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Dessine-moi un mouton. [21/12/1995] - Levine & Eileen.

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Dim 11 Juil 2021 - 18:29
Dessine-moi un mouton.Lévine & Eileen
Sandman, I'm so alone. Don't have nobody to call my own. Please turn on your magic beam. Mr. Sandman, bring me a dream ( Mr Sandman → SYML ) ••• Le pas lourd, il avait remonté l'allée de gravier menant au portillon vert. Donnant sur un minuscule carré d'herbe éclairé de tiges plantées dans la terre, la cour au gazon tondu s'élevait en quatre enjambées sur le perron abrité. Les tuiles brunes étaient invisibles sous la couche de neige. Le froid rougissant ses doigts, il s'était reprit à deux fois pour extirper son trousseau de clefs de sa poche, tirant sans ménagement sur le couteau suisse hérité de son père, qu'il gardait par égard pour l'attachement que celui-ci portait au canif. Aujourd'hui, c'était à peine s'il daignait s'en servir de tournevis ou de décapsuleur. Du coude, il avait appuyé sur l'interrupteur juste à côté de la sonnette pour s'éclairer. La lueur était vacillante, comme un pauvre disque n'irradiant qu'en cône étriqué.

La serrure cliquetait toujours deux fois. La porte grinçait sur ses gonds, lui rappelant son manque d'entretiens. L'air chaud lui avait fouetté les joues, piquant sa peau d'une nuée de fourmis. La lumière du lustre fut la première agression. Les pas pressés sur le parquet, suivirent. Et sous son nez stupéfait, sa mère lui braqua une bougie. Un pauvre serpentin bicolore coulant déjà sur son support.

« Joyeux anniversaire, mon chéri ! Aller, fais un vœu. », lui sourit-elle derrière le nappage à l'odeur sucré.

De la crème de marron, avait-il deviné à l'aspect, se confondant dans un soufflet chocolat. Des saveurs enfantines qui l'avaient assaillit au creux du bide. Il mangeait peu. De l'entrée, il ne voyait pas le salon. Mais, il ne doutait pas qu'un paquet l'attendait sur la table. Une dépense inutile, lui avait-il répété autant de fois que sa patiente le lui permettait. Mais si elle lui avait transmit sa détermination butée, il ne pouvait encore se venter de savoir contourner ses objectifs. Avec plus d'entrain, elle avait continué de faire danser l'assiette devant ses yeux.

« Un vœu ? Je ne suis pas un peu grand pour ça, maman ? », demanda-t-il en s'appuyant sur la poignée de la sortie, l'air surprit et gêné.

« Nous ne sommes jamais trop grand pour rêver, Lévine. Tu as vingt-six ans, tu as encore toute ta vie pour voir tes vœux se réaliser. »

Une vie qu'il fumait à petit feu. Il s'en sentit coupable. Honteux. Illégitime de nourrir son mal-être au mépris de ce bonheur qu'il avait devant lui, sans parvenir à s'en saisir. Sans réussir à s'y intégrer. Il le mimait. Il le copiait dans l'ombre des confidences, dans la lumière des sourires solaires. Sans le ressentir. Sans combler un vide qui lui donna soudainement envie de pleurer. Puis de hurler, dans une brève inspiration. La tristesse ne restait jamais. Elle coulait de larmes invisibles. De celles qu'il avait trop souvent versées et qui avaient séchées. La colère l'ébranla. Et céda aussitôt qu'il croisa le regard tendre de sa mère.

« Fais un vœu. », lui rappela-t-elle plus doucement. « Choisis-le bien. »

Il avait gonflé ses poumons. Et soufflé.


Je souhaite pouvoir rêver.

***

Aujourd'hui était son jour de repos. Il ne s'en était pas réjoui à la vue du planning. Ni ne s'en était senti particulièrement déprimé. Sa garde s'était terminée sur un semblant de nuit. Sur quelques heures qu'il avait arrachées à ses pensées trop animées. Du trou noir de son sommeil, il gardait une impression de sécurité. Et la vague image d'une main tendue. Il s'étira dans ses draps, faisant rouler les couvertures sur sa taille. Les rayons perçaient sa vitre, éclairant faiblement son parquet. Du ventre, il passa sur le dos, puis se redressa sur les coudes, avisant l'heure sur sa montre.

Huit heures.

Il attrapa le bracelet et le passa avec un bâillement. L'idée de lézarder au lit fit son chemin, comme un adolescent, mais le devoir se rappela d'un miaulement indistinct, un peu enroué. Les paupières engluées, il les frotta du pouce, accueillant la douceur de Fire sous ses doigts. Ses ronronnements vibraient contre sa paume. Il se laissa tomber en arrière, les épaules butant contre le mur glacé. Le félin grimpa sur ses cuisses, quémandeur. Les pâtes en avant, il griffa son ventre en remontant tout contre son torse. Il referma ses bras autour de lui, lovant ses narines dans ses poils roux, apaisé par le poids sur son cœur, l'empêchant de se dérober à un élan d'affection. La truffe rencontra sa joue, puis la langue râpeuse traça un unique allé sur sa pommette, qu'il s'empressa d'essuyer d'un revers.

Sans brusquerie, il attrapa l'animal, pour l'emmener sur le sol. Il repartit au trot vers la porte, le son du grelot résonnant jusqu'à la cuisine. Avec un soupir, il bascula sur ses jambes, se postant devant la fenêtre. La rue était baignée de blanc.

Dehors, il neigeait.

Il suivit le ballet des flocons en peignant son souffle sur la glace. Les décorations pendaient misérablement sur les lampadaires. Des sapins de cristal, éteints pour la journée. Sur le trottoir d'en face, une mère tirait une gamine sur une luge. La voir soulever la poudreuse en riant candidement, le rendit nostalgique. Et un peu triste.

***

Résolu à ne pas rester seul à broyer du noir dans un sursaut de préservation, il arpentait maintenant les avenues les mains dans les poches et le menton dans son écharpe. Sobre de gris et de noir, il se mariait à la morosité vestimentaire londonienne. Son insigne entre les doigts, il tourna au premier embranchement, pour déboucher sur le grand boulevard. Les magasins n'ouvraient que dans une heure, mais les files d'attentes se dessinaient déjà devant les plus célèbres enseignes. Des boutiques de bibelots principalement, idéaux pour un cadeau passe-partout, si informel qu'il fut tenté d'en offrir un à chacun de ses collègues, mais dans des coloris différents, plutôt que de se creuser la tête pour faire dans l'originalité.

Il passa à côté d'une brasserie dont l'odeur de croissant lui donna envie d'un café. Il fila devant la devanture de l'antiquaire jouant de la pelle sur son palier. Il ne s'arrêta pas à l'Edelweiss qui tournait à peine sur un panneau ouvert. Désireux de bousculer ses habitudes, tout en restant raisonnable, il poussa la porte du chaudron baveur.

La musique était moins criarde que dans son souvenir. Un jazz à peine perceptible se jumelant au flot de conversations. Il n'y avait pas de joueurs de cartes, ni de beuverie. Seulement quelques habitués, supposait-il, cachés derrière des journaux, ou babillant au-dessus de tasses fumantes. Pudique dans cette ambiance nouvelle, d'un calme communicatif, il ramena son col contre sa mâchoire, et libéra le passage pour une jeune femme qui s'en alla au comptoir en sautillant. Il prit sa suite, se laissant guider jusqu'au menu et ses tarifs, qu'il retraça de son ongle.

« Bonjour. », apostropha-t-il le gérant, prenant garde de mesure le volume de sa voix. « Je vais vous prendre un café, sans sucre, prit-il la peine de préciser, et un pain au chocolat, s'il vous plaît. »

La plume gratta sur un bloc-note sans lignes, puis il releva vers lui son visage moustachu.

« Bien sûr, allez vous installer, ça ne prendra pas longtemps. », il arracha la page qu'il accrocha à une épingle qui s'en alla d'elle-même sur le cordage.

La magie avait parfois du bon.

« Merci. », fit-il plus bas encore que précédemment, s'effaçant du bruit de pas dans les escaliers.

