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[15/11/95] Gambit accepté ? | Elvý & Andrée

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Lun 25 Jan 2021 - 21:39



Gambit accepté ?
☽ Elvý & Andrée ☾


Mercredi 15 Novembre 1995

Les rues de Londres avaient quelque chose de profondément ennuyeux sans la pluie qui pianotait sur ses dalles. C'était la réflexion que se fit l'Islandaise en remontant le Chemin de Traverse jusqu'au Chaudron Baveur. Habituellement, Londres, c'était les notes orageuses dans le silence, les zébrures découpant le paysage urbain, l'air humide suant des murs de pierre, les flaques écrasées par un déluge de bottes et les parapluie vagabondant dans leur anonymat morose. Londres, c'était ce gris pluvieux. Aujourd'hui, Londres n'était que gris. Sans sa poésie coutumière, sans sa mélancolie esthétique. Pas une seule goutte d'eau.

Lorsqu'Elvý sortit du Chaudron Baveur pour rejoindre la partie moldue de la capitale, la masse nuageuse était toujours aussi épaisse et sèche, et même le soleil ne semblait pas autorisé à déranger cette monotonie céleste avec le moindre de ses rayons. Passer d'un monde à l'autre avait presque fait espérer à la sorcière un changement météorologique. Mais Londres ne faisait pas dans la discrimination : moldus ou sorciers, tous avaient le droit à son ennui gris.

Le pas léger et rêveur malgré ce temps qui ne lui plaisait guère, la voyageuse boréale mit un peu plus d'un quart d'heure à rejoindre sa destination. La façade familière de l'Edelweiss lui apporta le réconfort d'un moment de repos en bonne compagnie. Il était quatorze heures passé et elle sortait tout juste du boulot. Elle ne se plaignait pas de son job, travailler en animalerie magique était aussi enrichissant que plaisant. Mais parfois, aussi, épuisant. D'autant plus avec son rythme de sommeil cataclysmique. Alors, l'idée de retrouver ses repères le temps d'un après-midi lui avait plu. Johann et Chiyo valaient bien une balade sans pluie.

Heure creuse, l'auberge était calme. Elvý traversa la salle jusqu'au bar, un large sourire accompagnant son geste de la main à l'adresse de Chiyo. Les deux femmes prirent des nouvelles l'une de l'autre, ravies de se voir, puis la plus jeune demanda si Johann se trouvait dans les parages. La gérante des lieux lui répondit à l'affirmative, seulement, il était occupé. Johann était tout le temps occupé, pensa alors Elvý en roulant des yeux. Tant pis, elle l'attendrait un peu et sinon, repartirait. Puis, Chiyo savait combler l'ennui avec ses conversations riches et variées, tout comme avec le délicieux burger qu'elle lui servit. La Njállsdóttir était affamée.

Vers quinze heures et demie, Chiyo s'excusa de devoir délaisser Elvý, elle avait à faire dans la réserve et l'absence de client était l'opportunité de s'en occuper. Ou plutôt, l'absence de nouveaux-venus, car il y avait en réalité quelques tables occupées par des sorciers tuant le temps à leur manière. L'un s'endormait à moitié devant sa lecture de la Gazette du Sorcier qui affichait en premier page l'intitulé : «ENQUÊTE EN COURS : LES TRUBLIONS D'HALLOWEEN BIENTÔT DÉMASQUÉS ». Démasqués, c'était le mot, songea Elvý. Johann lui avait résumé ce qu'il s'était passé, ou du moins, ce à quoi il avait assisté dans les rues de Pré-au-Lard ayant été victimes des facéties de la nuit. Des masques, des sorts, une explosion, des blessures. Puis, les jours suivants, des gros titres et une pluie de lettres. Elle aussi en avait reçu une, la veille seulement. Une convocation au Ministère de la Magie ce samedi. Elle ne s'y était jamais rendue. Le grand hall était-il aussi impressionnant qu'on le lui avait décrit ? Se perdrait-elle dans les dédales de couloirs et d'ascenseurs ? La salle où elle devait se rendre la piégerait-elle de questions incessantes auxquelles elle n'aurait probablement aucune réponse à fournir ?

À une autre table, deux sorciers aux crânes dégarnis et grisonnants - selon la zone -, s'affrontait dans une partie d'échec sorcier depuis plus d'une heure à présent. Ou peut-être avait-il déjà enchaîné plusieurs parties ? Elvý ne saurait dire, leurs visages peints de rides affichaient déjà cette mine concentrée lorsqu'elle avait pénétré le bar, il y avait une heure trente de cela. Avaient-ils mis autant de temps pour en arriver à ce damier dépourvu de la moitié de ses pièces ? L'Islandaise n'y connaissait rien en échecs et il ne lui semblait pas y avoir déjà joué un jour. Du moins, rien de ce jeu ne lui paraissait familier, pas même les règles qui se matérialisaient en point d'interrogation dans son esprit à mesure qu'elle observait le jeu de loin. Intriguée, elle se leva et s'approcha à pas silencieux de cette bulle méditative pour se poster en public devant la table. Un bras croisé sur son buste et l'autre replié pour venir offrir un appui à son menton, la posture et les traits de la sorcière se laissèrent influencés par l'aura concentrée qui émanait de cette confrontation placide. « Dame en H4 », tonna finalement l'une des deux voix, celle à sa gauche. Une pièce majestueuse se déplaça d'elle-même sous le regard admiratif d'Elvý. L'incompréhension avait quelque chose de fascinant. L'homme assis à droite poussa une longue expiration en passant sa main sur sa barbe d'un air sceptique. « Gambit accepté », soupira-t-il à mi-voix. « Tour en H4 ». La Tour s'avança sur le son d'une porte qui s'ouvre et la Dame s'effondra sur celui d'une porte qui se referme. Elvý releva la tête.

Mais ce ne fut pas Johann qu'elle vit arriver du couloir du fond de l'auberge. Une femme. Silhouette longiligne, droite, fière, élégante, noble. Elle dégageait quelque chose de particulier dans sa démarche assurée. Était-elle pensionnaire actuelle de l'auberge ? Ou sortait-elle d'une entrevue professionnelle avec Johann ? Ou peut-être, d'une entrevue... pas tout à fait professionnelle ?

L'ennui était créateur d'idées. L'ennui était créateur d'envies. Et bien que la partie d'échec ait réussi à distraire la Scandinave pendant quelques minutes, l'incompréhension du jeu éclipsait déjà son intérêt. Alors, son regard resta accroché à l'inconnue jusqu'à ce que les prunelles glacées de cette dernière croisent les siennes. À ce moment précis, les commissures d'Elvý s'étirèrent en un sourire qui voulait dire « attends, reste un instant ».

- Salut, fit-elle. Dis-moi, que penses-tu de la stratégie du Gambit ?

Avait-elle bien prononcé le mot « Gambit » ou son accent islandais avait-il fait fourcher sa langue ? En tout cas, elle n'avait aucune idée de ce dont elle parlait et c'était précisément ça qui l'amusait. Sous ses airs concentrés, la malice s'impatientait de déformer ses traits.

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Lun 8 Mar 2021 - 20:28
Gambit accepté ?
ft. Elvý Njállsdóttir
La Boutique était déserte. Cela arrivait parfois et ne manquait jamais de l'inquiéter : avec l'augmentation des prix de certains articles et le changement de fournisseurs, Andrée avait l'impression d'avancer sur des chardons. Patterson lui avait plusieurs fois signifié que les comptes étaient serrés. Sans être mise en danger – le patron tenait trop à la localisation du magasin de Pré-au-Lard -, la filiale tanguait. Plusieurs conséquences pouvaient en découler, mais celle qui dérangeait le plus Andrée tenait en la restriction des libertés de son emploi du temps. Elle pouvait fermer la Boutique quand elle le voulait pour vaquer à ses occupations secondaires ; si Patterson lui enlevait cette fluidité, les choses se compliqueraient sans doute.

Every cloud has a silver lining1, se martela-t-elle – un credo qu'elle avait appris très jeune. L'un des premiers qu'on lui avait inculqué lorsqu'elle était arrivée en Angleterre, en fait. Il fallait croire que le refus de l'échec était une qualité reconnue chez les Leigh. Dans ce cas précis, elle ne discernait pas vraiment de positif, mais elle allait trouver.

Comme toujours.

Andrée jeta un œil à l'horloge qui surplombait une étagère. Un cadran en forme d'étoile en bois foncé qu'elle avait choisi parce qu'il lui évoquait la badiane. La plupart de ses potions en contenait ; un excellent moyen pour atténuer le goût atroce de certaines mixtures, même si le condiment était d'origine moldue.

L'horloge affichait 14h45. Il fallait y aller. Il fallait qu'Andrée quitte sa douce torpeur pour affronter ses obligations. Les visites qu'elle rendait à Johann Kayser n'étaient pas si éprouvantes que cela, mais elle avait du mal à cerner son client. Malgré la dette qu'elle avait contractée auprès de lui, malgré l'admiration qu'il lui inspirait et le réseau qu'il avait construit, elle ne pouvait s'empêcher de se méfier. Elle tenait toutefois aux bonnes relations qu'elle entretenait avec. Baisser les prix de ses marchandises et de ses potions était une façon de le remercier de lui avoir sauvé la vie, mais aussi de s'assurer ses bonnes faveurs.

Même si, elle n'était pas stupide, Johann Kayser n'avait pas besoin d'elle. N'aurait jamais besoin d'elle. Pas autant qu'elle le souhaitait.

