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TW - [21/11/95] Peut-être sommes-nous plus que des fantômes | Elvý & Lévine

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Ven 12 Fév 2021 - 21:17



Peut-être sommes-nous plus que des fantômes
☽ Elvý & Lévine ☾


Mardi 21 Novembre 1995

La vieille Mirta, c'était un sacré personnage. La vieille Mirta, c'était cette voisine insomniaque qui désertait son lit aux alentours de minuit pour se brûler un filtre au coin de la fenêtre. C'était le parfum de Morphée que ses poumons aspiraient, qu'elle disait. Et la fumée que ses lèvres gercées expiraient, c'était de la brume soporifique pour envelopper les étoiles, qu'elle rêvassait.

La vieille Mirta, Elvý l'avait rencontré à la première pleine lune du mois.

- Eh bien, tu rentres bien tôt ce soir, que l'octogénaire avait déclamé depuis sa fenêtre.

En contre-bas, une silhouette esseulée était en train d'avancer d'un pas irrégulier au milieu de la rue. Surprise par cette voix semblant émaner de la lune, la jeune femme s'était arrêtée et avait relevé sa tête encapuchonnée.

- Quelle heure est-il ? avait demandé Elvý.

- Deux heures du matin, avait répondu Mirta. Ou quelque chose comme ça.

Elvý avait soupiré. Il était vrai que lorsqu'elle sortait le soir, elle rentrait rarement avant que le soleil ne se soit levé. Mais pas cette nuit-là, une sorte de saveur fade collée au palais l'avait poussé à s'échapper des festivités.

Sa voisine ne devait pas beaucoup dormir non plus pour connaître ses aléas nocturnes réguliers. Ça avait été la seule pensée qui avait alors effleuré les méninges de la droguée.

- Me dis pas que tu vas te coucher si tôt, jeune fille ?

Elvý avait soufflé un léger rire. Cette dame était jusqu'alors restée dans l'ombre de son statut de « l'inconnue vivant dans la maison d'à côté » et subitement la voilà qui avait surgi de nul part pour commenter ce qu'avait prévu de faire la fêtarde. Puis, depuis quand deux heures du matin était considéré comme une heure de coucher prématurée par une octogénaire ? La situation avait paru d'une absurdité inouïe.

- C'est pas comme si j'avais grand chose d'autres à faire, là maintenant, s'était justifiée la plus jeune.

- Si, avait protesté l'aînée. Tu peux entrer et déguster du rooibos avec moi.

- À deux heures du matin, vous êtes sûres ?

- Évidemment. Deux heures du matin, c'est l'heure idéale pour du thé sans théine.

C'était à peu près comme ça qu'Elvý avait mis pour la première fois les pieds dans la maison de la vieille Mirta et, après avoir partagé un premier rooibos avec elle, c'était volontiers qu'elle était revenue partager des moments de son quotidien avec la personne âgée.

Le salon de Mirta, c'était un peu comme un musée. Il y avait de vieux objets à chaque recoin, de la poussière sur leurs sommets, de la porcelaine derrière les vitres des placards - Mirta était une grande collectionneuse de tasses -, et même plusieurs accessoires moldus. Comme ces vieux appareils photo qui s'alignaient élégamment le long d'un buffet, encadrant un album photo toujours ouvert. À chaque fois qu'elle venait, Elvý y découvrait une nouvelle page.

« La première chose que je fais le matin – avant même de rejoindre mon trône -, c'est de tourner une page. Comme ça, chaque jours j'ai de nouveaux souvenirs qui flottent dans mon esprit. Alors, quand la monotonie s'invite à mes après-midi, je souris à cette dernière en repensant à ces clichés. »

Ces phrases furent pour Elvý comme un premier rayon qui perçât un brouillard depuis longtemps installé. Comme un baume. Ou une clé. Ils furent une solution, les prémices d'une nouvelle passion : la photographie. Y avait-il déjà eu une invention aussi précieuse que celle permettant de capturer un souvenir en une image immortelle ? L'amnésique fut subjuguée par la simplicité de cette évidence : la photographie était un art qui dépassait toute forme de magie. Et, aussitôt que ses doigts eurent frôlé les appareils photo poussiéreux du buffet, elle ressentit en elle l'envie puissante de s'y essayer.

« Raymond adorait me prendre en photo. Pour dire, il connaissait mieux que moi mon meilleur profil ! Mais mon Ray était surtout un grand artiste, je n'avais jamais vu ce à quoi ressemblait l'instant présent avant qu'il ne le capture dans l'une de ces petites boîtes. »

La vieille Mirta avait toujours les yeux qui scintillaient d'émotions quand elle parlait de son défunt mari. Il l'avait quitté il y avait une quarantaine d'années de cela, la faucheuse s'étant drapé du voile de la maladie, mais c'était pourtant sa présence à lui qui se faisait ressentir plus que n'importe qu'elle autre entre ces murs. Grâce à ses photos, même lorsqu'il n'était pas présent sur le cliché, il continuait à vivre auprès de sa Mirta.

« Ça, c'est le dernier appareil qu'il s'est offert, en 1949. Le Polaroid 95, une vraie révolution parmi les moldus, à l'époque ! Le premier appareil photo à imprimer directement les clichés réalisés. Malheureusement, mon Ray est parti avant d'avoir pu l'utiliser... Tiens, il est pour toi, Elvý. Pour qu'à ton tour tu ais la chance de voir le monde à travers ses yeux. »

Elvý n'avait pas souvenir d'avoir déjà été autant émue.

~

Désormais, l'automne s'était bien installé sur les terres d’Écosse. Les feuilles-mortes effleuraient les pavés de Pré-au-Lard dans un souffle silencieux et les rues aux tons orangés s'éteignaient de plus en plus tôt avec l'hiver qui approchait. En semaine, le village sorcier était calme, comme en ce mardi que l'Islandaise avait choisi pour arpenter de ses pas effilés les allées hantées d'un Halloween qui avait dégénéré. Solitaire, elle laissa ses jambes la guider dans son hasardeux cheminement, retrouvant la rêveuse vagabonde qu'elle avait toujours été. Elle passa à côté de la poste et y vit l'envolée gracieuse de quelques messagers. Elle passa devant une boulangerie et y respira l'odeur alléchante du pain frais. Elle passa sous la rambarde d'un foyer et y entendit le rire enchanteur d'un bébé. Puis, elle s'éloigna peu à peu des quartiers habités et découvrit, derrière l'ombre des toitures et le brouillard ambiant, une colline habillée d'un couvre-chef en son sommet.

L'air s'était rafraîchi – où était-ce son imagination ? - et elle s'enroula un peu plus dans sa cape de sorcière, ôtant à ses pans la liberté de voler au vent. Mais peut-être que ce n'était pas seulement l'air car, plus elle s'approchait de ce terrain inhabité, plus une aura nouvelle semblait l'envelopper. Frissonnait-elle vraiment à cause du froid ? Finalement, l'ombre du sommet dessina ses contours à sa cornée contemplative et elle y devina une cabane déformée aux allures abandonnées. Puis, elle en fut convaincue : c'était bien cette étrange battisse qui créait en elle ce mélange diffus d'émotions répulsives. Comme une angoisse étrange et inexpliquée qui lui tordait le ventre. Et, étonnement, elle en fut d'autant plus attirée, son appréhension se mélangeant à une sorte de sombre fascination.

Puis, elle remarqua une deuxième ombre. Plus petite, plus modeste. Une silhouette. Au pied de la colline, un homme observait lui aussi cette mystérieuse cabane. Elvý comprit aussitôt qu'elle venait de trouver exactement ce qu'elle était venue chercher.

Elle sortit silencieusement le Polaroid 95 de son sac en bandoulière sous sa cape, l'ouvrit, fit glisser l'objectif sur ses rails rouillés, ajusta quelques réglages dont elle avait passé plusieurs après-midi à comprendre le fonctionnement, puis s'osa à avancer discrètement, de façon à réduire sa distance avec l'inconnu à une quinzaine de mètres.

Le bras gauche levé pour maintenir l'appareil par le dessus, l'index droit frôlant le déclencheur et le regard mi-ouvert derrière le carré de verre, elle prit une profonde inspiration. À son expiration, son index s'échoua sur la détente.

Click.

Son voile de fantôme se déchira à la détonation de son premier cliché. Le minois enchanté, elle s'empressa de rentrer l'objectif pour refermer l'appareil : elle était impatiente de découvrir le résultat. Ce n'était pas une simple image qu'elle venait de capturer, mais tout un aura.

Dans sa manœuvre fastidieuse pour refermer le Polaroid aux jointures raides, elle garda ses yeux fixés sur l'appareil mais n'ignora pas pour autant l'homme qui devait sans doute s'être retourné au cliquetis de l'objectif, et déclara à son intention :

- Je vous ai pris en photo, j'espère que ça ne vous dérange pas ? Le cadre était unique. La colline, cette cabane, puis vous juste devant... Ça avait quelque chose de vraiment ... mystique ! Mais je vais pouvoir vous le montrer dans un ins-

Elle s'était figée en relevant les yeux. Même sans la pâleur factice, même sans les veines apparentes, même sans la semi-transparence d'un voile, elle l'avait reconnu. En une seconde, le quart d'heure illusoire d'une soirée singulière s'était redessiné dans son esprit.

« Gardes en mémoire le fantôme que je suis. »

- Toi..., chuchota-t-elle.
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Elvý Njállsdóttir
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Mar 16 Fév 2021 - 18:03
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý
If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica ) ••• Dehors, il neigeait. De minuscules flocons marquant le carreau de saleté, d'une goutte d'eau qu'il regardait dégringoler. Un chemin sinueux finissant dans les parterres aux fleurs morcelées, à quelques pas sur le béton de la terrasse. Sur la vitre, son souffle formait des formes géométriques. Un ovale s'étirant à un nuage bullaire approximatif. De sa manche, il l'effaçait pour embrasser la vue d'un jardin immaculé. Le blanc lui faisait mal aux yeux. Mais c'était beau. Emmitouflé dans la laine d'un édredon, il se laissait bercer par les clochettes d'un chant festif, enrobé du sucre d'un chocolat chaud à la cannelle. Deux bras le décrochèrent de son perchoir, d'un rebord de fenêtre qu'il avait grimpé pour s'y installer, et ses chaussettes s’aplatirent sur le parquet. L'étreinte le gênait tout autant que la barbe mal rasée grattant sa tempe. Monsieur Serger sentait le froid, l'hiver, et un quelque chose de sucré. Ses doigts agrippèrent les plis d'un pull aux couleurs d'une fin d'année. Il y avait un cerf. Les yeux perdu sur les lumières des guirlandes, il n'offrit que son profil perdu à un flash photographique.

***

« Tu te souviens de celle-ci ? », sa mère lui désigna le cadre au-dessus de la cheminée.

Une vieille relique aux accents délavées, d'un monochrome s'effritant sur les coins. Le décrochant de son support, manquant d'y faire tomber un vase garnis de roses, Lévine porta son attention sur les deux silhouettes enlacées sur le cliché. Voir le sourire de Monsieur Serger était toujours douloureux. Ça lui tordait le cœur d'une nostalgie impuissante. D'un regret amer de ne pas pouvoir revenir en arrière. De ne pas avoir dit ou fait, de ses et si une réalité. De ne pas les avoir tué avant d'exister. Son pouce caressa le verre dépoussiéré. Son premier Noël. Ses premiers cadeaux. Ses premiers rires. Ses premiers tout. Tenant en un seul regard lointain.

« C'était ta première année avec nous. Il faisait si froid que le pare-brise de William avait gelé. Tu te souviens de notre allée ? », sa main tremblante appuya sur sa bouche pour en effacer un rire incontrôlé. « Il avait de la neige jusqu'aux cuisses. Et il râlait. Il râlait en cherchant une pelle. », accroché à son bras, elle y apposa sa pommette tressaillant de cette joie qui ne faisait que raviver le vertige à ses pieds.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi être heureux alors qu'il n'était plus là ? Pourquoi être comblé alors qu'il n'y aurait plus sa voix, ses marmonnements rageurs contre la glace sur ses essuie-glaces ? C'était fini. Ça n'aurait plus jamais lieu.