La silhouette d'une adolescente émergea des marches, tandis qu'il contournait un homme à la casquette mal vissée et sentant le cigare, pour gagner une table. Reculée, de préférence.

« Bon anniversaire, Eileen. », entendit-il malgré lui. Sa curiosité le fit tourner son profil sur l'échange. Si une réplique anima la bouche de la brune, il ne l'entendit pas.

Se calant tout contre son dossier de chaise, il dégagea son cou de son tissu de laine, respirant d'autres effluves que sa lessive et son parfum. La cire se mêlait au sucre doux du thé et du chocolat chaud, comme un nuage réconfortant. Professionnel, Lévine attrapa l'écusson dorée, en fouillant un peu, puis l'épingla à son manteau. S'il n'était pas de service, le code lui stipulait de rester disponible.

Sa commande ne tarda pas à apparaître sur un plateau, amenée par la demoiselle du comptoir. Ainsi, elle était donc serveuse, nota-t-il alors qu'elle se saisissait de l'anse de la porcelaine pour l'orienter vers lui. La coupelle de la viennoiserie se plaça à sa gauche dans un mouvement de poignet sûr et habitué.

Souffle donc et fais un vœu, entendit-il encore.

Avec empressement, si bien qu'il manqua de heurter sa tasse, il tira sa baguette de son holster tout près de ses côtes, pour allumer une flamme en son bout. Un peu gauche, il la présenta à l'américaine, dans un sourire hésitant.

« Quel serait un anniversaire sans bougie à souffler ? », se justifia-t-il pour son geste. « Enfin, ce n'est pas une bougie. Mais je n'ai pas mieux. », il haussa minablement les épaules, soudainement peu à l'aise face à son comportement.

Il se sentit incroyablement ridicule.

« Fais un vœu. », l'invita-t-il en inclinant le noyer à la verticale, pour mieux représenter une bougie.

Et choisis-le bien, résista-t-il a ajouter.

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Lévine Serger
Admin rusé
Lévine Serger

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Comme de la neige sur le sable

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Mar 13 Juil 2021 - 17:08
Dessine-moi un mouton
Lévine Serger
Si je vous disais que je n’ai plus trop l’habitude de fêter mon anniversaire, est-ce que vous croiriez ? J’étais entourée, j’avais des amis et des camarades sur qui compter, comment est-ce que ça pouvait être le cas ? Et pourtant. Petite, mes parents y mettaient un point d’honneur. Après leur mort, tout le monde oubliait de me le souhaiter. Ça me faisait mal, alors j’ai arrêté de donner ma date de naissance à qui que ce soit.
Le corps et l’esprit encore engourdis par la leçon d’escrime qu’elle venait d’offrir au garçon qui babillaient derrière elle, Eileen observait le mur de sa chambre sans vraiment le voir. Depuis cinq minutes maintenant, elle ne bougeait pas. Jason, septième année de Poufsouffle, n’avait pas l’air de remarquer son état, ni même son manque d’écoute et de réactions. Le jeune homme n’arrêtait pas de rêver de ses futurs exploits comme tireur d’élite de la police magique. Le simple fait qu’il fut encore allongé sur son lit témoignait de l’état comateux de la Gryffondor.

Depuis le début de cet été, l’illusionniste avait eu le besoin d’expérimenter, de se rapprocher d’autres personnes dans un cocon de draps et de soi. Les quelques hommes qui avaient eu la chance de l’étreindre, cependant, ne restaient jamais. Soit ils partaient d’eux-mêmes, comprenant qu’ils n’auraient rien d’autre que de la sueur et des gémissements de sa part, soit elle les chassait à grand coup de Monstrueux Livre des Monstres.

Elle avait gardé le grimoire et l’avait apprivoisé à mesure des années, et même si Duchesse l’avait largement abimé à force de se battre contre lui, elle lui trouvait toujours une utilité. Celle de garde-du-corps de son simulacre de demeure.

Le Chaudron Baveur et la chambre treize. Elle lui était allouée depuis ses onze ans maintenant. Des années à l’arpenter dans tous les sens chaque été, au point d’en connaitre tous les détails. De la fissure qui partaient au pied du mur nord jusqu’au plafond, jusqu’aux motifs de son lit à baldaquin.

Elle s’y sentait toujours seule, malgré la présence rassurante de Duchesse. Elle s’y sentait toujours triste et les bouteilles qui jonchaient le sol, preuve de ses envies d’oublier, ne l’avaient jamais aidées à le surmonter. C’était peut-être pour cela que, depuis qu’elle la connaissait, elle n’y était jamais retournée pendant les vacances de Noël ou celle de Pâques. L’appartement de Tabata et de son frère étaient plus vivants, plus grand, moins oppressant.

Même le défilé de garçons, tous plus âgés qu’elle de un à trois ans, n’avait rien arrangé. Elle ne supportait pas leur présence très longtemps. Peut-être parce que, malgré tous ses ressentis néfastes, la chambre treize reflétait son intimité. Paradoxale venant de quelqu’un qui appréciait rentrer dans la tête des gens pour les tromper, que ce soit pour les émerveiller ou les combattre, elle ne supportait pas que sa vie privée, en dehors du château, soit visible au premier venu.

Et Jason continuait de babiller. La lionne finit par secouer la tête, forçant son esprit à se recentrer sur le présent. Elle se sentait vide. Comme tous les autres jours quand elle se réveillait dans cette chambre. Comme à chaque fois, malgré la nuit agréable et le réveil sulfureux.

« Et je pense partir pour le MACUSA pour ma formation. Il parait que les services de protection y sont bien mieux formés et plus dou...
Arrête. », cingla la magicienne d’un ton froid.

Rare était ceux qui voyaient ce visage-là de la part de la Louisianaise. Le visage angélique et les sourires solaires disparaissaient au profit d’un gel qui irradiait de tout son être, de la cime de ses pieds à ses pupilles qui s’assombrissaient. Le félin laissait sa place à autre chose, à un reptile plus acerbe et mauvais, à celui qui se souvenait des coups et des brimades, à comment les recevoir et les donner. Les grenouilles et les trompettes se taisaient au profit d’un alligator moqueur, prêt à dévorer ses proies.

« Mais...
Encore un mot de plus et je te jure que tu regretteras de m’avoir connu. »

Et la prochaine fois que Nina, cette jolie Serdaigle de sixième année, prétendait avoir trouvé l’accompagnateur idéal pour une nuit de folie, elle se promit de ne surtout pas l’écouter jacasser. Jason, de tous ceux qu’elle avait connu, était sans doute le pire de tous.

Bien que de profil pour le regarder, car assise au bord de son lit, elle ne pouvait qu’acquiescer à une partie des dires de la rousse. Il était beau et sportif, gentil et voulant bien faire. Il était toutefois trop bavard et bien trop rêveur. Un trait de caractère que la chasseuse ne recherchait pas quand elle souhaitait se perdre dans les bras d’autrui.

« Prends tes affaires et va-t'en. », continua la vipère refoulée en se penchant en avant.

Ses doigts agrippèrent la bretelle de son balconnet et elle s’évertua à l’enfiler sans un mot de plus. Derrière elle, sans doute encore sonné par le changement d’ambiance, le futur policier entreprit de rassembler ses vêtements pour les enfiler en quatrième vitesse. Sans doute voulait-il la fuir le plus vite possible.

« Et une dernière chose, dit la jeune femme en se relevant, à Poudlard ou ailleurs... Non, plus simple : à l’extérieur de cette chambre, on ne se connait pas. »

Elle ne sut jamais si Jason avait acquiescé ou non, car il ne répliqua pas et elle, dans un souci de se préparer à sa journée de travail, partit s’enfermer dans la salle de bain attenante à sa chambre. Elle avait la chance d’avoir l'une des rares suite du pub. Dedans, elle se coula un bain. Elle entendit à peine le battant de son antre s’ouvrir et se refermer avant de plonger entièrement dans l’eau brûlante. Elle s’immergea entièrement. Retenant sa respiration le plus longtemps possible, elle profita de quelques minutes de relaxation.

