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[01/12/95] La pluie au bout du couloir | Ariel & Jules

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Sam 9 Oct 2021 - 22:05



La pluie au bout du couloir
Feat. Ariel Melwing

Vendredi 1er décembre 1995

Le temps était abominable. Jules n'avait jamais autant lutté pour ne pas laisser les conditions météorologiques ternir son humeur durant l'entraînement de Quidditch. Ce qui tombait du ciel n'était ni vraiment de la neige, ni vraiment de la pluie, mais une sorte d'entre-deux désagréable. Ce qui tombait, c'était froid et humide mais ça n'avait ni le charme merveilleux des flocons immaculés, ni la beauté mélancolique des gouttes cristallines. La jeune poursuiveuse avait les paupières plissées au maximum par appréhension que ces étranges gouttes atteignent sa conjonctive durant son vol. En plus, elle ne voyait pas à plus de quinze mètres devant elle par cette sombre atmosphère, ses passes s'en remettaient de ce fait au hasard. Ou du moins, elle essayait de repérer ses coéquipiers au son de leur voix, mais là encore, c'était s'en remettre à un don qu'elle ne possédait pas pour que son ouïe vise à la place de ses prunelles. Maylone ne pouvait-il donc pas rendre ses cheveux fluorescents et clignotants à l'image des guirlandes de Noël qu'ils ne tarderaient pas à accrocher afin qu'elle le repérât plus facilement au milieu de cette tempête visqueuse ?

L'entraînement lui parut interminable et elle n'avait jamais été aussi soulagée de rentrer au château. Toute l'équipe était à bout. La benjamine du groupe avait été prévenue qu'intégrer l'équipe de Quidditch lui demanderait un investissement conséquent et elle ne regrettait pas une seconde son poste de poursuiveuse, seulement, elle s'était aussi engagée dans un autre projet qui lui prenait presque autant d'énergie : l'Armée de Dumbledore. Si les réunions de l'A.D. étaient bien moins fréquentes que les entraînements, due à la nature clandestine du groupe qui se devait donc d'agir avec la plus grande discrétion, cela suffisait à remplir tous les trous de l'emploi du temps de la Murphy. C'était à peine si elle avait encore le temps de faire acte de présence au club de Duel et à celui d’Échecs. Puis, elle se devait également de poursuivre ses missions pour la S.A.L.E. Surbookée, la jeune sorcière était épuisée. Mais, à aucun instant elle ne s'en plaignait : rester constamment en action, c'était ce qui lui plaisait.

L'inconvénient n'était donc pas de trouver du temps pour elle, pour se poser, mais d'en trouver pour ses amis. Si elle les voyait en cours, aux repas, ou le soir dans les dortoirs pour Tom et Louisa, elle ratait à présent la plupart des rendez-vous du Club des Cinq dans leur bout de couloir fétiche. Consciente de ce triste fait, elle décida, à la fin de son entraînement, de s'y rendre plutôt que de rejoindre la tour des Gryffondor. Était-ce ce temps abominable qui avait imprégné son âme de cette nostalgie soudaine ?

Si la lionne s'était attendu à trouver le cul-de-sac vide à cette heure-ci – la Grande Salle allait très bientôt ouvrir ses portes pour le dîner -, la présence d'Ariel contre la fenêtre qui offrait habituellement une superbe vue sur le Lac Noir consola aussitôt son humeur. Dessinant son plus radieux sourire, elle vint s'affaisser à ses côtés au milieu des moelleux coussins qu'ils avaient aménagé en poussant un long soupir.

- Aaaah. Je suis contente que tu sois là, avança Jules avec simplicité.

Son corps gigota quelques secondes pour trouver la position où elle serait le plus à son aise jusqu'à finir semi-allongée sur le dos, bras et jambes étendues. Et, lorsque ses muscles se décontractèrent enfin, elle se sentit comme sur un nuage, les membres parsemés d'endorphines sécrétées par son récent effort physique. Elle poussa un nouveau soupir. Son regard se posa ensuite sur son confident.

Elle avait bien vu qu'il n'avait pas le moral. Et pas que ce soir-là, mais quotidiennement depuis plus d'un mois. Depuis Halloween. Son regard, souvent, était vide, il parlait moins, et elle le savait moins présent parmi leur groupe, tout comme elle. L'avait-elle seulement vu rire dernièrement ? Si elle ne lui avait encore rien laissé paraître, elle s'inquiétait sérieusement pour lui et ce moment qui leur était offert était pour elle comme une bénédiction. Elle n'avait attendu que ça depuis des semaines : l'opportunité de se retrouver enfin seule et au calme avec lui, l'opportunité de pouvoir enfin lui prêter une oreille et de lui offrir des mots.

Si ces instants volés s'étaient toujours imposés de façon naturelle à eux jusqu'ici, cette année tout semblait plus compliqué. Était-ce la faute d'un manque de temps ou de la distance aveugle créée par leurs tourments ?

Si, deux mois plus tôt, Jules lui avait promis de crever l'abcès dès qu'une distance s'interposait entre eux, là tout était différent. Car Ariel n'était pas seulement distant avec elle, mais avec tout le monde. Le soucis ne venait pas de leur amitié mais se nourrissait uniquement des tourments du garçon. C'était lui contre le monde entier, lui contre ses démons, lui contre lui-même. C'était son combat et Jules ne savait pas comment entrer dans l'arène pour lui dire qu'il n'était pas seul. Qu'elle était là. Toujours. Et, ces dernières semaines, elle se culpabilisait de ne plus savoir le lui montrer à chaque fois qu'elle croisait son regard brumeux.

- Tu ne vas pas bien, Ariel, dit-elle doucement en continuant d'observer son visage.

Il fallait qu'il lui parle, qu'il extériorise. Il ne pouvait pas garder tout pour lui, elle savait la grandeur des émotions avec lesquelles ils vivaient depuis toujours et elles étaient aussi belles que terrifiantes. Elles allaient l'étouffer s'il ne parlait pas, elle le voyait. Mais elle ne pouvait lui forcer aucune parole, seulement espérer qu'il les lui partage. Et, pour la première fois, elle craignait qu'il ne veuille pas se confier à elle. Elle se redressa pour s'asseoir en tailleur.

- Et je m'en veux de pas être plus présente pour toi en ce moment. Mais là, maintenant, je suis là.

Jules attrapa la main de son confident et la serra en lui souriant.

- En fait, je suis toujours là, même si c'est pas physiquement, mais tu le sais ça, hein ? Tu ne seras jamais tout seul tant que Jules Murphy occupera cette planète. Enfin, même si j'en occupe une autre d'ailleurs, mais je suis pas sûr que nos pouvoirs magiques nous permettent un jour de vagabonder dans l'espace...

La rousse se mit à l’affût d'un sourire, aussi mince fut-il, sur le visage de son ami. La dense brume de sa mélancolie pouvait-elle seulement être traversée par quelques légers et fugaces rayons de soleil ?

- Enfin, bref, fit-elle en reprenant son sérieux et sa voix posée. Est-ce que tu veux m'en parler un peu ? De ce fouillis qu'il y a dans ta tête et dans ton cœur ?

De son index, Jules pointa simultanément sur elle les deux endroits cités.
C'était une main tendue.
Et elle espérait qu'il la prendrait.

☾ anesidora
Jules Murphy
Admin idéaliste
Jules Murphy
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Mar 19 Oct 2021 - 13:15
La pluie au bout du couloir

ft. Jules Murphy



La lumière morne du début du jour éclairait faiblement le dortoir des Troisième Année de Serdaigle. Les bruits réguliers des respirations des garçons prouvaient qu’ils étaient encore endormis ; malgré les rideaux tirés des baldaquins, il était facile de savoir qui se trouvait là et qui ne s’y trouvait pas. À force d’insomnies, Ariel avait développé un don remarquable pour deviner quel souffle appartenait à qui.

Le jeune garçon décala un pan des tentures qui entouraient son lit pour jeter un œil à son réveil. Il était un peu moins de six heures.

Il soupira. Le sommeil ne reviendrait pas le chercher.

Une fois n’était pas coutume, ce matin-là, aucun cauchemar n’était venu rompre sa nuit. L’habitude était tenace : depuis quelques semaines, ses réveils étaient brutaux, agrémentés de joues mouillées et de douleurs dans le ventre. Des images virevoltaient encore dans son esprit, des images de sortilèges, de Mangemorts, de feuilles et de lac. Quoique celles qui concernaient les Mangemorts se fissent plus rares au fil du temps, elles ne manquaient pas de se rappeler à lui de temps à autres.

Ce jour-là, pas de vision, pas de fantôme. Simplement un malaise grandissant et l’impression que tout son monde s’écroulait. Une douleur sourde dans la poitrine, latente, lancinante.

Trois jours que ces sensations avaient volé la place de ses songes. Et honnêtement, il n’avait aucune idée de ce qu’il préférait.

Il se tourna vers la gauche, ferma les yeux, les rouvrit.

Presque une semaine que ces impressions dérangeantes l’empêchaient de dormir et le réveillaient tôt – trop tôt.

Il s’extirpa de ses draps humides de sueur, enfila des chaussons et revêtit un peignoir. Un coup d’œil vers les lits de ses camarades de dortoir lui apprit qu’il n’avait réveillé personne. Il récupéra son livre de chevet – une histoire de mage qui souhaitait ardemment devenir Animagus – et sortit de la pièce le plus discrètement possible.

Une fois dans le fauteuil, il ne parvint pas à se plonger dans son bouquin. C’était une belle histoire, pourtant. Le genre qui lui donnait envie de se donner encore plus, de croire en ses rêves et en ses ambitions. Il en était à la moitié et le héro commençait à comprendre que oui, il pouvait y parvenir malgré les obstacles qui se dressaient sur sa route. Le personnage principal endossait nombre de traits de caractères qui correspondaient avec la vision des choses d’Ariel. Le garçon suivait avidement ses aventures, son évolution et ses apprentissages.

Ses pensées prenaient trop de place pour qu’il ne réussît à s’y plonger.

Avant l’Intervention, comme il la nommait dans sa tête, le vide était omniprésent. Si les feuilles mortes et le lac le dérangeaient, il parvenait à en faire abstraction en se plongeant dans un autre monde. Ruminer était l’une de ses activités principales, mais il parvenait plutôt bien à y réchapper par la lecture. Il n’avait jamais autant lu que pendant le mois qui s’était écoulé.

À présent, ses idées fusaient, ses remises en question montaient en puissance et sa culpabilité grandissait de jour en jour.

