Is the Earth colored red, as I land like a flower on the meadow ? It happened quiet - Aurora
Mar 16 Fév 2021 - 18:03
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica )•••Dehors, il neigeait. De minuscules flocons marquant le carreau de saleté, d'une goutte d'eau qu'il regardait dégringoler. Un chemin sinueux finissant dans les parterres aux fleurs morcelées, à quelques pas sur le béton de la terrasse. Sur la vitre, son souffle formait des formes géométriques. Un ovale s'étirant à un nuage bullaire approximatif. De sa manche, il l'effaçait pour embrasser la vue d'un jardin immaculé. Le blanc lui faisait mal aux yeux. Mais c'était beau. Emmitouflé dans la laine d'un édredon, il se laissait bercer par les clochettes d'un chant festif, enrobé du sucre d'un chocolat chaud à la cannelle. Deux bras le décrochèrent de son perchoir, d'un rebord de fenêtre qu'il avait grimpé pour s'y installer, et ses chaussettes s’aplatirent sur le parquet. L'étreinte le gênait tout autant que la barbe mal rasée grattant sa tempe. Monsieur Serger sentait le froid, l'hiver, et un quelque chose de sucré. Ses doigts agrippèrent les plis d'un pull aux couleurs d'une fin d'année. Il y avait un cerf. Les yeux perdu sur les lumières des guirlandes, il n'offrit que son profil perdu à un flash photographique.
***
« Tu te souviens de celle-ci ? », sa mère lui désigna le cadre au-dessus de la cheminée.
Une vieille relique aux accents délavées, d'un monochrome s'effritant sur les coins. Le décrochant de son support, manquant d'y faire tomber un vase garnis de roses, Lévine porta son attention sur les deux silhouettes enlacées sur le cliché. Voir le sourire de Monsieur Serger était toujours douloureux. Ça lui tordait le cœur d'une nostalgie impuissante. D'un regret amer de ne pas pouvoir revenir en arrière. De ne pas avoir dit ou fait, de ses et si une réalité. De ne pas les avoir tué avant d'exister. Son pouce caressa le verre dépoussiéré. Son premier Noël. Ses premiers cadeaux. Ses premiers rires. Ses premiers tout. Tenant en un seul regard lointain.
« C'était ta première année avec nous. Il faisait si froid que le pare-brise de William avait gelé. Tu te souviens de notre allée ? », sa main tremblante appuya sur sa bouche pour en effacer un rire incontrôlé. « Il avait de la neige jusqu'aux cuisses. Et il râlait. Il râlait en cherchant une pelle. », accroché à son bras, elle y apposa sa pommette tressaillant de cette joie qui ne faisait que raviver le vertige à ses pieds.
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi être heureux alors qu'il n'était plus là ? Pourquoi être comblé alors qu'il n'y aurait plus sa voix, ses marmonnements rageurs contre la glace sur ses essuie-glaces ? C'était fini. Ça n'aurait plus jamais lieu.
« Que vous êtes beaux dessus... », fit-elle pensive, abandonnée à cet élan bienveillant qui coula dans ses bottes ses questionnements. Son front s'apposa à son chignon désordonné. Il inspira les effluves de thé au citron. Ses paupières plièrent face à son insomnie. Cette nuit l'avait fuis. La Lune avait été une compagne d'heures éternelles d'interrogations, ne se parant jamais de l'auréole de la satisfaction.
« Garde-la. », il se redressa et s’apprêta à refuser par automatisme, mais l'index sur le bout de son nez l'en dissuada. « Il n'y a pas de mais. En souvenir de notre William. », le prénom changea son sourire en une grimace qu'il peina à camoufler.
« Tu reviens à quelle heure ce soir ? », incertain, il haussa les épaules en toute répartie. « Je vais acheter des fleurs pour sa tombe. Mais j'aimerais que tu sois là pour le dîner. », elle le dépassa pour s'approcher de la table.
La salle à manger était ouverte sur la cuisine par une arche. Une porte décrochée de ses gonds pour faciliter la communication d'une pièce à l'autre, séparée du salon par un rideau opaque beige. La peinture unie d'un vert pastel s'écaillait sur les plaintes. Il nota dans sa liste de choses à faire d'y remédier, pour un confort visuel. La vie c'était figée sur des travaux inachevés, sur des pierres apparentes derrière le meuble télé portant encore les marques des vis pour un support lumineux, jouxtant les arrondis d'un miroir trônant finalement sur le tapis, retenu par la commode en chêne. Les pieds de la chaise en osier grincèrent sur les lattes, et sa mère se plaça dans son angle idéal. Un trois quarts arquant sa hanche, pour l'observer des pieds à la tête, tout en gondolant la plume de son stylo sur une feuille de papier.
« Qu'est-ce-que tu veux manger ce soir ? », lui demanda-t-elle comme si son silence était l'aval de sa venue, et non un refus déguisé. « Je passerai par l'épicerie avant d'aller chez le fleuriste. Je pensais faire des côtes d'agneaux aux herbes avec des pommes de terres sautées. Mais si tu veux, on peut aussi faire du... », il leva la main pour couper court à son énumération, avec l'ombre d'un sourire contrit, crispé. Il se sentait piégé devant son insistance. Obligé de s'y plier pour ne pas luire ses pupilles de la déception.
« Maman. La première me va très bien. », s'empressa-t-il de dire pour combler le silence, et ne pas la faire s’impatienter. « Inutile d'en faire plus. Je n'aurai pas très faim en rentrant de toute manière. », ajouta Lévine en détournant le regard en oblique, pour ne pas faire fuir la criante vérité de son estomac retourné par la simple mention d'une soirée à ressasser de vieux souvenirs, en l'honneur d'un mort dont le jour du trépas était entouré sur le calendrier, estampillé d'un cœur au feutre à alcool, pour agrémenter une mauvaise nouvelle d'une touche de bonne humeur.
« Et il y a des chances que tu ais déjà fini quand j'aurai terminé mon service. »
L'encre dérapa en boucle soignée, marbrant le quadrillage de sa liste d'ingrédients.
« Peu importe. Tant que tu es là pour allumer le cierge. », l'obstination d'un taureau à ne jamais flancher.
« Je serai là pour le cierge. Mais ne m'attend pas pour manger. », avec un soupir, il ramena ses cheveux vers l'arrière dans un tic nerveux. « S'il te plaît. »
Devant sa non-résistance, il sût qu'il avait gagné un peu de terrain. C'était déjà ça.