Même si Tom, par le biais de Minerva, connaissait le jour de son anniversaire, cela ne la dispensait pas de travailler. Loin de la déranger, l’activité lui permettrait de mettre de la distance entre sa solitude, ses bouteilles de wisky et elle, au moins jusqu’au soir.

C’était huit heures du matin quand, habillée et coiffée, elle descendit des étages. Il n’y avait sur elle plus aucune trace de sa soirée ou de son réveil. Le fait que sa gueule de bois commençait déjà à passer y était pour beaucoup. Outre l’activité sportive, elle se remerciait encore mentalement d’être, parfois, prévoyante. Fabriquer un petit stock de potion contre la migraine, dans son laboratoire clandestin à l'école, avait été une excellente idée.

Le bain, aussi, avait fait son office. De bien meilleure humeur qu’après les radotages du blaireau, la jeune femme se sentait d’attaque pour accomplir ses missions. Ce fut donc d’un pas presque dansant qu’elle sauta les dernières marches pour atterrir non loin du bar, où Tom prenait la commande d’un homme aux traits asiatiques.

Eileen le regarda quelques secondes et se fit la réflexion que ce n’était pas un habitué : c’était la première fois qu’elle le voyait. Elle ne chercha pas à en savoir plus, néanmoins, son regard se perdant dans la pièce à la recherche de Fantasia. Celle-ci n’était toutefois pas présente et devait donc être de corvée en cuisine.

Si la née-moldu aurait dû la plaindre, car cela voulait dire qu’elle était à la plonge pour le reste de la matinée, elle s’en sentit soulagée. Elle préférait largement tenir le bar ou servir en salle et être au contact avec la clientèle qu’être enfermée dans l’arrière salle.

Elle s’en voulut un peu, pour la forme. Puis, décidée à passer une agréable journée, elle ne se priva pas de reléguer son sentiment en arrière-pensée inutile. Elle se mit en branle vers le gérant au moment où l’Asiatique disparaissait dans la foule, en quête d’une table reculée.

« Bon anniversaire, Eileen !, la salua le barman et elle grimaça.
Bonjour Tom !, répliqua la demoiselle avec l’entrain habituel que lui connaissait l’homme, tout en faisant la sourde-oreille. Belle journée, n’est-ce pas ? »

Le sourire fin qui se dessina sur son faciès fut néanmoins incontrôlé, preuve que l’attention de son patron la touchait. Elle ne lui avait jamais dit, à lui, et pourtant il s’en souvenait chaque année. Et il lui souhaitait, comme tous les ans : elle recevait habituellement une petite lettre de sa part. Une missive qu’elle s’empressait de cacher à ses camarades ou à Tabata, quand elle était chez elle, mais qui lui faisait toujours plaisir.

Souhaitant cacher son sentiment de bien-être, par pudeur, la demoiselle pencha la tête vers l’avant. La cascade de sa tignasse brune vint se glisser entre son visage et le reste du monde. Ce fut avec cette apparence qu’elle contourna le meuble pour venir prendre la première commande à portée de main. Elle n’eut cependant pas le temps de la lire que Tom lui arrachait des mains, la forçant à relever la tête, une expression de surprise se peignant sur son faciès.

« Qu’est-ce que tu crois faire ?, lui demanda-t-il, l’air tout aussi surpris que l’adolescente.
Heu... Travailler ? Comme depuis le début des vacances ? »

La réponse d’Eileen fut prononcé avec un ton presque condescendant, comme si elle expliquer une vérité absolue à un enfant. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’avait en tête le propriétaire de l’établissement, mais elle préféra ne pas se pencher sur la question. Elle attrapa une autre note épinglée, qui lui fut immédiatement arraché des mains, comme la précédente.

« Même pas en rêve, jeune fille, s’exaspéra le vieillard chauve. C’est ton anniversaire, tu es libre pour la journée. »

Le premier réflexe de la susnommée fut d’écarquiller les yeux. Le second fut de les rouler des leurs orbites. Il n’en était pas question et, pour le faire comprendre, la cinquième année plaqua ses mains de part et d’autre de sa taille dans une posture défiante.

« Et si je refuse ?, demanda-t-elle d’une voix qu’elle voulait autoritaire.
Tu ne seras pas payée. », riposta Tom d’une voix narquoise.

C’était un coup-bas. Elle ne le connaissait pas aussi retors. Son respect pour lui venait de monter d’un cran.

« D’accord, concéda la King, avant de poursuivre, mais laisse-moi servir un client en même temps que je me prépare mon petit-déj'. Ça te fera gagner du temps et moi, ça me gêne pas. »

Le barman prit quelques secondes pour réfléchir à sa proposition. Il en oublia un temps les clients qui commençaient à s’amasser au comptoir. Ces mêmes clients qui, dans l’attente d’être servis, se retrouvaient à suivre leur joute verbale comme un match de Quidditch.

« Ça me va, petite teigne. », grommela l’adulte en lui rendant la dernière note.

Eileen s’en empara comme s’il s’agissait du Graal, fière d’être parvenue à le convaincre de la laisser travailler. Même si ça ne concernait qu’un unique consommateur, ça restait une victoire.

Après quoi, Tom reprit sa besogne. Son regard, à elle, se perdit sur les pattes de mouche du propriétaire et elle s’y reprit à trois fois pour arriver à déchiffrer les mots. Grand, cheveux noir, asiatique : café noir, sans sucre ; pain au chocolat. Un petit déjeuner purement français, mais la Gryffondor ne jugeait pas : elle-même était redevenue partisane du sucré le matin à force de côtoyer Wyatt.

Sans même prendre conscience qu’elle parvenait à repenser à la blonde sans la haïr ou sans s’en vouloir, l’Américaine disparut des radars. Elle se faufila dans les cuisines, salua Fantasia qui s’y trouvait bel et bien, et récupéra les viennoiseries. De retour dans la salle principale du pub, elle s’attela à préparer le café de l’inconnu et son chocolat chaud, esquivant les allers-retours de Tom avec la force de l’habitude.

Après avoir terminé les mélanges, la jeune femme entreprit de retrouver l’inconnu. Dans cette optique, elle traversa une première fois la pièce jusqu’à l’estrade comportant quelques-uns de ses propres instruments et se mit sur la pointe des pieds. Après avoir balayé la salle du regard plus d’une minute, elle finit par le repérer à une table dans un renfoncement, à l’ombre des passages.

L’homme ne devait pas aimé être dérangé et souhaitait sans doute rester seul. Pour la brune, il fallait être au moins un drôle de personnage pour se perdre au Chaudron Baveur pour s’isoler, mais là encore, elle ne le jugeait pas. Elle s’enfermait bien dans sa chambre par moment.

Traverser la pièce avec le plateau ne fut pas aisé, mais entraînée et avec de bons réflexes, elle parvint à empêcher tout accident, et ce, malgré les enfants qui couraient dans tous les sens.

Elle crut même voir Jules à un moment, mais se fit la réflexion qu’elle avait dû rêver. C’était une née-moldue et les festivités sur le Chemin de Traverse ne commençaient pas avant le lendemain.

Enfin arrivée à la bonne table, la lionne soupira de soulagement et entreprit de servir l’asiatique avant de se figer. Un peu gauche, il s’était empressé de tirer sa baguette et d’en allumer le bout d’une flammèche. La Louisianaise haussa les sourcils, dans l’incompréhension la plus totale. L’homme dût comprendre que son geste n’avait rien d’anodin, car il prit la parole d’une voix trahissant son malaise.

« Quel serait un anniversaire sans bougie à souffler ? Enfin, ce n’est pas une bougie. Mais je n’ai pas mieux. »

Toujours figée, il fallut une bonne dizaine de secondes à son cerveau pour intégrer et analyser l’information. Si la première pensée qu’elle eut fut de se demander comment il savait, la seconde fut d’incendier mentalement le barman. L’inconnu avait dû l’entendre quand il le lui avait souhaité.