L’Intervention, ce moment hors de l’espace-temps qu’il avait partagé avec Eileen et Sessho, à mi-chemin entre la dispute, la discussion et la confession, ne cessait de se rappeler à lui. Les mots violents d’Eileen remontaient, le calme surnaturel de Sessho ressurgissait. Et lui, il se posait dix mille questions. La plus fréquente, c’était sans doute : Merlin, qu’avait-il fait ?

Dans quel gouffre avait-il plongé ?

Ariel était incapable de déterminer s’il leur en voulait ou s’il leur en était reconnaissant. Sans doute que ses habitudes auraient poursuivi leur route s’il n’avait pas croisé celle de ses aînés ; il aurait continué à visiter les profondeurs du lac, à demeurer en apnée jusqu’à ce que ses poumons l’implorassent et à savourer le gel de l’eau sur sa peau malmenée. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’être amer : malgré tout le bénéfice de leurs discours, la sensation d’avoir été violé dans une routine intime ne le quittait pas.

Peut-être était-ce simplement parce que cette routine était malsaine et qu’il ne l’admettait pas encore. Pour lui, elle était juste libératrice.

Les envies de baignades étaient plus rares – elles ne se manifestaient qu’une ou deux fois par jour, alors qu’auparavant il luttait contre elle à tous les instants. En cinq jours, il ne s’était pas approché des berges du Lac. Il ne se faisait pas d’idée : rien n’était terminé. Il savait d’avance qu’il replongerait. Mais il voulait voir cette accalmie comme une progression, comme un premier pas.

Dans sa tête, c’était le foutoir.

Depuis quand était-il aussi faible ? Depuis quand ses démons prenaient-ils plus d’importance que ses propres amis ? Comment avait-il pu laisser l’obscurité prendre possession de lui, alors qu’il avait toujours veillé à ce que ses remises en question le conduisissent sur le droit chemin ?

Il ferma les yeux, déjà fatigué du chemin que prenaient ses idées.

Lorsqu’il les rouvrit, la Salle Commune se remplissait.


Comme souvent ces dernières semaines, Ariel s’était résolu à éviter le Club des cinq. Concernant Jules, le processus n’était pas très compliqué : entre ses engagements pour la S.A.L.E., ses entraînements de Quidditch et ses devoirs, elle n’avait pas beaucoup de temps à leur consacrer. Il aurait dû lui en vouloir – peut-être qu’une part de lui lui en voulait -, mais en un sens, il lui en était plutôt reconnaissant.

Les autres étaient plus difficiles à semer ; Oscar s’inquiétait beaucoup pour lui, c’était évident. Dès que c’était possible, son meilleur ami était dans son sillage. Il le suivait en cours, à la bibliothèque, pendant les repas, lors de ses marches solitaires. Seules leurs options lui permettaient de souffler un peu ; certains cours de leur emploi du temps divergeaient.

Tom et Louisa, en leur qualité de Gryffondor, étaient bien moins présents physiquement, mais au moins aussi inquiets que le Serdaigle. Tom s’était mis en tête de lui remonter le moral en lui jouant des tours gentillets ou en prenant leurs amis pour cobayes de ses expériences. Louisa tentait de l’entraîner dans des expéditions à l’intérieur ou à l’extérieur des murs du château. Si Ariel se sentait parfois obligé de les suivre dans leurs idées, il tentait le plus souvent de les esquiver.

Ce vendredi-là, il parvint à semer ses poursuivants. Tom était collé pour une quelconque bêtise qu’il avait faite, et Ariel savait qu’il rejoindrait directement la Grande Salle. Louisa devait l’attendre dans leur Salle Commune. Le Melwing n’avait aucune idée d’où son meilleur ami était passé, mais il semblait qu’il lui avait parlé d’une session de travail en binôme ou de quelque chose s’en rapprochant.

Ariel décida de profiter de ses instants de répit en rejoignant le Couloir, leur repère à tous les cinq. Là-bas, il était sûr que personne ne viendrait le déranger.

Leur bout de couloir se trouvait dans une partie du château désertée par la plupart des élèves. Quelques cours s’y déroulaient, mais les salles de classe concernées se trouvaient deux étages plus bas. Au cinquième étage, là où ils se retrouvaient, les enfants n’avaient jamais vu personne à part quelques tableaux qui se rendaient visite.

Ils avaient pris la liberté de l’aménager : quelques coussins qu’ils avaient piqués dans leurs Salles Communes respectives, des livres de la bibliothèque qu’ils avaient oublié de rendre, un paquet de gâteaux moldus que Tom leur avait rapporté, un jour. Dans un coin, ils avaient entassé quelques plaids, car malgré toutes les qualités du Couloir, il y faisait plutôt frais quand l’hiver approchait. Une série de fenêtres rompait la monotonie du mur de gauche ; leurs appuis de fenêtre, larges et enfoncés, faisaient des sièges d’un confort inattendu.

Celui qu’ils utilisaient habituellement pour s’asseoir offrait une vue imprenable sur le Lac. En posant ses yeux dessus, le tiraillement habituel au creux de son estomac émergea et son cœur fit une embardée.

Comme les cinq jours précédents, il n’irait pas se baigner. Il ne pouvait pas. Au fond de lui, malgré sa volonté nouvelle, son défaitisme lui annonçait qu’il y retourner bien assez tôt.

— Aaaah. Je suis contente que tu sois là, fit une voix derrière lui.

Le jeune garçon sursauta ; il l’aurait reconnue entre mille. Une voix pimpante, toujours enjouée, de celles qui savaient habituellement le rassurer.

Tandis qu’elle se tortilla pour trouver une place correcte à ses côtés, Ariel se composa un sourire de façade. Jules était perspicace – en tout cas, elle l’était quand ça le concernait. Ne pas la voir, moins la voir en tout cas, pendant toutes ces semaines avaient présenté un avantage : elle ne l’avait pas embêté. Pas de question, pas de confession.

À présent qu’elle se trouvait devant lui, il doutait qu’un masque comme celui qu’il tentait de se construire lui servirait beaucoup. Malgré tout, il fit de son mieux pour paraître enjoué :

— Jules ! Tu ne vas pas dîner ?

La jeune fille l’observa un instant. Mal-à-l’aise face à son regard, il se tordit les mains.

— Tu ne vas pas bien, Ariel.

— Je… Ce n’est pas vrai.

L’attaque était directe. Et lui, il mentait de manière honteuse. Mais il ne voulait pas admettre qu’elle avait raison. Il ne pouvait pas. Pas comme ça.

— Et je m’en veux de ne pas être plus présente pour toi en ce moment.

Ariel balaya les excuses cachées d’un geste de la main sans oser lui dire que ça l’arrangeait plutôt bien.

— Mais là, maintenant, je suis là, dit la rouquine. En fait, je suis toujours là, même si c'est pas physiquement, mais tu le sais ça, hein ? Tu ne seras jamais tout seul tant que Jules Murphy occupera cette planète. Enfin, même si j'en occupe une autre d'ailleurs, mais je suis pas sûr que nos pouvoirs magiques nous permettent un jour de vagabonder dans l'espace...

Ariel esquissa un sourire silencieux, mais le cœur n’y était pas. Les plaisanteries de son amie lui manquaient mais il était incapable d’y réagir plus que ça. Dans son cœur, la mélancolie prenait trop de place.

Une pointe d’angoisse, cependant, perça ses nuages intérieurs. Tout à son vide impalpable, Ariel s’était senti immunisé face aux inquiétudes potentielles de Jules. Comme elle passait peu de temps avec eux, il avait bêtement cru qu’elle n’avait rien remarqué. Ce jour-là lui prouvait qu’il avait tort ; elle avait tout vu, elle attendait simplement pour intervenir. Elle jaugeait, elle notait et elle réfléchissait.

Comme souvent.

Il pinça les lèvres, les larmes aux yeux. Voilà ce qui lui manquait pour craquer : une de ses meilleures amies qui le mettait en face de ses incohérences. L’Intervention avait joué son rôle, et maintenant Jules prenait le relai.

— Enfin bref, poursuivit son amie. Est-ce que tu veux m’en parler un peu ? (À ces mots, Ariel secoua vivement la tête.) De ce fouillis qu’il y a dans ta tête et dans ton cœur ?

Ariel resta silencieux longtemps. Très longtemps.

Non, il ne voulait pas en parler. Il ne voulait pas lui ouvrir son cœur, il ne voulait pas qu’elle voit à quel point il était abîmé de partout. En un mois, Ariel avait appris à ne pas en parler. Il en avait honte, et en même temps il s’y était habitué.

Mettre des mots sur ça lors d’une banale journée pluvieuse rendrait le tout trop réaliste pour lui. Avec Eileen et Sessho, il s’était retrouvé il ne savait où, dans une faille temporelle étrange, dans un lieu qui n’était plus Poudlard. Il n’y avait qu’eux trois et leurs âmes brisées. Et même si cette rencontre avait brisé quelque chose, mutilé une partie des chaînes qui le maintenaient prisonnier, il considérait que ce moment n’avait pas eu vraiment lieu. Ou peut-être que si – à l’intérieur de son univers à lui. C’était de l’ordre du rêve.

C’était différent.

Mais Jules avait le droit de savoir. Elle était la première à le soutenir quand ça n’allait pas.

Il réfléchit à ce qu’il pouvait dire, ce qu’il devait taire. Tout, et rien. Il devait tout lui dire, ou presque, et ne rien lui taire, ou le moins possible.

Par où commencer ?

— Par où commencer ? soupira-t-il en écho à ses pensées.

Il se remémora Halloween, les arbres, la forêt menaçante, les feuilles volantes. Même s’il était loin, même s’il s’en était un peu détaché, le souvenir restait vivace. Il suffit à le crisper d’angoisse.

— Halloween, prononça-t-il. Je… Depuis cette nuit-là, rien ne va.

Ariel tut les images exactes qu’il gardait en tête, mais Jules était présente ce jour-là. Peut-être bien que ses souvenirs à elle était différents des siens ; mais elle saurait de quoi il parlait.

Il désigna sa tête, puis son cœur.

— Je me sens impuissant, murmura-t-il à peine. Égoïste. Je n’arrive pas à lutter. Dans mon cœur c’est vide, et dans ma tête c’est trop rempli. Ça tourne en permanence et j’arrive pas. J’ai l’impression de devenir fou.

Sa voix se brisa. Il n’avait jamais exprimé les choses ainsi. Il ne les avait pas exprimées – pas le fond du problème. Pas son origine.

— Parfois, quelque chose me pousse à… à faire des choses. Je sais que c’est mal, mais j’ai pas le choix, ça vient de loin, c’est trop puissant.

