Lorsque les notes remplacent les mots, ce ne sont plus les esprits qui parlent mais les ames qui s'accordent.
Samedi 4 Novembre 1995
La semaine avait été longue. Et pourtant si courte. Les tourments s’étaient fait pesants. Et pourtant, ils avaient plusieurs fois semblé si absents. En cours, devant une dissertation, durant la pratique d’un sort. Dès qu’elle pouvait se concentrer sur autre chose. Pour combler le vide, cet abîme de souffrances muettes, la terre promise des interrogations sans fin.
La journée, l’aiguille de Chronos défilait à toute vitesse, si ce n’était à l’heure du déjeuner où elle peinait à quitter son haut sommet. La nuit, l’horloge était rouillée. Les heures semblaient même entreprendre une course à contresens, narguant l’insomniaque de son sur-place entretenu. Ces nuits-là, chaque avancée de la grande aiguille amenait avec elle une nouvelle question sans réponse.
Quand est-ce que la vérité sera-t-elle dévoilée ? Quand est-ce qu’elle éclatera et fera imploser ses mensonges ? Quand est-ce qu’elle viendra chambouler son déni si minutieusement poli ? Et qui heurtera-t-elle, cette vérité ?
Est-ce que ses parents sauront ? Et son frère ? Les autres élèves ? Et sa grand-mère ? Elle, plus que personne, qu’en pensera-t-elle ? Que diront ses parents ? Quelles en seront les répercussions ? Pour elle, pour eux, pour toute sa famille ? Leur nom, leur sang, les mettaient-ils en danger ? Étaient-ils à présent inscrits sur la liste noire d’un groupuscule leur étant probablement lié de près ?
Qu’avait-elle donc déclenchée ? Qu’est-ce qui l’avait rendue si imprudente ? Comment un tel élan d’inconscience l’avait poussé à prononcer son nom face à une sorcière dont elle avait deviné l’appartenance ?
Elle ne pourrait se cacher. Elle s’était trahie bien avant l’heure. Et depuis, la lune éclairait chaque soir l’impasse devant laquelle elle se trouvait.
Lorsque, entre ses draps, elle se retournait, c’étaient d’autres interrogations qui surgissaient. Celles qui ne naissaient non plus de sa tête mais bien de sa poitrine.
Comment vais-je faire sans Eileen ? La solitude peut-elle seulement me recouvrir à nouveau entièrement, comme elle le faisait auparavant ? Mais comment pourrais-je seulement accepter de rester liée à qui que ce soit hormis ceux de mon sang ? N’aurais-je pas dû déjà apprendre la leçon avec Roxane ? Des amitiés aussi fortes, n’émergent en finalité que de nouveaux démons. Est-ce donc cela, la réalité ? Ma réalité ?
Et Sessho… Comment fait-il face à ses propres démons ? Comment parvient-il lui aussi à garder la même façade qu’avant alors qu’il a été au centre même de l’horrifique d’Halloween ? Dois-je seulement m’en inquiéter ? Pourquoi ne puis-je pas isoler mes pensées dans mon égoïsme pourtant bien enraciné ? Pourquoi dois-je me soucier ? De lui, d’Eileen ? Peut-être même de Joris et de sa voix brisée, d’Elyana et de son secret ébréché. Pourquoi penser à eux ? Pourquoi alors que cette unique constatation me fait les détester ?
Puis, parfois, elle trouvait le sommeil. Pas cette nuit-là.
C’était avec des cernes entachant son teint pâle qu’elle avait traversé l’enceinte du château, se confondant aux fantômes qui passaient çà et là. Les samedis matin étaient souvent calmes, ils enveloppaient d’un onirisme duveteux les heureux endormis tandis que la cadette des Beurk allait chercher son propre apaisement dans le silence d’une bibliothèque délaissée. Un coin à l’écart – celui qu’elle préférait – l’attendait, solitaire.
Le nez plongé dans ses calculs d’angles planétaires à rendre pour la semaine suivante, son environnement s’éclipsa entièrement de sa conscience. Seul l’Univers l’entoura durant deux bonnes heures. L’Univers et ses grains de poussière. L’Univers et son immensité. L’Univers et son néant. Le Tout et le Rien confondu en un même mystère. Et, dans ce décor cosmique, un trou noir avala une fois de plus ses tourments.
Pour les recracher dès lors que le décor s’effaça.