Le geste, néanmoins, la charma plus que désiré. Elle sentit une chaleur incommodante sur ses joues et comprit qu’elle rougissait. Pour éviter que ce soit remarqué, elle s’empressa de terminer son service, jouant de ses gestes pour tenter de décrocher son regard de sa personne. C’était peine perdue.

« Fais un vœu. », dit-il en inclinant sa baguette à la verticale.


~

« Fais un vœu, ma chérie. », lui dit son père avec un grand sourire aux lèvres.

Il lui présentait la forêt noire, gâteau préféré de sa fille, que sa mère avait eu un mal fou à préparer. Eileen prit une grande respiration. Du haut de ses sept ans, elle gonfla ses poumons et ses joues, puis recracha le tout sur la bougie formant son chiffre fétiche du moment. Un peu de bave se répandit sur son menton et le chocolat sous les regards rieurs de ses parents.

Sa mère, vieil appareil photo en main, commença déjà à actionner tous les mécanismes pour imprimer son action. Elle voulait la rendre immortel, se jouant des mémoires et du temps. Madame King était fière de son unique enfant et si elle avait dû vous la décrire, elle aurait sans doute expliqué qu’elle était plus belle que toutes les merveilles du monde réuni. C’était sa merveille à elle.

Leur merveille à eux, plutôt. Car Monsieur King aussi aurait eu une phrase similaire. Des parents aimants, si attentionné que pour la jeune fille, ils étaient le centre de son monde.

« Alors, quel est ton vœu ?, demanda Madame King avec sa curiosité habituelle.
Ça ne se dit pas ! », répliqua son mari d’un ton faussement outré.

Il n’était pas rare que Monsieur et Madame King, pour amuser leur fille, se chamaille de la sorte. Si bien qu’Eileen se mit à rire aux éclats, alors que les deux adultes commençaient à argumenter chacun de leur côté. Finalement, ce fut sa mère qui eut le dernier mot.

« Je sais que ça ne se dit pas si on veut que ça se réalise normalement, mais il existe une règle qui dit que les mamans ont le droit de savoir. Nah. »

L'argument fut largement suffisant pour la fillette. Elle tendit ses bras vers la plus belle femme au monde, à ses yeux, et s’agrippa à son cou quand celle-ci se baissa pour l’attirer contre elle.

« Je veux rester avec vous pour toujours. », lui confia la petite au creux de son oreille.

~

219 jours après son souhait, le dimanche 27 juillet 1986, les corps de ses parents se faisaient briser par un camion. Le cœur de la jeune femme manqua un battement. Depuis ce jour, elle n’avait plus fait de vœux. C’était pour les enfants. Pour ceux qui croyaient encore aux contes de fées. Ce n’était plus son cas depuis longtemps.

Comme elle n’avait plus Monsieur le Duc depuis l’accident. Son ourse en peluche avait été déchiqueté en même temps que son innocence.
Très peu pour moi. Initialement, ce fut la phrase que la King s’apprêtait à répondre, mais les mots restèrent bloquer au fond de sa gorge.

« Fais un vœu, ma chérie. »

Comme un écho très lointain, l’adolescente eut l’impression d’entendre son père, comme à travers une vitre. Elle ne se souvenait plus de sa voix. Et si elle pouvait encore mettre un visage sur ses parents, c’était seulement parce qu’elle gardait précieusement l’album photo que sa mère avait construit au fil des années. Il lui arrivait même d’oublier leurs prénoms et elle se sentait monstrueuse quand cela lui arrivait.

Pour s’empêcher d’y penser, encore et encore, et parce qu’elle avait cruellement besoin de compagnie, Eileen installa son propre petit déjeuner sur la table et s’assit face à l’homme. En silence, elle prit ensuite une grande inspiration et ferma les yeux.


Je souhaite pouvoir rêver.

Ses poumons se vidèrent l’instant suivant sa pensée. La flamme fut soufflée par son expiration aussi vive qu’éphémère. Quand elle retrouva la vue, se l’autorisant après trois secondes de répit, ses iris se posèrent sur le jeune adulte et elle se sentit immédiatement intrusive. Incommodée par son assise, elle laissa apparaître son plus beau sourire crispé.

« Je m’appelle Eileen, dit-elle. Et toi ? »

Le ton de sa voix était contrôlée. Pour cacher sa gêne, son malaise passager, elle prit son croissant et mordit dedans à pleines dents.

(c) princessecapricieuse
Eileen M. King
Admin enragé
Eileen M. King

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Rêve ta vie en

COULEUR
• lilie
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Ven 10 Sep 2021 - 19:22
Dessine-moi un mouton.Lévine & Eileen
Sandman, I'm so alone. Don't have nobody to call my own. Please turn on your magic beam. Mr. Sandman, bring me a dream ( Mr Sandman → SYML ) ••• Le bruit était venu de nulle part. Comme un nid de bourdons surgissant des quatre coins de la pièce. Il s'était engouffré dans chacun de ses ports, surchargeant son système limbique d'un millier d'informations contradictoires. Lévine se sentit soudainement comme bloqué dans un banc de poissons, ne sachant comment inspirer dans une eau trop profonde, sans couleur, sans soleil. Il se vit engloutir par une foule emplissant l'espace par toutes les ouvertures de la salle, débordant des étages dans un florilège de bras tendus par-dessus les rambardes, comme dans un souk de pays lointain, où chacun devait élever la voix, jouer des coudes et donner ruses et étirements gymnastiques pour attirer l'attention d'un serveur ou marchand.

Il maudit sa déprime hivernale de l'avoir tiré de l'étreinte de son lit aussi tôt, un jour de repos. Il détesta la neige alourdissant les nuages, transformant les rues en patinoires. Il insulta les fêtes de fin d'années et leur angoissante bonne humeur, qui ne fit qu'un peu plus saper la sienne. Et surtout, il se fustigea d'avoir cédé à l'appel d'un café dans un pub qu'il était certains, de réputation, de haïr autant que possible.

Il tira sur son col pour inspirer un air parfumé d'effluves torréfiées, jonglant de ses cuisses sur son siège, pour à la fois se redresser et discerner sa commande sur un plateau, mettant à profit son savoir vivre pour ne pas quitter sa place. Lui qui s'était choisi un recoin caché, discret et peu fréquenté, se voyait à présent coincé entre un gamin quémandant sucrerie à grand cri et une mère déboussolée répondant à ses jérémiades enfantines par des soupirs fatigués. Les index sur les tempes, il ne broncha qu'à moitié quand le petit lui adressa un coup dans son saut à pied joint. Il ne cilla qu'à peine quand la dame débordée lui fit son plus beau sourire, auquel il répondit de son hypocrisie la plus convaincante, la traitant d'une œillade équivoque de génitrice sans autorité et son gosse, d'insupportable gnome qu'il aurait bien assommé pour moins que ça.

Ravalant sa colère et attirant son self contrôle pour s'éviter une catastrophe, il rajusta son insigne sur son manteau, se mettant dans la peau d'un officier parfait et bien sous tout rapport, qui n'entacherait pas son palmarès d'arrestation et ses états de services irréprochables pour un simple accrochage dans son espace vital, par un nain encore incapable de faire ses lacets. Non. C'était hors de question, décida-t-il en étirant finalement ses doigts en étoile sur ses cuisses, le regard braqué en direction du bar, rongeant son frein et comptant les secondes le séparant de son premier expresso de la journée.

Il la vit, slalomant dans la foule comme une équilibriste, ses cheveux épousant ses épaules et la mélancolie dans un sourire absent. Il se redressa lentement, toute frustration envolée. Il la reconnut à son déhanché et à ce brun virant noisette sous la lueur des bougies. Un caramel doux en dégradé pour finir en goudron sur les pointes. Elle l'avait frappé de son expression. De cette candeur fanée, éteinte, des gosses de rues un peu perdus. De ces gens qui rampent pour survivre et qui ne connaissent plus la sensation de marcher. Elle lui rappela Elvy et sa fraîcheur tranchante, sa douleur lancinante réveillant la sienne, réveillant en son ventre cette brève sympathie empathique, comme un picotement qu'il faisait toujours taire à grand renfort de préjugés et de rancune.

