin d'admirer la mort sans pouvoir la donner toi-même ? »

Il continuait, suivait le chemin en la traînant de force par sa seule pensée. Incapable de se protéger face à lui, elle ne parvenait pas à atteindre son état de neutralité. Elle était dangereuse et brutale, mais lui donnait ce dont elle avait besoin. Du temps pour se préparer, de l'espace pour se déchaîner, le choix de l'instant où elle devait encaisser. Rien, le néant. Elle-même s'abandonnait, son inconscient refusant de la préserver.

« Ne réponds pas, j'ai déjà la réponse. »

Elle ne le fit pas. Plus exactement, elle ne le pouvait pas. Tout comme le reste de son corps refusait de lui obéir, ses cordes vocales s'étaient nouées, jusqu'à anéantir le moindre vibrato de sa voix.

« Un charognard. »

Moins qu'une humaine fascinée par la mort. Moins qu'une étudiante se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment. Moins qu'un elfe de maison. Pour ce regard perçant, d'un noir si profond qu'elle avait l'impression d'y plonger et d'en être captive, elle n'était qu'une charogne. Un animal qu'il pouvait délaisser sans grand risque. Une créature qu'il n'appréciait pas et qu'il pouvait abandonner sans la moindre peine ; si tant est qu'il fut capable d'en ressentir. Et alors qu'elle s'enfonçait encore dans les abysses de ses iris, les mots la percutèrent avec l'intensité renouvelée de l'épouvante. Pour l'Ombre qui la jaugeait, elle ne valait rien.  

« Voilà ce que tu es. »

Ce qu'elle était et serait à ses yeux, certainement pour l'éternité. L'homme se décala d'un pas, comme pour lui laisser voir l'évidence, mais elle ne vit rien. Aveugle à tout ce qui l'entourait, il n'y avait dans cette bulle intemporelle et incontrôlable que deux personnes, deux personnages. Elle et lui. Le protagoniste, trop faible, trop lâche, impuissant. Et l'antagoniste, bien trop doué, trop fort, imbattable. Comment une histoire pouvait-elle bien finir quand un tel écart de force, autant physique que mental, existait entre les deux ? Improbable, c'était improbable ; pour ne pas dire, aussi clair que de l'eau de roche, aussi sombre que son sang paralysé, que c'était impossible.

« Et je n'ai pas de temps à perdre avec ça. »

Un dernier coup de poignard. Pourtant, au final, ce qui lui fit le plus mal ne fut pas les mots. Ce n'étaient pas les termes qu'il avait assénés avec une suffisance destructrice.

Non, ce fut quand il se détourna d'elle sans une œillade supplémentaire dans sa direction. Comme si elle n'était qu'un déchet qui l'avait importuné, avant qu'il se rendît compte qu'elle n'avait été qu'une petite distraction. Qu'en définitive, leur entretient n'était que de précieuses minutes gâchées. Incapable, inutile et faible.

Merlin se rendit compte de son état qu'à la seconde où son regard parvint enfin à se décrocher de son dos. Comme un voile qui se déchirait pour laisser passer la lumière, la réalité reprit sa place. À ce moment, elle prit enfin conscience de sa posture prostrée. Comme si elle avait été comprimée par un liquide poisseux dans un espace trop étroit pour leurs deux existences. La présence de l'homme, de l'infernal personnifié, avait suffit pour déchirer la réalité, pour l'enfermer dans un cauchemar.

La main qui se posa sur son épaule fut une délivrance. Son inspiration fut abrupte et elle ne prit pleinement mesure, qu'à cet instant, du temps qu'elle avait passé à retenir son souffle. Depuis l'absence de sourire aux derniers pas de l'entité, elle avait refusé de laisser le moindre filin d'air pénétrer dans sa poitrine ; ou étaient-ce ses poumons qui, comprimés, n'avaient plus eût la force d'en quérir ?