***
L'air frais brûla ses joues dès lors qu'il quitta le confort des trois-balais. Le point de rendez-vous de l'unité de garde, réchauffé par un passage obligé par le comptoir, et une tasse de café. Les mains dans les poches, il se mêla aux manteaux noirs des gardiens de la paix, y ajoutant une teinte grisâtre d'un uniforme incomplet. Le nez recouvert de son écharpe sombre, il suspendit son regard aux allés et venus, discernant dans les spectres des visages concentrés, des lendemains de soirée trop arrosées, et les mines blêmes des jours tristes. L'automne avait cet effet sur les matinaux. Sur les aventuriers des avenues, et les explorateurs des rares boutiques ouvertes. En quelques enjambées, il traversa le boulevard de part en part, pour admirer la devanture déjà décorée d'une petite brasserie, typiquement française. Comme un ajout à leur culture trop décolorée, apportant un côté tape à l’œil par des nappes presque écossaises sur des tables déjà dressées pour une vingtaine de couverts. La carte affichait le menu, les recommandations du chef. Des œufs pour un petit déjeuner, assortis de pain frais et de confiture maison. Plus tard se laisserait-il tenté par une tartine, qu'il débourserait pour quelques pièces, pour un déjeuner qu'il passerait sur les toits, à nourrir les pigeons de ses miettes, la clope au bec, et l'envie de dormir sur les tuiles.
À une dizaine de mètres, il rejoignit son apprenti, un Elnath la bouche pleine du feuilleté d'un croissant au beurre, de la seule boulangerie sur tout un pâté de maisons. Le sachet froissé dépassant de son pantalon, à mille lieux de sa maniaquerie coutumière, il n'échappa pas au traditionnel gobelet de thé pour participer à son réveil. Lui non plus, n'avait pas assez dormi. Si tant est qu'il soit parvenu à arracher une heure ou deux à sa montagne de dossiers, et son exercice de privation de sommeil obligatoire. Quarante-huit heures pour une première étape, qui dériverait sur une semaine en cas de grande réussite. Une manière de trier le bon grain de l’ivraie, de ne s'embarrasser d'un boulet ne nourrissant pas l'ambition, et le mental nécessaire à leur métier. Réprimant un bâillement, les mâchoires serrées de son ultime bouchée, son cadet lui désigna un petit groupe quittant une artère de lotissements biscornus. Des habitants ajustant leurs couvre-chefs et leurs gants en prévention des grands vents annoncés pour la journée.
Peu importe, décida-t-il de penser en passant un coup d’œil circulaire attentif, guettant le moindre mouvement suspect. Rien. Rien ne sortant des mornes nuages de Pré-au-lard. D'un pas, il tournoya jusqu'aux corniches, fleurtant avec le vol d'une corneille fuyant à son passage. Le talon butant contre une courtière, il regarda en contrebas, ayant une vue dégagée sur toute la rue et ses impasses. En hauteur, il se sentait mieux. En sécurité. Loin d'une agression, d'une conversation sans intérêts. Il longea la grande route, enjambant avec finesse les obstacles, les échelles, faisant fit de la gravité tel un chat sur une planche, pour traverser les bâtiments sans réitérer son transplanage. Glissant après une vingtaine de minutes de marche silencieuse, jusqu'au trottoir, il amorça la suite de son itinéraire de ronde. Les maisons s'éloignèrent dans son dos, et la pente raide sur le sentier tira sur ses mollets. Ses poumons comprimés le firent se sentir vivant. Alors, il força l'allure jusqu'à suffoquer de sa course acharnée, de son sprint le faisant inspirer à grande houle. Il sauta les rochers, il piétina les hautes herbes, il embraqua au premier saule, et seulement en haut de la colline, s'autorisa à reprendre son souffle. Devant lui, la cabane ondulait dans le paysage. Une bâtisse délabrée alimentant les légendes sordides et les croyances populaires. Des histoires de fantômes. Parfaites pour dissimuler des faits plus réels. Des crimes sanglants.
Les yeux plissés, la poitrine agitée de soubresauts d'adrénaline, il fouilla dans son blouson pour en extirper son paquet de cigarettes. L'une d'elle se joignit à sa bouche, pour s'embraser d'un claquement de doigt ferme. Le tabac se diffusa devant ses cils, et détendu, il ouvrit la boîte mentale de son enquête en cours. D'un portrait d'assassin au mode opératoire sordide, et aux motivations en simples hypothèses. Qui ? Pourquoi ? La myriade de points d'interrogations en suspens dans son cortex cérébral le fit vapoter plus fortement. Il lui avait échappé. Par deux fois. Et s'il commençait à saisir les tenants et aboutissants de ses motivations, les pièces du puzzle étaient encore trop morcelés pour en avoir de réelles certitudes.
Click.
Le bruit lui fit tourner la tête abruptement, et il observa la silhouette féminine s'affairant déjà sur son polaroid, pour en extraire le précieux papier glacé. La bile de l'énervement d'avoir été photographié à son insu grimpa en flèche. Ses chaussures crissèrent sur la terre, et c'est en grandes pompes qu'il s'approcha de l'islandaise. Ses traits se faisaient plus distinct. Une beauté d'une autre contrée, se justifiant déjà pour avoir violé son intimité, s'agitant comme une petite fille sous un sapin de Noël. Qu'il aurait voulu lui arracher son cliché des doigts, pour le déchirer.
« Je vous ai pris en photo, j'espère que ça ne vous dérange pas ? Le cadre était unique. La colline, cette cabane, puis vous juste devant... Ça avait quelque chose de vraiment ... mystique ! Mais je vais pouvoir vous le montrer dans un ins- », sans s'arrêter sur le trouble apparent de la jeune femme, il croisa les bras sur son poitrail, la toisant de son regard le plus sévèrement acceptable.
« Vous savez qu'il s'agit d'une violation de la sphère privée ? », lui demanda-t-il en contrôlant son timbre, pour le rendre moins virulent qu'il l'aurait sans doute souhaité. Il avait une image à tenir. Celle du parfait officier sans histoires, aux sautes d'humeur aussi rare qu'un jour ensoleillé au mois de Novembre. « La prochaine fois que vous voulez photographier quelqu'un, prenez le temps de lui demander son autorisation. Même si ça brise le mysticisme de l'instant. »
« Toi... », murmura-t-elle en unique répartie, et il tendit l'oreille pour la comprendre.
« Pardon ? », fit-il un peu incrédule, en prenant le temps d'observer cette fois-ci son visage avec plus d'attention. Une bouche pulpeuse. Un éclat ternit par un il ne savait quoi dans les yeux. Une gueule de poupée scandinave. Physionomiste de métier, il marqua un temps d'arrêt. L'ombre d'une aurore boréale filtra dans le brouillard de ses pensées, et l'image de deux corps enlacés dansant sur une mélodie imaginaire le frappa à la gorge.
« On s'est enfin trouvé, on est lié à présent. »
« Tu es la femme de la soirée. Elvý. », un peu sonné d'être confronté à un pan de la soirée qui avait été aussi agréable que détestable, il se racla la gorge pour reprendre son assurance, dissimulant son propre bouleversement sous un tas de masques factices. Un simple sourire avenant, d'une amicale politesse éclaira les commissures de ses lèvres, pour appuyer sur la découverte de son identité.