« Que vous êtes beaux dessus... », fit-elle pensive, abandonnée à cet élan bienveillant qui coula dans ses bottes ses questionnements. Son front s'apposa à son chignon désordonné. Il inspira les effluves de thé au citron. Ses paupières plièrent face à son insomnie. Cette nuit l'avait fuis. La Lune avait été une compagne d'heures éternelles d'interrogations, ne se parant jamais de l'auréole de la satisfaction.

« Garde-la. », il se redressa et s’apprêta à refuser par automatisme, mais l'index sur le bout de son nez l'en dissuada. « Il n'y a pas de mais. En souvenir de notre William. », le prénom changea son sourire en une grimace qu'il peina à camoufler.

« Tu reviens à quelle heure ce soir ? », incertain, il haussa les épaules en toute répartie. « Je vais acheter des fleurs pour sa tombe. Mais j'aimerais que tu sois là pour le dîner. », elle le dépassa pour s'approcher de la table.

La salle à manger était ouverte sur la cuisine par une arche. Une porte décrochée de ses gonds pour faciliter la communication d'une pièce à l'autre, séparée du salon par un rideau opaque beige. La peinture unie d'un vert pastel s'écaillait sur les plaintes. Il nota dans sa liste de choses à faire d'y remédier, pour un confort visuel. La vie c'était figée sur des travaux inachevés, sur des pierres apparentes derrière le meuble télé portant encore les marques des vis pour un support lumineux, jouxtant les arrondis d'un miroir trônant finalement sur le tapis, retenu par la commode en chêne. Les pieds de la chaise en osier grincèrent sur les lattes, et sa mère se plaça dans son angle idéal. Un trois quarts arquant sa hanche, pour l'observer des pieds à la tête, tout en gondolant la plume de son stylo sur une feuille de papier.

« Qu'est-ce-que tu veux manger ce soir ? », lui demanda-t-elle comme si son silence était l'aval de sa venue, et non un refus déguisé. « Je passerai par l'épicerie avant d'aller chez le fleuriste. Je pensais faire des côtes d'agneaux aux herbes avec des pommes de terres sautées. Mais si tu veux, on peut aussi faire du... », il leva la main pour couper court à son énumération, avec l'ombre d'un sourire contrit, crispé. Il se sentait piégé devant son insistance. Obligé de s'y plier pour ne pas luire ses pupilles de la déception.

« Maman. La première me va très bien. », s'empressa-t-il de dire pour combler le silence, et ne pas la faire s’impatienter. « Inutile d'en faire plus. Je n'aurai pas très faim en rentrant de toute manière. », ajouta Lévine en détournant le regard en oblique, pour ne pas faire fuir la criante vérité de son estomac retourné par la simple mention d'une soirée à ressasser de vieux souvenirs, en l'honneur d'un mort dont le jour du trépas était entouré sur le calendrier, estampillé d'un cœur au feutre à alcool, pour agrémenter une mauvaise nouvelle d'une touche de bonne humeur.  

« Et il y a des chances que tu ais déjà fini quand j'aurai terminé mon service. »

L'encre dérapa en boucle soignée, marbrant le quadrillage de sa liste d'ingrédients.

« Peu importe. Tant que tu es là pour allumer le cierge. », l'obstination d'un taureau à ne jamais flancher.

« Je serai là pour le cierge. Mais ne m'attend pas pour manger. », avec un soupir, il ramena ses cheveux vers l'arrière dans un tic nerveux. « S'il te plaît. »

Devant sa non-résistance, il sût qu'il avait gagné un peu de terrain. C'était déjà ça.

***


L'air frais brûla ses joues dès lors qu'il quitta le confort des trois-balais. Le point de rendez-vous de l'unité de garde, réchauffé par un passage obligé par le comptoir, et une tasse de café. Les mains dans les poches, il se mêla aux manteaux noirs des gardiens de la paix, y ajoutant une teinte grisâtre d'un uniforme incomplet. Le nez recouvert de son écharpe sombre, il suspendit son regard aux allés et venus, discernant dans les spectres des visages concentrés, des lendemains de soirée trop arrosées, et les mines blêmes des jours tristes. L'automne avait cet effet sur les matinaux. Sur les aventuriers des avenues, et les explorateurs des rares boutiques ouvertes. En quelques enjambées, il traversa le boulevard de part en part, pour admirer la devanture déjà décorée d'une petite brasserie, typiquement française. Comme un ajout à leur culture trop décolorée, apportant un côté tape à l’œil par des nappes presque écossaises sur des tables déjà dressées pour une vingtaine de couverts. La carte affichait le menu, les recommandations du chef. Des œufs pour un petit déjeuner, assortis de pain frais et de confiture maison. Plus tard se laisserait-il tenté par une tartine, qu'il débourserait pour quelques pièces, pour un déjeuner qu'il passerait sur les toits, à nourrir les pigeons de ses miettes, la clope au bec, et l'envie de dormir sur les tuiles.

À une dizaine de mètres, il rejoignit son apprenti, un Elnath la bouche pleine du feuilleté d'un croissant au beurre, de la seule boulangerie sur tout un pâté de maisons. Le sachet froissé dépassant de son pantalon, à mille lieux de sa maniaquerie coutumière, il n'échappa pas au traditionnel gobelet de thé pour participer à son réveil. Lui non plus, n'avait pas assez dormi. Si tant est qu'il soit parvenu à arracher une heure ou deux à sa montagne de dossiers, et son exercice de privation de sommeil obligatoire. Quarante-huit heures pour une première étape, qui dériverait sur une semaine en cas de grande réussite. Une manière de trier le bon grain de l’ivraie, de ne s'embarrasser d'un boulet ne nourrissant pas l'ambition, et le mental nécessaire à leur métier. Réprimant un bâillement, les mâchoires serrées de son ultime bouchée, son cadet lui désigna un petit groupe quittant une artère de lotissements biscornus. Des habitants ajustant leurs couvre-chefs et leurs gants en prévention des grands vents annoncés pour la journée.

Peu importe, décida-t-il de penser en passant un coup d’œil circulaire attentif, guettant le moindre mouvement suspect. Rien. Rien ne sortant des mornes nuages de Pré-au-lard. D'un pas, il tournoya jusqu'aux corniches, fleurtant avec le vol d'une corneille fuyant à son passage. Le talon butant contre une courtière, il regarda en contrebas, ayant une vue dégagée sur toute la rue et ses impasses. En hauteur, il se sentait mieux. En sécurité. Loin d'une agression, d'une conversation sans intérêts. Il longea la grande route, enjambant avec finesse les obstacles, les échelles, faisant fit de la gravité tel un chat sur une planche, pour traverser les bâtiments sans réitérer son transplanage. Glissant après une vingtaine de minutes de marche silencieuse, jusqu'au trottoir, il amorça la suite de son itinéraire de ronde. Les maisons s'éloignèrent dans son dos, et la pente raide sur le sentier tira sur ses mollets. Ses poumons comprimés le firent se sentir vivant. Alors, il força l'allure jusqu'à suffoquer de sa course acharnée, de son sprint le faisant inspirer à grande houle. Il sauta les rochers, il piétina les hautes herbes, il embraqua au premier saule, et seulement en haut de la colline, s'autorisa à reprendre son souffle. Devant lui, la cabane ondulait dans le paysage. Une bâtisse délabrée alimentant les légendes sordides et les croyances populaires. Des histoires de fantômes. Parfaites pour dissimuler des faits plus réels. Des crimes sanglants.

Les yeux plissés, la poitrine agitée de soubresauts d'adrénaline, il fouilla dans son blouson pour en extirper son paquet de cigarettes. L'une d'elle se joignit à sa bouche, pour s'embraser d'un claquement de doigt ferme. Le tabac se diffusa devant ses cils, et détendu, il ouvrit la boîte mentale de son enquête en cours. D'un portrait d'assassin au mode opératoire sordide, et aux motivations en simples hypothèses. Qui ? Pourquoi ? La myriade de points d'interrogations en suspens dans son cortex cérébral le fit vapoter plus fortement. Il lui avait échappé. Par deux fois. Et s'il commençait à saisir les tenants et aboutissants de ses motivations, les pièces du puzzle étaient encore trop morcelés pour en avoir de réelles certitudes.

Click.

Le bruit lui fit tourner la tête abruptement, et il observa la silhouette féminine s'affairant déjà sur son polaroid, pour en extraire le précieux papier glacé. La bile de l'énervement d'avoir été photographié à son insu grimpa en flèche. Ses chaussures crissèrent sur la terre, et c'est en grandes pompes qu'il s'approcha de l'islandaise. Ses traits se faisaient plus distinct. Une beauté d'une autre contrée, se justifiant déjà pour avoir violé son intimité, s'agitant comme une petite fille sous un sapin de Noël. Qu'il aurait voulu lui arracher son cliché des doigts, pour le déchirer.

« Je vous ai pris en photo, j'espère que ça ne vous dérange pas ? Le cadre était unique. La colline, cette cabane, puis vous juste devant... Ça avait quelque chose de vraiment ... mystique ! Mais je vais pouvoir vous le montrer dans un ins- », sans s'arrêter sur le trouble apparent de la jeune femme, il croisa les bras sur son poitrail, la toisant de son regard le plus sévèrement acceptable.

« Vous savez qu'il s'agit d'une violation de la sphère privée ? », lui demanda-t-il en contrôlant son timbre, pour le rendre moins virulent qu'il l'aurait sans doute souhaité. Il avait une image à tenir. Celle du parfait officier sans histoires, aux sautes d'humeur aussi rare qu'un jour ensoleillé au mois de Novembre. « La prochaine fois que vous voulez photographier quelqu'un, prenez le temps de lui demander son autorisation. Même si ça brise le mysticisme de l'instant. »

« Toi... », murmura-t-elle en unique répartie, et il tendit l'oreille pour la comprendre.

« Pardon ? », fit-il un peu incrédule, en prenant le temps d'observer cette fois-ci son visage avec plus d'attention. Une bouche pulpeuse. Un éclat ternit par un il ne savait quoi dans les yeux. Une gueule de poupée scandinave. Physionomiste de métier, il marqua un temps d'arrêt. L'ombre d'une aurore boréale filtra dans le brouillard de ses pensées, et l'image de deux corps enlacés dansant sur une mélodie imaginaire le frappa à la gorge.

« On s'est enfin trouvé, on est lié à présent. »

« Tu es la femme de la soirée. Elvý. », un peu sonné d'être confronté à un pan de la soirée qui avait été aussi agréable que détestable, il se racla la gorge pour reprendre son assurance, dissimulant son propre bouleversement sous un tas de masques factices. Un simple sourire avenant, d'une amicale politesse éclaira les commissures de ses lèvres, pour appuyer sur la découverte de son identité.

« Difficile de te reconnaître sans ta cape et tes yeux rouges. », incertain de devoir continuer la discussion ou simplement s'arrêter là et laisser en conclure ce qu'elle voudrait, il se campa un peu plus sur ses appuis, chancelant d'un pied à l'autre. « Tu me la montre la photo, maintenant que tu l'as faite ? », lui rappela-t-il en lui montrant l'appareil d'un signe de tête.

Dans sa poche, il racla les plis d'un souvenir imprimé, contorsionné cruellement en deux. L'image si similaire d'un gosse au regard triste, vernissant l'instant saisit au vol du démon de ses rêves illusoires.
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Lévine Serger
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Comme de la neige sur le sable

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Jeu 25 Fév 2021 - 13:32



Peut-être sommes-nous plus que des fantômes
☽ Elvý & Lévine ☾


Mardi 21 Novembre 1995

Elle se souvenait des citrouilles flottantes. Elle se souvenait de l’odeur chaude et acidulée des bougies et des sucreries. Elle se souvenait de la mélopée envoûtante du violon virtuose. Elle se souvenait de la singulière euphorie de l’instant. Elle se souvenait de la mouvance légère d’une valse éphémère. Elle se souvenait de la couleur de ses sentiments imaginés. Elle se souvenait de lui.