« Miss Shafiq ? Vous allez bien ? »

La voix fluette du professeur d'enchantement força la demoiselle à tourner la tête dans sa direction. Lentement. Comme un automate détraqué. Comme une marionnette à qui il manquait des fils. Incapable de parler, de réfléchir, d'analyser la situation, elle sentait encore la présence néfaste trop proche. Il s'était éloigné d'elle, certes, mais il restait sur les lieux.

Et rien que l'idée qu'elle devait, à nouveau, croiser sa route pour le fuir la tétanisa sur place. Elle ne parvint à fournir aucune réponse à son directeur de maison.

Comment aurait-elle pu expliquer ce qu'il se passait dans son crâne, dans l'entièreté de son être ? Comment pouvait-elle affirmer qu'à présent, son plus grand cauchemar était bel et bien réel ? Elle en était incapable. Non pas à cause des représailles qu'il pourrait y avoir si elle ne s'y abstenait pas, mais bien pour l'absence de croyance que ses mots engendrerait.

Le diable en personne, à ses yeux, était un auror. Il s'agissait d'un membre de l'élite sorcière chargée de la sécurité du monde magique. Si habile, il s'était joué de tous en devenant précisément l'antipode même de ce qu'il représentait véritablement. Un chasseur de mage noir. Un traqueur s'amusant de ses proies. Des proies certainement intéressantes, bien plus qu'elle, pour un être tel que lui.

Et quel regard recevrait-elle si, par courage, elle avouait ? De la consternation ? De la pitié ? De l'incompréhension ? Il était évident que personne n'accorderait du crédit à ses dires. Comment un inspecteur pouvait-il être mauvais, avec tous les tests qu'il fallait passer pour le devenir ? C'était invraisemblable qu'une entité si effroyable fît partie de la caste la plus respectée du pays, si ce n'était du monde.

Un soupir, une réalisation et Merlin explosa dans un rire muet. Elle ressemblait à une folle, à une damnée. Touchée par la main du Malin, elle comprenait maintenant à quel point les légendes moldus qu'elle avait dévoré par curiosité pouvait avoir du vrai.

Il fallut plusieurs minutes et beaucoup de patience au professeur pour parvenir à la calmer. Puis plusieurs autres avant qu'il parvint à la relever. Elle se laissa faire, poupée de chiffon sans force ni motivation.

Elle savait et pour elle, c'était tout ce qui comptait. Si fort et si bien que pour ne pas se laisser submerger de nouveau, elle préféra se laisser totalement guider par le semi-gobelin. Il lui agrippa le poignet pour la tirer à sa suite. Elle, elle garda les yeux clos, s'offrant une cécité bienvenue. Ainsi, elle passa à côté du tentateur sans le voir, malgré l'impression persistante d'une aura malveillante qui suintait l'air depuis son départ.

Jusqu'à Poudlard, jusqu'à parvenir jusqu'au bureau du professeur Flitwick, elle ne prononça pas le moindre mot. Et elle n'en offrit pas plus quand elle se blottit sur le fauteuil qu'il lui présenta. Le champion de duel essaya de l'interroger sur ce qu'il s'était passé, mais il ne reçut aucune réaction de sa part. Il essaya aussi de la faire rire, de la faire sourire, sans jamais y parvenir. Ce fut donc avec un certain fatalisme qu'il décida de laisser la jeune femme partir après lui avoir offert une tasse de thé.

Cependant, fait auquel il ne s'attendit pas après toutes ces longues minutes de mutisme de sa part, elle le brisa. Elle brisa son silence quand sa main se posa sur la poignée du battant, échappatoire évidente vers des corridors désertés. Elle avait néanmoins besoin d'extérioriser ce qu'elle venait de vivre, le choc qu'elle venait de subir.

« La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu'il n'existe pas... »

Si criante de vérité concernant Lévine Serger.

Sans un regard en arrière après cette phrase, minuscule partie d'un poème qu'elle avait emprunté à un moldu, elle quitta la salle. Ses pas la guidèrent, comme un automate, jusqu'en haut de la tour d'astronomie où elle s'offrit une solitude amère. Seule avec son souvenir, les bras ballants, elle regarda le parc sans le percevoir pendant de longues heures. Sans savoir quoi faire, sans savoir quoi penser. Sans savoir si, au fond, lui donnant raison, sa vie et ses connaissances avaient une quelconque valeur.