« Difficile de te reconnaître sans ta cape et tes yeux rouges. », incertain de devoir continuer la discussion ou simplement s'arrêter là et laisser en conclure ce qu'elle voudrait, il se campa un peu plus sur ses appuis, chancelant d'un pied à l'autre. « Tu me la montre la photo, maintenant que tu l'as faite ? », lui rappela-t-il en lui montrant l'appareil d'un signe de tête.
Dans sa poche, il racla les plis d'un souvenir imprimé, contorsionné cruellement en deux. L'image si similaire d'un gosse au regard triste, vernissant l'instant saisit au vol du démon de ses rêves illusoires. :copyright:️️ 2981 12289 0
Lévine Serger
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Jeu 25 Fév 2021 - 13:32
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Sam 10 Avr 2021 - 13:38
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica )••• Halloween lui semblait si loin. Et si proche à la fois. Les pieds dans la terre parsemée de givre, Lévine sentait les lattes d'un parquet vieilli, craquant sous les talons des danseurs. Dans le vent, son ouïe captait les branches, les feuilles et les oiseaux en note de violoncelle, de piano, et de trompette. Dans ses narines, c'était la cire des bougies, le sucre des rires, de la joie, qui descendait jusqu'à ses poumons cotonneux, encore imprégnés de la légèreté d'un cocon de calme dans l'ambré d'un whisky.
Il y avait eu la Lune, le ciel et ses étoiles, puis une main dans la sienne, le blanc dans des pellicules dorées et le sang dans un halo grisâtre. Une pierre précieuse carmin dans le néant, comme une réponse au vide qui l'avait reprit après des tours et des tours, après une valse faisant sombrer son être dans l'illusion d'une complicité factice.
« Tu m'as fait le plus beau des cadeaux, douce Mara, tu m'as offert le désespoir. Tu m'as donné la certitude que je ne peux être aimé. »
Il aurait voulu en pleurer. Il aurait voulu en crier. Le noir s'était fait. Un parfait écho à la lueur stagnante dans ses iris. Tout s'était agité. Tout s'était passé. Les rues désertes. La panique dans les veines. Les étincelles crépitant à ses tympans. L'odeur métallique enlaçant le souffre dans les airs. Une explosion. Le sol. La peur. La peur et la colère. La rage. L'horreur. L'horreur et l'impuissance.
Ça avait été comme un rêve. Comme si le frêle bonheur d'une communion étrange n'avait jamais existé. Jusqu'à ce qu'il recroise son regard perdu et sa couleur du Nord. Promesse d'une aventure, d'une escapade enneigée loin de la monotonie du quotidien. Dans sa poitrine, son cœur avait manqué un battement, faisant vibrer la corde sensible de son émotivité, de ses reproches, jusqu'à le faire tressaillir, l'agiter d'un tic sur les doigts.
Il s'était figé devant l'éclat hivernal qu'il n'était plus si certains d'avoir déjà croisé, avant de le contempler à nouveau. Ses épaules se crispèrent d'une décharge le parcourant tout entier d'un soubresaut qui le fit reculer d'un pas. Elle était là. Elle existait.
La bouche sèche, il s'humecta les lèvres avec fébrilité, le souffle haletant d'une frayeur nouvelle. Celle d'accepter ses confessions d'un soir, de se noyer dans l'affection d'une seconde d'éternité dans la chaleur d'une danse. Ses ongles grincèrent sur ses paumes, et il en cessa la coupure en les enfouissant dans les poches de son manteau.
Que pouvait-il dire ? Que pouvait-il penser ? Malhabile dans ses paroles, il s'était élancé dans une conversation qu'il aurait voulu fuir à toutes jambes. Et sous couvert de l’œillade superstitieuse de la cabane hurlante, il se sentait stupide, mit à nu dans l'ignorance et le déni, confronté à sa panique d'introspection passée.
« Pourquoi ? Pourquoi ce regard ? Pourquoi cette crainte ? Pourquoi m'avoir dit tout cela ? Pourquoi m'avoir donné espoir ? »
Un bousculement émotionnel qui le cloua un peu plus sur place. Incapable d'esquisser le moindre geste.
Comme s'ils étaient connectés, l'islandaise marqua le même temps d'arrêt, la même descente dans les limbes de souvenirs traumatiques. Et sur cette colline, ils ressemblaient davantage à deux enfants, qu'à des adultes indépendants. Deux gamins tremblants dans le froid et cherchant de l'aide dans le moindre signe extérieur. Dans les branches, dans le craquement de la barrière, dans la profondeur des graviers, dans le mysticisme de l'endroit. Il s'était essayé à un sourire, à une esquisse maladroite, fissurant son masque craquelé par leur simple face à face.
Quittant son visage aux mille interprétations, il loucha un instant que le cliché qu'elle tenait encore précieusement. Il n'en était pas réellement curieux. L'appréhension de découvrir son image, la pâleur de ses traits marbrés par les nuits blanches, et la mélancolie terne de son manque d'expression, l'avait poussé en avant pour s'en détacher au plus vite. Comme sauter dans le vide pour combattre son vertige. Le sien le rendait fiévreux, docile et insoumis, calme et agité, aveugle et trop à l'affût. Il n'en rata pas le froncement de nez de sa cavalière, qui déroba à sa vue les contours du papier glacé. Paradoxalement contrarié d'y échapper momentanément, il pinça les lèvres dans une moue presque boudeuse, à un siècle de la tétanie enrobant la voix de la jeune femme.
« Tu me voulais quoi exactement à cette soirée ? Si c’était juste pour danser, il suffisait de demander, pas besoin de me faire boire un philtre. », l'accusa-t-elle de but en blanc.
Sur la défensive, Lévine fronça d'abord les sourcils, irrité d'être mit en cause d'un crime dont il n'était pas l'auteur. L'injustice lui piqua le nez et ses poings se serrèrent de consternation. Il était coupable de beaucoup de choses, ça, il ne pouvait le nier. Duperie. Tromperie. Trahison. Coup d'état. Terrorisme. Meurtre. Mais qu'elle puisse sous-entendre qu'il aurait l'aurait drogué à son insu pour la soumettre à ses bas instincts, le blessa plus qu'il ne le désira. La colère s'évanouit aussitôt identifier, remplacée par un venin plus fourbe.
« Sois gentil et attend que ça passe. »
Le timbre de l'homme au cigare dans les oreilles, il confondit les feuilles avec les flammes, les battements de son cœur avec les coups, le monochrome du paysage avec la brume d'un bleu sur la peau. Les paumes moites, il expira, chancelant et faucha ses mèches pour dégager son front imbibé d'une sueur glaciale, parsemant son épiderme d'un million d'aiguilles. La respiration saccadée, il lutta pour exprimer sa folie dans un rire, qui s'estompa après deux éclats. N'était-ce pas hilarant ? N'était-ce pas tordant ? Son hilarité se figea en même temps que tout le reste, éclatant sa bulle dissonante dans un silence terrifiant. Sa bouche marqua une ligne fixe et toute douleur déserta ses iris au profit d'un gouffre qui le traînait par les pieds.