Il n'avait pas réussi sur la colline. Pas assez longtemps pour s'éviter des confidences et la culpabilité.

Féline, elle se glissa jusqu'à sa table, l'acier de son plat réfléchissant le vacillement des lanternes dans une valse hypnotique. Il abaissa les yeux sur sa tasse, tandis que professionnelle, elle faisait pivoter la hanse dans sa direction. L'assiette avec sa viennoiserie attira un grondement de son estomac. Il accrocha la vue d'une autre boisson chaude, chocolatée au fumé, déduit-il aisément.

La bouche sèche, il fixa son visage, mémorisant ses traits, qui furent à la fois familiers et inconnus. Ils ne s'étaient jamais rencontré. Ou peut-être que si. Il n'était plus en mesure de se fier entièrement à ses souvenirs. Mais quelque chose en lui se brisa dans la contemplation de la profondeur de l'or céruléen de ses iris. Quelque chose s'éveilla dans cette nostalgie, dans cette souffrance au fond de ces lucarnes. Une envie, comme cette fois-ci, de tendre la main, et de serrer la sienne, comme s'il pouvait réparer les fêlures de son être, qu'il devinait derrière son masque enjoué. Qui ne serait pas heureux le jour de son anniversaire ?, se demanda-t-il. Lui. Et d'autres mômes en détresse, lâchés par la vie et le destin. Tous ces orphelins lavant le bitume et encaissant à la dur. Tout les acharnés n'ayant plus rien à offrir, à gagner. Tous les torturés, les malades, les misérables perdants.

Son cœur se serra. Fais un vœu, lui avait demandé sa mère toutes ses fois, où il n'en avait plus eu qu'un seul à l'esprit. Crever pour ne plus avoir à affronter son existence. Sauf cette année, unique exception depuis tant de bougies qu'il ne les avait plus compté. Espérer rêver. Juste une fois.

La bouche sèche, la langue pâteuse et les gestes incertains, il délogea sa baguette de son holster, faisant briller le noyer écaillé devant lui, à la verticale. Une flammèche scintilla entre eux, comme un drapeau blanc en signe de paix. Elle le regarda sans comprendre. Et il rassembla tout son courage pour s'expliquer. Pour faire naître en elle ce grain de résilience, de soutien, qu'il avait trouvé temporairement sur l'épaule d'un gangster aux nobles intentions, et d'une faiseuse de capes un peu trop envahissante. S'il s'était voilé la face, déléguant son soulagement sur le vert de l'absinthe et sa gueule de bois, il n'avait pu nier l'évidence au réveil, dans des draps sentant la lavande et le lilas. Il n'avait pas été seul.

Il y avait eu la cabane des cauchemars et deux enfants confessants leurs plaies. Il y avait eu les remerciements dans une salle déserte et la certitude qu'il s'était menti à trop d'occasions. Il y avait eu un verre ou deux dans la bulle de saxophone et de jazz. Il y avait eu son miroir et le retour à la réalité. Il y avait eu du rouge sur une toile blanche de céramique, des gouttes d'hémoglobines par-dessus la buée de l'eau brûlante. Et le réconfort de l'alcool en débris tranchants sur son tapis.

Il ne souhaita pas ça pour elle. Pas ce jour-ci. Pas cette fois-là.

Lévine insista, tendant un peu plus son bras en lui répétant ce que Madame Serger lui avait dit le 10 Décembre au soir. Fais un vœu. Fais celui qui t’apportera un semblant de mieux, qui te donneras envie de voir autre chose que le gris. Fais celui qui sera assez puissant pour te donner l'impression de ne plus être toi. D'être autre chose. D'être une version meilleure.

Ils restèrent à s'observer quelques secondes. Et il douta de son initiative, de sa démarche. Il n'aimait pas que l'on s'introduise dans sa vie privée, ni s’intéresser à celle des autres. Il espéra qu'elle l'envoie balader, plutôt que de garder le silence. Il ne resterait au moins pas dans l'attente, une crampe dans les ligaments et les lèvres pincées dans une esquisse grimaçante, pitoyable dans sa décision et ridicule dans son désir qu'elle souffle sur la flamme et s'accroche à un rêve.

Qu'il ne soit pas le seul à y croire encore un peu.

Finalement, elle déposa sa propre consommation devant elle, mettant un terme au malaise régnant entre eux. Elle s'assit face à lui, les paupières closes. Elle inspira si fortement qu'il l'entendit par-dessus le brouhaha ambiant. Ou bien était-ce parce qu'il se concentrait uniquement sur l'adolescente ? Son souffle se bloqua dans sa gorge et il le retient en mimétisme.

Il vida ses poumons en même temps que la flamme s'échappait dans une fumée magique, dont l'odeur ne persista qu'un battement de cil, se diluant aisément dans tous les arômes jouant dans l'habitacle. Ils joignirent leurs sourires dans un instant de complicité qui le rendit plus léger. Il eut alors la conviction, persistante et farouche, d'avoir fait la chose à faire. D'avoir œuvré dans le bon sens. Alors, il accepta sa compagnie sans mot dire, jusqu'à ce qu'elle brise leur mutisme d'elle-même.

Le nez dans son café, et reprenant son assurance dans une gorgée, il darda sur la jeune fille un air amusé devant ce contrôle qu'elle essayait de garder sur la situation, ne pouvant s'empêcher d'y noter quelques similitudes avec sa fierté et son dégoût ferme pour la charité et la pitié.

« Je m'appelle Eileen. Et toi ? », lui demanda-t-elle en s'emparant de son croissant, qu'elle dévora comme une affamée.

« Lévine. », répondit-il mécaniquement, triturant le dessus du feuilletage de son pain au chocolat, qui perdit tout intérêt à mesure qu'il la voyait se délecter de son petit déjeuner. Il se nourrissait de cette simple vision. De toute la simplicité l'enveloppant entièrement.

« Tu prends quel âge ? », fit-il pour entretenir la conversation, caressant le pourtour de sa tasse. « J'ai pris vingt-six ans, il n'y a pas quelques jours. », confia l'Auror après avoir obtenu l'information demandée.

À son âge, certains de ses collègues étaient mariés, enchaînés à une relation souvent toxique, ne se résumant qu'à la contrainte de la fidélité et des attentes de l'autre. Et dans ce tas d'idiot à l'anneau brillant à l'annulaire, se soulevaient les parents. Des pères et mères qui lui faisaient prendre conscience qu'il ne désirait pas reproduire les erreurs de sa propre biologie ou prendre le risque de léguer une tard psychologique à un pauvre enfant n'ayant pas demandé à assumer d'être le substitut de son enfance volée. Il n'assurerait pas, il le pressentait. Alors, à quoi bon s'entêtait à vouloir rentrer dans les cases des adultes de vingt-six ans ? Pourquoi se formaliser de leurs réflexions sur son célibat et son envie de ne faire souffrir que lui, plutôt que d'infliger ses névroses et sa toxicité à un autre individu ?

Il ne pousserait pas son égoïsme aussi loin, au point d'enfermer une personne dans une spirale de passion dangereuse et destructrice. Il s’effritait bien assez. Il se détestait assez. Pour supporter la haine d'un autre sur ses épaules. Et c'était encore trop tôt pour qu'il envisage l'inverse. Mais il pouvait s'ouvrir à de nouvelles expériences. S'amuser. Profiter. Lâcher prise. Aujourd'hui, le 21 Décembre, c'était le changement. Le bousculement de sa routine et de ses habitudes solitaires.

L'ambiance festive de l'auberge et l'enthousiasme des marmots à l'approche de l'ouverture du marché de Noël acheva de le faire se redresser sur ses pieds. Lévine souleva sa tasse à la manière d'un shot de vodka, et en descendit le contenu amer sans attendre.