Les méandres de son oubli l’avaient épargné. Lui.

Se désintéressant du cliché, de la cabane et du vent, la photographe improvisée ne voyait à présent plus que ses traits. Un visage fin creusé par la fatigue et peint de neige. Une pâleur terne, comme une nature endormie sous le gel.

Si, au départ, le mot « violation » avait résonné aux oreilles d’Elvý avec une sonorité culpabilisante, prête à lui faire broder des excuses improvisées, son ouïe s’était cloisonnée à partir du moment où son regard s’était redressé. Tous ses sens s’étaient endormis, il ne lui restait plus que la vue. Et les lèvres de l’homme s’agitaient seules dans le silence.

- Toi…

Un murmure à peine audible, écho des yeux plissés de la Scandinave sur ses pupilles en mydriases.

- Pardon ? réagit l’Auror.

« Pardon ? »


En écho troublant d’un instant qui semblait se répéter, le jeune homme détailla le visage de son interlocutrice et, soudain, le trouble se propagea aussi jusqu’à ses iris. Un silence flotta. Incertain. Presque angoissant. Il se faisait funambule d’un déséquilibre inattendu causé par une brise nouvelle. Celle des souvenirs jaillissants.

- Tu es la femme de la soirée. Elvý.

Il se racla la gorge. Elle fronça les sourcils. C’était donc bel et bien lui.

Abandonnant à présent l’accent des reproches, la voix du jeune homme avait retrouvé la tonalité singulière qu’Elvý avait gardée en mémoire. Une mélodie douce qui l’avait bercé de songes et de promesses illusoires.

« Nous n'avons pas besoin d'un piano pour danser un slow. »


Il lui avait offert un rêve à partager à deux en guidant ses pas sur un rythme improvisé. Elle avait cru à un conte de fée. Mais, quand le charme s’était rompu, elle avait compris que ce mirage n’avait été fait que de griffes d’acier. Un piège de l’esprit, une manipulation malsaine, un abus sentimental. Qui aurait pu déboucher sur bien pire.

Mais alors pourquoi ? Pourquoi s’être contenté d’une danse ? Pourquoi l’avoir envoûté pour ensuite l’abandonner ? Pourquoi n’avoir joué le jeu qu’à moitié ?

À chaque fois qu’Elvý avait repensée à cet instant, l’incompréhension n’avait cessé de s’agripper à son soulagement. Quelles avaient été les intentions réelles de cet homme en lui administrant à son insu ce philtre d’amour ? Sa raison avait-elle repris les rennes de son esprit malsain avant qu’il n’allât trop loin ? Ou bien cela avait-il seulement été l’innocence d’une âme juvénile à la simple recherche d’une cavalière énamourée pour danser ?

En tout cas, à l’heure actuelle, la courbe élégante du sourire de l'imposteur aurait pu éloigner n’importe quel soupçon de vice caché. Mais, imprégnée de méfiance, Elvý se recula tout de même d’un pas.

- Difficile de te reconnaître sans ta cape et tes yeux rouges, ajouta-t-il en basculant d’un pied à l’autre comme pour piétiner son embarras. Tu me la montre la photo, maintenant que tu l'as faite ?

La mine de l’Islandaise se renfrogna un peu plus encore. Ses mains ramenèrent le polaroid contre son abdomen, abandonnant leur manœuvre première. D’un coup, son essai photographique lui parut dérisoire : elle tenait peut-être entre ses mains le cliché parfait, mais qu’importait ? Lui aussi était illusoire. À ce moment précis, c’était la vérité qu’elle désirait capturer. Elle chercha ses mots encore un instant en continuant de le toiser.

- Tu me voulais quoi exactement à cette soirée ? finit-elle par lâcher de but en blanc. Si c’était juste pour danser, il suffisait de demander, pas besoin de me faire boire un philtre.

Elle recula d’un nouveau pas. Son regard se détacha de la silhouette du prétendu fantôme pour survoler les alentours. Ils étaient seuls. La cabane lui insuffla à nouveau une crainte injustifiée. Non, ce n’était plus une crainte, c’était de la peur. Quelque chose de viscéral. Ça pulsait en elle. Dans ses veines, dans son cœur, dans sa tête.

Était-ce l’audace ou la tétanie qui la retenait encore de fuir ?

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Elvý Njállsdóttir
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Sam 10 Avr 2021 - 13:38
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý
If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica ) ••• Halloween lui semblait si loin. Et si proche à la fois. Les pieds dans la terre parsemée de givre, Lévine sentait les lattes d'un parquet vieilli, craquant sous les talons des danseurs. Dans le vent, son ouïe captait les branches, les feuilles et les oiseaux en note de violoncelle, de piano, et de trompette. Dans ses narines, c'était la cire des bougies, le sucre des rires, de la joie, qui descendait jusqu'à ses poumons cotonneux, encore imprégnés de la légèreté d'un cocon de calme dans l'ambré d'un whisky.

Il y avait eu la Lune, le ciel et ses étoiles, puis une main dans la sienne, le blanc dans des pellicules dorées et le sang dans un halo grisâtre. Une pierre précieuse carmin dans le néant, comme une réponse au vide qui l'avait reprit après des tours et des tours, après une valse faisant sombrer son être dans l'illusion d'une complicité factice.


« Tu m'as fait le plus beau des cadeaux, douce Mara, tu m'as offert le désespoir. Tu m'as donné la certitude que je ne peux être aimé. »


Il aurait voulu en pleurer. Il aurait voulu en crier. Le noir s'était fait. Un parfait écho à la lueur stagnante dans ses iris. Tout s'était agité. Tout s'était passé. Les rues désertes. La panique dans les veines. Les étincelles crépitant à ses tympans. L'odeur métallique enlaçant le souffre dans les airs. Une explosion. Le sol. La peur. La peur et la colère. La rage. L'horreur. L'horreur et l'impuissance.

Ça avait été comme un rêve. Comme si le frêle bonheur d'une communion étrange n'avait jamais existé. Jusqu'à ce qu'il recroise son regard perdu et sa couleur du Nord. Promesse d'une aventure, d'une escapade enneigée loin de la monotonie du quotidien. Dans sa poitrine, son cœur avait manqué un battement, faisant vibrer la corde sensible de son émotivité, de ses reproches, jusqu'à le faire tressaillir, l'agiter d'un tic sur les doigts.

Il s'était figé devant l'éclat hivernal qu'il n'était plus si certains d'avoir déjà croisé, avant de le contempler à nouveau. Ses épaules se crispèrent d'une décharge le parcourant tout entier d'un soubresaut qui le fit reculer d'un pas. Elle était là. Elle existait.

La bouche sèche, il s'humecta les lèvres avec fébrilité, le souffle haletant d'une frayeur nouvelle. Celle d'accepter ses confessions d'un soir, de se noyer dans l'affection d'une seconde d'éternité dans la chaleur d'une danse. Ses ongles grincèrent sur ses paumes, et il en cessa la coupure en les enfouissant dans les poches de son manteau.

Que pouvait-il dire ? Que pouvait-il penser ? Malhabile dans ses paroles, il s'était élancé dans une conversation qu'il aurait voulu fuir à toutes jambes. Et sous couvert de l’œillade superstitieuse de la cabane hurlante, il se sentait stupide, mit à nu dans l'ignorance et le déni, confronté à sa panique d'introspection passée.


« Pourquoi ? Pourquoi ce regard ? Pourquoi cette crainte ? Pourquoi m'avoir dit tout cela ? Pourquoi m'avoir donné espoir ? »


Un bousculement émotionnel qui le cloua un peu plus sur place. Incapable d'esquisser le moindre geste.

Comme s'ils étaient connectés, l'islandaise marqua le même temps d'arrêt, la même descente dans les limbes de souvenirs traumatiques. Et sur cette colline, ils ressemblaient davantage à deux enfants, qu'à des adultes indépendants. Deux gamins tremblants dans le froid et cherchant de l'aide dans le moindre signe extérieur. Dans les branches, dans le craquement de la barrière, dans la profondeur des graviers, dans le mysticisme de l'endroit. Il s'était essayé à un sourire, à une esquisse maladroite, fissurant son masque craquelé par leur simple face à face.

Quittant son visage aux mille interprétations, il loucha un instant que le cliché qu'elle tenait encore précieusement. Il n'en était pas réellement curieux. L'appréhension de découvrir son image, la pâleur de ses traits marbrés par les nuits blanches, et la mélancolie terne de son manque d'expression, l'avait poussé en avant pour s'en détacher au plus vite. Comme sauter dans le vide pour combattre son vertige. Le sien le rendait fiévreux, docile et insoumis, calme et agité, aveugle et trop à l'affût. Il n'en rata pas le froncement de nez de sa cavalière, qui déroba à sa vue les contours du papier glacé. Paradoxalement contrarié d'y échapper momentanément, il pinça les lèvres dans une moue presque boudeuse, à un siècle de la tétanie enrobant la voix de la jeune femme.

« Tu me voulais quoi exactement à cette soirée ? Si c’était juste pour danser, il suffisait de demander, pas besoin de me faire boire un philtre. », l'accusa-t-elle de but en blanc.

Sur la défensive, Lévine fronça d'abord les sourcils, irrité d'être mit en cause d'un crime dont il n'était pas l'auteur. L'injustice lui piqua le nez et ses poings se serrèrent de consternation. Il était coupable de beaucoup de choses, ça, il ne pouvait le nier. Duperie. Tromperie. Trahison. Coup d'état. Terrorisme. Meurtre. Mais qu'elle puisse sous-entendre qu'il aurait l'aurait drogué à son insu pour la soumettre à ses bas instincts, le blessa plus qu'il ne le désira. La colère s'évanouit aussitôt identifier, remplacée par un venin plus fourbe.


« Sois gentil et attend que ça passe. »



Le timbre de l'homme au cigare dans les oreilles, il confondit les feuilles avec les flammes, les battements de son cœur avec les coups, le monochrome du paysage avec la brume d'un bleu sur la peau. Les paumes moites, il expira, chancelant et faucha ses mèches pour dégager son front imbibé d'une sueur glaciale, parsemant son épiderme d'un million d'aiguilles. La respiration saccadée, il lutta pour exprimer sa folie dans un rire, qui s'estompa après deux éclats. N'était-ce pas hilarant ? N'était-ce pas tordant ? Son hilarité se figea en même temps que tout le reste, éclatant sa bulle dissonante dans un silence terrifiant. Sa bouche marqua une ligne fixe et toute douleur déserta ses iris au profit d'un gouffre qui le traînait par les pieds.

« Et que crois-tu que j'aurai fait, si je t'avais réellement donné ce philtre ? », répliqua-t-il incisif. « Qu'aurai-je projeté de te faire subir le cas échéant ? », menaçant, il s'avança d'un pas, contraignant la scandinave à affronter son avancée, ou à reculer. Attaquer pour ne plus avoir mal. Mordre pour ne pas se vider de son sang.

« Si j'avais été un tordu, je t'aurai emmené à l'écart, à l'étage peut-être, et j'aurai profité de ta faiblesse, de cet amour que tu nourrissais pour moi. Je t'aurai fait crier, souiller, pour qu'à ton réveil, tu ne saches plus si tu étais consentante ou non. », implacable, il la mit dos au mur, la dominant de toute sa hauteur. A vif, ses propos transpirés d'une souffrance le faisant suffoquer.