« Et que crois-tu que j'aurai fait, si je t'avais réellement donné ce philtre ? », répliqua-t-il incisif. « Qu'aurai-je projeté de te faire subir le cas échéant ? », menaçant, il s'avança d'un pas, contraignant la scandinave à affronter son avancée, ou à reculer. Attaquer pour ne plus avoir mal. Mordre pour ne pas se vider de son sang.
« Si j'avais été un tordu, je t'aurai emmené à l'écart, à l'étage peut-être, et j'aurai profité de ta faiblesse, de cet amour que tu nourrissais pour moi. Je t'aurai fait crier, souiller, pour qu'à ton réveil, tu ne saches plus si tu étais consentante ou non. », implacable, il la mit dos au mur, la dominant de toute sa hauteur. A vif, ses propos transpirés d'une souffrance le faisant suffoquer.
« Mais je ne suis pas un putain de taré. », grinça-t-il en se reculant soudainement, mettant fin à son manège. Pour l'instant. :copyright:️️ 2981 12289 0
Lévine Serger
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Jeu 6 Mai 2021 - 18:09
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Lun 19 Juil 2021 - 19:51
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica )••• Un pas après l'autre, il l'avait mise dos au mur. Elle tremblait. Elle tremblait si fort, que lui aussi, se sentit tressauter, comme si ses propres doigts étaient agités de convulsion. Comme s'il venait de plonger dans une mer glacée. Il les serra en un poing ferme pour ne pas plier. Pour ne pas flancher sous le torrent de larmes germant déjà dans les yeux d'Elvy. Elvy. Un souvenir qui le rendait malade. Nauséeux de cruauté. Fébrile d'espoir. Fiévreux de terreur. Malade de rancœur.
La rancune d'une promesse, d'une douce déclaration, le fit haleter, le regard hagard et la posture menaçante. Il pouvait la frapper. Il pouvait l'étrangler. Il pouvait la faire crier, comme tout son être bandait ses veines. Comme son âme qui le jugulait dans ses mots. Peut-être en avait-il envie. Le désir de lui faire mal. De lui faire payer. Pour son sous-entendu. Pour ce que ça lui faisait ressentir. Pour ce que cette comparaison réveillait en lui ?
Une larme dégringola sur sa joue, annonciatrice de nombreuses jumelles. Il ne s'en sentit pas coupable. Ni soulagé. Seulement meurtris. Seul. En colère. La douleur émanant de ses lèvres, de ses sanglots n'apaisèrent pas sa souffrance lancinante. Elle la raviva d'autant plus, son empathie associant sa dissonance à l'illusion d'un cauchemar, d'un souvenir.
Le vent cessa de souffler. Il porta chacune de ses intimidations plus loin encore. Tout autour d'eux résonna l'écho de leur mal-être. Il amplifia leur conséquence.
J'aurai profité de ta faiblesse.
La porte rouge. Le couloir mal éclairé. Les lueurs monstrueuses contre les murs. Il était si frêle. Si jeune. Si petit. Ses ongles s'accrochaient au papier peint. Ses pieds nus s'enfonçaient dans le parquet. Tout ira bien, lui disait-il. Tout ira bien. Il s'était senti jeté au sol. Comme une poupée. Traîné sur un lit par le col. Jeté dans des draps déjà défaits, tâchés de sang. Du sien. Celui de tant d'autres avant lui. Il était grand. Imposant. Comme une montagne. Comme un monstre contre lequel il ne pourrait jamais lutter.
La colline n'existait plus. Elle n'était plus qu'une ombre brumeuse se noyant dans la fumée d'un cigare.
Je t'aurai fait crier.
Il s'était débattu. Longtemps. Il avait hurlé. Toutes ses fois où le rouge était l'unique couleur. Toutes ses fois, où les ombres l'emportaient dans un déluge de bleu, de violet, de métal sous la langue. Il s'était brisé la voix sur les coups. Il s'était coupé les cordes vocales dans un volcan dans les reins. Il s'était détruit les poumons dans les sourires, dans les larmes.
La respiration lui manqua. Il porta une main à sa gorge, certains d'y trouver le contact d'un tortionnaire.
Souiller.
Le ventre contre le matelas, il entendait les respirations graveleuses à son oreille. Ou était-ce la brise ? Il n'en savait rien. Il ne voulait plus le savoir. L'odeur d'herbe se fusionna à l'eau de Cologne luxueuse, au musc et la transpiration. Il la sentait sur ses vêtements, partout dans l'air. Les feuilles lui murmuraient le froissement d'une ceinture. Le froid le coupa de liens, de griffures sur la peau.
Il les chassa en croisant les bras, en camouflant ses poignets dans les plis de ses manches.
Je t'aurai fait tout perdre.
L'innocence. La confiance. La joie. La peur. L'amour. La chaleur d'un foyer. Le plaisir d'un moment, d'une main tendue. L'attente de l'amitié. Les confidences autour d'un verre. Les instants simples d'une caresse. Les papillons d'un baiser. L'attente d'un rendez-vous. Les joues rougissantes d'un cœur battant. Les yeux brillants de mille espoirs, de mille avenirs.
Jusqu'à toi-même.
Jusqu'à ne plus se souvenir du gamin de la chambre rouge. Jusqu'à oublier ses rêves d'évasion, de justice et de bonheur. Jusqu'à tourner en rond dans une bulle intemporelle. Jusqu'à ne garder que les flammes. La haine. La rage.
Il inspira violemment, se calquant au même rythme sensoriel que l'Islandaise. Il s'était reculé, frappé d'images, d'émotions qui le sonnèrent. Il mit le plus de distance possible entre eux. Entre lui et son désespoir. Entre lui et ce lien traumatique qui se tissait. Qui les liait.
Il n'était pas un taré. Il n'était pas lui. Il n'était pas eux.
Il renifla. Et prit conscience qu'il pleurait. Du bout des doigts, il alla cueillir les perles salées mouillant son menton, coulant encore de lucarnes brouillées. Il les essuya d'un revers empressé, honteux et confus. Coupable et sale. Il détourna le regard pour retracer les contours de la cabane sur son piédestal. Elle lui sembla plus imposante dans ses tours. Plus intimidante aussi dans son silence.
« Désolée... », murmura la victime de son emportement. De tout ce qu'il n'arrivait pas à contenir. Tout ce qui le terrifiait.