Il fit une pause, trop brève pour qu’il ne s’empêche de prononcer les mots qui suivirent :

— C’est mal, ça fait mal mais je le fais quand même. Je crois que c’est pas de ma faute, je…

Les cris d’Eileen résonnèrent à ses oreilles, presque plus vivaces que lorsqu’elle les avait émis. À présent qu’il y pensait à tête reposée, à présent qu’il n’était plus anesthésié par la colère, ils faisaient encore plus mal.

— Peut-être que si, en fait. C’est ma faute. Sans doute. En tout cas, cette… cette chose. Cette chose est anormale. Elle me déglingue. Elle fait de moi un monstre.

Il leva ses yeux vers Jules, implorant. Sans doute qu’elle ne comprendrait rien à son charabia – mais après tout, comment avouer à sa meilleure amie qu’on se noie à moitié dans un lac dangereux tous les deux jours ?
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HRP :
Ariel Melwing
Modo aquatique
Ariel Melwing
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Ven 5 Nov 2021 - 13:56



La pluie au bout du couloir
Feat. Ariel Melwing

Vendredi 1er décembre 1995

Jules avait toujours eu du mal avec les silences qui s'éternisaient. Elle ne supportait pas les blancs et avait un don particulier pour trouver comment les combler en toutes circonstances. Sa spontanéité et son impulsivité paraient naturellement de mots tous les vides qui se présentaient dans les conversations. Jules avait toujours quelque chose à dire, de toutes façons.

Mais Ariel lui avait appris la patience.

Au fil de leurs confidences, elle avait su développer une autre facette d'elle - plus calme, plus posée, plus à l'écoute – et appris à respecter les silences. Car, ils étaient parfois nécessaires. Car, parfois, ils ne devaient pas être comblés. Et, avec Ariel, écourter les silences revenait à noyer en lui les mots qui se formaient doucement avant d'atteindre la surface de ses lèvres.

Ce silence-là fut long. Très long.

Jules ne montra pas son impatience, même si son inquiétude grimpait à mesure que les secondes défilaient dans le vide. Elle savait qu'une attente longue signifiait des aveux douloureux.

D'abord, elle avait scruté Ariel et son teint pâle, la tension dans ses traits et son regard baissé qui cachait le tumulte de ses pensées. Ces dernières, elle les devinait, comme si un nœud brumeux s'était matérialisé autour du crâne du garçon. Puis, son regard s'était détourné vers la fenêtre derrière lui pour se perdre dans un brouillard plus tangible. Ainsi, elle lui offrait de l'espace. Du temps et de l'espace. Pour penser et pour respirer. Puis, finalement, parler.

- Par où commencer ? soupira-t-il tout à sa propre impuissance.

Avant même qu'il n'ait à le prononcer, le point de départ s'afficha avec clarté dans l'esprit de Jules : Halloween.

- Halloween, fit-il en écho aux pensées de sa confidente. Je… Depuis cette nuit-là, rien ne va.

Évidemment. Ils avaient tous deux été au même endroit ce soir-là, ils avaient assisté au même spectacle horrifique. Une scène qu'aucun individu bercé par l'insouciance de ce jeune âge ne devrait vivre. Si Jules n'en était pas non plus sortie psychologiquement indemne, elle avait réussi à gérer les semaines qui suivirent de la plus pragmatique des manières, en se faisant sourde à ses émotions, sa culpabilité et le puissant sentiment de lâcheté qui l'envahissait pour se réfugier dans l'analyse cartésienne de la situation. Mener son enquête, se perdre dans les bouquins et les journaux, rassembler les éléments de manière méthodique et logique avaient constitué son purgatoire. Pendant deux semaines, démêler le vrai du faux était devenu son stimulus quotidien pour oublier sa honte. Et son interrogatoire avec l'inspecteur Clifton avait été l'ultime élément pour lui permettre de lâcher prise. L'enfant qu'elle était encore s'était alors enfin autorisée à déléguer le poids qu'elle portait sur ses épaules à cet auror. Mais Ariel, lui, n'avait pas encore eu la chance de trouver sa propre porte de sortie.

Et cela faisait à présent deux mois.

Jules avait hoché la tête, compréhensive, et pris sa main dans la sienne pour lui offrir son soutien. Il pouvait la serrer, ses doigts ne bougeraient pas : ils s'érigeraient en ancre. Stable et solide. Inébranlable.

- Je me sens impuissant, reprit le Serdaigle d'une voix faible. Égoïste.

À ces mots, la Gryffondor se reconnut trop bien pour rester impassible. Ce furent ses propres doigts qui vinrent serrer ceux de son ami. Sa fuite de la clairière lui revint douloureusement en mémoire. Plus jamais, s'était-elle jurée depuis ce jour. Plus jamais elle n'abandonnerait ses amis, ni qui que ce soit. Plus jamais elle ne se montrerait lâche et égoïste. Plus jamais. Ça n'était pas elle. Elle n'en avait pas le droit.

- Je n’arrive pas à lutter. Dans mon cœur c’est vide, et dans ma tête c’est trop rempli. Ça tourne en permanence et j’arrive pas. J’ai l’impression de devenir fou.

Là aussi, elle ne comprit que trop bien ce que ressentait son ami. Peut-être que ses propres émotions ne s'étaient pas montrées aussi intenses et envahissantes que les siennes, mais elles avaient pris la même forme. Si la Murphy avait pris la peine de poser des mots dessus, elle aurait pu utiliser les mêmes. Mais, à la différence du Melwing, chez elle, ça avait finalement arrêté de tourner en boucle.

Attentive, elle continua à l'écouter, commençant simultanément à songer aux moyens qu'elle pourrait trouver pour l'aider à aller mieux à son tour. Lui laisser du temps et de l'espace n'était définitivement pas une solution à long terme, cette fois, il avait besoin de plus.

- Parfois, quelque chose me pousse à… à faire des choses. Je sais que c’est mal, mais j’ai pas le choix, ça vient de loin, c’est trop puissant.

Jules fronça aussitôt les sourcils. Elle n'avait aucune idée de ce à quoi il faisait référence et l'énigme de ces mots accéléra sa préoccupation. Son impulsivité voulut la pousser à poser immédiatement tout un tas de questions mais, en voyant qu'il rouvrit la bouche pour continuer, elle le laissa continuer à s'exprimer.

- C’est mal, ça fait mal mais je le fais quand même. Je crois que c’est pas de ma faute, je…

Mal. Ce mot revenait dans son récit comme une litanie maudite. Et Jules n'arrivait pas à déceler ce qui se cachait derrière. Quelles étaient ces choses secrètes et mauvaises qu'il faisait sans même qu'elle ne l'ait remarqué ? À qui faisait-il du mal ? À lui ? Aux autres ? Ces points d'interrogation démangeaient sa volonté de savoir et tout son corps s'était crispé sous le poids de ces inconnus.

- Peut-être que si, en fait. C’est ma faute. Sans doute. En tout cas, cette… cette chose. Cette chose est anormale. Elle me déglingue. Elle fait de moi un monstre.

- Attends, stop Ariel, l'interrompit Jules, cédant finalement à sa panique croissante. De quoi tu me parles ? Tu me fais peur là.

Ses yeux étaient à présent grands comme des soucoupes et plus rien ne dissimulait les inquiétudes qui s'y étaient nichés. Les mots qu'employait Ariel étaient forts et, même s'il avait parfois tendance à amplifier ses propos, la brisure de sa voix ne laissait entrevoir aucun doute : il allait encore plus mal que ce que sa confidente avait imaginé.

- Pardon, je ne veux pas te brusquer, se reprit-elle en tentant de poser sa voix. Mais ça n'est pas rien ce que tu me dis là et ça m'inquiète.

L'Irlandaise chercha ses mots. Elle avait peur que le Melwing referme à nouveau sa carapace et emporte ses secrets dans un nouveau silence qui, cette fois, serait impénétrable. Avec lui, elle savait qu'elle pouvait et qu'elle devait prendre son temps pour s'exprimer et pour choisir les bons mots. Après avoir pris une respiration, elle décida de faire elle aussi un pas dans la confidence :

- Moi aussi, j'ai été emportée dans un fichu cercle vicieux de pensées juste après Halloween. Je peux comprendre comment tu te sens, même si ce n'est qu'en partie. Mais j'ai réussi à lâcher prise après coup et tout ce que je souhaite, c'est que tu y arrives aussi.

Son regard compatissant chercha les pupilles de son ami pour s'y accrocher avec force.

- Je suis là pour t'y aider et s'il le faut, j'arrête les clubs, la S.A.L.E. et même les entraînements de Quidditch le temps que tu auras besoin de moi !

Sa détermination à se faire plus présente auprès de son ami en détresse la fit oublier ses engagements auprès de son équipe et, si sa promesse ne serait pas réalisable sans abandonner son poste de poursuiveuse, elle la lui offrit sans l'ombre d'un mensonge volontaire. Sa sincérité avait naïvement pris racine dans l'illusoire et à cet instant-là, elle était elle-même la première à croire à ses propres mots.

- Mais pour commencer - sa voix se fit inconsciemment plus douce, presque appréhensive -, il faut que tu me dises ce que c'est, cette « chose ». Ce que tu fais de « mal ».

Son débit de parole avait nettement ralenti et son articulé en été devenu plus précis, plus cadencé.

- Je ne te jugerais pas, tu le sais, trouva-t-elle bon de lui rappeler en serrant à nouveau ses doigts. Entre nous, c'est une safe place.

☾ anesidora
Jules Murphy
Admin idéaliste
Jules Murphy
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Sam 1 Jan 2022 - 17:43
La pluie au bout du couloir

ft. Jules Murphy


Les mots coulaient tous seuls de sa bouche et bientôt, sans qu’il ne pût le contrôler, Ariel sut qu’il en disait trop.
 
La panique s’insinua lentement en lui à mesure qu’il voyait le visage de Jules se métamorphoser. Ses yeux parlaient pour elle : il lui faisait peur. Ses mots étaient trop forts, sans doute à l’image de la puissance de son vide intérieur, et trop abstraits, pas assez palpables pour que son amie ne comprît vraiment ce qu’il essayait de dire.
 
D’ailleurs, qu’essayait-il de dire ?
 
Appelait-il à l’aide ? Ou était-ce l’effet du trop-plein d’émotions qui avait finalement raison de ses défenses ? Toutes ces confessions, sa honte, ses plaies, avait-il raison de les lui partager ainsi ?
 
Il n’eut pas l’occasion d’aller plus loin, d’expliciter ses propos – le voulait-il vraiment ? -, car Jules l’interrompit avec hargne :
 
— Attends, stop Ariel. De quoi tu me parles ? Tu me fais peur là.
 