Merlin
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Ven 6 Nov 2020 - 15:45
Funèbre requiem.Lévine & Merlin
When I was 16 my senses fooled me. Thought gasoline was on my clothes. I knew that something would always rule me... I knew this sin was mine alone. ( Arsonist's Lullabye → Hozier ) ••• Elle n'avait pas bougé, et il n'avait pas voulu l'en empêcher. Poser sa main sur son épaule, et s'inquiéter de son bien-être. Déçu, abattu, déchu de son absolu piédestal où il s'était convaincu dans un échange, dans une vérité au détour d'une métaphore filé intérieure, qu'elle pouvait le rejoindre, le comprendre dans ses actions, dans ses débats et réflexions. N'en ressortait que le rien. Le néant abyssal d'une remise en cause, d'une table rase, d'une découverte. Elle avait compris. Peut-être. Plus tard sans doute. Que ses sourires, que ses joies, que ses peines, ses tics et imperfections, n'en étaient qu'apprises, feintes sous la lumière de leurs regards. Confronter à l'égoïsme de sa démarche, de sa prise de parole abusive, contemplative, bercé par ses élans de folie encouragés, il n'en ressentait ni culpabilité, ni chagrin.

Seulement le vide.
La désillusion.
L'amertume.
La rancœur.


Celle de s'être senti dupé. Quelque part entre la bouche ouverte d'une malheureuse, dont le sort lui importait peu, et les théories fumeuses d'une cervelle à peine formée. Coincé à mi-chemin avec la berceuse d'un espoir commun, et le factice de leur discussion. La terreur. La peur. Elles l'avaient galvanisé. Mises en liesse. En pièces. Ébranlé d'une entrevue brève, simpliste, il s'en sentait vidé. Pathétique. Fatigué. Épuisé. Et sous ses pas, les graviers ne résonnaient qu'à peine, broyaient, hachaient par les échos dans sa poitrine. La pluie ne le touchait plus tout à fait. Devait-il avoir froid ? Grelotter sous les nuages ? Sous les gouttes qui retraçaient sa mâchoire ? Pas vraiment. Et seul l'orage, le ciel mécontent, faisait encore chanter ses caprices dans son oreille. Le tonnerre le faisait vibrer. Le faisait trembler. Lui envoyant en décharges cinglantes, son immuable existence. Il était en vie. Debout. Seul. Sans aides. Sans appuis. Dans la crasse jusqu'aux genoux. Dans la boue jusqu'au menton. Dans la vase jusqu'aux épaules. Dans le sang jusqu'à s'y perdre. Jusqu'à couler. Inexorablement.

Bang, entendit-il plus haut, plus fort. Et l'eau ruissela sur lui. Ses mèches collaient à son front, à ses yeux, à ses cils. Il les battit lentement, apposant quelques étincelles cristallines sur ses pommettes. Il les chassa d'un geste, de sa manche détrempée. Il avait mal au crâne. Tout revenait. Les maux. Les mots. Les phrases. Les actes. Son reflet dans son regard, dans sa frayeur. Le malin dans une silhouette. Le mal dans une esquisse. Le démon dans une gestuelle. Lui. Et seulement lui. Sans artifices. Sans maquillages. Sans masques. Prise de conscience froide et flippante, il aurait aimé s'endormir et se réveiller la semaine suivante. Comme de rien. Comme s'il n'existait pas. Comme si sous son lit, dans son esprit, ne serpentait pas le monstre de sa généalogie. Celui qu'il avait toujours été. Depuis le début. Sous le souffle d'une gifle. Sous les horreurs parées d'un velours rouge. Sous la lumière d'un lustre de cristal. Sous la caresse pervertie dans sa chevelure. Sous l'amour dans des ecchymoses, dans les stigmates d'une attention violacée. Sous les cris. Sous les fils. Sous les murmures. Sous les jours trop courts, trop longs. Sous les insultes, injures, croche pattes. Sous sa lame de rasoir. Sous l'envie de crever.