Il grimaça, la bouche tordue entre ses dents. Trouvant le cran d'affronter son jugement, ou était-ce le sien qu'il craignait tant ?, il déboucha sur le remord d'une tête baissée. Le reflet glaçant d'un nœud dans le bide qui l'empêchait de raisonner, de respirer. Il retira prestement la clope de son oreille pour s'occuper les mains. Pour avoir une bonne excuse lui aussi, de regarder la pointe de ses chaussures.
« Tu … », il chercha ses mots quelques secondes. « C'est moi. », fit-il plus convaincu. C'était lui. C'était toujours lui. « J'aurai pu.. Mais je n'ai pas.. Enfin.. », hésitant, il tourna les talons pour se braquer devant les clôtures.
« Je suis terrifié. »
Il l'était encore. D'autant plus. Que tout redevienne comme avant.
« Mais je ne l'ai pas fait. Au fond, je crois que je... », son ton fléchit et son chuchotement fut comme un cri. « Que je suis un putain de taré.. »
La pluie avait coulé ce jour-là. Et comme si c'était hier, il se confrontait aux sanglots retenus d'une gamine sur point de s'effondrer qu'il avait poussé dans le vide morbide de ses bas instincts. Pour s'amuser. Pour tromper la mort, l'ennui, la terreur d'être lui aussi capable du pire. D'écharper vive la gorge d'une musicienne. De graver les chaînes sur une table gelée. De faire surgir un éclat douloureux du brouillard de l'amnésie. Le reconnaître, l'avouer, ne lui apporta pas le moindre réconfort.
Au contraire.
Le tube entre les lèvres, Lévine l'alluma d'un claquement de doigts. Le poison se dilua dans ses bronches, piquant sa cage thoracique. Un bref exutoire physique. Le filin vaporeux s'engagea devant ses cils, poursuivant sa course dans la rosée matinale. Les coudes appuyés contre l'un des poteaux de bois, il chercha vaguement du réconfort dans les carreaux fissurés et l'entrée condamnée de la bâtisse pour ne gagner qu'un vide dans l'abdomen. La plaine le rendit profondément songeur. Mélancolique.
« Il faut juste attendre un peu... Quelques secondes... C'est pour le développement de la photo... Voilà, ça devrait être bon. »
Il en avait oublié le cliché. Le flash. Le déclic d'un polaroid qui avait déclenché tout le reste. Leur discussion. Leur mise à nue. La peine rendant l'azurin de ses iris plus captivant, plus douloureux. Lascivement, il quitta sa contemplation des lieux pour capter le minuscule carré en papier glacé. Un cliché qui pesait lourd. Lourd de souvenirs. Lourd d'émotions. Lourd de ce tout qui le fit s'envoler. Qui le fit s'échapper de la prise de la nordique.
Il le laissa passer devant lui sans chercher à l'atteindre, le retenir. Il préférait que cet éphémère soit emporter jusqu'aux nuages. Loin de lui. Loin d'eux. Pensif, il suivit son ascension, porté par le vent.
Une touche de poésie dans l'horreur qui attendri à peine son cœur de plomb.
« C'était ici. »
Il dût prêter l'oreille pour comprendre ses mots. D'abord curieux, il tourna son profil sur Elvy, la questionnant d'un haussement de sourcil. Puis, il remonta le fil de ses pupilles, qui le menèrent de nouveau sur le bâtiment. Du bois froids au milieu de l'automne. Une carcasse vétuste emplie d'un malaise. D'une aura de mystère sordide. Comme le cadavre calciné de la devanture du lotus d'or. Peut-être qu'elle comprenait. Peut-être qu'elle saisissait. Peut-être qu'elle aussi, trouverait la terreur sous ses paupières.
Il eut envie de lui prendre la main. De s'appuyer et de la soutenir lui aussi. Comme ce soir-là. Comme une nouvelle danse et espérer secrètement un dénouement différent.
« Ici que quoi ? », ne put-il s'empêcher de formuler tout bas, si doucement qu'il douta de sa propre voix. « Qu'on t'as.. fait du mal ? »
Le deviner n'était pas difficile. L'affirmer l'était plus. C'était admettre le mauvais qui s'était déchaîné. Et qui restait encore quelque part. Lentement, il combla la distance entre eux, cédant à sa pulsion première. Sa paume frôla le dos de la main de son homologue. Un bref effleurement. Elle était aussi pâle que la neige. Aussi détruite que debout.
« Moi aussi, j'ai... », précautionneux, il s'en retourna à la cabane, retirant le tube de tabac de sa bouche, plus pour s'occuper les doigts que pour faire cascader la cendre dans les airs.
« Ce n'était pas ici. C'était ailleurs. Mais c'est pareil. Où que je sois, c'est là. C'est toujours là. Ça ne part jamais vraiment. Pas forcément les images, mais les sensations. Les impressions. Tout. », souffla-t-il avec une sincérité triste qui le troubla. « Ça te suit comme ton ombre et ça te revient dans la gueule comme une bourrasque. »
Lévine attaqua une énième bouffée, presque vitale.
« Ça tournera en boucle dans ta tête, au point où tu croiras devenir folle. Où tu ne sauras plus faire la différence entre ce que tu as là... », il tapota sa tempe de son majeur. « Et le reste du monde. », la mine défaite, le pessimisme dans l'iris, il quitta la pointe de la toiture et ses corneilles.
Is the Earth colored red, as I land like a flower on the meadow ? It happened quiet - Aurora
Dim 15 Mai 2022 - 18:45
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica )••• La fumée se dissipait dans les airs comme un brouillard autour de leurs têtes. Lévine se sentait comme un funambule. Il tenait sur un fil tendu au-dessus d'un ravin, véritable puits sans fond de souvenirs enfouis, qu'il n'était pas certain de désirer explorer. Chaque murmure et confession était comme incliner la tige de sa raison d'un côté, le balançant doucement d'un pied dans le vide à un équilibre précaire. Il défaillait sous ses insinuations, ses conclusions. Il la regarda défaillir un peu, sangloter intérieurement, frappé d'empathie et d'une compréhension qu'il ne voulait pleinement saisir et s'approprier. Ils étaient liés par une expérience si semblable qu'il n'arrivait pas à retrouver l'entièreté de son masque distant et froid. Sa main était froide après l'avoir posé sur la sienne. La clope en suspend, il regarda ses doigts diaphanes dans la brume. Il avait dû rêver de les avoir entraperçu plus rosés et vivants.
Depuis quand était-il ainsi ? Si fébrile à l'idée même de plonger dans la mer tortueuse de sa souffrance. Il l'avait toujours accepté. Il buvait chaque tasse de douleur avec empressement, avec la rage du désespoir et l'envie de toucher le fond. Parce que c'était ce qu'il connaissait le mieux.