« Tu as déjà passé toute une journée dans un parc d'attraction ? », lui dit-il en levant le bras pour laisser passer un pré-adolescent empressé, chargé d'un scone à la cannelle et d'un jus de citrouille. « Moi non. Alors, ce serait l'occasion parfaite. »

Décidé et résolu, il lui tendit la main, paume vers le haut et doigts à semi-pliés, pour qu'elle y appose les siens. Ses fossettes se creusèrent d'un sourire en coin, un brin joueur et malicieux.

« On a pas tous les jours seize ans. », offrit-il en dicton. De sa main libre, il tira son pain au chocolat de son support pour le caler sans aucune forme de cérémonie entre les extrémités d'Eileen. « Tu le mangeras sur la route. »

Catégorique et pressé, il la tira à sa suite, perçant la file d'attente d'un coup d'épaule précis, ne se formalisant pas d'excuses ou politesses désuètes et agaçantes. Il poussa la porte de la pointe de sa botte, ouvrant la voie à un bonhomme au ventre tendant des boutons de chemise à leur extrême. Sa baguette glissa le long de son avant-bras et aussitôt, un cocon d'air chaud se lova tout autour de la plus jeune en une prévention paternaliste. Le froid de l'hiver piqua ses joues. Mais il décida de n'en avoir rien à faire. Il se laissa guider par l'urgence de donner vie à leur souhait commun et secret. Rêver. Encore.

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Lévine Serger
Admin rusé
Lévine Serger

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Comme de la neige sur le sable

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Sam 2 Oct 2021 - 21:52
Dessine-moi un mouton
Lévine Serger
Il a fallu que je rencontre un homme pour débloquer la situation. Un auror, le jour où je prenais seize ans. Un inconnu qui a pris le temps de s’occuper d’une âme en peine. Peut-être en avait-il besoin autant que moi ? Peut-être était-il un kidnappeur, un meurtrier, un criminel caché sous les traits d’une fonction respectable ? Je m’en foutais. Il avait trouvé les mots pour, à nouveau, me faire rêver.
C’était facile de sourire. C’était facile, pour Eileen, de paraître heureuse. Le déni d’une situation. Se focaliser sur les bons souvenirs au bon moment pour faire ressortir la joie d’un instant passé. Paraître sereine en toutes circonstances. Prétendre être à l’écoute de tous. Dire qu’elle ne jugeait pas, à aucun moment. Et fuir.

Fuir la solitude. Fuir ses démons. Fuir et espérer pouvoir se reconstruire sans jamais avoir à se battre.

Il était facile d’offrir une aide bienveillante, d’apparence sage par des mots bien choisis, pour une situation qui n’était pas la sienne. Il était bien plus complexe d’appliquer ses propres conseils.

Il était facile de sécher les larmes d’une blonde un jour de pluie par l’illusion d’une bonne humeur et d’une eau stagnante. Il était plus complexe de ne pas craquer et sangloter quand le tonnerre grondait, une cache pour ses plaies.

Il était facile de prétendre la colère d’une trahison devant le manque de mots d’une blessée. Il était plus complexe d’accepter ses torts et sa propre sournoiserie.

Il était facile de prendre la fuite devant tout danger qui pouvait blesser son esprit. Il était plus complexe d’avoir des choix moraux à faire, d’être clairement responsable de l’état d’une personne et de devoir s'en accommoder.

Prendre conscience de ses parts d’ombre et de ses erreurs était angoissant.

Une potion et un rejet. Un lac et des cris. Une tour et des pleurs. Un aveu et des répercussions. Cette année, Eileen n’avait pas eu le choix. Chaque situation l’avait amené à ouvrir les yeux sur elle-même. Elle n’avait plus le droit de détourner les yeux.

C’était difficile et douloureux de l’accepter. Chaque nouvel événement échappant à son contrôle lui faisait l’effet d’un nouveau coup de poignard empoisonné, mais c’était nécessaire à son évolution. Le comprendre n’offrait, cependant, aucun soulagement.

Et à chaque nouvelle révélation, c’était un peu plus difficile de sourire et de faire semblant.

Est-ce pour cela qu’elle faisait ce vœu ? Rêver lui paraissait si lointain maintenant.

Elle savait comment s’y prendre avec les autres. Ses techniques pour émerveiller et rendre heureux autrui, même si c'était éphémère, étaient rodées par l’expérience. Mais, avec le recul, elle saisissait qu’elle laissait toujours quelqu’un derrière.

Elle-même, malgré ses sourires solaires et ses frasques amusantes, s’apercevait enfin qu’elle ne participait à la bonne humeur générale que par obligation.

Elle ne voulait plus de cette façade. Elle ne souhaitait pas continuer à porter ses masques. Des masques qu’elle peignait des larmes de son enfance volée. Des masques qu’elle voulait détruire et ne plus jamais arborer.
 
« Je m’appelle Eileen et toi ? »

Malgré sa gêne, malgré son envie de le cacher par fierté, dévorant son croissant dans ce sens sans grand succès, la demoiselle comprit que son vœu n’avait rien d’anodin. Elle ne souhaitait pas exprimer son malaise, ni même qu’il soit remarqué.

Dans cette optique, la jeune femme refusa de relever les yeux vers son interlocuteur. D’après son insigne, il s’agissait d’un auror. Un membre de l’élite de la société sorcière. L’un des combattants les plus émérites, mais aussi enquêteur hors-pair. Il était donc évident que l’homme en face d’elle ne serait pas dupe. Cette idée ne lui plaisait pas, mais à l’image de son passé récent, la brune ne pourrait le contrôler.

C’était une leçon offerte par ses relations et les conséquences de ses actions. Elle pouvait souhaiter contrôler ses émotions, illusionner son entourage, elle ne pouvait en rien contrôler les décisions des autres ou les duper éternellement.

Un coup d’œil lui permit de remarquer l’amusement qui se peignait sur les traits asiatiques du jeune homme. La lionne ne parvint pas à savoir si elle devait s’en accommoder ou s’en sentir vexée, mais elle n’eut pas le temps de trancher. Ce dernier répliquait déjà d’une voix mécanique.

« Lévine. »

Non plus pour cacher, mais dans l’espoir de chasser son embarras, la King releva le regard et hocha la tête. Si elle ne pouvait encore s’en douter, elle se souviendrait de ce prénom. Des fondations, un pilier, un toit et un pont, il pouvait devenir tout cela à la fois sans même qu’aucun des deux ne puissent encore le pressentir.

« Tu prends quel âge ?, reprit-il sans se formaliser de l’état de confusion de l’adolescente.
Seize ans, avoua-t-elle après s’être assurée qu’elle ne recracherait pas de miettes par inadvertance.
J’ai pris vingt-six ans, il n’y a pas quelques jours. »

Pourquoi lui disait-il ? La vipère refoulée décida que ça n’avait aucune forme d’importance. Elle accepta l’information, acquiesçant aux mots de son aînée et s’apprêta à répliquer avant de s’abstenir.

Il s’était relevé, finissant sa tasse d’une traite dans le mouvement. Un instant, Eileen crut qu’il allait partir sans demander son reste. Un instant, la jeune femme lui en voulut, inexplicablement, de lui faire miroiter un début de relation avant un départ précipité.

Son émotion n’eut pas le temps de se développer.

« Tu as déjà passé toute une journée dans un parc d’attraction ?, lui demanda l’homme à l’antipode de ce qu’elle venait d’imaginer. Moi non. Alors, ce serait l’occasion parfaite. »

L’émotion venait d’être soufflée. Dès qu’il avait ouvert la bouche, elle avait s’était dissipée entièrement. Les mots lui étant dédiés la laissèrent pantoise quelques secondes, permettant au traqueur de lui tendre la main.

Un instant, la méfiance de l’adolescente se réveilla. Elle ne le connaissait que depuis quelques minutes. Elle ne l’avait jamais vu ici ou elle ne s’en souvenait pas. Le suivre était un risque qui pouvait lui être fatale.

Néanmoins, aussi déconcertant que cela pouvait être pour la féline, son instinct lui dictait de lui faire confiance. C’était comme si, au fond, elle le connaissait déjà, sans autre explication. Et si Eileen ne croyait pas en dieu, la magie lui avait fait prendre conscience que la vérité qu’elle s’était construite enfant était bien différente de la réalité.