Sa concentration commençait à s’effriter et elle décida de faire une courte pause. Elle redressa son dos voûté, s’étira avec pudeur, puis se rabattit contre le dossier de sa chaise. Son regard circula ensuite sur les tables les plus proches jusqu’à s’arrêter sur le rebord d’une fenêtre où se dessinaient les épaules bleues d’un Sixième Année. De loin, le trou noir la nargua.
Est-ce que, lui aussi, il faisait voyager son esprit pour ne pas se faire envahir par ses propres souvenirs ? Comment arrivait-il seulement à garder la face ? Sa blessure le faisait-elle encore souffrir ? Avait-elle totalement cicatrisé ? La magie avait-elle pu en enlever les stigmates ?
Les questions à foisons. L’inquiétude comme point d’interrogation. Et en réponse, il n’y avait que le silence qui faisait pression.
La Sang-Pur ne parvint plus à recréer le décor perdu. L’Univers l’abandonna au seuil de ses tourments et, jusqu’à l’heure du déjeuner, son regard ne cessa de divaguer vers la silhouette du torturé.
Lorsqu’il rangea ses affaires, elle l’imita. Lorsqu’il se leva, elle lui emboîta le pas. De loin, comme une ombre qui s’étirait dans un couloir éclairé aux flambeaux. La foule ne tarda pas à les envahir et, sans vraiment en prendre conscience, Aria se pressa pour ne pas perdre de vue l’Aiglon. Comme s’il pouvait à nouveau disparaître. S’éclipser. Comme si un trou noir l’aspirerait à l’entrée de la Grande Salle.
Ce ne fut pas le cas. La Grande Salle l’accueillit dans sa chaleur et sa bonne humeur. Il s’arrêta. Elle comprit.
C’était de trop. Trop de couleurs, trop de rire, trop de vie. Il fit demi-tour et passa à côté d’elle sans la voir. Figée à côté de l’immense porte ouverte sur une collation bien méritée, elle hésita. Elle le vit monter les escaliers. Là encore, elle devina. Dans l’esprit de la violoniste, il n’y avait qu’un lieu, qu’une seule destination possible. Et elle en prit également le chemin.
Lorsque ses pas lents et silencieux la firent arriver dans le couloir de la salle de musique, les graves sombres du piano lui donnèrent de premiers frissons. Les aigues du désespoir vinrent ensuite et lui coupèrent le souffle. Elle s’approcha presque précautionneusement de la porte. Ce ne fut que lorsqu’elle la poussa, comme soumise à une hypnose profonde, qu’elle réalisa pleinement l’endroit où elle se trouvait, la personne qu’elle avait suivi, la présence à laquelle elle s’était accrochée. Ses promesses étaient parties en fumée au son muet d’une âme en pleurs.
Ne plus s’approcher. Ne plus s’inquiéter. Ne plus s’attacher. Ne plus s’accrocher. Ne plus se lier.
Fuir.
Mais aujourd’hui, il y avait eu cette attraction inexplicable qui avait guidé ses pas pour la mener à contresens même de ses résolutions.
Sessho Shinmen se tenait là, remplissant la pièce de mille émotions par sa seule présence. L’Empathe eut un regard aussi tendre qu’effrayé vers ce piano habité qui venait tout juste de se rendre muet. Le silence l’émut presque autant que la mélodie envolée. Tout était là, figé dans l’atmosphère : les notes, les mots, les émotions, les souvenirs, les cauchemars.
Puis, les doigts du pianiste s’exprimèrent à nouveau. L’index introduisit la phrase sur le blanc d’une consonne et l’annulaire la termina sur le noir d’un point d’interrogation. Aria entendit l’invitation et y répondit en faisant danser ses mains sur l’attache de son collier. Le pendentif s’échoua dans ses paumes et, d’un sort, redevint le porteur de sa parole.
Dès lors que ses doigts délicats et précis vinrent chercher les notes sur le manche blanc de son instrument, l’évidence résonna à ses oreilles : leur langage lui était précieux. Telle une opale reflétant tous les non-dits, ce qui les liait était aussi unique qu’irremplaçable. Elle savait lire dans ses gestes, dans les rebonds de ses doigts sur le clavier, dans la direction de ses pas montant les escaliers. Elle savait. Lui, il comprenait ses silences, ses paroles muettes, ses envolées mélodiques, ses notes retenues et ses notes criées. Il comprenait.
Chacun lisait en l’autre comme sur une partition égarée.