C'était sa réalité. La colère était son moteur et la vengeance un bidon d'essence qu'il pouvait faire s'enflammer en craquant une allumette. C'était son monde. Il y était depuis petit. Depuis d'aussi loin que sa mémoire s'étendait. Il pouvait gérer l'envie de sauter et de crever, mais pas celle d'espérer. Pas celle d'attendre un déclencheur qui pourrait amener à quelque chose de mieux. Leur danse avait été un souffle, comme un bouche-à-bouche en pleine tempête. Il avait inspiré si fort que ses poumons auraient pu éclater. C'était peut-être le cas. Il s'était ressenti ailleurs, un peu bloqué sur la piste et si justement à sa place, soutenu par l'amour illusoire au fond de ses yeux. Il s'était cru unique et important. Il avait existé au travers d'autre chose qu'une façade et un jeu de comédie. Elle n'avait observé que lui et son air spectral, que son sourire fade et désenchanté dans un slow lunaire et décalé. Elle avait été son miroir et elle lui avait reflété son allure de paumé, mais elle n'avait pas fui. Elle l'avait serré et il avait prit conscience qu'il était en morceaux mais que son éclat rêveur et spontané aurait pu être une colle. Qu'elle aurait pu l'aider à se connaître et s'apprivoiser. Mille histoires et désirs s'étaient noués dans un balai bancal.
Elle avait fait taire les voix et les murmures. Elle avait été une bulle qui avait éclaté si soudainement qu'il s'était étouffé. L'eau l'avait submergé. Elle s'était détachée. Elle avait couru dans la foule comme s'il l'avait blessé. Elle s'était enfuie et avait disparue de sa vue, emportant dans son ombre l'envie d'être reconnu et apprécié. Elle avait volé de son éclat le reste de la salle. Il n'était resté qu'elle. Elle et le vacarme du Nord. Elle et ses yeux rouges.
Elle et sa photographie. Elle et la neige. Elle et la cabane. Elle et le besoin viscéral de l'étreindre comme il avait tant espéré que l'on le ferait un jour pour lui. Peut-être qu'en serrant suffisamment longtemps, assez fort, il pourrait étouffer les cris de son être tout entier et recoller les morceaux de son bonheur. C'était ça leur réalité ? Se trouver, un peu perdus, souffrir et s'accrocher à une illusion ? Puis se laisser filer, comme un polaroid s'enfuyant dans le vent ?
C'est notre réalité.
Non.
Ce mot le fit sursauter. Il résonna partout. Il cogna dans sa poitrine et ricocha de ses pieds à sa tête. Il fit bondir son palpitant frénétiquement.
Non.
Il l'entendit hurler. Il vit ses sanglots avant même qu'ils ne fissurent totalement ses joues. Elle recula et lui avança d'un pas. Son dos heurta le mur et elle glissa en même temps que les larmes roulaient de ses paupières. Quelque part en lui, il pleura un peu aussi.
Non.
Elle remonta ses genoux sur sa poitrine et y enfonça son visage. Il sentait toute sa douleur même ainsi. Il expira tout l'air de ses poumons et leva le menton vers le ciel. Il était gris. Un gris monotone et fade. Ses mèches bougèrent mollement sur son front, comme une vague douce et mélancolique. L'angoisse était là à deux pas, perchée un peu plus haut sur la colline. Souffrance était dans son sillage. Et colère avait déserté le paysage.
Non.
Pensivement, Lévine ramena ses mains devant son ventre. Ses doigts se tordirent entre eux pour calmer la poigne qui lui avait accroché l'estomac. Elle pouvait tout lui arracher. Il ne sut si l'enfant en lui répondit à son déni. Mais il sentit quelque chose se briser en son for intérieur.
« Je ne veux pas de ça. Je... »
Elle ne parla plus. Doucement, il s'approcha et il se plaça à ses côtés, prudent et discret. Elle regardait droit devant elle, et il l'imita. Il se confondit dans le silence. Ses genoux se rapprochèrent d'eux-mêmes et il posa ses bras sur leurs sommets. Par delà la barrière, il voyait la cabane. Sa cabane hurlante à lui. Des ruines calcinées d'où il pouvait encore entendre les hurlements. Les siens. Ceux des autres aussi. Il pouvait se représenter le lustre de cristal du grand hall et les escaliers en colimaçon menant aux étages. Et en fermant les yeux, il revoyait les interminables couloirs, et les démons derrière les portes. Il comprit sa terreur. Parce que lui aussi ne pouvait totalement la combattre.
Assit à sa droite, il tendit l'oreille et se fut comme si leurs âmes se répondaient. Brisées. Malmenées. Éparpillées. Mais encore présentes. En vie.
Il fouilla dans sa poche pour y retrouver une cigarette. Il l'alluma d'un claquement de doigt. Le feu passa d'intense à délicat. Il porta le filtre à sa bouche et il laissa le tabac couler dans sa gorge. Sans retenir la cendre, il la laissa pendre, oscillant au caprice de sa respiration. Il joua avec son index, tirant sur son ongle dans un mouvement de balancier dans un tic nerveux.
« J'ai perdu la mémoire...», lui confia-t-elle.
Il tourna son profil vers elle. Il ne vit que la cime de ses cheveux et le bout de son nez. Entre ses lèvres, c'était comme un secret. Il cessa son schéma stressé sur ses mains et en ramena une sur sa nuque pour soutenir sa position.
Il n'aimait pas être indispensable. C'était accepter de faire partie de la vie de quelqu'un, d'exister au-delà d'une simple relation de collègue ou de passant croisé au hasard dans la rue. Disparaître, ça devenait douloureux pour tout le monde. Il pouvait s'attacher, trop fort peut-être, et arracher les liens qui le maintenaient dans un lien qu'il n'estimait pas avoir le droit de mériter. Il ne voulait pas qu'on l'aime ou qu'on ait besoin de lui. C'était trop d'investissement et de responsabilité. Il ne voulait pas gérer l'abandon ou la pitié.
Il était resté pour sa mère, pour Stanislas, pour Elnath, pour Cliff, pour Kayser aussi. Et il ne bougea pas pour elle. Il resta.
« Après cet... après ce qu'il s'est passé. C'était il y a un mois et... »
Elle perdit pied. Impulsivement, il voulut la serrer, au moins, pouvoir caresser ses cheveux pour apaiser sa respiration. Il ne bougea pas. Il se contenta de la regarder plonger à l'aveugle dans une mélasse de souvenirs sans formes ni fonds. C'était son combat. C'était sa réalité. Il se sentit si proche d'elle en cet instant précis, tandis qu'elle peinait à se maintenir dans un semblant de lucidité, qu'il lui appliqua ses mécaniques : Encaisse et n'accepte l'aide de personne. Aucun ne pourra comprendre totalement. Et aucun ne pourra apaiser tes pensées.
Tu es seul.
« On m'a dit que.. Que c'était un... Un loup-garou. Mais... », elle s'interrompit et bien qu'à quelques centimètres d'elle, il la sentit trembler.