Ressassant ces encourageantes pensées, elle transplana dans un entrepôt. Une ruine de taules et de plaques de béton, assez étanche pour protéger les lieux de la pluie, bien trop délabrée pour susciter les convoitises. Inconnue au bataillon. Son nom n'apparaissait nulle part sur les actes de propriété et de location. Officiellement le bâtiment avait appartenu à un ancien agriculteur moldu, mort depuis longtemps, légué à une obscure famille qui ne se préoccupait pas beaucoup de cette parcelle de terrain abandonnée. Andrée avait fait le nécessaire pour s'en accaparer les droits dans l'anonymat le plus dense. Le rendre incartable avait été difficile à mettre en place mais pas impossible : si l'on savait chercher, beaucoup de portes pouvaient s'ouvrir.

Factures, documents confidentiels et ingrédients illégaux y étaient rangés, classés et méticuleusement détruits une fois qu'ils étaient devenus obsolètes. Malgré sa répugnance à s'exposer ainsi, Andrée se consolait : ces pièces existaient, elle devait juste veiller à ce qu'on ne les trouve jamais.

Le visage fermé, elle entreprit ses préparatifs.


Andrée ressortit du bureau de Kayser une demi-heure après le début du rendez-vous. 15h30, annonçait la montre de la sorcière. L'appel hurlant de la Boutique résonnait dans sa conscience. La lassitude pulsait, plus puissante que jamais.

Il y avait des temps où la perspective de tout lâcher était irrésistible. Partir et se construire une nouvelle vie, loin des faux semblants, loin des difficultés. Loin de l'illégalité. C'était trop grand, trop dur. Trop de risques et trop de responsabilités.

Dans ces moments-là, c'était la petite Andrée de Kerimel qui se manifestait. Une gamine de onze ans, perdue, répartie à Serpentard sous ses supplications, en équilibre constant sur un fil qui menaçait de rompre. Une fillette au bord de la rupture, perpétuellement, sans trêve, sans espoir, sans joie et sans enfance.

Andrée soupira, fort, longtemps, se passa une main sur le front, pinça les lèvres et ferma les yeux. Elle les rouvrit. Et ce fut fini. Pas d'autre manifestation extérieure de sa brève perte de contrôle que ces taches de rousseur qui ressortaient quand la fatigue prenait le dessus. No pain no gain2. C'étaient bien les mots qu'on employait, dans ce genre de situation, non ?

Lorsqu'elle pénétra dans la salle principale de l'Edelweiss, toute trace d'accablement avait disparu. Andrée promena son regard froid sur l'assemblée. Il n'y avait presque personne ; pas grand-chose d'intéressant, non plus. Elle caressa l'idée de s'installer à une table. De se commander un verre – peut-être du vin rouge, ou plutôt un irish coffee, plus réconfortant. Plus en accord avec les humeurs qu'elle continuait de ressasser.

Elle ne s'installa à aucune table, ne commanda aucune boisson. Détournée de cette délicieuse alternative par son insupportable conscience professionnelle, elle renonça à son idée aussi vite qu'elle avait surgi. Son regard passa sur une jeune femme esseulée sans la voir puis elle gagna l'entrée à grandes enjambées. Plus vite s'éloignerait-elle des tentations moins pénible serait la soirée.

— Salut, entendit-elle dans son dos – Andrée s'arrêta net, en suspension sur ses hauts talons. Dis-moi, que penses-tu de la stratégie du Gambit ?

Plus que l'accent qui perçait les mots de son interlocutrice, ce fut la façon dont elle l'aborda qui surprit Andrée. Personne ne l'avait jamais alpaguée avec le nom d'une stratégie d'échecs. C'était terriblement ringard et très loin des conduites dont elle avait l'habitude.

Elle se retourna néanmoins. La jeune femme qui lui faisait face était jolie, mais ce fut le magnétisme qui s'en dégageait qui la retint. Pour une raison ou pour une autre, les yeux de l'inconnue la captèrent. Son attitude, sa façon de l'observer. Mi-figue mi-raisin. Ils l'empêchèrent, en tout cas, de l'ignorer – comme à son habitude, le dédain avait d'abord sorti ses griffes. Andrée n'aimait pas les nouvelles rencontres. Elles étaient plus davantage synonymes de mises en danger que de moments partagés, et il ne fallait y voir aucune aigreur de sa part.

Les yeux noirs d'Andrée accrochèrent deux joueurs d'échecs quelques tables plus loin.

— Je ne l'ai jamais aimée, admit-elle en haussant les épaules.

Elle se pencha vers la jeune femme, une nuance presque complice dans la voix, beaucoup de cynisme surtout :

— J'ai toujours eu du mal avec les sacrifices.

Se redressant, son paquet de cigarettes apparut dans ses mains. Fruit d'un rituel bien rodé, la tige de tabac fut allumée, l'odeur âcre emplit l'espace et un air de pleine satisfaction emprunta les traits d'Andrée. À sa grande honte et son plus grand bonheur, plus qu'un accessoire de mondanité, la cigarette était devenue un véritable objet de convoitise. Elle aimait son goût, elle aimait fumer.

En attendant la réponse de l'inconnue, Andrée lui proposa le paquet ouvert d'un geste alambiqué. D'expérience, elle savait que fumer était plus jouissif en société.

Would you accept a cigarette3, mademoiselle4 ?
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(1) Le mauvais a toujours une part de bon.
(2) Pas de victoire sans douleur.
(3) Accepteriez-vous une cigarette ?
(4) En français quand Andrée le dit.

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Sam 13 Mar 2021 - 20:51



Gambit accepté ?
☽ Elvý & Andrée ☾


Mercredi 15 Novembre 1995

Il y avait un charme singulier dans le fait d'accoster des inconnus par une question inattendue. Que ce soit dans la rue, dans un bar, en soirée, en journée, en ville ou dans un coin paumé. Chaque contexte proposait une myriade de situations hypothétiques, il ne suffisait que de les provoquer. Et Elvý se plaisait à débuter les conversations comme personne d'autre ne le faisait.

- Dis-moi, que penses-tu de la stratégie du Gambit ? avait-elle demandé sans même comprendre ses propres mots à la sorcière ayant émergé du fond de l'auberge.

Chaque rencontre était pour elle un challenge, un mystère à dépoussiérer derrière des traits inconnus, une énigme à déchiffrer à travers des réactions suscitées, une langue nouvelle à apprendre en quelques réponses spontanées. Les rencontres hasardeuses, c'était le charme d'un élan qui provoquait l'inattendu. Un élan simple mais qui pouvait pourtant paraître si ambitieux dans cette société où elle évoluait. Aborder les gens sans raison, ça pouvait paraître envahissant comme comportement, perturbateur voir impertinent. Pourtant, elle, elle y voyait de la joie, des découvertes et du partage. Peut-être qu'elle aussi avait parfois la boule au ventre avant de se lancer, parcourue par la crainte d'échouer, de se faire narguer par le silence et l'arrogance. Mais en réalité, elle avait appris à faire de ces craintes ses alliées qui, de plus en plus avec le temps, la stimulaient.

Puis, elle avait aussi compris que ce n'était qu'en s'effaçant elle-même de son esprit que les autres y trouveraient davantage de place. Peu importait ce dont elle avait l'air, ce qui l'intéressait, c'étaient eux. Eux, ces autres, eux, cette diversité si vaste qui l'entourait et qui pouvait tant l'enrichir. Peut-être que les rencontres, c'étaient ça : s'oublier soi pour aller vers l'autre. Alors, dans un monde de plus en plus égocentré, pas étonnant que la spontanéité sociale s'émiette au fil des années.

Mais, à qui le reprocher ? L'égocentrisme était l'une des racines du genre humain, et s'en détacher complètement - si toutefois cela s'avérait possible-, paraissait tout à fait insensé. Qu'adviendrait-il de l'individu, si l'on lui ôtait son ego ?

- Je ne l'ai jamais aimée, attesta l'inconnue avec une nonchalance pourvue d'élégance.

L'air concentré dont s'était faussement parés les traits de la Scandinave s'effila peu à peu sous la curiosité qui parcourait son regard. Celui-ci était suspendu au visage fin de la brune, attendant avec avidité la suite de la réponse qui se manifesta d'abord par un léger rapprochement de cette dernière, amenant les contours de la confidence. Le coin relevé de sa bouche délivra ensuite son aveu cynique :

- J'ai toujours eu du mal avec les sacrifices.

Elvý ne se retint pas d'afficher son étonnement mêlé de satisfaction par un sourire en coin. Ses pupilles se focalisèrent davantage encore sur cette femme qui, en une phrase, s'était déjà bien plus dévoilée à elle que si elle lui avait révélé son âge ou sa profession. Dès lors, elle sut qu'elle venait de provoquer une rencontre singulière et tout à fait captivante. Madame n'aimait donc pas les sacrifices. Ne parlions-nous pas d'ego, tout à l'heure ?

- Hm, intéressant, répondit Elvý sans détacher ses yeux de ceux de l'inconnue.

Ils étaient d'une sombreur abyssale et semblaient détenir mille secrets. Mais ils dévièrent quant à eux vers un paquet de cigarettes ouvert d'un geste habile. La femme s'en alluma une avant de présenter le paquet à Elvý.

- Would you accept a cigarette, mademoiselle ?

L'accent français était parfait. Et de deux. Deux détails dévoilés en trois phrases : cette femme n'était pas du genre à se laisser marcher dessus et elle avait probablement des origines françaises. Elvý souhaitait en savoir davantage encore. Mais d'abord, elle se devait bien de semer à son tourvdes indices.

- Avec plaisir, ungfrú1, accepta-t-elle en faisant, tel un reflet, vibrer son propre accent sous sa langue experte.

Elle inclina sa tête en signe de remerciement et se saisit d'une cigarette qu'elle alluma à son tour d'un coup de baguette. Elle aspira la première bouffée en reportant son attention sur le jeu. L'action qui se déroulait échappait totalement à sa compréhension, néanmoins, elle reconnut sans mal le sens du mot « Échec » lorsqu'il fut prononcé par l'homme à la gauche. Celui qui avait sacrifié sa dame. L'effet du fameux Gambit avait donc été rapide. Elvý expira la fumée de ses poumons en désignant le plateau de jeu de son index et de son majeur qui étreignaient ensemble le tube de tabac.