Mais elle, elle avait songé à brûler ce bout de papier, le rendre aussi incandescent que la Gazette du premier novembre pour n’en laisser que des cendres. Effacer toutes les notes pour retrouver les lignes vierges d’un isolement recherché.
À présent qu’elle jouait, qu’elle parlait, qu’elle criait, qu’elle chuchotait et qu’il s’y joignait, cette idée lui parut insensée. Son cœur se fendait.
Et elle hurla. Son archer ploya sous le poids de son désespoir. Elle voulut lui raconter, tout lui partager. Mais avant, elle voulait savoir.
Sessho, parle-moi, exprime-toi, libère ta voix. Parle-moi de ta souffrance, de ta solitude, de tes silences. Mais dis-moi aussi que tes ailes ne sont pas totalement brisées, que ton âme n’est pas entièrement désenchantée, qu’en toi, la candeur vit encore. Sessho, crie-moi ta souffrance, mais dis-moi que ça va aller.
Dis-moi que ça va aller.
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Aria Beurk
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Mer 4 Nov 2020 - 16:42
Sessho Shinmen
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Un enfant perdu qui fond en larme
Sam 21 Nov 2020 - 11:43
le do contre le sol
Lorsque les notes remplacent les mots, ce ne sont plus les esprits qui parlent mais les ames qui s'accordent.
Samedi 4 Novembre 1995
La clé, toujours, était suspendue à son cou. Celle qui ouvrait les portes de son monde clôt sur les terres de l’expression. Une clé libératrice, une ouverture salvatrice. Elle passait alors du monochrome à l’irisé, comme une bulle dans le noir qui se faisait soudainement traverser par un rayon de soleil. Les couleurs flottaient, dansaient, s’exprimaient. La Valse des protocoles envolés, le Paso Doble des démons incessants, le Jive des joies retenues, le Contemporain des cris révoltés, le Foxtrot des pleurs aériens.
La clé était nacrée et, en une formule, elle s’ajustait à la taille de la serrure. Comme dans un célèbre conte qui lui était inconnu, Aria était la tête blonde perdue dans un monde trop fou pour elle, l’enfant qui tombait dans un trou sans fin, celle qui ne voyait en la lune qu’un large sourire de chat et, en les étoiles, un million de regards fourbes.
Mais la clé, aujourd’hui - et ce, depuis quatre jours , n’était plus seule. À son cou pesait aussi une ancre. Lourde, affligeante, étouffante. À laquelle elle n’arrivait pourtant pas encore à se détacher. Une ancre qui figeait ses doutes, ses craintes et ses remords sur sa poitrine, qui traînait avec elle ses fantômes et ses démons. Une ancre qui traînait son indécision et entravait ses choix. Une ancre qui la maintenait dans l’entre-deux du déni, verrouillant les aiguilles du temps pour retarder la confrontation. La confrontation à ses décisions. La confrontation à Eileen.
Le violon et la guitare. La clé et l’ancre. Tous deux à son cou depuis les joies d’un concert. Tous deux enlisées à sa chaîne d’argent depuis le traumatisme de l’après.
Aujourd’hui, elle était parvenue à s’emparer de l’un deux. À saisir la clé pour laisser l’ancre, seule, l’enterrer un peu plus dans ses tourments. Aujourd’hui, elle n’avait pas réfléchi. Elle avait suivi le vol sombre d’un corbeau et avait laissé ses plumes chatouiller ses doigts.
Aujourd’hui, elle ne rendrait toujours pas sa guitare à Eileen. Mais, aujourd’hui, elle offrirait à Sessho les ondulations de son archer sur son violon nacré. Aujourd’hui, le Paso Doble, le Contemporain et le Foxtrot croiseraient leurs pas et leurs enjambées pour, d’un saut, s’unir au même tempo. Celui grave et saccadé de leur duo improvisé.
Les aigus arrivèrent trop tôt. Les doigts d’Aria pianotèrent avec frénésie sur les cordes de Mi et de La, comme une pulsion à extérioriser au plus vite. Elle exprima fugacement sa frustration, sa colère et sa souffrance dans les premières notes avant de retourner à un jeu plus calme pour laisser l’espace au piano. S’y accorder, s’y lier, s’y entremêler. Ne faire qu’un, s’écouter l’un l’autre, s’exprimer à tour de rôle. Une place à chacun, à chaque pensée, à chaque doute, à chaque question, chaque réponse, à chaque plainte, à chaque réconfort.