« Mais je ne suis pas un putain de taré. », grinça-t-il en se reculant soudainement, mettant fin à son manège. Pour l'instant.
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Jeu 6 Mai 2021 - 18:09



Peut-être sommes-nous plus que des fantômes
☽ Elvý & Lévine ☾


Mardi 21 Novembre 1995

Le vent, soudain, lui paraissait glacé. Elle ne prenait même plus la peine de retirer les mèches qui venaient barrer son visage et s'accrocher à ses lèvres tremblantes. Elle était pétrifiée. Par la peur. Elle ne grelottait pas à cause du froid. Ces spasmes discrets qui agitaient son corps, c'était l'angoisse. De celles qui étaient viscérales. Irrationnelles. Inexplicables.

Était-ce vraiment cet homme, ce Lévine, qu'elle craignait tant ?

 « Je suis terrifié. »

L'avait-il été comme elle l'était à cet instant ? Cela avait-il fait parti de sa comédie, de sa manipulation insidieuse, de son charme illusoire ?

 « Que tout s'arrête. Que tout redevienne comme avant. »

Elle, elle le voulait. Que tout s'arrête, qu'il disparaisse de ce présent, de ce cliché pas même encore révélé. Et que tout redevienne comme avant, avant qu'elle n'arrive à l'orée de cette colline et de sa cabane, avant que le vent ne se change en glace et avant que la Grande-Bretagne ne la piège dans son amnésie.

Insensible, l'auror bafoua la peur qui émanait sans discrétion de la Scandinave par un rire d'une acidité à peine retenue. Et son sourire, son si doux sourire, disparût au profit d'une expression glaciale. Elvý fut parcourue d'une nouvelle vague de frissons.

- Et que crois-tu que j'aurai fait, si je t'avais réellement donné ce philtre ? rétorqua le jeune homme.

Une question sans détour. Sournoise et terrifiante. Elvý n'osa toujours pas bouger. Ni lâcher du regard les prunelles sombres de son interlocuteur.

- Qu'aurai-je projeté de te faire subir le cas échéant ? répéta-t-il.

Et il avança d'un pas. Alors, les genoux de l'amnésique se déverrouillèrent et elle l'imita pour conserver la distance. Une distance dérisoire, minuscule et qui ne pourrait être agrandie davantage : son dos venait de se heurter au mur d'une vieille battisse.

- Si j'avais été un tordu, continua Lévine, je t'aurai emmené à l'écart, à l'étage peut-être, et j'aurai profité de ta faiblesse, de cet amour que tu nourrissais pour moi. Je t'aurai fait crier, souiller, pour qu'à ton réveil, tu ne saches plus si tu étais consentante ou non.

Je t'aurais fait crier.

Elle entendit sa propre voix, suppliante, hachée et suffocante. Elle l'entendit dans son esprit comme si elle était en train de crier à cet instant-même, comme si le désespoir s'était niché dans ses cordes vocales, pourtant immobiles.

Souiller.

Elle sentait le poids d'un corps sur le sien. L'écrasant, l'étouffant, l'immobilisant. Elle pourrait jurer qu'elle n'était plus debout, mais plaquée sur une table à plat ventre. Une table gelée.

Pour qu'à ton réveil, tu ne saches plus.

Sa tête lui lançait, son corps était lourd et son esprit vaporeux. Sa vision, elle, était trouble. Et tout était flou. Tout. Comme à chaque réveil. Mais ce flou-là était singulier : il était éloquent. Telle une douloureuse réminiscence.

Si tu étais consentante ou non.

Sa voix qui criait. Son corps qui était immobilisé. Son esprit qui était vaporeux. Et son âme qui voulait s'enfuir. Non, elle n'était pas consentante. Comment l'être ? Comment accepter la captivité, la douleur et le sang ? Et la mort ? Elle n'était pas consentante. Elle n'était pas consentante. Elle n'était pas consentante.
Elle s'était enfuit. Un miracle. Puis, avait été sonnée par l'amnésie.

Les mots de Lévine avaient été comme un éclair traversant tout le corps d'Elvý. C'étaient des mots parsemés d'images et de sensations dans lesquelles, en une seule seconde, l'ex-captive d'un psychopathe s'était noyée. Son cœur s'était arrêté. Ses poumons avaient été privés d'air. Il n'y avait plus que l'eau, celle qui coulait en rivière de ses yeux.

Mais le pire, c'était son visage à lui : il s'était transfiguré. Ce n'étaient plus ses traits. Ce n'était plus Lévine. C'était un autre. Ou peut-être le même. C'était un bourreau, le sien. Seulement, portait-il le masque d'un clown ou le voile d'un fantôme ?

- Mais je ne suis pas un putain de taré, acheva l'auror.

L'illusion s’effondra, la brume se dispersa et la réalité ressurgit. L'employé du Ministère se recula et ce fut comme si la jeune femme eut à nouveau l'espace pour respirer : elle le fit avec maladresse et l'air pénétra sa cage thoracique dans un sanglot suffocant.

Il lui fallut le temps de reprendre sa respiration pour comprendre les paroles de celui qu'elle avait accusé. Et alors, elle n'eut plus peur de lui. Ce n'était pas lui qui l'avait envoûté. Il n'était pas un "putain de taré". Et, si l'incompréhension persistait encore quant à cette soirée, la honte pris le dessus sur son désir de vérité. Elle baissa la tête et essuya ses larmes en reniflant.

- Désolée..., murmura-t-elle sans oser relever le regard.

Que faisait-elle là, déjà ? Ses mots l'avaient tant chamboulée qu'elle s'en trouvait désorientée. Ce fut le poids du Polaroid dans l'une de ses mains qui le lui rappela. Alors, pour se redonner un peu de contenance et pour combler le silence qu'elle n’arrivait à combler d'aucun mot tant ses larmes semblait encore résonner dans l'air, elle retourna l'appareil, fit coulisser un bouton, souleva une barrette, puis crocheta de son pouce et de son index le bout d'un papier. Il s'agissait là du négatif de l'ancienne photographie qu'elle avait prise et qu'elle devait à présent retirer. Elle tira donc dessus puis, l'arracha. Après cela, il fallait attendre une quinzaine de secondes. Et quinze secondes, ça lui paraissait une éternité dans ce silence. Alors, elle se racla la gorge et dit d'une voix un peu embarrassée, le regard restant fixé sur son Polaroid 95 tandis qu'elle tanguait légèrement d'une jambe à l'autre :

- Il faut juste attendre un peu... Quelques secondes... C'est pour le développement de la photo... Voilà, ça devrait être bon.

Enfin, il ne s'était peut-être passé que dix secondes, mais la patience n'était pas le fort de la Njállsdóttir. Surtout dans cette situation. Pourquoi donc avait-elle pris la peine de s'occuper de cette photo ici, maintenant, en sa présence ? Pourquoi n'était-elle pas partie, tout simplement ? Non, ça n'aurait pas été mieux. Elle aurait simplement du lui adresser d'autres mots, plus qu'un simple "désolée". Elle aurait pu lui dire qu'elle le croyait ou bien lui demander de se justifier, de lui expliquer ce qu'il s'était réellement passé à cette fête pour qu'un philtre d'amour se retrouve dans le verre qu'il lui avait offert. Mais ses larmes et son sanglot avaient surgi de façon si soudaine et brusque qu'elle n'avait pas su les parer de mots.

La photographe amatrice ouvrit la partie arrière de son appareil et décrocha la photographie du reste du film en suivant les pointillés prédécoupés. Elle la secoua ensuite rapidement dans les airs, puis tourna l'image vers son regard. Soudain, le cadre qui lui avait semblé magnifique à son arrivée et qui était à présent imprimé sur ce papier, la terrifia. Ce fut comme une vision d'épouvante et les battements de son cœur reprirent leur course folle. Mais ce n'était plus à cause de l'ombre de cet homme qui lui faisait face, non, c'était à cause de ce qui se tenait derrière lui.

Elvý releva la tête et une lueur de terreur se retrouva à nouveau nichée dans ses iris. Elle ne regarda pas Lévine, mais la Cabane Hurlante.

- C'était ici, susurra-t-elle d'une voix à peine audible.

Sa main trembla, la photographie semblait lui brûler les doigts. Elle la lâcha.
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Elvý Njállsdóttir
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Lun 19 Juil 2021 - 19:51
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý
If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica ) ••• Un pas après l'autre, il l'avait mise dos au mur. Elle tremblait. Elle tremblait si fort, que lui aussi, se sentit tressauter, comme si ses propres doigts étaient agités de convulsion. Comme s'il venait de plonger dans une mer glacée. Il les serra en un poing ferme pour ne pas plier. Pour ne pas flancher sous le torrent de larmes germant déjà dans les yeux d'Elvy. Elvy. Un souvenir qui le rendait malade. Nauséeux de cruauté. Fébrile d'espoir. Fiévreux de terreur. Malade de rancœur.

La rancune d'une promesse, d'une douce déclaration, le fit haleter, le regard hagard et la posture menaçante. Il pouvait la frapper. Il pouvait l'étrangler. Il pouvait la faire crier, comme tout son être bandait ses veines. Comme son âme qui le jugulait dans ses mots. Peut-être en avait-il envie. Le désir de lui faire mal. De lui faire payer. Pour son sous-entendu. Pour ce que ça lui faisait ressentir. Pour ce que cette comparaison réveillait en lui ?

Une larme dégringola sur sa joue, annonciatrice de nombreuses jumelles. Il ne s'en sentit pas coupable. Ni soulagé. Seulement meurtris. Seul. En colère. La douleur émanant de ses lèvres, de ses sanglots n'apaisèrent pas sa souffrance lancinante. Elle la raviva d'autant plus, son empathie associant sa dissonance à l'illusion d'un cauchemar, d'un souvenir.

Le vent cessa de souffler. Il porta chacune de ses intimidations plus loin encore. Tout autour d'eux résonna l'écho de leur mal-être. Il amplifia leur conséquence.

J'aurai profité de ta faiblesse.

La porte rouge. Le couloir mal éclairé. Les lueurs monstrueuses contre les murs. Il était si frêle. Si jeune. Si petit. Ses ongles s'accrochaient au papier peint. Ses pieds nus s'enfonçaient dans le parquet. Tout ira bien, lui disait-il. Tout ira bien. Il s'était senti jeté au sol. Comme une poupée. Traîné sur un lit par le col. Jeté dans des draps déjà défaits, tâchés de sang. Du sien. Celui de tant d'autres avant lui. Il était grand. Imposant. Comme une montagne. Comme un monstre contre lequel il ne pourrait jamais lutter.

La colline n'existait plus. Elle n'était plus qu'une ombre brumeuse se noyant dans la fumée d'un cigare.

Je t'aurai fait crier.

Il s'était débattu. Longtemps. Il avait hurlé. Toutes ses fois où le rouge était l'unique couleur. Toutes ses fois, où les ombres l'emportaient dans un déluge de bleu, de violet, de métal sous la langue. Il s'était brisé la voix sur les coups. Il s'était coupé les cordes vocales dans un volcan dans les reins. Il s'était détruit les poumons dans les sourires, dans les larmes.

La respiration lui manqua. Il porta une main à sa gorge, certains d'y trouver le contact d'un tortionnaire.

Souiller.

Le ventre contre le matelas, il entendait les respirations graveleuses à son oreille. Ou était-ce la brise ? Il n'en savait rien. Il ne voulait plus le savoir. L'odeur d'herbe se fusionna à l'eau de Cologne luxueuse, au musc et la transpiration. Il la sentait sur ses vêtements, partout dans l'air. Les feuilles lui murmuraient le froissement d'une ceinture. Le froid le coupa de liens, de griffures sur la peau.

Il les chassa en croisant les bras, en camouflant ses poignets dans les plis de ses manches.

Je t'aurai fait tout perdre.

L'innocence. La confiance. La joie. La peur. L'amour. La chaleur d'un foyer. Le plaisir d'un moment, d'une main tendue. L'attente de l'amitié. Les confidences autour d'un verre. Les instants simples d'une caresse. Les papillons d'un baiser. L'attente d'un rendez-vous. Les joues rougissantes d'un cœur battant. Les yeux brillants de mille espoirs, de mille avenirs.