Le Serdaigle baissa les yeux et eut un infime mouvement de recul ; il le savait. Il se doutait que Jules n’était pas prête à entendre ce qu’il avait à dire. Qui l’était ? Eileen et Sessho, malgré leurs années de maturité et leurs blessures à eux, n’avaient pas été non plus. La vision de leurs plaies ouvertes mutuelles avait ravivé les démons de tout le monde.
 
Jules n’était pas plus armée que lui face à ces choses-là – des choses complexes, mouvantes, que même la personne concernée avait du mal à comprendre.
 
Soudain, la honte coula sur sa peau et il se serra les bras à s’en faire mal.
 
— Pardon, je ne veux pas te brusquer, dit encore la rouquine. Mais ça n’est pas rien ce que tu me dis et je m’inquiète.
 
Ariel haussa les épaules, comme s’il accordait peu de crédit à l’importance de ses aveux. Comme toujours lorsqu’il était confronté à sa dépression, lorsqu’il devait l’affronter en face et honnêtement, ses raisonnements ne suivaient aucune logique. Une seconde son cerveau prêchait le blanc, la suivante il vénérait le noir.
 
Il eut envie de partir sans toutefois vouloir quitter sa confidente.
 
— C’est pas très important, dit-il à la place.
 
Il détourna la tête pour ne pas intercepter le regard incendiaire que lui lancerait certainement Jules, et attendit qu’elle reprît la parole.
 
Le contact gelé de la fenêtre sur son front avait quelque chose de rassurant, de familier.
 
— Moi aussi, j’ai été emporté dans un fichu cercle vicieux de pensées juste après Halloween, entendit-il. Je peux comprendre comment tu te sens, même si ce n’est qu’en partie. (Ariel secoua la tête, prêt à nier.) Mais j’ai réussi à lâcher prise après coup et tout ce que je souhaite, c’est que tu y arrives aussi.
 
Ariel rentra davantage la tête dans ses épaules. La culpabilité lui rongeait le ventre et le rendait misérable. Si elle avait su s’en sortir, pourquoi pas lui ?
 
Parce qu’elle n’a pas voulu livrer Poudlard aux Mangemorts pour avoir une chance de s’en sortir, lui rappela une voix désagréable, celle qui se manifestait quand ses idées devenaient trop noires.
 
Et elle avait raison.
 
Il ne sut comment lui répondre.
 
— Je suis là pour t’y aider s’il le faut, poursuivit la fillette, j’arrête les clubs, la S.A.L.E et même les entraînements de Quidditch le temps que tu auras besoin de moi !
 
— On est peut-être pas obligés d’en arriver à de tels extrêmes, sourit faiblement le garçon. Tu peux pas arrêter de vivre parce que je suis un peu déprimé.
 
Le mensonge dans sa voix était flagrant, mais il espéra que Jules n’en décelât rien.
 
La passion de son amie et son affliction en réponse à ses états d’âme le touchaient, il était inutile de le nier. Il ne lui en voulait pas pour ses absences répétées de ces dernières semaines ; sans compter le fait qu’elles l’eussent bien arrangé durant ses pics de solitude, c’était ainsi que fonctionnait la fillette. Elle était entière, pleinement engagée dans les causes qu’elle défendait ou dans les activités qu’elle entamait. Et même si cela lui jouait parfois des tours dans la gestion de son emploi du temps – devenir le nouveau Robin des Bois était difficilement compatible avec une vie scolaire et sociale équilibrée -, c’était partie intégrante de son charme.
 
Le sourire tremblotant qu’Ariel lui adressa ne dut pas être très convaincant, mais il était là.
 
Elle reprit la parole, et le sourire du jeune homme s’effaça aussitôt :
 
— Mais pour commencer, il faut que tu me dises ce que c’est, cette « chose ». Ce que tu fais de « mal ».
 
De doux, son ton se fit cajolant. Elle prenait des pincettes, Ariel le savait. Jules lui serra les doigts, amicale, présente, et le contact de ses doigts lui fournirent une ancre à la réalité.
 
— Je ne te jugerai pas, tu le sais. Entre nous, c’est une safe place.
 
— C’est pas une question de jugement, marmonna-t-il.
 
Il laissa un long silence planer, encore une fois.
 
Le soutien inconditionnel de Jules ne faisait aucun doute. Ariel devinait sa réaction : peut-être serait-elle virulente, mais uniquement à cause de l’inquiétude que ses aveux causeraient à la jeune fille. Elle ne s’était jamais permise de le juger, ni avant, ni maintenant, et il savait qu’elle ne le ferait pas cette fois-là non plus. Il pouvait tout lui dire ou presque – le seul risque serait qu’elle devienne un peu trop envahissante les jours suivants.
 
Certes, il se sentirait honteux de lui en parler ; coupable aussi. S’il le faisait, il s’agirait d’un moment difficile, éprouvant, mais certainement libérateur. Il n’en avait pas envie, mais il savait qu’il le pouvait.
 
Son hésitation venait plutôt de lui. Était-il prêt à en parler ? À mettre des mots sur ce qu’il faisait depuis des semaines, sur ce qui lui détruirait bientôt la santé ? Car il n’était pas bête : au début du mois de décembre, il devenait évident que l’eau du lac deviendrait de plus en plus dangereuse.
 
Était-il capable de formaliser à voix autre qu’une partie de lui se demandait si la mort l’attendait à la fin de chacune de ses baignades ?
 
Il ne voulait pas mourir – il n’en était pas là, de ça, il en était sûr. Mais l’idée l’effleurait, parfois, et peut-être que si plonger dans l’eau glacée était si libérateur, c’était à cause de ça. En plus de la délicieuse anesthésie que lui procurait la température du lac.
 
Ariel serra les poings et ses ongles pincèrent la peau fragile de ses paumes.
 
— C’est difficile à exprimer, finit-il par souffler.
 
Il se mordit les lèvres, nota qu’elles étaient gercées. Peut-être que finalement, le plus simple serait de commencer par le commencement : ce qu’il avait ressenti le lendemain d’Halloween, à son réveil à l’infirmerie, au moment où pour la première fois il s’était dirigé vers les berges du Lac Noir.
 
— Quand on s’est réveillé le lendemain de la soirée, commença-t-il d’une toute petite voix, j’ai eu l’impression que ma tête et mon corps n’évoluaient plus ensemble – c’était déjà le cas avant, je veux dire, mais ça s’est amplifié. J’avais du mal à me connecter avec le monde réel et tout ce que je voyais, c’était des images obsédantes. Pas terrifiantes, pas vraiment, mais elles tournaient en boucle et elles me rappelaient à quel point j’avais été minable la nuit précédente.
 
Les mots trébuchaient les uns sur les autres. Se rappeler de ce moment était éprouvant ; même si les comportements qu’il avait initiés ce matin-là s’étaient faits récurrents par la suite, les souvenirs avaient fini par s’estomper et seules les impressions restaient.
 
Invoquer ces images à nouveau était un exercice plus difficile qu’il ne le pensait.
 
— Je comprenais pas ce qui se passait autour de moi, je ressentais rien… Enfin si, du vide. Je crois que c’est le vide et les feuilles mortes qui ont tout fait basculer.
 
Peut-être que relater les faits, rien que les faits, était finalement la meilleure des choses à faire.
 
— Oscar m’a demandé de parler, mais j’ai pas pu. J’ai essayé de dormir, mais j’ai pas su. Tout était si… flou. Si bizarre. Et puis je sais pas vraiment ce qu’il s’est passé, ce que j’ai ressenti à ce moment-là, peut-être était-ce une pulsion démente ou un sentiment d’évidence, je sais pas, mais…
 
Allait-il vraiment le dire ?
 
Sa voix se fit tel un filet infime, presque inaudible, et il espéra vraiment que Jules l’entendrait, car il savait qu’il serait incapable de le dire une seconde fois.
 
— Le Lac m’appelait. Je saurais pas t’expliquer autrement, mais il m’appelait. J’ai traversé le château, j’étais pieds nus, j’avais pas ma baguette, mais je voulais qu’une chose : m’oublier et oublier le reste. Oublier les méchants, oublier le noir et oublier la douleur de Merlin. Oublier les feuilles mortes…
 
Ses mots s’effilochèrent et il ne put continuer. Une boule d’angoisse était née dans sa poitrine ; la même que celle qui l’avait poussé dans les bras froids du lac de Poudlard. L’envie de se baigner, pressante et familière, surgit tout à coup, mais il se raccrocha à la présence de Jules pour l’occulter.
 
Il espéra que la fillette devinerait seule la suite de l’histoire.
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Dim 10 Avr 2022 - 13:18



La pluie au bout du couloir
Feat. Ariel Melwing

Vendredi 1er décembre 1995

- C’est pas une question de jugement, se justifia Ariel.

Jules voyait bien que son ami, plongé dans la tourmente, essayait par moment de fuir la conversation. Plus ses aveux se dessinaient, plus leur esquisse l'effrayait. À chaque nouveau pas effectué, il manifestait l'envie de repartir en arrière. Mais il en avait déjà trop dit. Il ne pouvait s'arrêter là, sous peine que l'inquiétude de Jules ne le ligotât aux barreaux de la fenêtre.

- Alors, parle-moi librement, Arie, lui répondit-elle d'une voix douce.

Un nouveau silence s'installa tout de même. Les tintements de la pluie contre la vitre semblèrent s'intensifier, jusqu'à battre à l'unisson avec le cœur affolé de la Murphy. Le temps n'était pas près de s'abeausir, ni dehors, ni en eux. Et Jules dû retenir le vent de panique qui voulait lui faire poser mille questions et aurait volé les mots à la bouche de son ami. Elle devait se montrer patiente.

- C’est difficile à exprimer, finit par dire Ariel.

- Prends ton temps, l'encouragea la Rouge-et-Or en dessinant des cercles sur le dos de sa main avec son pouce.

Elle le regarda se mordre la lèvre avec contrition. Mais quels étaient donc ces remords qu'il portait en lui ? Quel était ce « mal » sur lequel il peinait tant à mettre des mots ? Jules n'en pouvait plus de ne pas savoir, mais il était hors de question de le brusquer, ça ne ferait que noyer davantage sa parole et alourdir son angoisse.

Et finalement, il trouva le point de départ à son récit :

- Quand on s’est réveillé le lendemain de la soirée, j’ai eu l’impression que ma tête et mon corps n’évoluaient plus ensemble – c’était déjà le cas avant, je veux dire, mais ça s’est amplifié. J’avais du mal à me connecter avec le monde réel et tout ce que je voyais, c’était des images obsédantes. Pas terrifiantes, pas vraiment, mais elles tournaient en boucle et elles me rappelaient à quel point j’avais été minable la nuit précédente.