- La stratégie a l'air de marcher. Regarde, le roi opposé est à présent en échec, dit-elle d'un air expert alors qu'elle ne connaissait pas plus les règles du jeu qu'à la minute précédente.

Elvý, elle aimait faire semblant, simuler, convaincre, plaisanter, s'amuser. C'était un jeu, un passe-temps, elle ne se prenait jamais vraiment au sérieux. Mais, visiblement, sa nouvelle rencontre s'y connaissait vraiment en échecs, elle. Alors, elle pouvait soit continuer d'alimenter l'illusion jusqu'à se faire démasquer, soit ruser en déviant subtilement le sujet.

- Mais est-ce qu'un roi vaut vraiment de tels sacrifices ? demanda-t-elle en redirigeant ses iris vers l'inconnue.

Les métaphores et sous-entendus étaient un domaine qu'elle maîtrisait déjà bien mieux et elle savait déjà que sa vis-à-vis n'était pas en reste de ce côté-là non plus. Elle amorça un geste en direction du bar où était posé un cendrier et, tout en s'en approchant, elle continua :

- Se sacrifier est une chose. Mais pour qui ? Ou pour quoi ? Qu'est-ce qui en vaut vraiment la peine ? C'est peut-être ça, la véritable question.

Elle reprit place sur le tabouret qu'elle avait abandonné plus tôt et se tourna vers la femme. Son sourire pétilla de malice.

- Elvý, enchantée.

Elle tendit sa main droite devant elle, tandis que sa gauche vint dégarnir son tube d'un maigre amas de cendres. La cigarette revint ensuite s'insérer entre ses lèvres. Dans ses yeux, l'on pouvait presque apercevoir la curiosité qui scintillait au-devant d'un ennui déjà oublié.

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Elvý Njállsdóttir
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Mar 4 Mai 2021 - 23:11
Gambit accepté ?
ft. Elvý Njállsdóttir
Pour être tout à fait honnête, Andrée n’était pas très sûre de la raison pour laquelle elle avait proposé cette cigarette à l’inconnue. C’était d'ordinaire un rituel qu’elle initiait lors de ces moments où elle était contrainte de demeurer avec la même personne pendant un long moment. Lors d’entrevues professionnelle, par exemple, ou lorsque le barman de la Tête de Sanglier la tenait en joue pendant qu’elle attendait l’un de ses contacts non recommandables. Elle acceptait rarement de passer du temps avec autrui pour son plaisir.

Alors d’où sortait cette cigarette, d’où sortait ce paquet et d’où sortait cette amabilité surgie de nulle part ?

Would you accept a cigarett, mademoiselle ?, avait-elle prononcé, lui offrant son plus beau français sur le dernier mot.

— Avec plaisir, ungfrú.

Les années lui avaient appris que les inconnus résistaient rarement à ses touches frenchies, pour peu qu’ils fussent suffisamment fins pour les apprécier. À présent, elle devait bien avouer qu’elle-même devenait victime de son propre stratagème : peut-être avait-elle séduit cette femme, mais elle tombait dans un filet similaire.

Son éducation bourgeoise l’avait poussée à s’intéresser à de nombreuses cultures et à autant de langues étrangères. Souvent trop compliquées pour qu’elle n’en apprît plus que les mots principaux – merci, bonjour, au revoir -, Andrée entretenait pourtant suffisamment son oreille pour reconnaître les sonorités particulières à certaines d’entre elles.

Pays nordique, identifia-t-elle immédiatement. Lequel, c’était un mystère, mais la région du monde ne faisait aucun doute.

Une région du monde pour laquelle elle avait développé, au fil des années, une fascination particulière.

L’inconnue lui devint soudain plus sympathique.

— Je ne te ferais pas l’affront de te demander le sens de ce si joli mot, sourit Andrée.

L’un de ses rares sourires sincères. La jeune femme qui lui faisait face, si étrange dans sa manière de l’aborder, si bizarre dans sa manière de la jauger, avait attisé son intérêt. C’était peut-être la raison pour laquelle le tutoiement avait fusé, naturel. Un comportement si éloigné de l’attitude naturelle d’Andrée que la potionniste se sentit brièvement mal-à-l’aise.

Les deux joueurs d’échec lui offrirent une échappatoire bienvenue ; l’autre, le regard fixé dessus, semblait analyser la partie d’un œil vaguement intéressé.

Elle n’y connaît rien.

Elle n’observait pas les mouvements de la bonne façon, elle n’observait pas les pièces comme il le fallait. Ses yeux vagabondaient d’un coin à l’autre du plateau sans fixer les endroits stratégiques qu’un bon joueur aurait repéré.

— La stratégie a l’air de marcher, avança l’inconnue – Andrée nota l’utilisation incertaine du verbe, confirmant sa théorie. Regarde, le roi opposé est à présent en échec.

— Une chance, répliqua-t-elle. Que serait-il arrivé s’ils ne maîtrisaient pas cette stratégie ?

Elle n’avait plus envie de partir, à présent. La perspective de tester sa nouvelle connaissance, de fouiller un peu son caractère et de tenter d’en deviner les limites l’intéressaient davantage.

Et il y avait du vin rouge.

La carte de l’Edelweiss proposait une excellente sélection, qu'elle se plaisait à tester lorsqu'elle le pouvait. Rarement. La Boutique attendrait pour cette fois-ci – et puisque les clients ne se bousculaient pas à sa porte, elle en profiterait au moins cet après-midi-là. Andrée s’invita sur le tabouret libre qui jouxtait celui de l’inconnue, cala son sac à contre le bar et fit un geste de la main au serveur. Du doigt, elle lui indiqua son choix.

La jeune française observa sa vis-à-vis, les yeux plissés dans l’attente d’un nouvel indice. Le changement de sujet qui suivit lui montra que l’inconnue se savait percée à jour :

— Mais est-ce qu’un roi vaut vraiment de tels sacrifices ? énonça-t-elle finalement.

— Certainement lorsqu’on parle d’échec. Dans d’autres cas en revanche...

Elle trempa son verre dans le verre ballon qu’on venait de lui apporter, appréciant la saveur âcre et sucrée du breuvage. Son indépendance et sa solitude lui permettait de se préserver des remarques d’autrui sur sa manie de boire à des heures inappropriées ; elle se moquait de ces préjugés. Rien ne valait ces moments privilégiés, la plupart du temps seule, aux ambiances et aux énergies favorables, pour déguster un verre d’alcool. De vin, souvent, de quelque chose de plus fort, parfois. Elle réservait aux instants les plus doux la douce sensation d’un joint et de sa fumée douçâtre.

Andrée observa sa compagne du jour se délester de sa cendre, songeuse. Son accent était fascinant. Elle se demanda quelle était son histoire. Quelles étaient ses forces, ses peines et ses blessures.

— Se sacrifier est une chose. Mais pour qui ? Ou pour quoi ? Qu’est-ce qui en vaut vraiment la peine ?

Pas grand-chose, pensa la brune.

— C’est peut-être ça, la véritable question.

— Une question ma foi complexe, dit Andrée. Après tout, peu peuvent se vanter de s’être un jour sacrifiés. À moins que tu ne remettes en cause la notion de sacrifice, ... ?

La fin de la question resta en suspens, attendit d’être complétée. L’autre, perspicace et charitable, vint à son secours :

— Elvý, enchantée.

— Andrée, répondit-elle sur le même ton. Je constate que nous traînons toutes les deux nos origines dans nos prénoms.

La potionniste cendra à son tour, tira une longue bouffée de sa cigarette. Elle aimait les conversations lentes comme celles-ci. De celles où on pouvait profiter des nuances dans l’intonation et dans la voix, de celles où les mots avaient leur importance et où ils étaient beaux.

Elle n’avait pas envie de lui dévoiler son égoïsme. Pas encore. Pour une fois, pour une rare fois, elle préférerait mettre en avant les pendants jugés positifs de sa personnalité : son sens de la répartie, son intelligence, son écoute, son empathie. Ce qui faisait d’elle une interlocutrice de choix, ce qui faisait qu’on ne l'oubliait pas une fois quittée.

— Définissons le sacrifice, veux-tu, Elvý ? (Et en le prononçant, Andrée se rendit compte qu’elle adorait ce prénom.) Si on reprend le sens originel du mot, il désigne les martyrs. Au combat, pendant des actes religieux, qu’importe.

Elle désigna du menton la table des joueurs d’échec, qui avaient enchaîné sur une autre partie. Du coin de l’œil, elle nota que le perdant avait opté pour une autre stratégie. Vouée à l’échec. L’autre avait d’évidence plus d’expérience que lui.

Sourire narquois, mélodie moqueuse. Les échecs lui avaient toujours paru ennuyeux et dérisoires ; et dans son monde, les joueurs se sentaient si concernés qu’ils devenaient parfois violents. Pas d’agression publique, mais des piques venimeuses par derrière, des discréditations, et tout ce qui faisait la communauté étriquée des Sangs-Purs et autres nobles de Grande-Bretagne.

Et pourtant, elle s’y frottait parfois, car ils demeuraient le meilleur moyen de rencontrer du monde. Son monde. Celui qu’elle voulait conquérir et dominer.

— Dans leur cas, ils estiment sans doute que leur cause est sacrée. Un enfant qui cède son gâteau à un ami ne fait sans doute pas la différence entre l’heure de son goûter et le temps des croisades. Une femme qui accepte de renoncer à sa liberté pour le plaisir d’un homme se sent sans doute aussi valeureuse – ou malheureuse – qu’un héro de la mythologie grecque.