Jusqu'à toi-même.

Jusqu'à ne plus se souvenir du gamin de la chambre rouge. Jusqu'à oublier ses rêves d'évasion, de justice et de bonheur. Jusqu'à tourner en rond dans une bulle intemporelle. Jusqu'à ne garder que les flammes. La haine. La rage.

Il inspira violemment, se calquant au même rythme sensoriel que l'Islandaise. Il s'était reculé, frappé d'images, d'émotions qui le sonnèrent. Il mit le plus de distance possible entre eux. Entre lui et son désespoir. Entre lui et ce lien traumatique qui se tissait. Qui les liait.

Il n'était pas un taré. Il n'était pas lui. Il n'était pas eux.

Il renifla. Et prit conscience qu'il pleurait. Du bout des doigts, il alla cueillir les perles salées mouillant son menton, coulant encore de lucarnes brouillées. Il les essuya d'un revers empressé, honteux et confus. Coupable et sale. Il détourna le regard pour retracer les contours de la cabane sur son piédestal. Elle lui sembla plus imposante dans ses tours. Plus intimidante aussi dans son silence.

« Désolée... », murmura la victime de son emportement. De tout ce qu'il n'arrivait pas à contenir. Tout ce qui le terrifiait.

Il grimaça, la bouche tordue entre ses dents. Trouvant le cran d'affronter son jugement, ou était-ce le sien qu'il craignait tant ?, il déboucha sur le remord d'une tête baissée. Le reflet glaçant d'un nœud dans le bide qui l'empêchait de raisonner, de respirer. Il retira prestement la clope de son oreille pour s'occuper les mains. Pour avoir une bonne excuse lui aussi, de regarder la pointe de ses chaussures.

« Tu … », il chercha ses mots quelques secondes. « C'est moi. », fit-il plus convaincu. C'était lui. C'était toujours lui. « J'aurai pu.. Mais je n'ai pas.. Enfin.. », hésitant, il tourna les talons pour se braquer devant les clôtures.

« Je suis terrifié. »

Il l'était encore. D'autant plus. Que tout redevienne comme avant.

« Mais je ne l'ai pas fait. Au fond, je crois que je... », son ton fléchit et son chuchotement fut comme un cri. « Que je suis un putain de taré.. »

La pluie avait coulé ce jour-là. Et comme si c'était hier, il se confrontait aux sanglots retenus d'une gamine sur point de s'effondrer qu'il avait poussé dans le vide morbide de ses bas instincts. Pour s'amuser. Pour tromper la mort, l'ennui, la terreur d'être lui aussi capable du pire. D'écharper vive la gorge d'une musicienne. De graver les chaînes sur une table gelée. De faire surgir un éclat douloureux du brouillard de l'amnésie. Le reconnaître, l'avouer, ne lui apporta pas le moindre réconfort.

Au contraire.

Le tube entre les lèvres, Lévine l'alluma d'un claquement de doigts. Le poison se dilua dans ses bronches, piquant sa cage thoracique. Un bref exutoire physique. Le filin vaporeux s'engagea devant ses cils, poursuivant sa course dans la rosée matinale. Les coudes appuyés contre l'un des poteaux de bois, il chercha vaguement du réconfort dans les carreaux fissurés et l'entrée condamnée de la bâtisse pour ne gagner qu'un vide dans l'abdomen. La plaine le rendit profondément songeur. Mélancolique.

« Il faut juste attendre un peu... Quelques secondes... C'est pour le développement de la photo... Voilà, ça devrait être bon. »

Il en avait oublié le cliché. Le flash. Le déclic d'un polaroid qui avait déclenché tout le reste. Leur discussion. Leur mise à nue. La peine rendant l'azurin de ses iris plus captivant, plus douloureux. Lascivement, il quitta sa contemplation des lieux pour capter le minuscule carré en papier glacé. Un cliché qui pesait lourd. Lourd de souvenirs. Lourd d'émotions. Lourd de ce tout qui le fit s'envoler. Qui le fit s'échapper de la prise de la nordique.

Il le laissa passer devant lui sans chercher à l'atteindre, le retenir. Il préférait que cet éphémère soit emporter jusqu'aux nuages. Loin de lui. Loin d'eux. Pensif, il suivit son ascension, porté par le vent.

Une touche de poésie dans l'horreur qui attendri à peine son cœur de plomb.  

« C'était ici. »

Il dût prêter l'oreille pour comprendre ses mots. D'abord curieux, il tourna son profil sur Elvy, la questionnant d'un haussement de sourcil. Puis, il remonta le fil de ses pupilles, qui le menèrent de nouveau sur le bâtiment. Du bois froids au milieu de l'automne. Une carcasse vétuste emplie d'un malaise. D'une aura de mystère sordide. Comme le cadavre calciné de la devanture du lotus d'or. Peut-être qu'elle comprenait. Peut-être qu'elle saisissait. Peut-être qu'elle aussi, trouverait la terreur sous ses paupières.

Il eut envie de lui prendre la main. De s'appuyer et de la soutenir lui aussi. Comme ce soir-là. Comme une nouvelle danse et espérer secrètement un dénouement différent.

« Ici que quoi ? », ne put-il s'empêcher de formuler tout bas, si doucement qu'il douta de sa propre voix.  « Qu'on t'as.. fait du mal ? »

Le deviner n'était pas difficile. L'affirmer l'était plus. C'était admettre le mauvais qui s'était déchaîné. Et qui restait encore quelque part. Lentement, il combla la distance entre eux, cédant à sa pulsion première. Sa paume frôla le dos de la main de son homologue. Un bref effleurement. Elle était aussi pâle que la neige. Aussi détruite que debout.

« Moi aussi, j'ai... », précautionneux, il s'en retourna à la cabane, retirant le tube de tabac de sa bouche, plus pour s'occuper les doigts que pour faire cascader la cendre dans les airs.

« Ce n'était pas ici. C'était ailleurs. Mais c'est pareil. Où que je sois, c'est là. C'est toujours là. Ça ne part jamais vraiment. Pas forcément les images, mais les sensations. Les impressions. Tout. », souffla-t-il avec une sincérité triste qui le troubla. « Ça te suit comme ton ombre et ça te revient dans la gueule comme une bourrasque. »

Lévine attaqua une énième bouffée, presque vitale.

« Ça tournera en boucle dans ta tête, au point où tu croiras devenir folle. Où tu ne sauras plus faire la différence entre ce que tu as là... », il tapota sa tempe de son majeur. « Et le reste du monde. », la mine défaite, le pessimisme dans l'iris, il quitta la pointe de la toiture et ses corneilles.

« Ça deviendra ta réalité. »
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Ven 22 Oct 2021 - 18:45



Peut-être sommes-nous plus que des fantômes
☽ Elvý & Lévine ☾


Mardi 21 Novembre 1995

Étaient-ce des larmes que ses doigts vinrent chasser à la pointe de son menton ?
Lui aussi avait-il été écorché par les mots violents qu'ils avaient chacun diffusé dans les airs ?
Avait-il été heurté par l'indélicatesse de ses accusations ?
Ou par la réminiscence de vieux démons ?
Était-il donc victime ou bourreau ?

L'esprit encore fébrile et la vision trouble, Elvý eut à peine le temps de remarquer la réaction de Lévine qui s'était érigé en miroir à la sienne. Quand elle reprit pleinement ses esprits, il s'était déjà éloigné et, le dos tourné, il offrait à la brise de nouvelles paroles. Sa voix était toute autre. Elvý la discerna à peine, l'ignorant inconsciemment, comme un écho qui se refusait à atteindre son attention. Celle-ci était focalisée sur son Polaroid qu'elle manipulait dans tous les sens pour en extraire le cliché.

Puis, ce furent ses propres mots qui agitèrent à leur tour le vent. Un peu pressés et maladroits, comme pour chasser la scène étrange qui venait de se dérouler, pour étouffer le silence dérangeant, pour habiller le temps et camoufler la honte et la pudeur. Le développement d'une photographie n'avait jamais autant mise à mal son impatience. Et pourtant, il ne s'agissait que de quinze secondes.

Quinze secondes qu'elle aurait dû accueillir comme un instant de répit.

Car, lorsque le cliché se révéla à son regard, l'air qui pénétra dans ses poumons redevint glacé. Cette cabane si étrange, si sombre, si vacillante et si fascinante, n'était plus le prodigieux élément de décor à capturer dans son appareil moldu. L'aspect dérangeant que la bâtisse lui avait inspiré au premier regard se multiplia par mille dans sa poitrine. Le cœur battant, elle releva un regard terrifié vers le cauchemar se dressant de pleins pieds sur la colline face à elle.

La main engourdie, comme tout le reste de son corps, elle lâcha la photographie qui avait semblé lui planter des épines dans les doigts. Toute pensée s'effaça de son esprit et, de ses sens, il ne resta alors que la vue et le toucher : dans ses iris, la nuit s'était abattue et sur son épiderme, le froid se mit à déposer de cruelles morsures. Dans le brouillard de sa réminiscence, la lune et le vent flagellaient son amnésie.

- C'était ici, qu'elle ne s'entendit même pas prononcer.

Et elle n'entendit pas non plus la réponse de Lévine.

- Ici que quoi ? Qu'on t'as.. fait du mal ?

Elle ne le vit pas davantage s'approcher. Tout s'était arrêté. Tout s'était effacé. Le silence s'était emparé de son âme.

Jusqu'à ce que son contact la ramène à nouveau au réel. Le frôlement de sa main contre la sienne la fit sursauter. Le soleil brumeux remplaça la lune aveuglante. Elle cligna des yeux jusqu'à les poser sur lui. Sa silhouette devint alors une encre, un réconfort, un rideau au-devant d'un tableau horrifique.

- Moi aussi, j'ai... 

Le jeune homme détourna son regard tandis que celui de l'amnésique se retrouva incapable de se décrocher de son visage. Ne plus le regarder, cela reviendrait à replonger dans le noir, dans la nuit, dans son cauchemar. Mais Lévine était là, réel, vivant, présent dans l'instant et, même s'il n'était encore qu'un inconnu pour elle, elle aurait voulu qu'il ne restât plus que lui et qu'en arrière-plan, tout s'effondre.

« Je peux rester le temps que ce songe durera. »

Oui, elle aurait voulu qu'il le lui promît à nouveau. Qu'il restât à ses côtés jusqu'à ce que la brume emportât son cauchemar. Alors, hantée par le désespoir, l'Islandaise s'agrippa éperdument à chacun de ses mots.

- Ce n'était pas ici. C'était ailleurs. Mais c'est pareil. Où que je sois, c'est là. C'est toujours là. Ça ne part jamais vraiment. Pas forcément les images, mais les sensations. Les impressions. Tout. Ça te suit comme ton ombre et ça te revient dans la gueule comme une bourrasque. 

Elle ne savait pas de quoi il parlait et pourtant, elle avait l'impression de saisir le sens de chacun des mots qu'il prononçait. Comme s'ils résonnaient au plus profond de son être pour réveiller un sentiment similaire à celui qu'il décrivait, bien qu'enfoui dans son déni et effacé par le flou de son esprit. Un sentiment qu'elle avait jusqu'ici constamment pris soin d'ignorer mais qui avait toujours été bel et bien présent. Toujours, depuis l'énigme de cette nuit et le trou noir du réveil qui avait suivi.

Le réaliser si brutalement tétanisa tous ses muscles.

Que s'était-il donc passé ? Angelica lui avait-elle dit toute la vérité ? Tout ce qu'elle savait ? Ne lui avait-elle donc pas confié l'avoir trouvé à l'orée d'une forêt ? Pourtant, aucun arbre ne poussait sur cette plaine désolée. Et si Elvý avait à présent une certitude, c'était bien celle qu'il s'agissait de cette cabane, l'endroit où tout s'était déroulé.