Un pli soucieux se forma entre les sourcils de la rousse alors que son regard s'était échoué sur leurs mains entrelacées où son pouce continuait de dessiner des formes abstraites. Elle hocha la tête en tentant de comprendre les sensations et ressentis de son confident, bien qu'elles lui parurent floues et étrangères. Elle se remémora ce matin-là et, en effet, il n'avait pas fait l'ombre d'un doute qu'Ariel ne s'était pas trouvé pas dans son état habituel : à leur première réunion de groupe de la journée, il n'avait pas prononcé un seul mot. Aucune expression ne s'était par ailleurs dessinée sur son visage, comme si seul son corps avait été présent parmi eux. Elle visualisa alors un peu mieux cette notion de dissociation entre le corps et l'esprit : en fait, à défaut de connaître la sensation intérieure, elle en avait été le témoin extérieur.

- Je comprenais pas ce qui se passait autour de moi, je ressentais rien… Enfin si, du vide. Je crois que c’est le vide et les feuilles mortes qui ont tout fait basculer.

- Les feuilles mortes ? releva Jules, surprise, n'ayant pas conscience de l'image traumatique qui s'était ancrée dans l'esprit de son ami.

La sensibilité d'Ariel était très différente de la sienne. Si ses émotions à elle étaient souvent aussi vives qu'éphémères, celles de l'Aiglon se faisaient plus profondes et latente, s’inscrivant davantage sur la durée et s’accompagnant d'images et de sensations singulières. De par cette différence entre la gestion de leurs émotions, les propos d'Ariel lui parurent quelque peu abscons, mais la jeune sorcière s'accrocha à la suite du récit pour mieux déchiffrer ses tourments.

- Oscar m’a demandé de parler, mais j’ai pas pu. J’ai essayé de dormir, mais j’ai pas su. Tout était si… flou. Si bizarre. Et puis je sais pas vraiment ce qu’il s’est passé, ce que j’ai ressenti à ce moment-là, peut-être était-ce une pulsion démente ou un sentiment d’évidence, je sais pas, mais…

Jules releva le bleu de son regard dans celui ombragé de son confident. Son pouce avait arrêté ses mouvements, suspendu dans une attente insoutenable. Ariel était arrivé au point culminant de son récit et fit une courte pause avant l'aveu ultime. Ça en coupa le souffle à la Murphy, comme si elle craignait que le bruit de sa respiration ne vienne recouvrir la voix du Melwing. Le volume de celle-ci n'avait fait que diminuer jusqu'à maintenant et les mots qui suivirent ne furent plus que murmure.

- Le Lac m’appelait. Je saurais pas t’expliquer autrement, mais il m’appelait. J’ai traversé le château, j’étais pieds nus, j’avais pas ma baguette, mais je voulais qu’une chose : m’oublier et oublier le reste. Oublier les méchants, oublier le noir et oublier la douleur de Merlin. Oublier les feuilles mortes…

Ce fut au tour de la Gryffondor d'être à court de mot. Un nouveau silence s'installa alors que, lèvres entrouvertes et regard dans le vide, Jules tenta de faire le tri dans ces informations, de comprendre ce qu'elles impliquaient, ce qu'elles sous-entendaient. Peut-être que l'incrédulité ou l'incompréhension se peignait alors sur son visage, mais elle ne voulut pas envisager la réalité de ces aveux.

Comment ça, le lac t'appelait ?

Elle n'osa pas même poser la question, sachant déjà la réponse au fond d'elle. La vraie interrogation qui se dessina dans son esprit fut la suivante : pourquoi ? Jusqu'où était-il allé ? Quelles furent les pensées qui le traversèrent lorsqu'il s'immergea dans l'eau turbide et glacée ?

Jules ne parvenait pas à entrevoir que la douleur somatique avait pu lui servir d'anesthésiant psychique. Dans son esprit, elle parvenait seulement à voir la déliquescence de son corps et l'envie de mourir. D'être phagocyté par le liquide et de tomber dans l'oubli. Que celui-ci soit synonyme d'adieu.

Une angoisse profonde prit entière possession de Jules alors que l'idée que son ami ait essayé de se suicider la traversa. Elle ne voulut pas y croire, tout comme elle rejeta en bloc les larmes qui voulurent monter à ses yeux. Non, elle devait trouver une explication, essayer de rationaliser.

Après ces quelques secondes de réflexion qui avaient semblé s'éterniser, elle releva la tête, les sourcils lourds d'inquiétudes. Tout ce qu'elle avait lu, suite à cette fameuse soirée, sur les Mangemorts et les sortilèges dont ils usaient n'avaient pas eu qu'un petit impact sur son esprit. Elle se laissa donc imprégner par la paranoïa alors qu'elle répondit d'une voix prudente à son ami :

- Ariel... est-ce que tu te souviens si l'on t'a aussi jeté un sort, ce soir-là, dans la clairière ? Pas que je veuille ressasser de mauvais souvenirs mais... Et si on t'avait à toi aussi jeté un Impardonnable ?

La rousse tâta le terrain progressivement, ayant peur de heurter son ami par ses sous-entendus.

- Tu sais, on peut contrôler l'esprit par la magie et inciter les gens à faire des choses contre leur volonté...

Si Jules avait épluché nombre d'articles sur l'utilisation des Impardonnables, ses connaissances n'étaient que théoriques et elle n'avait pas vraiment conscience de la réalité de ces derniers en pratique. Mais le cas d'Ariel lui semblait entièrement plausible. Aussi, c'était plus simple pour elle d'envisager que son meilleur ami ait été manipulé plutôt que de réaliser qu'un mal-être presque macabre le rongeait. Elle prit donc toutes les précautions possibles dans l'intonation de sa voix pour verbaliser son hypothèse :

- Et si tu avais été victime d'un Impero, Arie ?

La courbe de ses sourcils s'était inversée, affaissés par la lourde implication de ses propos. Elle regarda Ariel avec une appréhension dont elle n'avait jamais fait preuve auparavant, la pupille fébrile et l'épouvante dans les iris.

☾ anesidora
Jules Murphy
Admin idéaliste
Jules Murphy
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Mer 17 Aoû 2022 - 20:22
La pluie au bout du couloir

ft. Jules Murphy


— Les feuilles mortes ? demanda Jules, l’interrompant sans le vouloir.
 
La diversion lui parut salvatrice et dérangeante tout à la fois.
 
— Les feuilles mortes de la forêt. Celles qui tournaient dans la clairière, là où… là où c’est arrivé.
 
Il n’avait jamais vraiment conscientisé l’absurdité de cette image. Car au moment où s'était déroulé le pire scénario qu’il eût pu imaginer, c’était la végétation mourante qu’il gardait en tête. Ses épaules s’affaissèrent un peu plus ; et le sentiment de honte ressurgit, plus fort et plus insistant que jamais. Il eut l’impression de déshonorer Merlin en oubliant ses souffrances si aisément.
 
Néanmoins, il se reconcentra sur son récit ; et tant bien que mal il poursuivit, tenta de trouver les mots justes et d’oublier le sentiment de vulnérabilité qui l’empêchait d’avancer.
 
Il sentit Jules guetter ses mots pendant qu’ils s’écoulaient de lui ; il la sentit vibrer pour ses paroles, se retenir de respirer, s’interrompre dans ses gestes de réconfort parfois. C’étaient les signes les plus évidents de son soutien. Ce furent certainement eux, d’ailleurs, qui l’aidèrent à achever son histoire – même s’il ne la termina, de fait, pas complètement.
 
Lorsque son flot de mots mourut, le regard d’Ariel se leva vers Jules, implorant et quémandant. Son silence momentané l’inquiéta ; Jules n’était pas de celles qui se taisaient. L’absence de réplique prouvait son choc, ou alors le dégoût qu’elle ressentait pour lui désormais. Dans les deux cas, il avait été trop loin et il ne voulait pas perdre son amitié. Il voulut revenir sur ce qu’il avait dit.
 
Le garçon tenta de déchiffrer l’expression du visage de son amie, mais elle n’était que le reflet d’une confusion abstraite. Il n’eut aucun moyen de prévoir sa réaction ; aucun moyen de savoir si elle le laisserait là, adossé à la fenêtre, ou si elle déciderait de supporter sa détresse. Et il ne savait pas quelle issue était la meilleure ; parce qu’Ariel pensait de façon diffuse que porter sa détresse à bout de bras n’était le rôle de personne, sinon le sien, et encore moins celui d’une personne aussi jeune qu’eux-mêmes, tout amis fussent-ils.
 
Ses doigts entamèrent un motif tortueux sur la pierre de l’appui de fenêtre et il tenta de les associer au raisonnement qui se dessinait dans la tête de Jules.
 
Dix secondes tout au plus s’écoulèrent. Elles parurent à Ariel cent fois plus longues.
 
Jules répondit enfin, mais sa voix était étrange – aigüe, presque dissonante :
 
— Ariel… Est-ce que tu te souviens si l’on t’a aussi jeté un sort, ce soir-là, dans la clairière ?
 
La question était si inattendue, si hors de contexte, que la peur et la honte et la colère désertèrent le garçon pour un moment. Ses sourcils se haussèrent et il l’observa, incrédule.
 
— Pas que je veuille ressasser de mauvais souvenirs, continua-t-elle, mais… Et si on t’avait jeté un Impardonnable ?
 
Il resta coi, incapable de comprendre le cheminement de pensées de son amie.
 
Elle dit encore :
 
— Tu sais, on peut contrôler l’esprit par la magie et inciter les gens à faire des choses contre leur volonté…
 
— Attends, Jules, tenta-t-il de l’interrompre – il commençait à saisir ses allusions.
 
Elle ne tint pas compte de sa demande.
 
— Et si tu avais été victime d’un Impero, Arie ?
 
Le choc figea Ariel sur place. Les mouvements sur la pierre prirent fin et sa respiration sembla se bloquer d’elle-même. Le visage de Jules était un masque d’inquiétude et il prouvait qu’elle croyait vraiment à son hypothèse.
 
Et Ariel fut, l’espace d’une demi-seconde, sur le point de se laisser convaincre.
 
La perspective d’être soumis à un enchantement n’était certes pas plaisante. Les Impardonnables étaient réputés pour être dangereux et malfaisants. Mais elle lui offrait bien plus de voies de secours que l’hypothèse d’une profonde dépression : une fois détecté, il était sûrement possible d’aller voir Flitwick, ou McGonagall, ou qui que ce fût d’autre, pour leur demander de lever le sortilège. Ses problèmes prendraient fin, sa vie reprendrait son cours normal ; comme si Halloween n’avait jamais existé autre part que dans les visions imposées par le maléfice.
 