Elle-même n’avait jamais cédé son goûté ni sa liberté pour le plaisir d’un autre. La scandinave déchiffrerait-elle la vraie couleur de ses paroles ? Identifierait-elle les teintes dont se paraient son caractère ?

Andrée lui faisait confiance pour cela.

Les braises de la cigarette atteignirent la base du filtre, Andrée l’abandonna pour se saisir d’une autre. On consomme, on remplace.

— À ton avis, qui du joueur d’échec, de l’enfant ou de la femme a fait le plus grand sacrifice ?

Dans le cendrier, les volutes blanchâtres de la cigarette morte finissaient de mourir dans les airs.
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Andrée de Kerimel
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Andrée de Kerimel
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Jeu 20 Mai 2021 - 12:46



Gambit accepté ?
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Mercredi 15 Novembre 1995

- Je ne te ferais pas l’affront de te demander le sens de ce si joli mot.

L'implacable des traits de l'inconnue s'était émietté pour laisser place à un large sourire. Elvý avait vu une lueur illuminer son regard sombre lorsqu'elle avait fait rouler dans sa bouche un mot de sa langue natale. Le nord attirait souvent la fascination, mais celle-ci avait une particularité unique dans les prunelles de la Française. Peut-être parce qu'elle avait permi d'ouvrir une porte à première vue scellée ? Et c'était précisément pour cela qu'Elvý avait toujours été passionnée de voyages et de rencontres : elle ne se lassait jamais de voir les barrières culturelles s'effondrer pour laisser place à la construction de ponts. Des plus branlants au plus impressionnants, de ceux qui tremblaient à ceux que rien n'ébranlaient. De ceux en bois aux grands viaducs.

Quel serait celui qui unirait l'univers de la Française à celui de l'Islandaise ?

- Il ne fut que le miroir de ton joli français, répondit Elvý en lui rendant son sourire.

Son attention se reporta sur l'échiquier à l'entente du mot « Échec ». Le roi adverse était-il donc cerné ? Oui, ça devait probablement signifier cela, même si la Njállsdóttir était incapable de déchiffrer le positionnement des pièces pour comprendre pourquoi. La victoire qui se profilait pour le joueur à sa gauche se soumettait à une mécanique qui échappait à sa compréhension, faute de connaissances concernant les règles du jeu. Les jeux d'illusions, toutefois, étaient plus de son domaine et elle se livra donc à un nouveau coup de bluff. Sans savoir qu'il ne convainquait déjà plus sa nouvelle connaissance.

- Une chance, réagit cette dernière. Que serait-il arrivé s’ils ne maîtrisaient pas cette stratégie ?

Aucune idée, s'abstint de prononcer la Scandinave. C'était à peine si le nom de ladite stratégie ne s'était pas déjà effacé de sa mémoire. Tout ce qui s'y était ancré, était la notion de sacrifice soulevé par la Française. Elle décida donc de réorienter la conversation là-dessus, appuyant davantage sur le sens figuré de son phrasé, après avoir levé deux doigts en direction du serveur pour lui signifier qu'elle prendrait aussi un verre de vin.

Un roi valait-il des sacrifices ? Paroles de joueuse d'échec ou de féministe de la première heure ? L'inconnue, quant à elle, décida de se parer des deux casquettes :

- Certainement lorsqu’on parle d’échec. Dans d’autres cas en revanche...

Elvý compléta la phrase en suspens de nouvelles questions, rehaussant la notion de mérite face à un sacrifice d'autrui.

- Une question ma foi complexe, continua son interlocutrice, élaborant sa réflexion au fil de ses mots et de ses silences. Après tout, peu peuvent se vanter de s’être un jour sacrifiés. À moins que tu ne remettes en cause la notion de sacrifice, ... ?

Si la question aurait pu s'arrêter là, l’intonation de voix de la Française resta à nouveau en suspens. Elvý goutta au vin tout juste servi en attendant la fin de sa question, puis décida de noyer le silence qui s'éternisait :

- Tout remettre en cause, ça correspond plus qu'un peu à ma philosophie.

Elle lui sourit et trouva alors que ce fut le moment propice pour enfin se présenter proprement.

- Elvý, enchantée.

- Andrée, répondit l'autre femme. Je constate que nous traînons toutes les deux nos origines dans nos prénoms.

- Exact ! s'exclama gaiement l'Islandaise, juste avant que ses lèvres ne se referment à nouveau sur sa cigarette.

La dénommée Andrée se délesta de la cendre de son propre tube, puis se décida finalement de la façon de poursuivre ses propos. Elvý s'y plaisait dans cette conversation, elles étaient de celles qui éveillaient les théories et les remises en question de grands concepts, qui stimulaient l'esprit et échauffaient les méninges. Puis, surtout, elles étaient de celles qui révélaient mieux que toutes autres le schéma de pensée de chaque interlocuteur.

- Définissons le sacrifice, veux-tu, Elvý ? reprit Andrée, rigoureuse et organisée dans son début de raisonnement. Si on reprend le sens originel du mot, il désigne les martyrs. Au combat, pendant des actes religieux, qu’importe.

La culture de la Française ne laissa pas indifférente la Scandinave. Elle ne connaissait rien de tout ça, de l'étymologie ou des racines historiques d'où naissait les mots. Elle aimait pourtant ces derniers, mais savait mieux les improviser que les décortiquer. Le savoir que lui partageait Andrée lui parut d'autant plus captivant. Et surtout, il réveilla en elle une nouvelle curiosité : où avait-elle appris tout cela ? Dans les livres, d'un professeur ? D'une éducation poussée ou d'une appétence personnelle pour le savoir ? Aimait-elle l'histoire ? Était-elle avide de découvrir l'origine de chaque chose ? Ou ces mécanismes étaient-ils simplement l’œuvre d'un apprentissage l'ayant rodé dès l'enfance ?

- Dans leur cas, ils estiment sans doute que leur cause est sacrée. Un enfant qui cède son gâteau à un ami ne fait sans doute pas la différence entre l’heure de son goûter et le temps des croisades. Une femme qui accepte de renoncer à sa liberté pour le plaisir d’un homme se sent sans doute aussi valeureuse – ou malheureuse – qu’un héro de la mythologie grecque.

La Njállsdóttir l'écoutait attentivement, son menton appuyé sur son poing fermé, la fin de sa cigarette appendue aux doigts de son autre main.

- À ton avis, qui du joueur d’échec, de l’enfant ou de la femme a fait le plus grand sacrifice ?

Elvý plissa les yeux et un léger rictus malicieux vint orner le coin de ses lèvres. Elle aspira la dernière bouffée de tabac et écrasa le tube dans le cendrier, avant de répondre sur le ton de l'évidence :

- L'enfant, incontestablement. Les goûters, c'est sacré.

Ses traits se plièrent sous un air des plus sérieux pendant au moins trois secondes avant de s'affaisser dans un rire léger. La mélodie amusée de sa voix se tarit dans une seconde gorgée de vin. Après avoir reposé le verre, elle se mit à en retracer distraitement les contours de la pulpe son index, là où son regard se perdit à la surface du liquide vermeil. Son esprit reprit la pente des réflexions dans un silence calme, jusqu'à ce qu'elle relève les pupilles.

- Sacrifier, c'est renoncer à quelque chose, on est d'accord là-dessus, affirma-t-elle comme prémices de son propre raisonnement. Mais si ce que nous offrait ce renoncement était plus beau encore que ce que l'on perdait ?

L'Islandaise pencha la tête sur le côté avec un léger sourire aux lèvres qui invitait l'espoir dans leur conversation.

- Je pense que la notion de sacrifice peut prendre plusieurs versants, et j'y vois deux axes principaux : la soumission ou l'amour. L'enfant a-t-il donné son goûter sous la pression de l'intimidation ou parce que ça le rendait simplement heureux d'offrir quelque chose à un ami ? La femme a-t-elle renoncé à sa liberté par un sentiment d'obligation, de peur, de soumission ? Ou pour témoigner d'un amour inconditionnel, plus grand et plus beau encore que la liberté qu'elle décide d'abandonner ?

Des histoires chevaleresques se peignaient en arrière-plan des pensées d'Elvý. Elle ne voulait pas seulement voir le versant négatif et douloureux du sacrifice, elle voulait aussi admirer la splendeur qui se tapissait derrière ce terme. Il y avait quelque chose d'étincelant et de fort dans cette idée. Elle-même avait-elle déjà fait des sacrifices revêtant ces couleurs-là ? Elle n'en savait rien et ne voulait pas chercher à savoir, à cet instant-là. C'était ça qu'il y avait passionnant quand l'on échangeait sur des concepts : il n'y avait pas nécessairement besoin de parler de soi. Et pourtant, ça pouvait révéler tant de choses sur tout un chacun.

- Au final, reprit-elle pour revenir à la question initiale d'Andrée, qu'importe la grandeur de ces sacrifices, car ils s'abreuvent tous plus ou moins des mêmes sentiments.

Des sentiments intenses. D'un côté, comme de l'autre.

- Alors, qu'est-ce donc qui te rebutes le plus avec les sacrifices, Andrée. La peur ou l'amour ?

Si l'amnésique ne souhaitait pas particulièrement parler d'elle, sa malice n'eut aucun scrupule à  titiller son interlocutrice d'une question bien plus intimiste que ne le laissait paraître son ton léger. Après tout, la première affirmation de la Française n'avait était autre que : « J'ai toujours eu du mal avec les sacrifices. ». À présent, Elvý voulait savoir pourquoi.
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Lun 12 Juil 2021 - 22:03
Gambit accepté ?
ft. Elvý Njállsdóttir
Petit à petit, le caractère d’Elvý se dessinait. On la devinait malicieuse, effrontée, enjouée. Profonde, réfléchie, ou en tout cas aimant les discussions réfléchies. Comme Andrée n’avait rien d’une optimiste, et comme une personnalité était rarement aussi lisse que cela, elle supposa qu’il se cachait d’autres facettes sous son regard scrutateur. À commencer, bien sûr, par ses origines.