- Ça tournera en boucle dans ta tête, au point où tu croiras devenir folle. Où tu ne sauras plus faire la différence entre ce que tu as là... - l'Auror tapota sa tempe de son index - Et le reste du monde.

La vision de la Cabane Hurlante remplaça fugacement le visage de Lévine. Non. Non. Elle ne voulait pas que cette vision se grave sur sa rétine, elle ne voulait pas qu'elle se mette ensuite à tourner en boucle dans sa tête, elle ne voulait pas que l'horreur remplace le reste du monde. Non. Non. Elle ne voulait pas.

- Ça deviendra ta réalité.

- Non ! protesta-t-elle d'une voix sourde.

Elle secoua la tête, puis elle plaqua sa main libre devant sa bouche pour retenir un nouveau sanglot. Les larmes étaient revenues engloutir ses prunelles. Elle ferma ses paupières avec force et laissa son dos glisser contre le mur derrière elle.

- Non, non, non... continuait-elle comme pour chasser une réalité qui la rattrapait. Je ne veux pas de ça. Je...

Assise avec les genoux pliés contre sa poitrine, elle déposa son Polaroid au sol et passa ensuite ses deux mains sur son visage en prenant une grande inspiration. Elle rouvrit les yeux après avoir expiré tout l'air de ses poumons et chassé toutes ses larmes mais n'osa pas regarder plus loin que les cailloux éparpillés autour de ses bottines.

Comment cet homme qu'elle connaissait à peine pouvait-il lui affirmer tout cela ? Qu'en savait-il ? Quelles horreurs avait-il traversé ? Quel cauchemar avait-il vécu ? Quel était donc ce traumatisme qui faisait ainsi vibrer ses cordes vocales ?

Lévine n'était pas un bourreau, il n'était pas un taré. Lévine était une victime. Comme elle.  

- J'ai perdu la mémoire..., commença-t-elle à lui confier.

Elle ne l'avait avoué qu'à très peu de gens, à savoir Angelica, Johann, Aaron et Darnell. Elle détestait en parler. Cela la terrifiait. Mais elle sentait qu'à présent, c'était le moment. Et Lévine, elle le savait au creux de son âme, était la bonne personne. Elle devait affronter l'absence de son passé et la réminiscence abrupte d'une partie de son accident. Mais avait-il vraiment s'agit d'un accident ?

- Après cet... après ce qu'il s'est passé. C'était il y a un mois et...

Dater l’événement, apporter des données factuelles sembla d'abord l'aider à garder le cap de son récit. Mais le sujet était encore bien trop sensible et elle perdit ses mots. Ne savant que dire, par où commencer ou encore si les sanglots qui menaçaient de resurgir la laisseraient s'exprimer avec clarté. Elle bafouilla et sa respiration se mit à accélérer. Des flashs sans image et sans son lui vrilla le cœur, comme si elle se replongeait dans un souvenir aveugle et sourd. Comme être emportée dans des montagnes russes les yeux bandés et les cordes vocales arrachées. La peur était remontée, lui vrillant l'estomac, mais elle restait informe. Ce n'était qu'une sensation, aussi intense qu'indiscernable.

Elle échoua son front contre ses deux paumes tremblantes, les coudes appuyés sur ses genoux. Elle tenta de contrôler sa respiration. En vain.

- On m'a dit que.. Que c'était un... Un loup-garou. Mais...

Tout son corps grelottait.

- Mais...

Elle avait voulu y croire. Mais au fond d'elle, elle avait toujours su qu'il avait s'agit d'un mensonge déguisé, bien qu'elle n'eut jamais osé se l'avouer. Même si, tous les soirs après sa douche, le miroir lui avait soufflé que ses cicatrices étaient trop fines et précises pour être l’œuvre d'une créature sauvage.

- Je ne me souvenais de rien, expira-t-elle finalement.

Et, pour la première fois, elle mit ce verbe au passé.

- Et maintenant ça, - son poignet droit se cassa lentement et son index se déplia vers la colline, sans que son regard n'en suive la direction -, ici...

Elle laissa tomber son avant-bras pour le replier autour de ses genoux. Si elle avait légèrement repris le contrôle sur sa respiration, sa voix se faisait quant à elle de plus en plus fébrile, impuissante et vacillante. Elle ne fut plus qu'un murmure lorsqu'elle prononça, imprégnée de lucidité face à sa propre terreur :

- L'amnésie était peut-être un cadeau du ciel, au final.

Ses iris pâles se levèrent alors prudemment vers celles plus sombres de son nouveau confident.

« Et toi, n'aurais-tu pas préféré tout oublier ? » 

Elle n'osa pas le lui demander.
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Elvý Njállsdóttir
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Dim 15 Mai 2022 - 18:45
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý
If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica ) ••• La fumée se dissipait dans les airs comme un brouillard autour de leurs têtes. Lévine se sentait comme un funambule. Il tenait sur un fil tendu au-dessus d'un ravin, véritable puits sans fond de souvenirs enfouis, qu'il n'était pas certain de désirer explorer. Chaque murmure et confession était comme incliner la tige de sa raison d'un côté, le balançant doucement d'un pied dans le vide à un équilibre précaire. Il défaillait sous ses insinuations, ses conclusions. Il la regarda défaillir un peu, sangloter intérieurement, frappé d'empathie et d'une compréhension qu'il ne voulait pleinement saisir et s'approprier. Ils étaient liés par une expérience si semblable qu'il n'arrivait pas à retrouver l'entièreté de son masque distant et froid. Sa main était froide après l'avoir posé sur la sienne. La clope en suspend, il regarda ses doigts diaphanes dans la brume. Il avait dû rêver de les avoir entraperçu plus rosés et vivants.

Depuis quand était-il ainsi ? Si fébrile à l'idée même de plonger dans la mer tortueuse de sa souffrance. Il l'avait toujours accepté. Il buvait chaque tasse de douleur avec empressement, avec la rage du désespoir et l'envie de toucher le fond. Parce que c'était ce qu'il connaissait le mieux.

C'était sa réalité. La colère était son moteur et la vengeance un bidon d'essence qu'il pouvait faire s'enflammer en craquant une allumette. C'était son monde. Il y était depuis petit. Depuis d'aussi loin que sa mémoire s'étendait. Il pouvait gérer l'envie de sauter et de crever, mais pas celle d'espérer. Pas celle d'attendre un déclencheur qui pourrait amener à quelque chose de mieux. Leur danse avait été un souffle, comme un bouche-à-bouche en pleine tempête. Il avait inspiré si fort que ses poumons auraient pu éclater. C'était peut-être le cas. Il s'était ressenti ailleurs, un peu bloqué sur la piste et si justement à sa place, soutenu par l'amour illusoire au fond de ses yeux. Il s'était cru unique et important. Il avait existé au travers d'autre chose qu'une façade et un jeu de comédie. Elle n'avait observé que lui et son air spectral, que son sourire fade et désenchanté dans un slow lunaire et décalé. Elle avait été son miroir et elle lui avait reflété son allure de paumé, mais elle n'avait pas fui. Elle l'avait serré et il avait prit conscience qu'il était en morceaux mais que son éclat rêveur et spontané aurait pu être une colle. Qu'elle aurait pu l'aider à se connaître et s'apprivoiser. Mille histoires et désirs s'étaient noués dans un balai bancal.

Elle avait fait taire les voix et les murmures. Elle avait été une bulle qui avait éclaté si soudainement qu'il s'était étouffé. L'eau l'avait submergé. Elle s'était détachée. Elle avait couru dans la foule comme s'il l'avait blessé. Elle s'était enfuie et avait disparue de sa vue, emportant dans son ombre l'envie d'être reconnu et apprécié. Elle avait volé de son éclat le reste de la salle. Il n'était resté qu'elle. Elle et le vacarme du Nord. Elle et ses yeux rouges.

Elle et sa photographie. Elle et la neige. Elle et la cabane. Elle et le besoin viscéral de l'étreindre comme il avait tant espéré que l'on le ferait un jour pour lui. Peut-être qu'en serrant suffisamment longtemps, assez fort, il pourrait étouffer les cris de son être tout entier et recoller les morceaux de son bonheur. C'était ça leur réalité ? Se trouver, un peu perdus, souffrir et s'accrocher à une illusion ? Puis se laisser filer, comme un polaroid s'enfuyant dans le vent ?

C'est notre réalité.

Non.

Ce mot le fit sursauter. Il résonna partout. Il cogna dans sa poitrine et ricocha de ses pieds à sa tête. Il fit bondir son palpitant frénétiquement.

Non.

Il l'entendit hurler. Il vit ses sanglots avant même qu'ils ne fissurent totalement ses joues. Elle recula et lui avança d'un pas. Son dos heurta le mur et elle glissa en même temps que les larmes roulaient de ses paupières. Quelque part en lui, il pleura un peu aussi.

Non.

Elle remonta ses genoux sur sa poitrine et y enfonça son visage. Il sentait toute sa douleur même ainsi. Il expira tout l'air de ses poumons et leva le menton vers le ciel. Il était gris. Un gris monotone et fade. Ses mèches bougèrent mollement sur son front, comme une vague douce et mélancolique. L'angoisse était là à deux pas, perchée un peu plus haut sur la colline. Souffrance était dans son sillage. Et colère avait déserté le paysage.

Non.

Pensivement, Lévine ramena ses mains devant son ventre. Ses doigts se tordirent entre eux pour calmer la poigne qui lui avait accroché l'estomac. Elle pouvait tout lui arracher. Il ne sut si l'enfant en lui répondit à son déni. Mais il sentit quelque chose se briser en son for intérieur.

« Je ne veux pas de ça. Je... »

Elle ne parla plus. Doucement, il s'approcha et il se plaça à ses côtés, prudent et discret. Elle regardait droit devant elle, et il l'imita. Il se confondit dans le silence. Ses genoux se rapprochèrent d'eux-mêmes et il posa ses bras sur leurs sommets. Par delà la barrière, il voyait la cabane. Sa cabane hurlante à lui. Des ruines calcinées d'où il pouvait encore entendre les hurlements. Les siens. Ceux des autres aussi. Il pouvait se représenter le lustre de cristal du grand hall et les escaliers en colimaçon menant aux étages. Et en fermant les yeux, il revoyait les interminables couloirs, et les démons derrière les portes. Il comprit sa terreur. Parce que lui aussi ne pouvait totalement la combattre.

Assit à sa droite, il tendit l'oreille et se fut comme si leurs âmes se répondaient. Brisées. Malmenées. Éparpillées. Mais encore présentes. En vie.

Il fouilla dans sa poche pour y retrouver une cigarette. Il l'alluma d'un claquement de doigt. Le feu passa d'intense à délicat. Il porta le filtre à sa bouche et il laissa le tabac couler dans sa gorge. Sans retenir la cendre, il la laissa pendre, oscillant au caprice de sa respiration. Il joua avec son index, tirant sur son ongle dans un mouvement de balancier dans un tic nerveux.

« J'ai perdu la mémoire...», lui confia-t-elle.

Il tourna son profil vers elle. Il ne vit que la cime de ses cheveux et le bout de son nez. Entre ses lèvres, c'était comme un secret. Il cessa son schéma stressé sur ses mains et en ramena une sur sa nuque pour soutenir sa position.

Il n'aimait pas être indispensable. C'était accepter de faire partie de la vie de quelqu'un, d'exister au-delà d'une simple relation de collègue ou de passant croisé au hasard dans la rue. Disparaître, ça devenait douloureux pour tout le monde. Il pouvait s'attacher, trop fort peut-être, et arracher les liens qui le maintenaient dans un lien qu'il n'estimait pas avoir le droit de mériter. Il ne voulait pas qu'on l'aime ou qu'on ait besoin de lui. C'était trop d'investissement et de responsabilité. Il ne voulait pas gérer l'abandon ou la pitié.

Il était resté pour sa mère, pour Stanislas, pour Elnath, pour Cliff, pour Kayser aussi. Et il ne bougea pas pour elle. Il resta.