Le soulagement aurait été grand. Mais il y avait trop d’incohérences dans ce raisonnement pour qu’Ariel y accordât du crédit plus d’une seconde ; et puis il sentait au fond de lui qu’il ne s’agissait pas de cela.
 
Il ferma les yeux, défait. Le choc s’en alla, la lueur d’espoir s’éteignit. Les sensations familières reprirent leur place comme si elles n’avaient jamais été chassées.
 
— Non, Jules, ça n’a pas de sens, dit-il tristement.
 
Il ferma les yeux, s’adossa plus confortablement contre le mur. Ses doigts reprirent leur danse froide et irrégulière sur la pierre.
 
— Déjà, quand on est sous Impero, on ne se souvient pas des actes qu’on accomplit. Et quand on en a conscience, on se sent tout de même forcé. On sent que quelque chose qui n’est pas notre volonté nous demande de faire ces choses. En tout cas c'est ce qu'ils disent dans les livres.
 
Il fit une pause, mais il se sentait trop fatigué pour hésiter sur les mots à utiliser.
 
— Je peux t’assurer – pardon d’être si direct – que je n’ai été forcé par personne. J’en ai envie. Mon corps, mon cerveau ont besoin de ça. Ils ont besoin de ce que le Lac peut leur offrir. L’impulsion n’est jamais cohérente, mais je sais au plus profond de moi qu’elle vient d’ici. (Il désigna sa tête, interrompit les mouvements de ses doigts, puis les reprit plus rapidement.) Je ne te demande pas de comprendre…
 
Un genre de soulagement l’envahit quand il acheva sa phrase : pour la première fois, Jules savait. La toile des secrets qu’il tissait entre lui et ses amis se délitait petit à petit ; une entrée s’ouvrait pour offrir le passage à sa meilleure amie. Il ne doutait pas qu’elle y entrerait. Il ne savait pas, pour autant, comment elle déciderait d’investir cet espace.
 
Cela lui fit un peu peur. Il se rappela leur connivence, la confiance qu’il lui portait et la force de leur amitié pour repousser la panique qui montait.
 
Il la regarda dans les yeux, et il les redécouvrit depuis longtemps : joyeux, optimistes, combattants.
 
— Et puis si j’étais sous Impero, je ne crois pas que les Mangemorts s’amuseraient à me faire faire trempette dans un Lac gelé. Je pense plutôt qu’ils tenteraient de mettre la pagaille dans Poudlard ou de tuer Harry Potter dans son sommeil, tu vois ?
 
Il se sentait plus calme à présent qu’il s’était livré. Il espéra que Jules ne lutterait pas contre ce qu’il disait ; qu’elle ne chercherait pas à réfuter la réalité de ses besoins, tout noirs qu’ils fussent.
 
Ses yeux se perdirent au loin. Ils n’étaient pas humides, ni plissés, ni mêmes piquants. Ils étaient secs et un peu douloureux cependant.
 
— Je sais que j’ai besoin d’aide. J’ai du mal à l’admettre et à me dire que non, je ne vais pas bien – ça rend la situation réelle, tu sais ? Sessho Shinmen et Eileen King m’ont surpris en train de me baigner, il y a quelques jours. Ce sont eux qui m’ont fait réaliser à quel point les choses avaient dégénéré sans que je ne m’en rende compte.
 
Ariel se saisit de la main de Jules, le regard toujours fuyant et la tête rentrée dans ses épaules. Il lui sembla qu’il s’agissait de l’un des premiers contacts physiques qu’il initiait avec elle depuis des lustres. Autrement il se laissait faire et ne repoussait pas, mais il restait passif.
 
Et maintenant, en observant les traits tirés de la fillette, il comprenait comme la distance avait pu être difficile à vivre pour ses amis. Et à quel point ses aveux pouvaient faire mal à Jules, au-delà de la vive panique qu’ils faisaient naître, car ils étaient le signe que quelque chose n’allait pas chez lui et que personne ne l’avait vu.
 
Il se sentit coupable, d’une culpabilité traîtresse et tranchante.
 
— Je… je suis désolé si ça te fait du mal, fit-il tout bas. J’ai pas l’intention de te faire peur. Je veux pas que tu me fuies. T’es la première personne à qui j’en parle de moi-même et… et ça me fait peur.
 
Sa voix cassa et il se tut, parce qu’il savait qu’il se laisserait entraîner dans les larmes s’il poursuivait.
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Sam 3 Sep 2022 - 12:38



La pluie au bout du couloir
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Vendredi 1er décembre 1995

- Les feuilles mortes de la forêt. Celles qui tournaient dans la clairière, là où… là où c’est arrivé.

De la clairière, Jules ne gardait que le souvenir des silhouettes noires des Mangemorts et des arbres. Un cliché en noir et blanc auquel elle essaya de rajouter les teintes orangées des feuilles mortes pour se projeter dans la mémoire traumatique de son meilleur ami. Sans arriver à vraiment saisir le sentiment qu’il pouvait ressentir à cette image, Jules comprit le mécanisme cérébral qui avait fait l’association entre la peur et ce détail de la scène. Elle le laissa poursuivre, s’accrochant comme elle le pouvait au flou de son récit pour mieux s’engouffrer dans les engrenages de son esprit.

Sauf qu’elle ne s’était pas attendue à ce qu’il la mène là. À un sous-entendu qu’elle ne voulut pas comprendre. Son cerveau rejeta en bloc l’idée qu’Ariel pouvait chercher à se faire du mal lui-même et, rationalisant, une solution à cette incompréhension lui vint à l’esprit, lui paraissant aussi plausible que brillante. Bien qu’également terrifiante.

- Et si tu avais été victime d’un Impero, Arie ?

N’était-il pas plus facile de rejeter la responsabilité sur autrui plutôt que sur soi ? Jules venait de le faire à la place d’Ariel, lui offrant une explication toute trouvée à ses actes insensés. Cela n’avait pas empêché l’inquiétude de s’installer sur les traits de la rouquine : si cette hypothèse s’avérait vraie, ça n’était pas une victoire, seulement une autre situation un peu moins complexe à régler. Car ils auraient alors mis le doigt sur la source du problème.

- Non, Jules, ça n’a pas de sens.

Ariel avait fermé les yeux, la mine sombre. Jules concevait que sa théorie était difficile à entendre, mais elle lui paraissait tout à fait sensée. Alors, elle osa un fébrile :

- Et pourquoi pas ?

- Déjà, quand on est sous Impero, on ne se souvient pas des actes qu’on accomplit, débuta Ariel. Et quand on en a conscience, on se sent tout de même forcé. On sent que quelque chose qui n’est pas notre volonté nous demande de faire ces choses. En tout cas c'est ce qu'ils disent dans les livres.

Ne se souvenait-on vraiment pas de ce que l’on accomplissait sous Imperium ? Jules avait beau avoir récemment lu une flopée de textes et témoignages sur les sortilèges Impardonnables, toutes les informations qu’elle avaient amassées semblaient se mélanger et devenir floues dans son esprit tant elle voulait se convaincre de son hypothèse.

- Je peux t’assurer – pardon d’être si direct – que je n’ai été forcé par personne. J’en ai envie. Mon corps, mon cerveau ont besoin de ça. Ils ont besoin de ce que le Lac peut leur offrir. L’impulsion n’est jamais cohérente, mais je sais au plus profond de moi qu’elle vient d’ici.

Le Melwing pointa sa tête et il eut un moment de flottement. Le déni de Jules s’était dissipé au fil des mots du Serdaigle et le choc avait repris place, autant dans ses traits que dans son silence.

- Je ne te demande pas de comprendre… acheva Ariel, fataliste dans son intonation.

- Je…

La Lionne voulut le rassurer mais aucun mot ne lui vint. Elle ne se souvenait pas s’être déjà retrouvée désarçonnée de la sorte.

- Et puis si j’étais sous Impero, enchérit l’Aiglon, je ne crois pas que les Mangemorts s’amuseraient à me faire faire trempette dans un Lac gelé. Je pense plutôt qu’ils tenteraient de mettre la pagaille dans Poudlard ou de tuer Harry Potter dans son sommeil, tu vois ?

Jules hocha la tête.

- Oui, pas faux.

Elle apercevait enfin la réalité telle qu’elle était. Sa réalité à lui. Son mal-être dévorant. Ses actions irrationnelles.
Ses noyades délibérées.

Dehors, il pleuvait encore et Jules se demanda si ce bruit incessant s’arrêtait parfois dans la tête d’Ariel ou si c’était justement l’absence de silence qui le poussait à épouser celui enveloppant des profondeurs du lac. Un frisson la parcourut.

- Je sais que j’ai besoin d’aide, concéda le garçon de treize ans. J’ai du mal à l’admettre et à me dire que non, je ne vais pas bien – ça rend la situation réelle, tu sais ? Sessho Shinmen et Eileen King m’ont surpris en train de me baigner, il y a quelques jours. Ce sont eux qui m’ont fait réaliser à quel point les choses avaient dégénéré sans que je ne m’en rende compte.

Jules releva la tête vers son ami à la mention des deux noms. Une part d’elle, son ego sûrement, n’apprécia pas l’idée de ne pas avoir été la première à découvrir ce secret. Elle aurait voulu être celle qui l’eût surpris en action et qui lui aurait fait faire marche arrière. C’était un sentiment de culpabilité : elle s’en voulut profondément de ne pas s’être davantage alertée de son mal-être et de ne pas être venue lui parler plus tôt.
Une fois de plus.
Si, au lieu d’écouter sa volonté de ne pas le brusquer, elle était venue le confronter directement, cela aurait-il changé les choses ? Aurait-elle pu lui éviter de se réfugier dans cette sombre et dangereuse lubie ?

Il lui sembla sentir la pierre du mur au travers du coussin contre lequel elle était adossée, et elle était diablement froide.

Toutefois, une autre part d’elle, plus raisonnée, fut reconnaissante envers ses deux aînés : qui savait si Ariel serait ressorti du lac ce jour-là sans leur présence ? L’idée lui procura un nouveau frisson. Elle la chassa aussitôt, ne voulant pas envisager qu’Ariel irait jusqu’à s’ôter la vie… Et pourtant, cette angoisse s’était à présent nichée en son cœur. Elle ouvrit la bouche, sans trop savoir ce qu’elle allait dire, mais le Bleu-et-Bronze la rattrapa :

- Je… je suis désolé si ça te fait du mal. J’ai pas l’intention de te faire peur. Je veux pas que tu me fuies. T’es la première personne à qui j’en parle de moi-même et… et ça me fait peur.

Ces paroles ranimèrent le corps figé de Jules et son impulsivité reprit place dans la conversation.

- Idiot, bien sûr que non, je ne vais pas te fuir !