Les doigts précis de la blonde formèrent l’accord de Do dans une question vibrante. La réponse du piano fut vive et percutante. Ses cordes furent frappées avec l’intensité d’un fou, d’un bâillonné, d’un prisonnier en mal de mots et de liberté. De son violon, Aria y donna un écho doux et léger qui accueillait ses pleurs. Sa compassion, sa douleur. Sur son regard bouleversé, ses cils clairs effleuraient la mélancolie d’un aveu à peine prononcé.
Le jeu du Japonais était contrasté. Glacé, puis brûlant. Tranchant, puis apeuré. Dominant puis égaré. Aria ne le reconnaissait pas. Elle ne l’avait jamais entendu jouer comme ça. Les mélodies qu’elle lui avait connu n’avait toujours était que douceur et calme, renvoyant à son univers apaisant et voluptueux. Sessho, ça avait toujours été la brise du printemps, le soleil de l’été, la brume de l’automne et les flocons de l’hiver.
Mais la brise s’était transformée en tempête. Le soleil s’était voilé de nuages noirs. La brume avait dévoilé l’orage. Et les flocons s’étaient cristallisés en fragments de glace.
La violoniste en fut terrifiée. Tétanisée sur un refrain qu’elle jouait à répétition, elle écoutait attentivement chaque son, chaque note, chaque mot. Quand le pianiste acheva son aveu, elle resta un instant sans voix. Figée dans sa tétanie répétitive. Incapable de tracer une réponse de ses doigts figés sur les mêmes accords.
Le morceau put alors enfin souffler. Une pause. Un repos.
Puis, le poignet gauche de la jeune musicienne se cassa en même temps que son dos sur une pente mélodieuse qu’elle enclencha enfin. Son corps – resté timide jusque-là – se voua alors tout entier à la mélopée. Les lèvres closes, elle chanta sa douleur et son empathie.
Sessho, oh, Sessho, pourquoi ? Pourquoi toi ? Pourquoi nous ? Pourquoi ce monde, pourquoi la vie ? Pourquoi la mort, pourquoi le vide ? Pourquoi les souffrances, pourquoi les joies ? Pourquoi ce soir-là, pourquoi ces lendemains ? Pourquoi ce piano, pourquoi ce violon ? Pourquoi les cris étouffés, pourquoi les pleurs cachés ? Sessho, oh, Sessho. Tu n’es pas seul, accepte leur aide. Leurs épaules, leurs mains, leur amour. Exprime-toi, ne gardes pas tes confessions pour cet unique piano. J’entends ce que tu ressens, tes souffrances sont trop grandes pour toutes rester enfouies en toi. Tu vas étouffer. J’étouffe. Libères-toi, Sessho.
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Aria Beurk
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Lun 23 Nov 2020 - 17:05
Sessho Shinmen
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Un enfant perdu qui fond en larme
Dim 20 Déc 2020 - 12:18
le do contre le sol
Lorsque les notes remplacent les mots, ce ne sont plus les esprits qui parlent mais les ames qui s'accordent.
Samedi 4 Novembre 1995
La mélodie atteignit un terrain vague. Semé d'incertitudes, de doutes, de trous et de bosses où se mirent à trébucher les notes. La dissonance claqua contre les murs de la salle vide, gifla leur peau diaphane et griffa leurs doigts. Des accords superposés sur deux temps. Un bémol d'avance pour le violon. Un demi-ton à rattraper pour le piano. Elle était légère, cette dissonance. Mais elle avait dissous l'harmonie d'un morceau improvisé. Un duo vacillant qui n'avait été préparé ni à se rejoindre sur cette mélodie nouvelle, ni à recevoir les secrets qu'elle leur dévoilait.
Alors, les notes se faisaient funambules. Elles avançaient sur un fil, les yeux bandés, enlacées par la tempête qui les déséquilibrait à chaque souffle. Elles tanguaient. À droite. À gauche. Et elles en avaient le tournis.
Mais peut-être n'y avait-il pas de meilleure façon de jouer à cet instant précis ? La discordance de la mélodie dépassait la barrière du son, c'était celle qui enlisait leur cœur depuis des jours, celle qui enchaînait leurs tourments, celle qui privait leur âme d'oxygène, celle qui étouffait leurs espoirs, celle qui ternissait leur teint et donnait un goût amer à l'air. Non, il n'y avait pas de manière plus authentique de jouer : ils devaient se désaccorder pour ouvrir la voie à la vérité.
Deux voix en une. Un canon. Deux voix qui finirent par se rejoindre à nouveau. Le refrain les ramena à lui pour les unir dans une harmonie retrouvée.