« Après cet... après ce qu'il s'est passé. C'était il y a un mois et... »

Elle perdit pied. Impulsivement, il voulut la serrer, au moins, pouvoir caresser ses cheveux pour apaiser sa respiration. Il ne bougea pas. Il se contenta de la regarder plonger à l'aveugle dans une mélasse de souvenirs sans formes ni fonds. C'était son combat. C'était sa réalité. Il se sentit si proche d'elle en cet instant précis, tandis qu'elle peinait à se maintenir dans un semblant de lucidité, qu'il lui appliqua ses mécaniques : Encaisse et n'accepte l'aide de personne. Aucun ne pourra comprendre totalement. Et aucun ne pourra apaiser tes pensées.

Tu es seul.


« On m'a dit que.. Que c'était un... Un loup-garou. Mais... », elle s'interrompit et bien qu'à quelques centimètres d'elle, il la sentit trembler.

Il frissonna lui aussi.

« Mais... »

Mais tu n'y crois plus vraiment. Il ne lui dit pas. Aurait-il pu y croire si la situation avait été inversée ? Alors qu'un simple contact physique lui provoquait la nausée ? Que l'autorité paternelle le plongeait dans un malaise systématique ? Que d'être entouré d'Hommes était à le rendre malade ? Qu'il ne pouvait plus regarder son visage sans y déceler la lueur sadique d'un autre ? Alors même qu'isolé, il sentait des mains sur ses courbes à la nuit tombée ? Que les yeux fermés, il s'entendait hurler et se demandait, encore transpirant, si ça n'avait pas été le cas cette fois-ci encore ?

Elle fuyait.

« Je ne me souvenais de rien. »

Et peut-être qu'il en aurait fait autant. Il ne parvint pas à la traiter de lâche. Mourir et baisser les bras. Il avait déjà préféré la facilité à l'ardue tâche de se relever et avancer.

« Et maintenant ça. », elle lui pointa le haut de la colline de l'index. « ici... »

C'était son enfer qu'il voyait encore. Le squelette de ses démons dans une enseigne clinquante et lumineuse. Dans les planches mal clouées, il voyait l’opulence de la cruauté et la luxure dépravée d'un esprit malsain. Dans les fenêtres condamnées, c'étaient les rires et la joie sincère d'être l'auteur de cris et de gémissements plaintifs. Dans l'air, la fumée des opiacées et la sueur se mélangeaient au froid et au piquant du tabac blond. Sur sa peau, s'il reniflait, il pourrait y retrouver l'arôme de son eau de Cologne et l'arrière-fond presque caramélisé d'un cigare cubain. C'était comme hier et en même temps, tout lui sembla si lointain, comme s'il l'avait vécu dans une autre vie.

La cendre tomba sur son pantalon. C'est ce qui le ramena au présent. Il la chassa d'une pichenette et il ne l'observa pas se disperser et rejoindre les nuages.

Il affronta le clair de ses iris. Dans le bleuté, il distingua cette douleur qui devait faire vibrer son expression.

« L'amnésie était peut-être un cadeau du ciel, au final. »

Aurait-il voulu oublier ? Oublier l'enfant, oublier les ruines, oublier la porte rouge, oublier les couloirs, oublier les rires, oublier le cigare et l’encens, oublier les draps, oublier les mains, oublier les souffles, oublier le sang, oublier les flammes, oublier les insomnies, oublier les cauchemars, oublier l'homme au cigare. Tout oublier.

Aurait-il été différent ? Aurait-il été plus heureux ? Aurait-il pu aimer ? Aurait-il pu être aimé ? S'il avait été frappé d'amnésie, sa vie aurait-elle été meilleure ?

Il la dévisagea un instant. Elle n'était pas plus heureuse. Elle n'était pas plus en paix. Il n'aurait pas été une exception.

C'était sa réalité. Tout ça. Les souvenirs, la peur, la colère, la rage, l'impuissance et l'envie de crever. C'était son monde. Il avait pensé à en changer. Il avait envisagé un oubliette les nuits trop longues, quand plus rien ne le tenait vivant. Un simple sortilège sur la tempe. Et ce qui l'avait retenu était la même chose qu'aujourd'hui : La peur de ne plus se reconnaître, aussi monstrueux et imparfait qu'il pouvait être.

« Tu crois ? », lui répondit-il dans un haussement d'épaules. « Moi, je ne crois pas. », il retira le tube déjà bien entamé de ses lèvres. Il souffla fumée et respiration enrouée.

Elvy, c'était une bulle. Elle l'était encore. Un il ne savait quoi d'intemporel, qui était mais n'était pas vraiment. Il ne s'était jamais confié. C'était trop dur de verbaliser des faits sur lesquels il ne savait pas s'il pourrait trouver les mots justes pour les décrire. Aucun ne savait réellement. Sauf elle. Il eut la sensation irrationnelle qu'elle était la bonne. Qu'ils pourraient se comprendre. Qu'elle pourrait comprendre comme lui avait saisi son désespoir.

« J'y ai pensé. Une fois. Ou deux. », il hésita, puis reprit avec plus d'honnêteté. « Ou trois. Un oubliette, tu sais. », il pointa sa tête et fit un léger moulinet de l'index comme pour mimer le geste de sa baguette.

« Mais ça enlève pas... tout ça. », il engloba mollement la cabane et la colline sans s'y confronter de nouveau. « Ça existe. Et oublier ne les fait pas disparaître. »

Ça ne fait que retarder l'inévitable. Il soupira.

« Oublier, ça soulage. Ça enlève le reste et ça le remplace par un trou noir. L'alcool ça fait ça, mais pas longtemps. La drogue, ça aide, mais pas tout à fait. C'est illusoire et ça dure pas. »

Pensivement, il caressa un morceau nu de son poignet, à la base de ses veines. Aucun bandage. Quelques cicatrices qu'il sentait sous son pouce. Le bien-être qu'il sentait sous les entailles ne durait jamais. C'était éphémère. Expulser torpeur et colère de son corps était assez bon pour qu'il y revienne toujours. Mais assez faible pour qu'il regrette. Qu'il se sente coupable.

Il se racla la gorge et baissa sa manche. Il la retient solidement.

« L'amnésie, ça dure pas. Un jour, on se souvient. Comme toi, là. Un peu. », il se fondit dans la complexité de son regard. « Je ne veux pas oublier. La souffrance, les souvenirs, les sensations, tout ça... C'est moi. Ça m'a fait. J'ai grandi avec. J'ai... », il s'interrompit, puis souffla. « C'est moi. »

Il avait la bouche sèche. Les larmes grimpaient dans sa gorge. Il joignit ses mains et serra pour calmer son émotion.

Un exercice qui réussit à moitié.

« Et ça aussi, c'est toi. »
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Dim 5 Juin 2022 - 15:38



Peut-être sommes-nous plus que des fantômes
☽ Elvý & Lévine ☾


Mardi 21 Novembre 1995

- L'amnésie était peut-être un cadeau du ciel, au final.

Le murmure se perdit dans les airs, imprégnant l’oxygène de son désespoir. Lévine l’avait rejointe sur l’asphalte, le dos collé au mur, son épaule proche de la sienne, sans la toucher. L’épiderme mis à vif par leur réminiscence commune, redoutaient-ils le moindre contact physique ? Ou bien n’osaient-ils seulement pas l’amorcer malgré leur besoin de réconfort ?

Elvý ne le savait pas elle-même. Elle avait envie que la chaleur de la main de Lévine chasse les frissons de la sienne. Mais elle redoutait aussi que ses doigts se retrouvent prisonniers de cette étreinte. Elle avait envie de s’agripper à lui comme à une bouée, mais elle redoutait également que cette proximité ne l’asphyxie.

Il était un inconnu, après tout.
Un fantôme.
Mais, en l’espace de quelques mots, il était aussi devenu bien plus que ça.
Un miroir.

Mais lui, comment faisait-il pour vivre avec toutes ces brisures à la surface de sa glace ?

« Je n'oublie jamais. »

Ses brisures à lui avaient toujours été là, il avait toujours accepté de les voir, aussi laides qu’elles étaient, et n’avait jamais cherché à les effacer. Elvý ne pouvait en dire autant, son inconscient lui avait mâché le travail.

- Tu crois ? répondit Lévine à son murmure. Moi, je ne crois pas.

Le regard plongé dans les iris sombres de son miroir, l’amnésique haussa les sourcils.

- J'y ai pensé. Une fois. Ou deux.

Oublier, c’était la voie de la facilité, n’était-ce pas ? C’était une croix sur le mal et un retour à zéro, une recharge d’optimisme et des pages vierges pour réinventer son histoire.

- Ou trois. Un oubliette, tu sais.

C’était facile, oui. Rien de plus simple. Un peu de risque, certes, mais pour combien de bénéfices ? Une formule pour ramener les rires et étouffer les cauchemars, pour ramener la vie et taire les angoisses. Pour les plaisirs renouvelés, pour l’innocence, pour l’euphorie. Pour l’avenir.

Non. Oublier, c’était plus complexe que ça. Quel avenir pouvait se construire sans son passé ?

- Mais ça enlève pas... tout ça, continua Lévine dans un geste vague vers la colline redoutée. Ça existe. Et oublier ne les fait pas disparaître.

Oublier, ce n’était facile qu’en surface. Les souvenirs avaient beau s’éteindre dans un esprit, ils restaient présents tout autour.

Elle avait oublié, mais la colline continuait d’exister. La cabane continuait d’exister, son bourreau continuait d’exister, ses cicatrices continuaient d’exister, son sang sur le bois continuait d’exister, ses cris dans le vent continuaient d’exister, ses angoisses nouvelles continuaient d’exister. Et ses larmes continuaient de couler. Quelque part dans son esprit, elle n’avait rien oublié.

- Oublier, ça soulage. Ça enlève le reste et ça le remplace par un trou noir. L'alcool ça fait ça, mais pas longtemps. La drogue, ça aide, mais pas tout à fait. C'est illusoire et ça dure pas.

L’euphorie dans l’oubli n’était pas réelle. Ses joies nocturnes étaient toutes superficielles. Mais elle s’en abreuvait comme une grande assoiffée, comme si sa vie en dépendait et elle croyait alors se créer un nouveau chemin, un nouvel avenir, un nouveau bonheur. Mais rien ne pouvait vraiment germer dans un champ de cendres, si ce n’étaient des azalées calcinées.

Être confrontée à sa propre réalité lui fit mal. Elle n’était pas encore prête à le voir, à l’accepter. Lévine savait-il seulement à quel point il misait juste avec ses mots ? C’était trop dur de constater que son quotidien n’était que poudre aux yeux. Le déni était confortable tant que l’on ne s’apercevait pas de la supercherie. Il était trop tôt pour lever le rideau.

Le dos de la Scandinave se raidit, elle se redressa un peu, prête à se relever pour fuir à tout moment, dès les mots se feraient trop lourds. Elle lorgna sur la cigarette déjà bien consumée de son confident improvisé et sentit l’appel de la nicotine onduler dans ses veines. La main libre du jeune homme s’était mise à caresser pensivement la base de son poignet, mais le geste n’alerta Elvý que lorsqu’il en prit lui-même conscience et qu’il rabaissa pudiquement sa manche. Lui aussi avait des secrets enfouis qu’il ne fallait peut-être pas approcher de trop près.

Ignorant la confession involontaire de ce geste par respect pour les stigmates cachés de l’auror, l’Islandaise pointa son index vers le tube garni de tabac et demanda de sa voix faible :

- Je peux ? La drogue, ça aide un peu, comme tu dis, même si ça dure pas.

Lévine lui tendit la fin de sa cigarette et Elvý ne se culpabilisa pas d’aspirer l’illusion à pleins poumons. Mais l’effet relaxant ne se manifesta qu’une brève et subtile poignée de secondes, cela ne suffit pas à chasser ses frissons, au contraire, et sa tachycardie monta d’un cran. Elle ne fumait pas quotidiennement – ou du moins, pas du tabac -, mais suffisamment souvent pour être devenue quasiment insensible aux effets de la nicotine. L’illusion lui parut plus factice que jamais.