Les accents nordiques roulaient sous la langue de la jeune femme à chaque fois qu’elle prononçait un mot ; sans en connaître les nuances, Andrée s’y était suffisamment intéressée pour en percevoir les intonations. Quels chemins avait suivis cette fille pour échouer en Angleterre ? S’agissait-il de tragédies similaires à celles qui avaient agité la vie d’Andrée et qui l’avait propulsée hors de la France ? Parlait-on d’une histoire encore plus sombre, ou peut-être un peu plus légère ?

La curiosité d’Andrée piquée, leur conversation sinueuse n’en devenait que plus intrigante. La française se rendait compte qu’Elvý jouait avec elle ; sans doute était-ce sa façon de fonctionner, et qu’il s’agissait plus d’un passe-temps agréable pour son interlocutrice que d’une vile conspiration. Mais la façon dont elle avait de choisir ses sujets, de sélectionner ses mots et de construire ses phrases, cachait quelque chose de fascinant.

Les manœuvres d’Andrée se destinaient à percer les secrets de sa compagne de l’après-midi. Elle ne doutait pas que, de son côté, Elvý montait le même genre de stratégie.

— À ton avis, qui du joueur d’échec, de l’enfant ou de la femme a fait le plus grand sacrifice ?

— L’enfant, incontestablement. Les goûters, c’est sacré.

Une fois ne fut pas coutume, la réponse désarçonna Andrée. L’autre s’était montrée malicieuse, subtile, mystérieuse, voilà qu’elle devenait enfantine. C’était quelque chose qu’Andrée n’avait pas envisagé – mais après tout, pourquoi pas ?

Il s’agissait seulement d’un possible inattendu.

Elvý rit, légère, et Andrée trempa les lèvres dans son breuvage vermeil pour ne pas perdre contenance. Les conversations truffées des codes de la haute-société, elle connaissait. La femme qui lui faisait face s’en riait et n’en respectait aucun. C’était nouveau, pour elle.

Le silence se réinstalla, un silence calme et réflectif, puis Elvý reprit la parole :

— Sacrifier, c’est renoncer à quelque chose, on est d’accord là-dessus. Mais si ce que nous offrait ce renoncement était plus beau encore que ce que l’on perdait ?

Andrée pencha la tête, attendant la suite. Le scepticisme devait se voir sur ses traits – elle n’avait pas l’habitude de renoncer, et d’ailleurs ne le faisait jamais de plein grès.

Une positive, devina-t-elle. Sauf que la révélation n’en était pas vraiment une, puisque les attitudes d’Elvý la décrivaient comme une amoureuse de la vie et des opportunités. Et la vie, les opportunités, les chances à saisir, c’était une affaire de positivisme.

Tout son contraire. Andrée, elle était plutôt de ceux qui ont les pieds sur terre. Les pragmatiques, auraient dit certains.

— Je pense que la notion de sacrifice peut prendre plusieurs versants, et j’y vois deux axes principaux : la soumission ou l’amour. L’enfant a-t-il donné son goûter sous la pression de l’intimidation ou parce que ça le rendait simplement heureux d'offrir quelque chose à un ami ? La femme a-t-elle renoncé à sa liberté par un sentiment d'obligation, de peur, de soumission ? Ou pour témoigner d'un amour inconditionnel, plus grand et plus beau encore que la liberté qu'elle décide d'abandonner ?

Elvý fit une pause rêveuse, comme pour que ses idées prissent plus d’ampleur encore. Son vague sourire soufflait quelque chose de beau. De serein. Et d’incompréhensible.

— Au final, reprit-elle, qu’importe la grandeur de ses sacrifices, car ils s’abreuvent plus ou moins des mêmes sentiments.

Une fois de plus, le verre de vin et la cigarette furent salvateurs. Ils lui évitèrent la moue pas convaincue, et peut-être des questions supplémentaires.

Sans être totalement obscur aux yeux d’Andrée, ce que décrivait Elvý n’était pas aisé à comprendre. Élevée dans un climat de peur, abandonnée par son père et rejetée par les enfants de son âge, la beauté du monde, la beauté des autres n’avaient pas de sens pour elle. Le sacrifice ne détenait aucune valeur noble ; c’était seulement quelque chose qu’on concédait à quelqu’un d’autre pour s’attirer ses bonnes faveurs ou son pardon.

Pardon d’avoir parlé trop haut, pardon d’exister.

Elle préféra rebondir sur un sujet sans trop de risque, qui n’attirerait pas trop l’attention de la scandinave. Peut-être l’avait-il personnellement touchée, à une époque, mais elle était révolue.

— Si cela rend l’enfant heureux d’offrir un goûter à quelqu’un d’autre, qu’il prenne deux goûters, répondit Andrée. Ou trois, on ne sait jamais.

Mais la réplique ne fit pas mouche, car l’autre continua malicieusement :

— Alors, qu’est-ce donc qui te rebute le plus avec les sacrifices, Andrée. La peur ou l’amour ?

Andrée réfléchit un instant. Elle ne voulait pas révéler ce que ce mot évoquait vraiment pour elle ; la question réclamait pourtant une réponse. Et la noblesse ne mentait jamais. Elle détournait, elle déformait, elle atténuait ou amplifiait, mais jamais elle n’inventait. Pas celle qu’on lui avait inculquée.

Une fois de plus, elle choisit une voie secondaire. La fuite.

— Je suppose que cela dépend de ce que tu entends par « peur » et « amour ». Comme d'habitude, rit-elle en réalisant sa manie de préciser chaque terme.

La tentation de recourir à ses méthodes érudites la fit hésiter un instant, mais elle y renonça. Décomposer et définir chaque terme de leurs conversations était inutile. Ni Andrée ni Elvý n’y trouveraient de satisfaction et c’était retarder l’inévitable : répondre à la question. Elle devait trouver autre chose. Une autre parade.

— Sans doute peux-tu appliquer de tels termes dans le cas de l’histoire de Merlin et de Viviane, par exemple, ou Roméo et Juliette (1). Dans leur cas, c’est littéral : ils renoncent à la liberté ou à la vie. Et leurs histoires mêlent de manière incontestable peur et amour.

Elle se passa la langue sous les lèvres, tentant de jongler entre ce qu’elle pouvait révéler d’elle-même et ce qu’elle souhaitait garder secret.

— Mais, en ce qui me concerne, je n’oserais prétendre avoir vécu de telles expériences. Je peux d’ailleurs te le concéder, me séparer de mon goûter ne m’a jamais fait plaisir ; d’ailleurs, je ne l’ai jamais fait.

Elle prenait soin de le piétiner ou de le jeter à la benne avant l’arrivée de ses harceleurs.

Les dernières volutes de sa cigarette s’effacèrent dans l’air et aussitôt les mains d’Andrée en cherchèrent une nouvelle. Si, dans son attitude, rien ne montrait que la conversation la mettait mal-à-l’aise, le nombre de tubes qu’elle fumait était en revanche révélateur pour qui la connaissait.

Heureusement, le vin appelait le tabac. Il n’était pas rare qu’elle fumât autant dans des situations bien moins inconfortables.

Elle décida d’opérer un demi-tour, assurer de nouveau son contrôle de la situation en remontant plus haut dans la conversation. Une certaine résistance émanait d’Elvý, qui ne manquait jamais de cibler Andrée de ses questions ; elle n’avait pas encore parlé d’elle-même.

— Toi, en revanche, tu sais. Tu sembles connaître l’« amour inconditionnel, plus grand et plus beau encore » qu’une potentielle liberté. Penses-tu vraiment que l’on doit sacrifier par amour ? Penses-tu vraiment que liberté et amour sont incompatibles ?

Andrée, elle, n’avait aucun avis sur la question : elle rejetait l’amour sous toutes ses formes. Les rares personnes pour lesquelles elle avait éprouvé de l’affection étaient mortes, internées, ou elles ne souhaitaient plus entendre parler de la française – cela lui allait bien. Elle ne comptait aucunement avancer son point de vue sur la question, mais entendre celui d’Elvý l’intéressait.

Après tout, ne se nourrissait-on pas des expériences des autres ?
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(1) Je considère qu’une telle œuvre est connue dans le monde des Moldus comme dans le monde magique.

HRP :
Andrée de Kerimel
Modo poker face
Andrée de Kerimel
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Dim 24 Oct 2021 - 18:11



Gambit accepté ?
☽ Elvý & Andrée ☾


Mercredi 15 Novembre 1995

- Si cela rend l’enfant heureux d’offrir un goûter à quelqu’un d’autre, qu’il prenne deux goûters. Ou trois, on ne sait jamais.

Et l'on revenait ainsi au départ de leur conversation : l'aversion de cette chère Andrée pour les sacrifices. Elvý voyait à présent un peu plus loin dans cette affirmation : la Française possédait l'âme d'une individualiste. Ses propres intérêts passaient avant ceux des autres et, si ça ne l'empêchait pas pour autant de se préoccuper de son entourage, elle ferait toujours en sorte que ses actions l'arrangent autant elle que les autres. Et pour cela, il lui fallait user de pragmatisme et de logique, comme en témoignait sa réponse prévoyante. De nouveaux traits de sa personnalité se dessinaient en une seule nouvelle phrase et Elvý se trouva davantage encore fascinée par les rouages de son esprit. Si, en tant que championne de l'improvisation, l'Islandaise se trouvait aux antipodes de l'anticipation de la Française, elle acceptait sa façon d'être sans jugement et s'y retrouvait même en partie. L'individualisme n'était-il pas un trait qu'elle partageait aussi ? Le flou identitaire amené par son amnésie ne lui apporta pas de réponse concrète mais une part d'elle se reconnaissait de façon aussi incontestable qu'inexplicable dans ce trait-là.