De mourir plutôt que de devenir cette flagrance vanillée d'un cigare tout juste entamé. Se pendre pour ne pas affronter la pourriture de son héritage, qui dans sa poche, le narguait de son anneau. S'entailler les veines sur une vitre cassée que d'assumer les griffes qui l'entraînaient par le fond. Monstre. Démon. Tu n'aurais jamais dû naître. J'aurai dû te tuer. Tu ne devrais pas exister, qu'elle lui répétait en boucle. Belle dame au visage fendue, aux contours flous. Comme une peinture inachevée. Les traits ne lui appartenaient plus. Seulement son timbre. Seulement la haine. Le dégoût. Le désespoir.

C'était beau la mort vue de près. C'était beau la vie d'aussi loin. Petite bienheureuse quittant l'oubli, quittant l'enfer pour un nouveau paradis. Il la sentait encore toute proche. Comme une main qu'il pourrait tendre, pour l'étrangler. L'étouffer dans ses précieux privilèges. Âme en peine s'évadant du Tartare, pour s'enfoncer dans l’Élysée, près de ces héros qu'elle devait aduler en secret. Et il eut l'envie de lui crier, de lui hurler dans un sursaut éphémère de s'enfuir, de courir, de ne plus jamais l'effleurer de son ombre, de sa joie, de ses mélodrames. La préserver dans un altruisme involontaire, à le quitter pour ne plus jamais revenir. Aucun son ne le secoua.

Va-t-en. Casse-toi. Je suis un taré. Je suis un poison. Je vais te détruire. Comme eux. Comme tous les autres. Te retournes pas. Ne me tente pas. Néfaste. Insupportable. Destructeur. Impulsif. Rageur. Hargneux. Casse-toi, je te dis. Avant que toi aussi, je gâche ta vie.

Et derrière lui, elle n'avait toujours pas bougé. Et il n'avait pas la force de s'en sentir concerné. Ils arrivèrent et sous ses lèvres ourlées d'un sourire courtois, il se perdit en banalités sans nom. En assemblages préconçus qui percèrent le brouillard de son ambivalence, de son ascenseur émotionnel qui venait d'atteindre le négatif, de leur parfaite stupidité. Des bonjour. De merci. Des de rien. Qui dans sa gueule sonnaient vrai. Divine comédie. Délicieuse honnêteté mensongère. Lévine leva son nez sur le gris. Sur le noir. Sur l'indéchiffrable. Un éclair suspendit l'air, lui faisant inspirer une odeur de soufre. Une explosion de sensations. De nature. Comme un bâton de dynamite dans son conduit auditif. Comme une allumette dans ses narines. Comme un flash sur sa rétine. Comme de l'eau sur son palais. L'intense dans un simple moment, en une seconde. Une bulle sensible qui se cristallisa en une éternité, en une immobilité parfaite, en une fascination incontrôlable. Un esprit happé, prisonnier d'un émerveillement morose, monotone.

Ce monde était magnifique. Douloureusement sublime. Et c'était ce qui lui donnait envie de le quitter. Pour ne plus le maudire du gaz toxique de ses expirations, de ses soupirs.

Et enfin, elle disparut. Et dans son sillage, dans son absence, elle anéantit tout le reste. Toute la beauté d'une goutte face au soleil. Toute la candeur triste d'une brise lui déchirant la peau. Un battement de cil lui imposa le soulagement. Le second le projeta dans le précipice. À sa droite, Stanislas râlait. Encore. Pestait contre la pluie, contre l'orage, contre le froid, contre le crime, contre l'injustice. Naïf. Idiot. Qu'ils aillent au diable avec leurs bons sentiments. La colère supplanta le reste. Comme une boucle se répétant sans cesse. La joie enfouie d'un gamin découvrant la vie, s'écorchant vif de ses pulsions enflammées. De cette vengeance qui le rendait à vif.