Il frissonna lui aussi.
« Mais... »
Mais tu n'y crois plus vraiment. Il ne lui dit pas. Aurait-il pu y croire si la situation avait été inversée ? Alors qu'un simple contact physique lui provoquait la nausée ? Que l'autorité paternelle le plongeait dans un malaise systématique ? Que d'être entouré d'Hommes était à le rendre malade ? Qu'il ne pouvait plus regarder son visage sans y déceler la lueur sadique d'un autre ? Alors même qu'isolé, il sentait des mains sur ses courbes à la nuit tombée ? Que les yeux fermés, il s'entendait hurler et se demandait, encore transpirant, si ça n'avait pas été le cas cette fois-ci encore ?
Elle fuyait.
« Je ne me souvenais de rien. »
Et peut-être qu'il en aurait fait autant. Il ne parvint pas à la traiter de lâche. Mourir et baisser les bras. Il avait déjà préféré la facilité à l'ardue tâche de se relever et avancer.
« Et maintenant ça. », elle lui pointa le haut de la colline de l'index. « ici... »
C'était son enfer qu'il voyait encore. Le squelette de ses démons dans une enseigne clinquante et lumineuse. Dans les planches mal clouées, il voyait l’opulence de la cruauté et la luxure dépravée d'un esprit malsain. Dans les fenêtres condamnées, c'étaient les rires et la joie sincère d'être l'auteur de cris et de gémissements plaintifs. Dans l'air, la fumée des opiacées et la sueur se mélangeaient au froid et au piquant du tabac blond. Sur sa peau, s'il reniflait, il pourrait y retrouver l'arôme de son eau de Cologne et l'arrière-fond presque caramélisé d'un cigare cubain. C'était comme hier et en même temps, tout lui sembla si lointain, comme s'il l'avait vécu dans une autre vie.
La cendre tomba sur son pantalon. C'est ce qui le ramena au présent. Il la chassa d'une pichenette et il ne l'observa pas se disperser et rejoindre les nuages.
Il affronta le clair de ses iris. Dans le bleuté, il distingua cette douleur qui devait faire vibrer son expression.
« L'amnésie était peut-être un cadeau du ciel, au final. »
Aurait-il voulu oublier ? Oublier l'enfant, oublier les ruines, oublier la porte rouge, oublier les couloirs, oublier les rires, oublier le cigare et l’encens, oublier les draps, oublier les mains, oublier les souffles, oublier le sang, oublier les flammes, oublier les insomnies, oublier les cauchemars, oublier l'homme au cigare. Tout oublier.
Aurait-il été différent ? Aurait-il été plus heureux ? Aurait-il pu aimer ? Aurait-il pu être aimé ? S'il avait été frappé d'amnésie, sa vie aurait-elle été meilleure ?
Il la dévisagea un instant. Elle n'était pas plus heureuse. Elle n'était pas plus en paix. Il n'aurait pas été une exception.
C'était sa réalité. Tout ça. Les souvenirs, la peur, la colère, la rage, l'impuissance et l'envie de crever. C'était son monde. Il avait pensé à en changer. Il avait envisagé un oubliette les nuits trop longues, quand plus rien ne le tenait vivant. Un simple sortilège sur la tempe. Et ce qui l'avait retenu était la même chose qu'aujourd'hui : La peur de ne plus se reconnaître, aussi monstrueux et imparfait qu'il pouvait être.
« Tu crois ? », lui répondit-il dans un haussement d'épaules. « Moi, je ne crois pas. », il retira le tube déjà bien entamé de ses lèvres. Il souffla fumée et respiration enrouée.
Elvy, c'était une bulle. Elle l'était encore. Un il ne savait quoi d'intemporel, qui était mais n'était pas vraiment. Il ne s'était jamais confié. C'était trop dur de verbaliser des faits sur lesquels il ne savait pas s'il pourrait trouver les mots justes pour les décrire. Aucun ne savait réellement. Sauf elle. Il eut la sensation irrationnelle qu'elle était la bonne. Qu'ils pourraient se comprendre. Qu'elle pourrait comprendre comme lui avait saisi son désespoir.
« J'y ai pensé. Une fois. Ou deux. », il hésita, puis reprit avec plus d'honnêteté. « Ou trois. Un oubliette, tu sais. », il pointa sa tête et fit un léger moulinet de l'index comme pour mimer le geste de sa baguette.
« Mais ça enlève pas... tout ça. », il engloba mollement la cabane et la colline sans s'y confronter de nouveau. « Ça existe. Et oublier ne les fait pas disparaître. »
Ça ne fait que retarder l'inévitable. Il soupira.
« Oublier, ça soulage. Ça enlève le reste et ça le remplace par un trou noir. L'alcool ça fait ça, mais pas longtemps. La drogue, ça aide, mais pas tout à fait. C'est illusoire et ça dure pas. »
Pensivement, il caressa un morceau nu de son poignet, à la base de ses veines. Aucun bandage. Quelques cicatrices qu'il sentait sous son pouce. Le bien-être qu'il sentait sous les entailles ne durait jamais. C'était éphémère. Expulser torpeur et colère de son corps était assez bon pour qu'il y revienne toujours. Mais assez faible pour qu'il regrette. Qu'il se sente coupable.
Il se racla la gorge et baissa sa manche. Il la retient solidement.
« L'amnésie, ça dure pas. Un jour, on se souvient. Comme toi, là. Un peu. », il se fondit dans la complexité de son regard. « Je ne veux pas oublier. La souffrance, les souvenirs, les sensations, tout ça... C'est moi. Ça m'a fait. J'ai grandi avec. J'ai... », il s'interrompit, puis souffla. « C'est moi. »
Il avait la bouche sèche. Les larmes grimpaient dans sa gorge. Il joignit ses mains et serra pour calmer son émotion.
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Jeu 9 Fév 2023 - 14:19
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica )••• L'oubli. La mémoire.
Dans ce tourbillon, il ne pensa plus qu'à ça. À eux et à leur détresse si vive qu'elle lui en transperçait la peau comme une pluie d'aiguilles. Le souffle coupé, il ne parvient pas à différencier le froid rougissant ses joues, et les larmes qui y avaient séché. Lévine se sentait fébrile, le cœur aux bords des lèvres, et la mine triste. Lui pour qui les apparences étaient gage de fierté et de secours, était démuni de son sourire ou d'un air rassurant. La gorge serrée, il se serait écroulé de ces sanglots lourds qui lui pesaient sur l'estomac, si l'islandaise n'était pas devant lui. Ou bien était-ce elle qui était la cause de son soudain mal-être ? Elle et ses démons qui ne pouvaient qu'encourager les siens à se réveiller ? Il la désigna fautive. Mais ne parvient à lui en vouloir.