Alors, malgré ses grandes et belles paroles idéalistes, peut-être qu'elle aussi était du genre réticente aux sacrifices ? Question à creuser. Mais pour l'instant, c'était Andrée qui l'intéressait.

- Alors, qu’est-ce donc qui te rebute le plus avec les sacrifices, Andrée, la questionna l'amnésique. La peur ou l’amour ?

Le scepticisme d'Andrée n'avait échappé qu'à moitié à Elvý. Jusqu'ici, ses expressions étaient restées assez figées – ou du moins, très contrôlées – face à ses propos. La Njállsdóttir ne s'en était pas pour autant formalisée, elle avait l'habitude que ses envolées philosophiques en face fuir plus d'un et dans ces cas-là, elle accueillait l'échec de la conversation d'un simple haussement d'épaule : on ne pouvait pas se trouver des atomes crochus avec tout le monde. Cependant, Andrée était toujours là. Malgré la distance ancrée dans son attitude, elle continuait d'alimenter la conversation et ce simple détail voulait tout dire. Elvý avait encore largement matière à creuser et cela contribuait d'ailleurs fortement à la stimuler.

- Je suppose que cela dépend de ce que tu entends par « peur » et « amour », détailla la Française. Comme d'habitude.

Son rire fut comme un cadeau pour Elvý. Il lui sembla voir les pétales d'une rose s'ouvrir d'un coup, bien qu'encore timides, pour révéler une once de leur éclat secret. Elle l'accompagna dans son euphorie légère et la taquina même brièvement :

- Libre à vous de me faire un nouveau cours d'étymologie, professeur.

Mais cette fois-ci, ce fut aux références littéraires qu'Elvý eut le droit.

- Sans doute peux-tu appliquer de tels termes dans le cas de l’histoire de Merlin et de Viviane, par exemple, ou Roméo et Juliette. Dans leur cas, c’est littéral : ils renoncent à la liberté ou à la vie. Et leurs histoires mêlent de manière incontestable peur et amour.

La peur d'une vie sans l'autre. L'amour plus fort que la liberté et la mort. C'était beau, c'était fort. Ça faisait écho aux idées romanesques qu'Elvý avait précédemment évoqué sans y ajouter d'exemple concret. Au tableau de cette discussion, l'Islandaise avait accroché le cadre et la Française venait d'en peindre la toile.

- Mais, en ce qui me concerne, je n’oserais prétendre avoir vécu de telles expériences. Je peux d’ailleurs te le concéder, me séparer de mon goûter ne m’a jamais fait plaisir ; d’ailleurs, je ne l’ai jamais fait.

Nouvelle confirmation de ses précédentes conclusions. Elvý ne put s'empêcher d'esquisser un sourire à ces mots. S'il s'agissait de petits détails sans grand intérêt, c'étaient probablement le genre d'anecdotes qu'elle aimait le plus découvrir. Andrée n'avait donc jamais cédé son goûter. Mais elle lui avait pourtant spontanément proposé une cigarette. Politesse empruntée aux habitudes des fumeurs ou distorsion de son individualisme en grandissant ? Probablement la première option, car elle ne lui en proposa pas de deuxième lorsqu'elle se resservit. Et elle avait bien fait : à l'allure où elle les enchaînait, ce sera un coup à vider son paquet en moins d'une heure si Elvý l'accompagnait. Puis, celle-ci n'étant qu'une fumeuse occasionnelle – et grande spécialiste en taxage de clope plutôt que de s'acheter des paquets -, elle n'aurait dans tous les cas pas suivi le rythme. Pour l'heure, elle continua à siroter son verre, d'autant plus que l'Edelweiss ne servait que du vin de bonne qualité.

- Toi, en revanche, tu sais, continua Andrée. Tu sembles connaître l’« amour inconditionnel, plus grand et plus beau encore » qu’une potentielle liberté.

Elvý fut prise de court. Ses prunelles s'accrochèrent au visage de son interlocutrice comme pour écouter la suite du récit. Le récit de son histoire, de son passé. Et si Andrée venait de lire en elle une vérité qu'elle ignorait ? Elvý avait-elle vraiment connu ce genre d'amour ? Cette question était celle qui venait le plus souvent la hanter la nuit, lorsqu'elle se sentait seule dans son lit. Et si quelqu'un, quelque part, l'attendait ? Comment aurait-elle seulement pu l'oublier ? Sans qu'elle ne s'en rende compte, ses traits de visage avaient légèrement changé, délaissant la malice et l'engouement pour une expression plus songeuse et contemplative.

- Penses-tu vraiment que l’on doit sacrifier par amour ? Penses-tu vraiment que liberté et amour sont incompatibles ?

Face à ces questions, un vide étrange se dessina dans l'esprit de la Scandinave. Pour la première fois de cette conversation, c'était elle qui se trouvait déstabilisée. Les cartes s'étaient redistribuées et elle se retrouvait piégée à son propre jeu. Elle ne se permit toutefois pas de montrer ouvertement cette faille et chercha à se réapproprier son assurance naturelle : elle gesticula un peu sur son tabouret pour se redresser dans sa position, tout en levant les yeux au ciel d'un air méditatif.

- Hmm... fit-elle en cherchant ses mots.

Ses doigts rebondissaient sur le pied élancé de son verre de vin.

- Ce que j'aurais envie de croire, c'est que rien n'est réellement incompatible dans la vie et que les compromis peuvent toujours remplacer les sacrifices si chacun y met du sien. Maintenant, je sais bien que notre monde n'est pas cette utopie que j'imagine et que si tout se réglait à l'aide de compromis, le mot « sacrifice » ne ferait pas partie de notre lexique et nous ne serions pas actuellement en train de débattre sur ce sujet.

Regard complice et léger rire dans la voix.

- Alors, doit-on sacrifier par amour ? reprit-elle, plus sérieuse. La réponse est propre à chaque personne, je dirais. Et dans mon cas...

Si l'amnésique avait jusqu'ici soigneusement évité toute confidence, elle savait qu'elle ne pouvait pas éternellement fuir. Elle savait aussi pertinemment qu'elle ne pouvait pas demander à qui que ce soit de se livrer un peu sans s'ouvrir elle-même. N'y avait-il pas là une subtile notion de sacrifice ? Renoncer à certains de ses mystères pour pouvoir ensuite découvrir ceux de l'autre ? Ou s'agissait-il plutôt d'un compromis muet ? Au final, les compromis et sacrifices s'opéraient peut-être au quotidien, aussi inconscients que secrets, enfouis au cœur même des relations humaines et de leurs engrenages voilés.

- Je suis à peu près certaine de ne jamais avoir renoncé à ma liberté.

Elvý prononça cette affirmation sans réflexion préalable. C'était ce genre de certitude qui lui venait du fond de ses entrailles, sans recours direct à sa mémoire, et qui l'étonnait dès lors que les mots se matérialisaient dans les airs et dans sa pensée. Aussi, le sujet de la conversation la concernait de bien plus près que ce qu'elle pensait.

- Mais peut-être qu'elle n'a jamais été menacée, reprit-elle plus hésitante, se perdant dans le brouillard de son esprit. Ou bien peut-être que je n'ai jamais aimé assez intensément pour songer à y renoncer pour quelqu'un, comme tu sembles pourtant le croire.

Si les rouages de sa mémoire fonctionnaient, elle aurait su qu'elle avait déjà été confrontée à ce choix : celui entre l'amour et la liberté. Et elle avait choisi d'abandonner le premier pour continuer à voler auprès des macareux moines. Pour continuer à voyager, à parcourir le monde, à explorer les plaines et les montagnes et à traverser les mers et les océans et ce, même si celui qu'elle aimait n'était plus à ses côtés. Elle avait choisi sa liberté, sa passion et ses rêves plutôt que son amour. L'avait-elle regretté ? Si c'était le cas, son amnésie avait tout balayé. Les regrets autant que son amour, aussi inconditionnel, beau et fort fut-il.

Après un gloussement fugace, elle se reprit, ignorant les alarmes de son inconscient, pour se camper derrière une fausse certitude réconfortante.

- Enfin, c'est même sûr : peut-on seulement l'avoir oublié, si l'on a aimé de cette manière ? Ça me paraît insensé.

Et pourtant, elle espérait secrètement qu'Andrée lui dise que cela était possible. Que l'on pouvait oublier comment l'on avait aimé, que cela arrivait et que cela ne faisait pas d'elle une personne atroce.

Ou peut-être qu'elle espérait en fait qu'elle lui atteste l'inverse, qu'elle lui dise que l'amour, le vrai, était si fort qu'il ne s'oubliait jamais, même si l'on croyait l'avoir égaré. Et qu'un jour, elle finirait par s'en rappeler.
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Sam 16 Avr 2022 - 23:01
Gambit accepté ?
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Rares étaient ceux qui pouvaient se targuer d’être capables d’analyser une personnalité comme savait le faire Andrée - sans présomption aucune. Et il fallait bien l’admettre, Elvý faisait partie de cette catégorie. Sans doute était-ce ce qui rendait cet échange si plaisant ; peut-être était-ce pour cela que la française n’avait pas encore pris la fuite, malgré tout l’inconfort que lui inspirait l’échange.

Elle n’aimait pas se livrer. Elle n’aimait pas qu’on perçât ses défenses. Les murs qu’elle avait érigés pendant des années, supposés indestructibles, ne l’étaient finalement pas tant que ça. À coups de mots bien choisis et d’insinuations bien placées, Elvý ouvrait des failles et creusait les fissures qui existaient déjà.