Et elle se jeta dans ses bras, le serrant de toutes ses forces, de tout son choc, de toute sa peur et de tout son amour, comme pour s’assurer qu’il était bien là avec elle, palpable, solide, en chair et en os.

- Oh, Arie, soupira-t-elle.

De ses yeux mouillés s’échappa une larme. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait pleuré et, honteuse, elle l’essuya aussitôt en frottant sa joue contre l’épaule de son confident. Toutefois, c’était plus fort qu’elle, elle se devait de poser la question qui lui démangeait les lèvres.

- Est-ce que… est-ce que tu as envie de… mourir ? prononça-t-elle d’une voix fébrile, étouffée par les vêtements du garçon et ses boucles violettes.

Elle regretta ses mots dès lors qu’ils s’envolèrent dans l’air ambiant. En réalité, elle était terrifiée de découvrir la réponse. Alors, elle se dégagea de leur étreinte avec empressement et secoua la tête.

- Non, non, c’est ridicule, tu es vivant et tu vas le rester !

Une détermination nouvelle se mit à briller dans ses yeux encore humides et elle plongea ses pupilles dans celles de son meilleur ami en saisissant le visage de ce dernier entre ses deux paumes.

- Regardes-moi, Ariel Melwing. Tu es fort, tu es courageux, tu es intelligent, créatif, amusant et par-dessus tout : unique ! Tu es la plus belle âme que je n’ai jamais rencontrée ! Croiser tes bouclettes violettes égaie chacune de mes journées dans ce château et je te promets que pour toi aussi la joie va revenir ! D’une manière ou d’une autre, c’est obligé !

Jules n’était pas du genre à se laisser aller au désespoir. La flamme d’optimisme qui brûlait en elle se raviva et elle voulut la transmettre à son Arie. Elle déporta ses mains sur les siennes pour les serrer avec force.

- Je ne sais pas à quel point c’est sombre pour toi là-dedans - la rousse tapota brièvement sa tempe -, mais j’ai besoin que tu crois en des jours meilleurs avec la même force que moi. On va trouver l’interrupteur ensemble et je ne te lâcherais plus d’une semelle jusque-là, entendu ? Quitte à t’accompagner dans tes baignades si tu ne m’en laisses pas le choix, mais hors de question que tu y retournes seul ! Je suis là et tu peux compter sur moi, mon Arie.

Chacun de ses mots fut emprunt d’une détermination infaillible, propulsée par son amitié indéfectible.

☾ anesidora
Jules Murphy
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Jules Murphy
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Ven 7 Juil 2023 - 13:27
La pluie au bout du couloir

ft. Jules Murphy


Si Ariel avait douté de la capacité de Jules à comprendre la situation, sa réaction lui donna tort. Certes, elle avait cherché à lui trouver des excuses – même si l’excuse en question reposait sur l’utilisation d’un Impardonnable. Mais comment la blâmer ? Évidemment qu’il était plus facile d’accuser les autres, le Mal, la cruauté, plutôt que d’admettre l’inadmissible ; les dysfonctionnements du cerveau humain étaient parfois difficiles à comprendre et ne relevaient en rien du pragmatisme. En tout cas, pas à leur jeune âge.

Pourtant, lorsqu’il lui expliqua comme il put que son comportement relevait d’instincts plus forts que lui, elle prouva, si c’était encore nécessaire, qu’elle était capable de comprendre. Il utilisa des mots abrupts, certes. En toute franchise, le choc était peut-être responsable d’une partie de son mutisme. Toujours était-il qu’elle était là, patiente, à l’écoute et qu’elle ne fuyait pas. Pas encore.

— Je ne te demande pas de comprendre, émit-il, et Jules ne réagit pas.

Ce qui, vraisemblablement, confirmait l’hypothèse du choc.

Ariel continua son explication. Foutu pour foutu, se dit-il, autant aller au bout. Expliquer l’incohérence de sa théorie fut ridiculement simple. Tellement, en fait, que cela découragea le jeune garçon – comme s’il s’accrochait encore un peu à cette option. Même Jules opina du chef. Impossible, dès lors, de poursuivre sur cette lancée.

Si évoquer la rencontre catastrophique qui avait eu lieu près du Lac fut douloureux, le visage de plus en plus livide de Jules lui fit encore plus mal. Pourquoi n’avait-il pas ouvert les vannes plus tôt ? Pourquoi ne s’était-il pas rendu compte avant de la voie qu’il empruntait ? Et pourquoi avait-il tenu à laisser Jules et les autres à l’écart ?

Pourquoi avait-il fallu l’intervention de ses deux aînés, inconnue au bataillon pour l’une d’ailleurs, pour qu’il eût le courage de tirer la sonnette d’alarme ?

Lui, Ariel, si pragmatique de prime abord, cet adolescent à l’écoute de tous et apte à comprendre les situations les plus complexes, n’avait pas su voir les signaux. Il n’avait pas saisi l’évidence – se baigner dans un Lac gelé au beau milieu de l’hiver n’avait rien d’anodin. Ne prévenir personne n’était pas moins anormal, d’ailleurs. Son inconscient savait ; c’était une évidence. Mais il avait été tellement aveugle sur ce qu’il se passait, tellement focalisé sur sa douleur et son incapacité à l’accueillir, tellement concentré sur les feuilles qui volaient et sur les masques des Mangemorts, qu’il n’avait rien vu venir. Se baigner dans le Lac était devenu une habitude, au même titre que lorsqu’il survolait les noms de ses manuels de Métamorphose pour se rassurer. C’était devenu mécanique, machinal. C’était allé trop loin.

Et il avait fallu qu’il se fît copieusement engueuler par Eileen King pour qu’il s’en rendît compte.

— T’es la première personne à qui j’en parle de moi-même et… et ça me fait peur, croassa-t-il.

Sa fragilité l’étourdit un peu. Ses aveux le mettaient encore plus à nu que ce qu’il n’avait anticipé.

Jules, immobile comme une statue depuis qu’il avait commencé à parler sans détour, s’anima soudain. Son corps se détendit à une vitesse improbable et elle se jeta dans ses bras. Le contact fut si inattendu, si spontané, qu’Ariel ne put réagir autrement qu’en ouvrant grand les yeux. Une vague de chaleur grandit dans son ventre, envahit sa poitrine et se diffusa jusque dans sa gorge. Il avait oublié comme le contact humain pouvait être réconfortant.

— Idiot, bien sûr que non, je ne vais pas te fuir !

L’étreinte était puissante, et il lui sembla qu’ils se transmettaient toutes les émotions, tout le soutien et toute la présence qu’ils n’avaient pas pu exprimer ces derniers mois. Ariel enfouit sa tête dans le cou de son amie, respira son odeur familière, et finit par refermer les bras autour de son corps.

Oui, il avait définitivement besoin d’être protégé. À ce moment-là, il accepta d’être cette petite chose sans défense qui réclamait le soutien de sa meilleure amie, cet être vulnérable qui cherchait désespérément une main tendue.

— Oh, Arie, fit Jules, et il sentit l’humidité de ses larmes.

Elle frotta sa joue contre sa robe de sorcier, et Ariel sourit. Même dans les situations les plus sombres, Jules était toujours aussi fière.

Ils restèrent dans cette position un moment, et les battements du cœur d’Ariel finirent par s’apaiser. Il n’avait pas envie de bouger. Leur étreinte lui faisait l’effet d’une bulle hors du temps, une bulle protectrice qu’il n’avait pas envie de briser, une bulle dans laquelle toutes leurs confidences seraient en sécurité.

Un mouvement de la poitrine de Jules lui indiqua qu’elle inspirait profondément.

— Est-ce que… est-ce que tu as envie de… mourir ? demanda-t-elle d’une voix mal-assurée, juste avant de se reprendre en le repoussant légèrement : Non, non, c’est ridicule, tu es vivant et tu vas le rester !

La véhémence de son amie le fit rire, un peu, malgré la lourdeur de sa question. Une question à laquelle il avait beaucoup réfléchi depuis sa rencontre avec Eileen et Sessho, d’ailleurs. Certains événements forcent la réflexion.

— Je crois pas, dit-il lentement, malgré les craintes évidentes de Jules qui ne semblait pas vouloir de réponse. Je peux pas dire que c’est l’envie de mourir qui me guide vers le Lac. Juste… Un besoin de faire le vide, de faire le calme. Dans ma tête et autour de moi.

Il leva les yeux au plafond, cherchant ses mots.

— J’ai souvent envie de tout mettre sur pause, d’hiberner jusqu’à ce que ça aille mieux, ou même de disparaître un moment… Mais je pense pas qu’on puisse qualifier ça d’avoir « envie de mourir ».

Il fit la moue. Ses mots n’étaient sûrement pas très rassurants. Ils traduisaient ce qu’il ressentait au plus profond de lui-même, certes – il avait, de fait, envie de disparaître assez régulièrement. Mais dans sa conception des choses, c’était très différent de l’envie de se tuer. Jules comprendrait-elle la nuance ?

Un picot de regret lui tordit l’estomac, mais maintenant qu’il avait commencé à se confier, il fallait qu’il aille jusqu’au bout. Au fond de lui, il savait que la guérison ne serait possible qu’à cette condition.

Jules lui encadra le visage avec les mains. Ses yeux brillaient d’une détermination familière, celle qui l’animait lorsqu’elle s’engageait dans ces combats si importants pour elle.

Sauf que cette fois, le combat, c’était lui. Et sa propre vie, supposa-t-il.

— Regarde-moi, Ariel Melwing, martela-t-elle. Tu es fort, tu es courageux, tu es intelligent, créatif, amusant, et par-dessus tout : unique !

Ariel leva un sourcil face à cet étalage de qualité. À son avis, le mot amusant n’était pas tellement le plus approprié - ni par ailleurs le terme courageux -, mais Jules ne lui laissa pas le temps de protester :

— Tu es la plus belle âme que j’ai rencontrée ! Croiser tes bouclettes violettes égaie chacune de mes journées dans ce château et je te promets que pour toi aussi la joie va revenir ! D’une manière ou d’une autre, c’est obligé !

Le jeune Serdaigle émit un drôle de bruit, à mi-chemin entre le gloussement et le sanglot. Sa gorge sembla gonfler et sa poitrine brûler.

— Je ne sais pas à quel point c’est sombre pour toi là-dedans, poursuivit-elle plus calmement en se saisissant de ses mains. Mais j’ai besoin que tu croies en des jours meilleurs avec la même force que moi.