« Alors, tu as appris quelque chose de la gamine ? », lui demanda son équipier en le couvrant de toute son attention. Il parlait fort. Trop.

Lévine secoua la tête. Vague. Superflue. Ses doigts plaquèrent en arrière toutes ses mèches dont il ne savait que faire. Pour s'occuper. Pour s'ancrer. Pour focaliser ses pensées sur un unique objectif. Pour reprendre totalement contenance. Se napper des atours de l'Auror. De l'amitié. De la confiance d'une pure folie. Dans ces liens qu'il ne comprenait pas. Et qu'il ne voulait pas saisir.

« Elle n'est pas coupable. Sûrement présente au mauvais endroit, au mauvais moment. », supposa-t-il dans une esquisse assurée. Sa voix suivit. Franche. Directe. Souple. Du velours sous sa langue. Le miel de l'hypocrisie contre ses dents.

« Sûrement. », un soupir, un nouveau juron. « Pas de traces de magie. Elle s'est quand même pas fait ça toute seule ?! », d'un geste du bras, il lui indiqua la blonde défigurée. Il l'analysa. L'imagina se saisir d'un couperet pour s’éviscérer, se perdre dans un dernier cri, dans un ultime chant sous le son du violon. Une vision qu'il appliqua à Amanda, superposant le blé s'échouant sur ses épaules, à la cascade secouée par le bruit des talons hauts. Satisfaisant. Mais peu probable.

« Je ne pense pas. Ou alors, l'on aurait affaire à une personne très motivée. », l'humour fit mouche. Macabre. Un rire commun les anima. Une chaleur qui se lova dans son abdomen. Il ne s'y habituait pas. La fatigue les rattrapait. Traîtresse. Les nuits sans cauchemars lui manquaient. Ce soir, il prendrait une potion de sommeil sans rêves.

« Blague à part. », le silence revient après un reniflement. « Si elle n'a pas participé de près ou de loin à ceci... », devant son manque de vocabulaires pour qualifier la scène, il engloba le tout dans un moulinet de poignet. « Elle m'a fourni une piste intéressante. », l'invitant à continuer en croisant les bras, Stan alterna entre les épaules droites parquées dans un trois quart, et la poitrine du macabé. Lévine s'abstient de tout commentaire, bien qu'il claqua des doigts devant les paupières lourdes de son homologue. Qu'il n'use pas sa salive pour rien. Il détestait ça. Se répéter. Et parler dans le vide. Une perte de temps, d'énergie.

« Nous n'avons pas devant les yeux une preuve de haine. Mais d'amour. Notre homme choisit ses proies pour leurs talents, ce qu'il admire chez eux, et ce qu'il voudrait sublimer. », c'était trop mince. Trop peu. Il pouvait deviner plus. Son ongle s'attaqua à son cou, à sa jugulaire protégée. « La musique. Une peinture. Une culture. », le sang perla sur son index, et il le leva dans son énumération, s'extrayant des mains d'un tic inconscient.

« Il les envie ? », question intéressante, qu'il relia d'un fil rouge mental à toutes ces autres qui s'accumulaient. La jalousie d'être quelconque ? Peut-être. L'avarice de ne pas être eux ? Sans doute. Il lui manquait une pièce. Essentielle. Vitale pour compléter son schéma. Le puzzle éparpillé sur plusieurs mois. Sur plusieurs corps.

« Peut-être. Mais peut-être pas pour ce qu'il rend ... », trois claquements secs. « Immortels en les façonnant comme il le désire. », il était tout près. Il le sentait. Comme un frisson glacé parcourant sa colonne vertébrale. Mais pas assez. Encore trop loin de la vérité. « Comme une sculpture d'argile. », un peu, mais pas tout à fait non plus. Une comparaison qui lui parla. Qui lui donnait du grain à moudre. Ses neurones s'assemblaient, s'embrassaient, s'embrasaient en un feu d'artifices d'idées, d'hypothèses.