Peut-être se connaissait-il d’une autre vie ? Peut-être était-il une forme d’âme-sœur qui pouvait lui offrir énormément ? Peut-être était-il ce frère dont elle avait rêvé maintes fois, sans explication logique, parce qu’elle n’en avait pas ?

La réalité pouvait être aussi mystérieuse, fantastique, qu’elle pouvait être cruelle. Eileen l’avait apprise à ses dépens, de la pire des manières, parce qu’elle en était elle-même un reflet. Ce jour-ci, néanmoins, elle souhaitait rêver et croire que celle-ci prenait la forme de ses espérances secrètes.

Elle s’était construite une famille illusoire à Poudlard, mais ce n’était-là que le fruit de son imagination. Pouvait-elle retrouver, aussi stupide pouvait paraître cette attente, de véritables parents ? Loin était l’idée de trahir l’image de ceux qui l’avaient mise au monde, mais il était évident qu’elle avait besoin de repaires. Pouvait-il les lui offrir ?

Elle voulait une réponse. C’était un désir ardent, de ceux qui brule la peau. Le contact des doigts gelé de l’auror avait quelque chose de reposant, d’apaisant.

« On a pas tous les jours seize ans. »

Sans plus d’explication, l’auror tira son pain au chocolat et le plaça dans la main libre de sa cadette. Sous son regard interrogateur, la jeune femme ne comprenant pas tellement le geste, il offrit quelques derniers mots.

« Tu le mangeras sur la route. »

La seconde suivante, la jeune femme se retrouvait tirée par le jeune homme vers la sortie qui donnait sur le monde moldu. Elle ne protesta pas et remercia mentalement Merlin pour ce cadeau.

C’était idiot. Un pain au chocolat, elle pouvait en manger tous les jours. Pourtant, celui qu’elle tenait précieusement dans sa main avait un petit quelque chose de plus que tous les autres. C’était un présent. Le premier qu’elle recevait le jour de son anniversaire depuis presque une décennie.

Sans doute que le sorcier n’avait pas réfléchi à son geste, se contentant d’une décision paternaliste instinctive. Pour l’orpheline, par contre, c’était tout autre chose. C’était un brouillard, représentation d’années de souffrance, qui commençait à se dissiper. C’était un soleil encore timide, mais présent, qui apparaissait à la place.

C’était l’acceptation et l’attente neutre de souvenirs qui, elle n’en doutait déjà plus, serait radieux, bénéfiques dans sa nouvelle quête.

Une quête pour retrouver un bonheur perdu, mais qui pouvait encore se profiler à l’horizon si elle le cherchait. La route serait longue et semée d’embuches, mais l’Américaine voulait s’accrocher à cette croyance.

Ce ne serait pas facile. Mais ce qui en valait vraiment la peine ne l'était jamais.

« Merci. », offrit Eileen à Lévine, une fois dehors.

Il venait d’enchanter ses vêtements ou elle-même pour qu’elle ne ressente pas le froid, mais elle refusait qu’elle puisse penser qu’elle lui était reconnaissante que pour ce geste.

« Merci... Pour tout. », reprit-elle donc, toujours en le suivant, le rouge lui montant aux joues.

Le pain au chocolat fit une rencontre douloureuse avec sa dentition pour camoufler son expression. Après une déglutition qui la fit grimacer, tant elle ne supportait pas ce genre de bruits, même venant d’elle, elle reprit.

« Dis Lévine ? On va transplaner ? »

Eileen ne le demandait pas par simple curiosité. L’idée lui faisait peur. La téléportation des sorciers n’avait rien d’agréable, elle le savait d’expérience.

« Je demande parce que... »

Elle n’osa pas vraiment formuler la suite de sa pensée. Comment avouer qu’elle avait vomi sur les bottes du professeur McGonagall le jour même où cette dernière l’avait tirée des griffes de sa tante et amenée au Chaudron Baveur ?

Le souvenir n’en restait pas moins joyeux, bien que terni par les années et les coups dur. La jeune femme ne souhaitait pas s’enfermer dans ce genre de spirale. Pas cette fois-ci. Pas avec lui. Son visage se figea sur une expression décidée.

« Eh bien ! Parce que je veux apprendre. »

Eileen esquiva un passant trop pressé qui manqua de lui rentrer dedans sans s’excuser, puis rattrapa le fonctionnaire d’une petite course. Elle avait prononcé la phrase sans réfléchir, sa pensée lui échappant avant même qu’elle eut le temps de la formuler entièrement dans son esprit.

« Je sais que je ne pourrais pas passer mon permis avant un an, reprit-elle, réfléchissant à haute voix, mais rien n’interdit d’avoir des cours avant l’heure, non ? »

Peut-être avait-elle eu raison, après tout ? Il s’agissait d’un sorcier d’élite. Un homme qui se devait de connaître les lois, de les appliquer et de les faire respecter. Il devait aussi connaître les failles de celle-ci. La vipère refoulée n’était d’ailleurs pas dupe, il saurait lire à travers les lignes sans qu’elle ait besoin d’argumenter.

Peut-être pouvait-il lui apprendre et pas seulement le transplanage. Il y avait tant de secrets qu’elle aimerait découvrir, tant d’aventures qu’elle souhaitait encore vivre, mais pour cela, elle devait rester en vie. Halloween avait était bénéfique sur un point : la cinquième année comprenait l’écart de niveau pharaonique qui se trouvait entre elle et un adulte.

Certes, elle avait réussi à envoyer valser une femme, mais l’action s’était jouée en équipe. Et leur salut, plus que tout, ils l’avaient dû au sans-abri qui se trouvait présent sur les lieux. Sans lui, elle ne pouvait qu’imaginer ce qui se serait passé.

L’orpheline souhaitait tout de même profiter de cette journée. Laisser ses sombres pensées au placard était plus difficile qu’elle se l’était imaginée, mais elle allait y arriver.

« Mais changeons de sujet. On pourra toujours en parler un autre jour. »

Parce qu’Eileen s’imaginait déjà qu’il y en aurait d’autre, avant même le début du premier. L’espoir grandissait à mesure que les pas les éloignaient du pub sorcier. Une éternelle optimiste, aurait dit certains. Elle n’était pas d’accord. Elle se contentait de suivre son instinct, pour une première fois, véritablement. Et peut-être recommencerait-elle à l’avenir.

(c) princessecapricieuse
Eileen M. King
Admin enragé
Eileen M. King

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Rêve ta vie en

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• lilie
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Jeu 4 Aoû 2022 - 13:19
Dessine-moi un mouton.Lévine & Eileen
Sandman, I'm so alone. Don't have nobody to call my own. Please turn on your magic beam. Mr. Sandman, bring me a dream ( Mr Sandman → SYML ) ••• Le vent claqua ses joues et piqua ses yeux. Inspirant à pleins poumons, Lévine distingua dans le goût à l'arrière de langue un mélange de froid, de neige, et d'essence. L'arôme pollué de Londres dilua l'amer de son café matinal, à la manière d'une glace perdant de sa saveur. Les pommettes rosies et la paupière humide, il releva le col de sa veste et resserra un peu l'étreinte de son écharpe autour de son cou. S'il lui était nécessaire de ressentir les effets du temps, pour mieux saisir chaque information de son environnement, et ainsi éviter le confort d'isolation sensorielle, il appliqua d'un revers un charme de protection sur la jeune fille. Elle n'aurait ainsi qu'à partager sa compagnie, et non l'une de ses lubies maniaques.