Un peu plus de persévérance et bientôt la jeune femme connaîtrait son histoire, son passé et ses faiblesses.

Heureusement pour elle, Andrée savait diriger une conversation. Même si l’autre semblait bien maîtriser la discipline, elle aussi, elle ne refusa pas le tournant que la potionniste lui proposa.

Au contraire, le trouble qu’elle laissa paraître montra qu’elle la suivait sans trop de réticence. Une hésitation dans sa posture, un changement d’attitude. Andrée les perçut immédiatement ; ils éveillèrent sa curiosité aussi sûrement que si Elvý lui avait livré ses secrets sur un plateau.

Ce qui, de l’avis de la brune, aurait été beaucoup moins stimulant.

Andrée attendit patiemment qu’elle cherchât ses mots, que son expression neutre refît surface, sirotant son vin en l’observant. Elle ne la brusquerait pas ; l’attitude serait inconvenante, d’abord, et puis Andrée elle-même haïssait qu’on lui forçât la main.

- Hmmm, fit enfin la scandinave, songeuse. Ce que j’ai envie de croire, c’est que rien n’est réellement incompatible dans la vie et que les compromis peuvent toujours remplacer les sacrifices si chacun y met du sien.

Encore une fois, le scepticisme dut se voir sur le visage de l’aristocrate. Pour elle, il n’y avait rien de plus faux : pourquoi, dans ce cas, assistait-on à tant de drames et de blessures ? Individuellement, au sein du couple ou dans des sphères plus larges - la politique en était un parfait exemple. Certes, il s’agissait souvent d’un manque de communication ou d’investissement personnel ; pour autant, trop nombreuses étaient les situations où, malgré une volonté sans faille de trouver des solutions, les partis impliqués n’avaient d’autres choix que d’abandonner.

Et puis tout le monde n’était pas égal. Quel impact avait un enfant face au poids de l’avis d’un adulte ? Quelles décisions pouvaient prendre les précaires, les minorités et les bannis de la société quand les politiques et les puissants de ce monde en décidaient les normes ?

Néanmoins, Andrée inclina la tête vers la gauche pour laisser Elvý s’exprimer. Elle était intelligente - l’apothicaire doutait qu’elle eût une opinion si simple à ce sujet.

- Maintenant, je sais bien que notre monde n’est pas cette utopie que j’imagine, poursuivit la jeune femme, et Andrée hocha la tête, et si tout se réglait à l’aide d’un compromis, le mot “sacrifice” ne ferait pas partie de notre lexique et nous ne serions pas actuellement en train de débattre sur ce sujet.

- Cela dit, c’est tout à ton honneur de vouloir voir les choses ainsi.

Car c’était précisément le fond du sujet : il s’agissait d’un choix.

La remarque n’était ni sarcastique, ni condescendante. Plus sincère que la majorité de ce qu’elle disait, en fait. Il y avait quelque chose de rafraîchissant dans les mots d’Elvý, même si Andrée n’y croyait pas une seconde. Un tel optimisme rendait certainement la vie plus facile, plus agréable.

La française observa attentivement la jeune femme tandis qu’elle continuait :

- Alors, doit-on sacrifier par amour ? La réponse est propre à chacun, je dirais, mais dans mon cas…

Elle marqua une pause.

- Je suis à peu près certaine de ne jamais avoir renoncé à ma liberté.

Andrée masqua son intérêt en tirant une nouvelle bouffée de sa cigarette, puis en trempant ses lèvres dans son verre de vin. Le choix de ses mots l’intriguait.

- Mais peut-être qu’elle n’a jamais été menacée, poursuivit-elle après un instant de réflexion, et Andrée plissa les yeux en réponse. Ou peut-être que je n’ai jamais aimé assez intensément pour songer à y renoncer pour quelqu’un, comme tu sembles pourtant le croire.

“Peut-être ?”

Peut-être, en effet. Peut-être qu’Andrée trouvait Elvý si fascinante car il y avait des choses en elle que la scandinave elle-même ne cernait pas.

Andrée s’appuya contre le dossier de son siège, abandonnant le temps d’un instant sa posture droite et rigide, et laissa libre cours à ses hypothèses. Il semblait inconcevable qu’une femme comme Elvý soit si peu sûre d’elle-même sur ce genre de sujet - la liberté, l’indépendance, tout ce à quoi elle semblait tenir pourtant. Elles ne se connaissaient pas, mais la française percevait au fond d’elle-même qu’elles se ressemblaient beaucoup. Et l’une de ces similitudes, pensait-elle, tenait au fait qu’elle passait beaucoup de temps à s’introspecter, à comprendre ses réactions et ses émotions, et à faire en sorte qu’elles lui servent par la suite.

Même si Elvý avait une vision très différente de l’amour et de ses intérêts personnels, Andrée était à peu près sûre qu’elle y accordait autant d’importance. Elle utilisait juste ses conclusions autrement.

Ou se serait-elle trompée ?

Elvý rit discrètement. Le son arracha Andrée à ses réflexions, et elle reporta son attention sur l’autre.

Un mystère.

- Enfin, c’est même sûr : peut-on seulement l’avoir oublié, si l’on a aimé de cette manière ? Ça me paraît insensé.

À Andrée aussi, ça paraissait insensé. Elle sourit nerveusement en retour.

Malgré toute la douleur qui en était ressortie, elle n’avait jamais oublié l’amour inconditionnel qu’elle avait porté à son père. Il en restait des traces ; elle savait que s’il lui ouvrait les bras à nouveau, elle s’y jetterait sans hésiter, peu importe à quel point elle se le reprocherait par la suite.

Et elle gardait en mémoire chacun des liens qu’elle avait noués dans sa vie, même s’ils n’avaient plus d’importance à présent. Qu’il s’agît d’une amitié, d’un lien de famille ou d’une romance, elle se souvenait de tout.

Alors dans le cas d’un grand amour, comme le suggérait Elvý ?

Andrée secoua la tête : à moins d’être amnésique, il y avait peu de chances.

- À moins d’être amnésique, dit-elle en écho à sa conclusion, il y a peu de chances.

Elle secoua légèrement son verre, le regard perdu dans le mouvement irrégulier de son breuvage bordeaux. Si elle était honnête avec elle-même, s’il elle n’avait pas pensé de façon si opportuniste, certaines de ses relations auraient pu être sauvées.

Sauf qu’elle était qui elle était.

Andrée releva les yeux vers Elvý :

- Si l’on parle d’une vraie relation qui a impacté ta vie, c’est impossible. Ton cerveau est bien fait : il se souviendra de ce qui lui fait du bien. De ce qui l’a fait évoluer, de ce qui l’a fait mûrir.

Elle se mordit les lèvres un instant. C’était des bases qu’elle avait étudiées lorsqu’elle avait commencé à s’intéresser aux potions qui touchaient au cerveau et à la mémoire. Un sujet passionnant s’il en était.

Un sourire étira brièvement ses lèvres ; le tournant très pragmatique de la conversation, après tous les sous-entendus et les passages secrets qu’elles avaient empruntés, était amusant. Mais parfois, pour avancer, il était nécessaire de se concentrer sur du concret. Comme là - il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer à quel point Elvý était troublée.

Renoncer à sa liberté pouvait être un acte traumatisant ; peut-être le cerveau pouvait-il l’oublier. Peut-être les hésitations de la nordique venaient-elles de là. Certaines relations, romantiques ou non, pouvaient l’être partiellement également. Andrée avait oublié des passages de son enfance, notamment la séparation avec son père qui demeurait floue pour elle, et quelques moments difficiles de son adolescence au manoir de Leigh. Pour autant, elle en gardait en mémoire la plus grande partie.

Mais dans le cas d’une relation saine, il lui paraissait inconcevable de ne pas se souvenir. Ce n’était pas ainsi que l’humain fonctionnait.

- Tu sais, je collabore souvent avec Saint-Mangouste. Je fais partie de leurs chercheurs potionnistes pour trouver de nouveaux traitements à certaines pathologies. Et il m’arrive régulièrement de travailler avec le service neurologie. Si je suis sûre d’une chose, sur le fonctionnement de notre mémoire, c’est bien celle-ci : à moins d’un traumatisme physique ou psychologique, le cerveau n’oublie pas. En tous cas, pas les choses importantes. Pas celles qui t’ont marquée.

Elle pointa Elvý du doigt, comme pour appuyer ses propos :

- Surtout pas un amour aussi puissant que celui dont on parle.

Ces nouvelles informations rassuraient-elles la jeune femme ? Andrée observa soigneusement ses réactions. Son discours mettrait-il au jour un mystère de plus chez sa nouvelle connaissance, ou lui apporterait-il des réponses ?
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Lun 25 Avr 2022 - 19:07



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Mercredi 15 Novembre 1995

Elvý aimait jouer avec le feu. Titiller les non-dits et danser avec les mots, quitte à frôler les secrets et les tabous. Mais à trop jouer, l’on finit par se brûler. À présent, c’étaient ses propres non-dits qui étaient mis en danger et elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même : elle avait tendu la plus belle des perches à son interlocutrice.

« Peut-on seulement l'avoir oublié, si l'on a aimé de cette manière ? » qu’elle avait naïvement demandé, dévoilant secrètement son plus grand tourment. Sans vouloir se mettre à nu, il était indéniable que la Scandinave ressentait au fond d’elle le besoin de se confier. Mais à mi-mots seulement, sans rien avouer. Simplement survoler le sujet de façon détachée.

- À moins d’être amnésique, il y a peu de chances, répondit prestement Andrée.

L’évocation brute de cette pathologie qui était la sienne prit de court la concernée. Alors qu’Elvý pensait continuer à voguer sur l’océan de leurs sous-entendus, la réponse concrète de la Française la confronta brutalement à sa propre réalité. Elle eut l’impression d’être victime du maléfice du saucisson quand la seule réaction faciale qu’elle parvint à réaliser fut un sourire crispé. Le premier de cet échange. Oui, la première réaction qui s’échappa à son authenticité pour témoigner d’un malaise sous-jacent.