« Attends.. Attends... », se massant les tempes, Stan peinait à suivre. À comprendre tout son raisonnement. Tout allait vite. Tout le frappait. L'évidence de ne pas tout avoir. L'impuissance de détenir une quasi-réponse, noyée sous la montagne d'interrogations, sous son avalanche de questions en suspens. La fatigue partait sous l'assaut d'un intérêt renouvelé. La difficulté d'une enquête. Pour tromper l'ennui. Pour tromper la routine. Un imprévu qui fit fleurir en lui le bourgeon de la curiosité. Du plaisir de la traque, faisant s'ébranler sa résolution de la soirée. Dormir. Juste dormir.

« Tu es en train de me dire que ce taré se prend pour un fabriquant de poupées, ou je ne sais quoi ? », son sourire s’agrandit. Intéressant. Il acquiesça avec un temps de retard, trop occupé à retracer la grimace ahuri de son binôme. L'horreur dans une bouche légèrement ouverte. La stupéfaction dans un froncement de sourcils.

« Sauf qu'il ne leur donne pas vie. », comme une évidence, il ajouta. « Il leur enlève quelque chose qu'il désire pour le remplacer. », comme un échange. À ses côtés, il le vit se décomposer. Il ne s'habituait pas. Enfantin. Pathétique. En image résiduelle, il se replaça à leur première affaire. À la boucherie tapissant les murs, les tissus musculaires pendant au plafonnier, les os plantés dans les tiroirs et les fibres oculaires sur les rebords d'une chaise à dossier en chêne. Stan en était sorti à toutes jambes, ne s'arrêtant qu'à portée de mur pour vider son déjeuner trop copieux, sous les railleries des plus expérimentés. Bizutage qui s'était étalé sur plusieurs jours. Des dossiers à traîner. Des cafés à tirer. Les tapes dans le dos pour sa résistance, son indifférence.

La mort, c'était ça. Le bide écarté. L'odeur du fer. Même la pluie ne pouvait plus la cacher. Les renforts les submergèrent en une série de crack. En un tourbillon de capes. En une minute, il n'y eut plus rien. Le silence et l'orage. Le corps laissait un vide dans la boue. La trace de ses genoux. Plus tard, les bureaux l'accueillirent. Chaud. Comme un lit. Son fauteuil l'enserra de sa nécessité de repos. Trop excité, il ne suivit pas la sieste de son voisin sur son parchemin, récolant sur sa joue humide de salive, les derniers écrits de son rapport. Il n'écouta pas vraiment le débat d'un apprenti et de son formateur sur les prémices d'un duel, l'ouverture d'un affrontement. Pas plus qu'il ne s'agaça des cent pas de sa supérieure dans le couloir, jusqu'au claquement de la porte de son bureau. Ses mots croisés l'attendaient là, coincés entre une vieille photo aux visages détruits de sa plume et quelques cigarettes éparpillées, lui envoyant dans les côtes l'uppercut d'une addiction. Il ne finit pas. Ils attendraient.

Il ne quitta son assise que pour le tableau, pour les indices entourés de leurs fils carmin. Jusqu'au soir. Toute la nuit, des allers et retours entre les pages de ses dossiers, sous la lumière d'un regard éteins de la victime à jamais immortalisée. Pressé par l'urgence, par son besoin de comprendre, de se perdre pour oublier. Pour ne plus penser à Merlin et ses contradictions. Pour que dans sa salle de bains ne l'attendent pas les cornes de son reflet. Jusqu'au petit matin, où après plusieurs cafés, il eut la nausée. Et une envie paradoxale de s'effondrer. De s'allonger. Le ministère se réveillait, s'ouvrait sur des costards bien taillés et des discussions banalisées. Poisson figé sous leur nage à sens unique, il était encore dans une bulle, où ne dansaient que les gouttes d'opales d'un ciel colérique, sous le son grinçant d'un requiem funèbre.

**Fin**

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Lévine Serger
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