Dans ce flot d'émotions décousues, il n'en garda que peu, ou trop, il ne sût dire : Le désespoir, l’interpréta-t-il. Le désespoir pur, brut, celui qui creuse les entrailles et laisse un dégoût de soi et de l'autre dans son sillage. Un mot qui désigna un tout, la cabane hurlante, le sel de la tristesse, leurs reflets brisés et leurs identités irréelles. Il se retrouva enfant, petit garçon criant à l'amnésie devant des policiers impuissants et dans l'inconnu. Il se revit niant la magie qui coulait dans ses veines, intimement liée à ses cauchemars et ses excès. Il n'avait jamais totalement caché ses souvenirs sous une avalanche de mensonges. Il avait détourné les questions pour en construire des réponses plaisantes et idéales. Il avait inventé pour mieux grandir. Dans cette réinterprétation de son passé, celui qu'il présentait, et non celui qu'il savait avoir vécu, il s'était perdu. Il y avait gagné la force de marcher et sortir, mais y avait perdu l'honnêteté et le courage d'affronter. Comme Elvy et son envie de déambuler dans le noir, il fuyait sa mémoire par la feinte et la ruse. Il n'était pas plus prêt qu'elle a accepté la réalité : Qu'il était une victime innocente. Qu'il avait besoin d'aide. Et que tout cela n'avait aucun sens. Admettre l’insensé était pour l'instant trop dur. Il voulait un coupable, une raison pour les tortures, les séquelles qu'il traînait dans sa vie d'adulte, faisant germer dans son inconscient qu'il n'aurait jamais de réponses à ses questions, ni remède miracle après avoir obtenu une quelconque justice.
Un bol que l'on a brisé reste à jamais marqué de son choc. Il est zébré, il est fêlé, il peut lui manquer des pièces, trop petites pour être récupérées. Il pouvait le réparer, le recoller, le repeindre, il serait à jamais irrémédiablement changé.
Il voulut oublier, lui aussi, leur conversation, leur rencontre, qui le faisait plonger dans des réflexions trop justes et terrifiantes. Dans ses yeux brillants, il y lut quelque chose qu'il devait renvoyer malgré-lui, et il sût que sa cruauté ne le pousserait pas à un total égoïsme. Par préservation, il souhaita la rejeter, frapper violemment dans cette main qu'elle tendait timidement vers lui, parce qu'il se savait incapable de faire de même. Elle avait fait un pas en avant, petit, vers l'acceptation, quand bien même, elle voulait le convaincre de son choix de se résigner à l'inconnu. Elle n'avait pas totalement abandonné. Elle lui semblait trop résiliente pour cela. Ou bien était-ce son tempérament joyeux et hédoniste qui influençaient son rapport à son traumatisme ? Elle tomberait. Mais elle se relèverait. Il la comprenait sans totalement se retrouver dans son comportement. Dans son désir d’exister, il décida de cacher son empathie et sa sympathie derrière un intérêt : Elle lui donnerait une place, celle qu'il peinait à endosser : Une épaule attentive.
Il acquiesça.
« Lévine Serger, bureau des Aurors. », lui dit-il, avant d'ajouter. « Si tu souhaites me contacter. »
Elle se détourna, forme spectrale dans la brume glacée. Elle partit comme elle était venue, silencieuse et surprenante. Il la suivit du regard, jusqu'à ce que ses pas s'effacent dans le givre. Il resta dans l'atmosphère une impression de rêve, dont ses yeux secs et l'envie de pleurer étaient les seuls stigmates. Leur rencontre avait été comme ce cliché, volée, éphémère et saisissante. Elle était un flash et la pellicule de leur déni, une vie qu'aucun ne voulait visionner sur grand écran, comme un vieux film en noir et blanc, dramatique, un thriller des années soixante dépassé et sans issue heureuse.
Il soupira.
Les mains dans les poches, il bifurqua sur le paysage, inchangé et statufié dans le gris du temps. Les paupières mi-closes d'une fatigue psychologique, il chercha dans ses poches son paquet de cigarettes. La fumée dansa dans le vent, disparaissant dans le vide en une expiration. La nordique était venue avec son lot d'interrogations, changeantes, envoûtantes, comme un précipice qu'il craignait de franchir, par peur qu'il soit trop haut pour être gravi à nouveau. Elle était arrivée avec ses déjà-vus et ses hypothèses qui débouchaient sur des cul-de-sacs en une toile d'araignée labyrinthique. Face à la cabane, l'auror n'y vit plus qu'une vieille bâtisse sinistre et non plus une pièce au papier peint satin rouge. Dans ses narines n'entraient qu'une vague flagrance de tabac blond s'entremêlant au froid, se substituant à la flagrance, à l’âcreté agressive de la sueur et du parfum luxueux. À la moitié du filtre, il ne tremblait plus.
Ses talons le firent glisser, et il laissa derrière lui la métaphore qu'avait prisz sa contemplation. Les branches craquèrent sous une bourrasque qui le fit chanceler en avant. À ses pieds, coincée entre deux cailloux asymétriques, la photographie avait fini sa course non loin d'eux, ramenée par les intempéries. Intrigué, il se pencha, la ramassa et de l'index, chassa les gouttes d'une pluie qui s'était arrêtée dans le courant des dernières heures. Il leva le polaroid en hauteur, frappant le cliché d'un rayon timide. Il se distingua, comme une silhouette lointaine sur la colline, le visage gravé d'une expression mélancolique. Pensif, il hésita à déchirer le papier comme pour effacer cette preuve de faiblesse de sa mémoire, ou à en garder une trace, pour mieux se rappeler cet instant, de cette seule et unique fois où sa vision n'avait plus été unique, mais comprise et partagée. Du pouce, il caressa le carré, d'un coin à l'autre, indécis.
« J'ai le sentiment que tu seras peut-être le seul à pouvoir vraiment me comprendre. »
Il le mit finalement dans sa poche intérieure, quelque part entre son carnet de note et une poignée de pièces de monnaies, vaincu.
Lévine reprit sa marche, le pas lourd dans la boue. Il regagna les rues plus fréquentées, dont les habitants avaient su braver la menace des températures négatives. Perché sur les toits d'une simple impulsion, il se guida, félin, entre les cheminées et les tuiles en un jeu d'équilibriste. Il oublia la matinée dans les déclinaisons du jour, et au soir, ce fut comme si elle n'était jamais advenue, l'esprit occupé par les affaires du ministère et les protocoles changeant aux fils des événements. Peut-être qu'il avait guetté, la première semaine, les courriers qui s'étaient déposés sur son bureau en réminiscence, avant de finalement le relégué à une tâche auxiliaire.
Sur sa table de chevet, une photographie s'était retrouvée, unique témoin du face-à-face sur la colline. Entre une lampe souvent allumée et un radio réveil aux nombres rouges, elle est la preuve qu'il a fait un pas : Il n'est pas tout à fait seul.