- L’amnésie, ça dure pas , reprit l’Asiatique, affligeant l’Islandaise d’un nouveau coup dans le bide. Un jour, on se souvient. Comme toi, là. Un peu.

La lune. La cabane. Le sang.
C’était tout.
Mais déjà trop.

L’amnésique écrasa le bout du mégot sur le bitume, comme pour réduire en cendres les images succinctes et floues qui ne cessaient d’envahir son esprit.

- Je ne veux pas oublier.

Moi si, hurla-t-elle au fond d’elle, luttant contre la réminiscence.

- La souffrance, les souvenirs, les sensations, tout ça... C'est moi. Ça m'a fait. J'ai grandi avec. J'ai...

Les iris grisâtres de la Njállsdóttir s’accrochèrent à ces lèvres qui ne trouvaient plus les mots, avec le vague espoir d’entendre une raison de plus qui donnerait un sens aux souvenirs, incapable de saisir la profondeur des propos de cet homme.

- C'est moi.

Tout simplement. Il n’y avait rien de plus à comprendre : les souvenirs constituaient l’identité de chacun. Était-ce pour cela que, ne savant plus vraiment qui elle était, elle se laissait porter par le courant ? Qu’elle cherchait tant à se nourrir des rencontres et des récits qu’on lui partageait, comme pour y trouver les constituants de sa propre identité ? Était -ce pour cela qu’elle fuyait tout moment de solitude, incapable de se soumettre à une introspection qui la confrontait à un vide affligeant ?

Qui était-elle donc ?

C’était pourtant là, à l’intérieur d’elle. Et non à l’extérieur. Ni dans les fêtes, ni dans les rencontres, ni dans l’alcool, ni dans les drogues. Son identité reposait là où le silence se faisait terrifiant. Et elle n’osait l’écouter.

- Tu ne veux pas oublier, finit-elle par prononcer d’une voix encore frêle en reprenant les mots de l'auror. Moi, je crois que je ne veux pas me souvenir. Pas pour le moment en tout cas. C’est trop… trop…

Trop tôt ? Trop dur ? Trop effrayant ? Trop étouffant ?
Ça bousculerait tout. Ça dévoilerait des vérités mais aussi des mensonges. Ça ôterait un voile et brûlerait sa rétine.
Elle poussa un soupir.

- C’est trop. Juste trop.

L’amnésique prit une grande inspiration qui s’accompagna d’un bref reniflement et elle se releva, prenant soin de tourner le dos à la lugubre bâtisse. Elle ne pouvait rester là plus longtemps, elle n’arrivait plus à respirer cet air, il était trop imprégné de ses traumatismes. Le vent avait une odeur métallique.

- Je ne sais pas qui je suis. Mais je n’ai pas envie de chercher ici. C’est moi le fantôme dans l’histoire - elle esquissa un faible sourire -, et j’ai encore besoin de l’être un temps. Tu comprends ?

Elle chercha la validation dans le regard de son cavalier de danse, ses propres prunelles emplies d’un désespoir tu. Leur valse avait évolué en une chorégraphie de semi-confidences et elle sentait que lui, mieux que personne, pouvait la comprendre. Même si lui, mieux que personne, pouvait aussi la confronter à ses pires démons.

- Je ne peux pas rester ici, je vais rentrer…

Elle hésita, fit un pas vers la rue, puis de nouveau vers Lévine. D’habitude, elle n’hésitait pas ainsi. Pas lorsqu'elle proposait ça :

- Est-ce que… l’on peut garder contact ? Peut-être, un jour, quand… si…

Si elle retrouvait l’intégralité de sa mémoire ? Elle n’osa pas même l’imaginer.

- J’ai le sentiment que tu seras peut-être le seul à pouvoir vraiment me comprendre, acheva-t-elle.

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Jeu 9 Fév 2023 - 14:19
Peut-être sommes nous plus que des fantômesLévine & Elvý
If you were dead or still alive I don't care. I don't care. Just go and leave this all behind. 'Cause I swear (I swear), I don't care. ( I don't care → Apocalyptica ) ••• L'oubli. La mémoire.

Dans ce tourbillon, il ne pensa plus qu'à ça. À eux et à leur détresse si vive qu'elle lui en transperçait la peau comme une pluie d'aiguilles. Le souffle coupé, il ne parvient pas à différencier le froid rougissant ses joues, et les larmes qui y avaient séché. Lévine se sentait fébrile, le cœur aux bords des lèvres, et la mine triste. Lui pour qui les apparences étaient gage de fierté et de secours, était démuni de son sourire ou d'un air rassurant. La gorge serrée, il se serait écroulé de ces sanglots lourds qui lui pesaient sur l'estomac, si l'islandaise n'était pas devant lui. Ou bien était-ce elle qui était la cause de son soudain mal-être ? Elle et ses démons qui ne pouvaient qu'encourager les siens à se réveiller ? Il la désigna fautive. Mais ne parvient à lui en vouloir.

Dans ce flot d'émotions décousues, il n'en garda que peu, ou trop, il ne sût dire : Le désespoir, l’interpréta-t-il. Le désespoir pur, brut, celui qui creuse les entrailles et laisse un dégoût de soi et de l'autre dans son sillage. Un mot qui désigna un tout, la cabane hurlante, le sel de la tristesse, leurs reflets brisés et leurs identités irréelles. Il se retrouva enfant, petit garçon criant à l'amnésie devant des policiers impuissants et dans l'inconnu. Il se revit niant la magie qui coulait dans ses veines, intimement liée à ses cauchemars et ses excès. Il n'avait jamais totalement caché ses souvenirs sous une avalanche de mensonges. Il avait détourné les questions pour en construire des réponses plaisantes et idéales. Il avait inventé pour mieux grandir. Dans cette réinterprétation de son passé, celui qu'il présentait, et non celui qu'il savait avoir vécu, il s'était perdu. Il y avait gagné la force de marcher et sortir, mais y avait perdu l'honnêteté et le courage d'affronter. Comme Elvy et son envie de déambuler dans le noir, il fuyait sa mémoire par la feinte et la ruse. Il n'était pas plus prêt qu'elle a accepté la réalité : Qu'il était une victime innocente. Qu'il avait besoin d'aide. Et que tout cela n'avait aucun sens. Admettre l’insensé était pour l'instant trop dur. Il voulait un coupable, une raison pour les tortures, les séquelles qu'il traînait dans sa vie d'adulte, faisant germer dans son inconscient qu'il n'aurait jamais de réponses à ses questions, ni remède miracle après avoir obtenu une quelconque justice.

Un bol que l'on a brisé reste à jamais marqué de son choc. Il est zébré, il est fêlé, il peut lui manquer des pièces, trop petites pour être récupérées. Il pouvait le réparer, le recoller, le repeindre, il serait à jamais irrémédiablement changé.

Il voulut oublier, lui aussi, leur conversation, leur rencontre, qui le faisait plonger dans des réflexions trop justes et terrifiantes. Dans ses yeux brillants, il y lut quelque chose qu'il devait renvoyer malgré-lui, et il sût que sa cruauté ne le pousserait pas à un total égoïsme. Par préservation, il souhaita la rejeter, frapper violemment dans cette main qu'elle tendait timidement vers lui, parce qu'il se savait incapable de faire de même. Elle avait fait un pas en avant, petit, vers l'acceptation, quand bien même, elle voulait le convaincre de son choix de se résigner à l'inconnu. Elle n'avait pas totalement abandonné. Elle lui semblait trop résiliente pour cela. Ou bien était-ce son tempérament joyeux et hédoniste qui influençaient son rapport à son traumatisme ? Elle tomberait. Mais elle se relèverait. Il la comprenait sans totalement se retrouver dans son comportement. Dans son désir d’exister, il décida de cacher son empathie et sa sympathie derrière un intérêt : Elle lui donnerait une place, celle qu'il peinait à endosser : Une épaule attentive.

Il acquiesça.

« Lévine Serger, bureau des Aurors. », lui dit-il, avant d'ajouter. « Si tu souhaites me contacter. »

Elle se détourna, forme spectrale dans la brume glacée. Elle partit comme elle était venue, silencieuse et surprenante. Il la suivit du regard, jusqu'à ce que ses pas s'effacent dans le givre. Il resta dans l'atmosphère une impression de rêve, dont ses yeux secs et l'envie de pleurer étaient les seuls stigmates. Leur rencontre avait été comme ce cliché, volée, éphémère et saisissante. Elle était un flash et la pellicule de leur déni, une vie qu'aucun ne voulait visionner sur grand écran, comme un vieux film en noir et blanc, dramatique, un thriller des années soixante dépassé et sans issue heureuse.

Il soupira.

Les mains dans les poches, il bifurqua sur le paysage, inchangé et statufié dans le gris du temps. Les paupières mi-closes d'une fatigue psychologique, il chercha dans ses poches son paquet de cigarettes. La fumée dansa dans le vent, disparaissant dans le vide en une expiration. La nordique était venue avec son lot d'interrogations, changeantes, envoûtantes, comme un précipice qu'il craignait de franchir, par peur qu'il soit trop haut pour être gravi à nouveau. Elle était arrivée avec ses déjà-vus et ses hypothèses qui débouchaient sur des cul-de-sacs en une toile d'araignée labyrinthique. Face à la cabane, l'auror n'y vit plus qu'une vieille bâtisse sinistre et non plus une pièce au papier peint satin rouge. Dans ses narines n'entraient qu'une vague flagrance de tabac blond s'entremêlant au froid, se substituant à la flagrance, à l’âcreté agressive de la sueur et du parfum luxueux. À la moitié du filtre, il ne tremblait plus.

Ses talons le firent glisser, et il laissa derrière lui la métaphore qu'avait prisz sa contemplation. Les branches craquèrent sous une bourrasque qui le fit chanceler en avant. À ses pieds, coincée entre deux cailloux asymétriques, la photographie avait fini sa course non loin d'eux, ramenée par les intempéries. Intrigué, il se pencha, la ramassa et de l'index, chassa les gouttes d'une pluie qui s'était arrêtée dans le courant des dernières heures. Il leva le polaroid en hauteur, frappant le cliché d'un rayon timide. Il se distingua, comme une silhouette lointaine sur la colline, le visage gravé d'une expression mélancolique. Pensif, il hésita à déchirer le papier comme pour effacer cette preuve de faiblesse de sa mémoire, ou à en garder une trace, pour mieux se rappeler cet instant, de cette seule et unique fois où sa vision n'avait plus été unique, mais comprise et partagée. Du pouce, il caressa le carré, d'un coin à l'autre, indécis.

« J'ai le sentiment que tu seras peut-être le seul à pouvoir vraiment me comprendre. »

Il le mit finalement dans sa poche intérieure, quelque part entre son carnet de note et une poignée de pièces de monnaies, vaincu.

Lévine reprit sa marche, le pas lourd dans la boue. Il regagna les rues plus fréquentées, dont les habitants avaient su braver la menace des températures négatives. Perché sur les toits d'une simple impulsion, il se guida, félin, entre les cheminées et les tuiles en un jeu d'équilibriste. Il oublia la matinée dans les déclinaisons du jour, et au soir, ce fut comme si elle n'était jamais advenue, l'esprit occupé par les affaires du ministère et les protocoles changeant aux fils des événements. Peut-être qu'il avait guetté, la première semaine, les courriers qui s'étaient déposés sur son bureau en réminiscence, avant de finalement le relégué à une tâche auxiliaire.

Sur sa table de chevet, une photographie s'était retrouvée, unique témoin du face-à-face sur la colline. Entre une lampe souvent allumée et un radio réveil aux nombres rouges, elle est la preuve qu'il a fait un pas : Il n'est pas tout à fait seul.

*** FIN ***
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Lévine Serger
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