Quittant le perron à grandes enjambées, il joua des coudes sur le trottoir pour se frayer un chemin sans déborder sur la route. À l'instar de la foule qui s'était soudainement entassée à l'intérieur du pub, il voyait à présent les boutiques dégueuler des groupes bruyants et hétéroclites. Un coup d’œil à sa montre l'informa de l’horaire et il se flagella d'avoir traîné dans son invitation, les avançant donc dans le bal des achats de dernières minutes et le rush des passants animant une capitale qui ne connaît jamais réellement le repos. Ses nombreuses promenades, qu'elles soient nocturnes ou diurnes, l'avaient amené à apprécier, ou au contraire, noter les défauts de la vie britannique. Les enseignes lumineuses étaient le fléau du jour, et les bars celui de la nuit. Les rires des gamins étaient remplacés par les chants enivrés et les odeurs de cocktail une fois le soleil sur le déclin. Il ne se reconnaissait ni en l'un, ni en l'autre. Si bien, qu'il fuyait l’effervescence et l'abondance pour s'excentrer dans des petites ruelles au charme pittoresque.

C'était ça, Londres. Un lampadaire au halo jaunâtre dans le soir, comme un géant de métal dans une rue déserte. Un caniveau pavé et humide des dernières averses reflétant la Lune et en y regardant de plus près, on pouvait y dénombrer les étoiles. Un pont surplombant le fleuve et donnant sur Big Ben, et ses aiguilles dansant sur les ondes de l'eau. Son Londres, c'étaient des découvertes à chaque ballade, où entre deux immeubles, il voyait une fois un chat, et l'autre fois du lierre grimpant en ultime doigt d'honneur à l'urbanisme avare et destructeur. Et d'humeur poétique, au plus tard de ses insomnies, il appréciait la rareté du silence sous la corneille de volets fermés ou assit sur les berges de la Tamise. Il savourait l'instant précieux et le présent qu'il oublierait le lendemain pour ne plus jamais y revenir. Il n'existait qu'au travers de la magie d'un concert de klaxons dans le lointain, sous couvert de chants celtiques plus en amont.

Faisant volte face, il vérifia fugacement, misant sur sa taille pour discerner Eileen en dépit de l'affluence, qu'elle était toujours dans son sillage. Chose faite, il reprit sa marche, non sans ralentir l'allure pour qu'elle puisse avancer à ses côtés sans être contrainte de le rattraper en petites foulées. Il chassa ses remerciements d'une main, préférant se concentrer sur la suite, qui se déversa en une série de questions, auxquelles il répondit vaguement par des grognements ou des affirmations monosyllabiques. Bifurquant à une intersection, ils les fit échouer à l’abri des regards à l'instant même où l'étudiante décida d'elle-même de remettre la conversation à plus tard, lui évitant de fait de mettre une note désagréable sur ses espoirs. Il n'était aucunement pédagogue, de fait, il avait rejeté d'office les métiers relatifs à l'enseignement. S'il n'était contraint par l'exercice de ses fonctions de distiller conseils et théories à un apprenti, il se serait tenu à l'écart de toute transmission de savoir.

Il n'avait jamais été suffisamment patient, que ce soit envers lui-même et l'absence de ses progrès dans sa scolarité, pour se confronter à l'échec d'un autre. Et encore moins d'en être indirectement responsable. Un peu passif, il préférait observer ou déléguer quand cela lui était possible. Pour autant, l'étincelle brillant dans les yeux d'Eileen lui rappela celle d'un enfant. Un trésor d'espoir que l'on ne veut pas voir s'éteindre, et que l'on souhaite protéger à tout prix.

Il soupira.

« On verra. Peut-être. », lui répondit-il donc, avant de lui tendre la main.

Les yeux mi-clos, il visualisa leur destination et quand il les rouvrit totalement, ses pupilles purent se parer des plus belles nuances des néons clignotants. À quelques pas à peine du portail menant à la fête foraine, il se félicita de les avoir idéalement camouflés en se servant du concours d'un stand de nourriture ambulant. S’extirpant de leur cachette, le salarié lissa les plis de son manteau, et appliqua la même mécanique à l'entièreté de sa tenue. Un simple coup d’œil dans le reflet flou de la devanture coloré d'un guichet le soulagea ; il était passe-partout dans sa chemise noir et son pantalon serré, arborant l'allure guindée d'un employé de bureau de marketing. Les mèches en désordres, il abandonna d'ors et déjà de les dompter avant même de s'y essayer.

En toutes lettres, surplombant une grille grande ouverte, coincée entre deux banderoles multicolores était inscrit le nom du lieu ; Le géant des plaisirs. Itinérant, l'enseigne avait fait son escale dans la campagne anglaise, marquant de fait un arrêt lors de son périple européen. Son existence lui était parvenue grâce à l'abonnement de sa mère à la presse locale, dont l'un des articles faisaient mention de l'installation des manèges pour la période de Noël, une innovation du genre, puisque les forains préféraient ouvrir courant Octobre, là où la neige ne risquait pas d'endommager leurs infrastructures. Les intempéries ne semblaient aucunement déranger les curieux ou les plus déterminés puisque les matinaux faisaient la queue à l'entrée pour se munir de tickets pour accéder aux manèges en marche à cette heure-ci.

Se réfugiant derrière la laine de son tour de cou, Lévine les fit avancer, le corps dodelinant dans la brise. Contorsionné, il passa en revue les cabines qu'il pouvait deviner de sa position ; quelques machines à pince, dignes attrapes couillons, la grande roue un peu plus loin dans l'allée, encore à l'arrêt, un train fantôme à la décoration clichée qui ne devait être rentable que dans la pénombre, un stand de tir et de chamboule tout, éternels habitués des lots tout claqués. Novice en exploration de fête foraine, il s'accrochait aux échos du voisinage sur le sujet, se refusant à évoluer en parfaite ignorance dans un décor qui ne lui était familier que de fonction.

« Pour l'instant, il n'y a pas grand-chose d'ouvert. », il haussa lentement les épaules, tout en lui indiquant les quelques grilles soulevées des cabines. « Mais nous avons toute la journée. »

Bougeant légèrement le pan gauche de son lourd manteau, il sortit son paquet de cigarettes. Couvercle en carton ouvert, il calcula les tubes, s'assurant qu'il ne tombera pas en rade dans la journée. De l'index, il les dénombra deux par deux, les associant à un moment de la matinée, puis de l'après-midi. Il s'arrêta sur celle qu'il avait retournée à l'ouverture, copiant la superstition des fumeurs, la gardant pour la fin de la soirée. S'il se raisonnait à calmer sa consommation, il en aurait pour son comptant quotidien. Dans cette optique, il en ôta un de son support pour le glisser entre ses lèvres. Évoluant en parallèle dans un monde dépourvu de magie, il savait se montrer prévoyant, ainsi, d'une poche, il sortit un briquet ; simple bic que l'on trouve pour pas cher dans un bureau de tabac, qui lui servit à allumer sa clope.

La fumée lui sortit des narines et dans son soupir, il tapa nonchalamment l'épaule de l'américaine :

« Aller, viens. »

Il passa à côté d'un petit attroupement d'adolescents qui s'essayaient à décrocher une peluche à grand renfort de plomb et de ballons éclatés. Voir un garçon se montrer si concentré pour les beaux yeux d'une rouquine lui arracha un rictus. Dans sa quête de solitude, il s'était coupé de la perspective d'avenir de partager un moment aussi simple que se battre pour un sourire et ressortir victorieux en l’obtenant. Il s'était imaginé seul jusqu'à la fin, buvant son café à une table où personne ne viendrait lui faire la conversation : rentrant du travail épuisé sans pouvoir compter sur une oreille attentive ; se réveillant le matin dans un lit toujours trop grand ; constituant sa soirée d'une dégustation abusive d'alcool. Il pouvait planifier sa routine sur plusieurs années, linéaire et réconfortante, placide et effrayante.

Grâce à Stan, les sorties s'étaient rajoutées. Grâce à Elvy, c'étaient les confidences qui étaient arrivées. Grâce à Johann, c'étaient les rendez-vous. Et Eileen, la nouveauté et l'audace. Il acceptait de se tourner parfois, de les introduire dans ses projets.

Il s'arrêta devant les machines à pince et dégaina une noise qu'il changea en livre sterling en la faisant basculer entre son index et son majeur. Du pouce, il envoya la pièce en l'air, pour que la jeune fille la réceptionne.

« À toi l'honneur. »
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Lévine Serger
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Lévine Serger

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