Puis, ce fut au tour du piano de se démarquer. De chuter. De s'échouer sur les graves, les sombres, les tragiques des touches zébrées. Des percussions redoutables sur un clavier prisonnier des fondamentales, des tierces et des quintes qui l'assaillaient à l'unisson. La pesanteur des accords s'en trouva doublée, comme du plomb coulant des doigts de l'Asiatique.
Pour la première fois, Aria osa relever son regard vers Sessho. La concentration de ce dernier s'était redirigée sur sa partition imaginée et un pli barrait son front. Un pli qu'elle ne lui avait jamais vu. Cette expression, était-elle l'esquisse timide de sa souffrance ? À quel point ses traits s'étaient-ils étirés lorsqu'il avait hurlé à s'en déchirer les poumons, à s'en briser les cordes vocales ? Ce cri-là, elle l'entendait à nouveau, dans le son du piano. Un cri qui hantait à présent les cauchemars de la blonde et lui redonnait des sueurs froides rien qu'à s'en rappeler. Elle frissonnait. Le son du piano n'atteignait plus ses oreilles.
Puis, le hurlement disparu lui-aussi. Une imploration prit sa place. Pars. Un écho dans la pièce, dans son crâne, dans sa poitrine. Pars. L'ordre était invisible, la demande muette mais l'intention évidente. Pars. Pars, qu'elle entendait. Pars. Pars, qu'il disait. De ses doigts agiles sur le clavier, il la chassait.
Ou bien ce cri venait-il de son âme à elle ? Celle qui lui avait intimé de fuir avant même qu'elle ne mette un pied dans cette pièce ? N'était-ce pas elle, en réalité, qui s'ordonnait de partir ? Qui voulait courir à sens inverse ? Loin de ces notes éloquentes, de ces mélodies secrètes, de ces émotions étouffantes ? Loin de lui, loin de tout ? Loin de ses promesses trahies, de ses résolutions brisées d'un simple coup d'archet ?
Il avait raison. Elle devait partir. Elle en avait l'envie. Tout abandonner était plus simple, non ? Son isolement serait un réconfort, un bouclier, un rempart. Mieux, un château-fort.
Progressivement, les ondulations du corps de la violoniste se tarirent pour retrouver la verticale d'un dos droit. Son coude abandonna ses à-coups répétés pour s'engager sur une pente plus calme. Son archet se fit plus léger comme si, déjà, il se détachait des cordes qu'il embrassait.
Un dernier souffle.
Et, d'un coup, elle se sentit vide. Seule. Cruelle. Idiote.
D'un virage, son poignet se cambra. Elle réengagea la mélodie et rattrapa ses vibratos esseulés. Le tragique d'une ancienne mélopée s'était changé en détermination ponctuée d'accords majeurs. Ses harmoniques prirent une teinte nouvelle. Plus de noir et blanc. Les notes se coloraient progressivement de pastel.
Je reste, fut le symbole unique et puissant de ces accords nouveaux.
Je reste. Pour toi, Sessho. Avec toi. Ici ou ailleurs. Partout, même absente, je reste.
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Aria Beurk
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Jeu 7 Jan 2021 - 18:36
Sessho Shinmen
Préfet Serdaigle
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Un enfant perdu qui fond en larme
Ven 15 Jan 2021 - 18:07
le do contre le sol
Lorsque les notes remplacent les mots, ce ne sont plus les esprits qui parlent mais les ames qui s'accordent.
Samedi 4 Novembre 1995
Les nuages ne cessaient de passer, C'était un même tournis depuis des années, Ils étaient gris, ils étaient rayés, La foudre ne cessait de les zébrer, Tout le temps et de toutes parts, Sans jamais les mener nul part.
Aujourd'hui, le ciel était toujours aussi pâle, Toujours aucun traitement médical, Pour ce teint malade, Qui surplombait une balade.
Mais, aujourd'hui, ô, aujourd'hui, S'était invité un ami, Un cavalier pour une danse céleste, Pour un duo aux mouvements lestes.
Ce partenaire s'appelait soleil, Mais sa nitescence avait disparu la veille, Lors de cette nuit de pluie, Où l'horreur avait abîmé les corps et les esprits.
Depuis, le soleil levant hibernait, Pour trouver de quoi se ressourcer. Une assise, un baume, un pansement ? Non, ce qu'il voulait, c'était l'isolement.
La lune l'avait remarqué, Elle aurait dû l’ignorer. Mais comment le laisser ? Impossible de l'abandonner.