Ariel enfonça sa tête dans ses épaules. Elle y croyait peut-être, mais cette fois, son espoir était moins communicatif. Car il savait comment ça fonctionnait : parfois il allait à peu près bien – ou en tout cas, il ne touchait pas le fond -, mais il s’agissait d’accalmies aussi brèves que douloureuses. Le soir tomberait et ses démons le rattraperaient pendant la nuit. Et s’ils le laissaient tranquille pour quelques heures, alors ils surgiraient le lendemain.

Il ferma les yeux, qu’il sentit se remplir de larmes à nouveau. Il ne la méritait pas.

— On va trouver l’interrupteur ensemble, continuait Jules. Et je ne te lâcherai plus d’une semelle jusque-là, tu entends ? Quitte à t’accompagner dans tes baignades si tu ne m’en laisses pas le choix, mais hors de question que tu y retournes seul ! Je suis là et tu peux compter sur moi, mon Arie.

À ses mots, le jeune garçon serra les mains de Jules convulsivement. La perspective même de la voir se baigner dans une eau à cinq degrés l’horrifia ; un fourmillement envahit sa bouche, et il serra les paupières de toutes ses forces pour endiguer la panique qui commençait à l’envahir. La chaleur des mains de Jules l’aida un peu à reprendre pied. Lorsqu’il ouvrit les yeux, le couloir lui parut flou, bleu, loin de ses contours habituels. L’appel du Lac se fit sentir ; il s’accrocha au contact de son amie comme à une ancre et sa respiration se fit lourde, douloureuse.

— Aucune chance que tu m’accompagnes dans le Lac, lâcha-t-il d’une voix lointaine.

Il fallait qu’il reprenne contenance, qu’il se concentre sur autre chose que les battements trop rapides de son cœur, sa respiration irrégulière ou les fourmis qui remuaient dans ses mains.

À la place, il se plongea dans les yeux de sa confidente. Deux orbes bleutés, qui l’accompagnaient depuis deux ans. Ils brillaient de leur détermination habituelle, avec quelque chose de plus, une inquiétude qu’elle n’avait pas d’ordinaire, peut-être. Et une vitalité qu’il était difficile d’ignorer.

La confiance qu’ils dégageaient finit par le calmer un peu, et il put se reconcentrer sur ses sensations sans prendre le risque d’hyperventiler. La douleur dans la poitrine persistait, mais au moins il n’allait pas se mettre à convulser.

— Désolé, fit-il faiblement. C’est t’imaginer dans le Lac, là…

Il n’acheva pas sa phrase. Inutile, supposa-t-il.

— Je sais pas ce que je ferais sans toi, chuchota-t-il à la place.

Il remua, lâcha les mains de Jules et agrippa le bord de sa robe. La panique était encore là, à la lisière de sa vision, prête à débouler si Ariel lui en laissait la possibilité. Il se leva, fit quelques pas, fit demi-tour. Le mouvement l’aida à se recentrer un peu.

— Je veux bien essayer, finit-il par dire, même si le chemin lui parut sans fin. Mais… je sais pas si j’en suis capable. Je sais pas s’il y a un interrupteur.

Il courba l’échine.

— Ça me paraît tellement difficile, tellement long… J’ai mis trois mois à t’en parler, et ça m’a donné l’impression d’être le plus sombre des crétins. Et en parler à d’autres personnes, ça me semble inenvisageable. Je suis pas prêt pour ça. Je suis pas prêt pour faire face à tout ça. Je saurais même pas par où commencer !

Des bribes de leur dispute avec Eileen et Sessho lui revinrent en mémoire. Si eux ne parvenaient pas à cicatriser, pourquoi lui, un enfant perdu de treize ans, guérirait-il ?

— Il y a des gens bien plus forts que moi qui se laissent sombrer, avoua-t-il. Qui vivent avec ce fardeau, et qui font semblant que ça va bien quand ils sont en public. Et tu sais, j’ai l’impression que ce serait plus facile si je faisais comme eux.

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Mer 10 Jan 2024 - 10:52



La pluie au bout du couloir
Feat. Ariel Melwing

Vendredi 1er décembre 1995


- Je crois pas. Je peux pas dire que c’est l’envie de mourir qui me guide vers le Lac. Juste… Un besoin de faire le vide, de faire le calme. Dans ma tête et autour de moi.

« Un peu comme lorsqu’on joue au Quidditch ? » aurait voulu demander Jules. Mais elle savait que son ami n’était pas un adepte de ce sport et que pour lui, ce n’était probablement pas un moyen de faire le vide et de calmer l’esprit. Mais si la sensation que le Serdaigle ressentait en plongeant dans le lac était la même que celle de la Gryffondor lorsqu’elle montait à balai, alors peut-être qu’elle pouvait comprendre ce qu’il lui expliquait. Mais ne pouvait-il donc pas trouver une activité moins dangereuse pour éprouver cette sensation ? À cette pensée, Jules ne put que le comprendre davantage encore : ce qui était dangereux ou prohibé ne faisait que décupler le plaisir procuré. Ça faisait aussi partie de ce pourquoi elle aimait tant le Quidditch : c’était un sport pourvu de nombreux de risques.

- J’ai souvent envie de tout mettre sur pause, d’hiberner jusqu’à ce que ça aille mieux, ou même de disparaître un moment… Mais je pense pas qu’on puisse qualifier ça d’avoir « envie de mourir ».

Malgré le poids de cette confidence, Jules ne voulut pas non plus voir ça comme une envie de mourir. Non, c’était une grande fatigue, comme lorsque l’on traversait un long hiver et en plus, ils étaient en plein dedans. La pluie ne cessait guère de heurter les carreaux et Jules aurait aimé y voir des flocons à la place, moins mélancoliques. L’hiver débutait à peine et le printemps était encore loin, mais il finirait par arriver. C’est cet espoir-là qu’elle tenta d’insuffler à son meilleur ami lorsqu’elle reprit la parole.

Mais lorsqu’elle évoqua le lac, elle sentit une pression soudaine sur ses mains et une ombre sembla surgir par-dessus les épaules du garçon. Ses paupières s'étaient fermées avec force, faisait des plis dans sa peau fine, et sa poitrine se soulevait plus rapidement. Ariel luttait contre la panique. Jules n’osa dire un mot de plus et se contenta de caresser doucement de ses pouces le dos de ses mains. Il finit par rouvrir les yeux, puis par dire :

- Aucune chance que tu m’accompagnes dans le Lac.

- Non, on n’ira pas au lac, Arie, répondit doucement la Murphy.

Elle ne le quittait pas des yeux, offrant ses pupilles comme ancre puis, chuchota :

- C’est fini.

Seconde après seconde, elle voyait la conscience du Melwing revenir dans son regard vague.

- Respire.

Tout en disant cela, elle tâchait de garder sa propre respiration calme, profonde et régulière comme si, par le contact de leurs mains et de leur regard, elle pouvait l’inviter à la rejoindre sur son rythme.

- Désolé, c’est t’imaginer dans le Lac, là… finit-il par se justifier. Je sais pas ce que je ferais sans toi.

- Et moi non plus, répondit-elle comme une évidence.

L’Aiglon lâcha les mains de la rouquine. Avait-il besoin d’air ? Avait-il besoin d’espace ? Puis, il se leva et effectua des allers-retours machinaux dans l’impasse du couloir. Jules se réinstalla confortablement en aplatissant son dos contre les coussins et en déposant ses avants-bras sur ses genoux fléchis, puis laissa les allées et venues du garçons absorber ses pupilles.

- Je veux bien essayer, reprit Ariel. Mais… je sais pas si j’en suis capable. Je sais pas s’il y a un interrupteur. Ça me paraît tellement difficile, tellement long… J’ai mis trois mois à t’en parler, et ça m’a donné l’impression d’être le plus sombre des crétins. Et en parler à d’autres personnes, ça me semble inenvisageable. Je suis pas prêt pour ça. Je suis pas prêt pour faire face à tout ça. Je saurais même pas par où commencer !

- Doucement, Arie, doucement, tenta de temporiser Jules, se surprenant à endosser assez naturellement un rôle qui était pourtant à l’opposé de son tempérament.  

C’était un peu ça, leur amitié, une complémentarité telle, qu’ensemble, leur rôle pouvait s’inverser selon les besoins, tout simplement, sans même y réfléchir. Si c’était en général Ariel qui canalisait Jules dans sa fougue, ce jour-là, c’était Jules qui puisait dans le calme de l’instant pour apaiser Ariel dans l’impétuosité de ses tourments.

- T’es obligé à rien, tu sais ? ajouta-t-elle.

Mais l’entendait-il seulement dans le tourbillon de ses noires pensées ?

- Il y a des gens bien plus forts que moi qui se laissent sombrer, confia-t-il d’un ton plus grave. Qui vivent avec ce fardeau, et qui font semblant que ça va bien quand ils sont en public. Et tu sais, j’ai l’impression que ce serait plus facile si je faisais comme eux.

- Eh bien alors, pourquoi pas ? réagit spontanément la Lionne. Je ne vois pas de mal à faire semblant, si c’est ce qu’il y a de plus facile. Puis parfois, à force de faire semblant, on arrive même à se convaincre nous-même !

Elle chercha un exemple, puis reprit :

- Regarde toutes les infractions que je fais dans cette école : tu crois que je ne ressens jamais d’appréhension ? Jamais de peur d’être sanctionnée, voir même, d’être renvoyée ? Oh que si, pourtant ! Mais je fais tout le temps semblant d’être hyper relax et confiante, et ça marche !

Elle ne savait pas bien à quel point son argumentaire était convaincant, d’autant plus que son exemple personnel n’était sûrement pas très parlant pour le Serdaigle qui faisait partie, avec Oscar, des éternels réticents du groupe à chaque concoction de bêtises. Elle continua tout de même, souhaitant pousser son idée jusqu’au bout.

- En fait, je crois bien que faire semblant, ça m’aide à dédramatiser. Alors, fais semblant, si toi aussi ça t’aide. Et quand ça t’épuise, arrête. Écoute-toi et t’es pas obligé de te justifier auprès des autres. Puis, moi, je sais maintenant, donc si t’as besoin d’enlever le masque et de t’exprimer, je suis là. T’as besoin d’en parler à personne d’autre, ça peut rester notre secret et je te promets que ce sera le secret le mieux garder de tous les temps !

Elle avait gaffé une fois, mais pas deux.

- Promis, appuya-t-elle d’une voix presque solennelle.

Elle se leva à son tour.

- Est-ce que ça te va comme plan d’action ? Quand c’est plus facile, tu fais semblant, quand ça l’est pas, tu fais plus semblant mais t’es pas pour autant obligé de parler. Et si tu as besoin de parler, tu viens vers moi. Deal, Arie ?

Elle avait brandi son auriculaire.

- Moi, je vais plus te lâcher d’une semelle maintenant, de toutes façons.
☾ anesidora
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