Alors, elle avait grimpé les étoiles, Traversé les interdits constellant la toile, Pour l'atteindre lui, Pour lui chuchoter un Si...
Et si l'on jouait ? Et si l'on chantait ? Et si l'on dansait ? Et si l'on s'écoutait ?
La musique est le plus intense des silences, Elle enveloppe les absences, Elle soulève les non-dits, Et libère les mots en sursis.
Une mélopée ne parle qu'avec le cœur, Et, si elle peut parfois devenir un leurre, La sincérité des doigts sur un clavier N'a d'égal que celle d'une main sur un archet.
C'était un dialogue muet, Duquel émergeaient les bourgeons d'un muguet, Car, dans ce nouveau décor, Les fleurs nivéales venaient tout juste d'éclore.
Le soleil commençait à reprendre les devants, Sur la pluie et le mauvais temps, Et, même si ses rayons étaient encore hésitants, On pouvait déjà humer le pétrichor ambiant, Cette flagrance d'espoir enchanteresse, Apporté par la lune et ses promesses.
~
C'était une injonction à la fuite. Pars. C'était une hésitation statique. Un silence figé dans le temps. Puis, un Fa décisif. Je reste.
De l'espoir, des flocons. Des cristaux nacrés se perdant entre les cordes d'un instrument redressé. Son regard polaire s'était lui aussi relevé. Pour la première fois depuis son arrivée dans cette salle, elle osa unir leurs regards. Et du sien, elle vit un pétale de perce-neige tomber et glisser sur une pente neigeuse. Léger et tendre. Une larme qui était faite d'autant de peine que d'espoir. Comme un inattendu cristallisé entre deux paupières.
Elle voulut essuyer cette larme du bout de ses doigts, de ceux posés sur les cordes. Alors, elle parsema la mélodie de doux mineurs, comme des baumes à étaler sur le cœur. La mélopée avait emprunté une harmonie nouvelle, celle d'un sentier révélé au printemps. Celle inspirée d'une contrée lointaine que lui avait tant de fois conté ce clavier. Celle de cerisiers qui fleurissaient sous les rayons chauds du soleil levant.
Ça avait été une injonction à la fuite. Ça avait été la réponse d'un Fa décisif. C'était à présent le murmure d'une gratitude frôlée.
Deux doigts. Deux touches. Deux notes. Deux syllabes. Un mot. Une fin. Une chute.
Merci.
Ce ne furent pas seulement le Do et le Sol qui le lui chuchotèrent. Ce furent aussi ses yeux. La mydriase de la reconnaissance humble et sincère du pianiste qui, chassant la brume de ses iris, atteignit le cœur de la violoniste. Il eut suffi de cet unique rayon. Et, en elle, tout se craquela.
L'ataraxie était-elle seulement atteignable ? Pourquoi, alors que la douleur face à elle venait de se délester d'un poids, sa peine à elle semblait d'autant plus lourde à supporter ?
Les promesses. Elle s'en était faite une et l'avait trahi en prononçant la seconde. Qu'advenait-il de son gage d'isolement quand un altruisme qu'elle ne se connaissait pas surgissait pour crier qu'elle était là, présente, pour lui, maintenant, toujours ?
La tiendrait-elle, cette promesse ?
Un sourire incertain fut la seule expression qu'elle parvint à lui livrer avant de s'en aller. Les couloirs la ramenèrent à ses doutes, là où les escaliers avalèrent ses convictions. Pourquoi l'avait-elle rejoint ? Pourquoi l'avait-elle accompagné dans sa mélopée ? Pourquoi lui avoir laissé entrevoir un réconfort qu'elle ne saurait réellement lui fournir ? Pourquoi lui avoir présenté un espoir qu'elle ne distinguait pas elle-même ?
Pourquoi ne se reconnaissait-elle pas dans ces actions?
Aria Beurk, égoïste à ses heures perdues. Aria Beurk, altruiste à ses heures inconnues. Solitaire, sourde et muette. Mais le cœur en écoute constante.
Tais-toi.
FIN
Défi:
Le poème dans ce RP a été intégré dans le cadre du défi lancé par Ariel.
Ariel Melwing a écrit:
Défi : écrire un poème d'au moins cinq lignes dans l'un de tes RP. Il doit y avoir des rimes et si je n'impose pas d'alexandrin ou que sais-je, la musicalité de ton poème doit être harmonieuse.
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Aria Beurk
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