Heureusement, le regard perçant d’Andrée s’était déposé sur la surface de son vin, manquant ainsi cette mimique forcée. Elvý eut tout juste le temps de reprendre de sa contenance en amenant son verre à ses lèvres que, déjà, les pupilles inquisitrices se relevèrent sur elle.

- Si l’on parle d’une vraie relation qui a impacté ta vie, c’est impossible, reprit la femme assise face à elle. Ton cerveau est bien fait : il se souviendra de ce qui lui fait du bien. De ce qui l’a fait évoluer, de ce qui l’a fait mûrir.

Elvý déporta son regard vers un angle du plafond, affichant une mine songeuse. Si la réflexion était le fil conducteur de leur conversation, elle se cacha bien de souligner que ces questions-là avaient une importance toute particulière pour elle.

« C’est impossible » qu’avait affirmé la Française. Impossible d’oublier le grand amour. L’Islandaise aurait voulu s’accrocher à ces mots, elle aurait voulu y croire pour enfin tourner la page. Mais quelque chose au fond d’elle l’empêcha d’accueillir ce réconfort. Ce quelque chose, c’était l’amnésie. Car elle, justement, en souffrait. Donc cet « impossible » n’était pas pour elle, il lui fallait trouver un autre somnifère à ses tourments.

Pourquoi donc son cerveau n’était-il plus capable de se souvenir ne serait-ce que de ce qui lui avait fait du bien, ce qui l’avait fait évoluer, ce qui l’avait fait mûrir ?

- Tu sais, je collabore souvent avec Saint-Mangouste, lui confia Andrée, apportant un accent plus sérieux à leur conversation. Je fais partie de leurs chercheurs potionnistes pour trouver de nouveaux traitements à certaines pathologies.

- Oh, fit admirativement Elvý en posant son menton dans sa paume droite.

Et elle, avait-elle exercé un métier passion dans son ancienne vie ou avait-elle enchaîné les petits boulots comme celui qu’elle avait en ce moment ? La question traversa fugacement son esprit sans détourner son attention du discours de son interlocutrice qui avait définitivement le don de la captiver.

- Et il m’arrive régulièrement de travailler avec le service neurologie. Si je suis sûre d’une chose, sur le fonctionnement de notre mémoire, c’est bien celle-ci : à moins d’un traumatisme physique ou psychologique, le cerveau n’oublie pas. En tous cas, pas les choses importantes. Pas celles qui t’ont marquée.

La réponse était là. Une réponse que l’amnésique connaissait déjà mais qui ne lui suffisait pas. Une réponse qui répondait au comment mais pas au pourquoi. Pourquoi son f*ucking mind avait-il décidé de tout réinitialiser suite à ce qu’il s’était passé ? Et que s’était-il réellement passé ? Comment une attaque de loup-garou pouvait-elle être assez traumatique pour provoquer un tel raz-de-marée ?

Absorbée par ce discours dont l’aspect théorique et presque scientifique lui permettait de garder un détachement de surface vis-à-vis de ce qui se tramait au fond d’elle, Elvý faillit sursauter lorsque le doigt d’Andrée se leva vers elle, se sentait comme démasquée, comme si l’index s’était pointé sur son secret.

- Surtout pas un amour aussi puissant que celui dont on parle, acheva simplement Andrée.

Les épaules de la Scandinave se décrispèrent. L’impression de pouvoir être lue comme un livre ouvert se dissipa et le rationnel chassa sa paranoïa.

Mais pourquoi donc cela lui tenait-il tant à cœur de garder pour elle ce secret ?

Elle-même ne trouvait pas d’argument concret à cela. Peut-être qu’elle en avait honte ou peut-être qu’elle fuyait la pitié que cela pourrait provoquer. Peut-être que ne pas en parler renforçait son déni et qu’il était plus confortable de s’inventer une nouvelle vie ainsi. Peut-être qu’elle préférait les sujets légers et les confessions à demi-mot plutôt que la révélation brute de ses maux.

Et peut-être que c’était un peu tout cela à la fois.

Néanmoins, la conversation prenait un tournant bien trop intéressant pour qu’elle parvienne à s’en détourner totalement. Elle voulait creuser encore, gagnée par un nouvel espoir : Andrée, de par sa profession, détenait peut-être certaines clés pour déverrouiller sa mémoire.

- Intéressant comme métier, commenta tout d’abord la Njállsdóttir avec sincérité. Mais dis-moi, toi qui sembles t’y connaître un peu sur ce qui peut se passer là-dedans – elle posa son index sur sa tempe -, comment tu expliques qu’un traumatisme puisse même effacer les bonnes choses, celles que tu dis impossible à oublier pour un cerveau sain ? Je comprends le mécanisme de protection qui vise à effacer le souvenir traumatique, mais pourquoi certains…

Hésitation brève.

- « Amnésiques », reprit-elle, oublient tout ? Est-ce que pour se défaire du pire, il faut forcément sacrifier le meilleur ?

Un léger sourire en coin se dessina sur son faciès alors qu’elle ramenait un morceau du débat initial sur le tapis. Puis, d’un air plus sérieux, elle reprit en cherchant quelque peu ses mots :

- Je ne sais pas, peut-être que tu aurais des témoignages à ce sujet ?

Le secret d’Elvý était si bien entretenu qu’elle n’avait pas même consulté le corps médical après son accident. Si Johann et Angelica lui avaient fourni tous les soins nécessaires pour son rétablissement physique, son esprit était quant à lui toujours en lambeaux depuis ce jour-là. N’ayant jamais vraiment pu échanger sur son trouble psychique avec un professionnel, elle entrevit l’opportunité parfaite de trouver certaines réponses dans cette conversation aux deux visages. Ce pourquoi elle enchaîna ensuite avec une question plus spécifique pour la potioniste :

- Et, d’ailleurs, existe-t-il des remèdes pour guérir de ce genre d’amnésie ? Ou, du moins, pour favoriser la réminiscence des souvenirs ? Peut-être une potion, ou même juste une plante… que sais-je ?


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Mar 2 Aoû 2022 - 1:51
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Intéressant comme métier, fit la Scandinave. Mais dis-moi, toi qui sembles t’y connaître un peu sur ce qui peut se passer là-dedans, comment tu expliques qu’un traumatisme puisse même effacer les bonnes choses, celles que tu dis impossible à oublier pour un cerveau sain ?
 
Comment en étaient-elles arrivées à discuter du métier d’Andrée, c’était un mystère auquel la jeune femme n’avait pas de réponse. Sans être particulièrement inconfortable – même si elle aurait préféré parler de choses moins personnelles, quand bien même elles relevaient du professionnel -, la conversation prenait un tour beaucoup plus profond que ce qu’elle s’était imaginée.
 
Naïvement peut-être, elle avait pensé parler du soleil et de la pluie autour d’un ou de deux verres de vin ; et ce, même si elle détestait profondément ce genre de simagrées.
 
Au lieu de cela, elle se retrouvait à parler d’amnésie, de potions et de neurologie, face à une Elvý bien plus intéressée par le sujet que la moyenne. Habituellement, lorsqu’elle dérivait sur le sujet « Saint-Mangouste », les gens s’empressaient de faire demi-tour – après une ou deux questions polies, peut-être, et seulement pour donner le change.
 
— Je comprends le mécanisme de protection qui vise à effacer le souvenir traumatique, poursuivit Elvý, mais pourquoi certains… (Elle chercha ses mots quelques secondes et finit par s’arrêter sur celui qu’Andrée avait employé :) « Amnésiques », oublient tout ? Est-ce que pour se défaire du pire, il faut forcément sacrifier le meilleur ? Je ne sais pas, peut-être que tu aurais des témoignages à ce sujet ?
 
Andrée répondit au sourire de la jeune femme ; elle non plus ne perdait pas le Nord.
 
Non, on ne pouvait pas parler d’une curiosité polie. Les questions d’Elvý étaient trop précises pour cela. Peut-être même un peu pressantes. Andrée sentait confusément que l’autre cherchait à la mettre en porte-à-faux, même si elle ne comprenait pas pourquoi. A priori, le sujet ne la concernait pas.
 
La potionniste se mordit les lèvres en se demandant ce qu’elle devait faire de cette nouvelle information.
 
— Et d’ailleurs, demanda-t-elle, existe-t-il des remèdes pour guérir de ce genre d’amnésie ? Ou, du moins, pour favoriser la réminiscence des souvenirs ? Peut-être une potion, ou même juste une plante… que sais-je ?
 
Andrée rit sous cape, avant de répondre à la question la plus facile :
 
— D’abord : mon rôle n’est pas de discuter avec les patients, j’en ai bien peur, finit par dire Andrée après quelques instants de réflexion.
 
Que pouvait-elle révéler sans trahir le secret professionnel ? Qu’est-ce qu’elle-même était prête à offrir, sans outrepasser les limites de sa propre intimité ? Et surtout, qu’est-ce qu’Elvý voulait entendre ?
 
— Je travaille beaucoup dans l’ombre et à part quelques rares occasions, je ne suis pas au contact des malades, poursuivit-elle. Donc pour les témoignages, je ne peux pas vraiment t’aider.
 
Elle s’interrompit, songeuse. Elle pourrait l’aider. Si elle en faisait la demande au Dr Barnabey, il lui accorderait probablement l’autorisation de se rendre au département des longs séjours, où de nombreuses personnes atteintes de problèmes de mémoire graves séjournaient. Elle pourrait prétexter des recherches, un besoin de les questionner pour avancer de son côté.
 
Au détour d’un projet, peut-être…
 
Elle haussa les épaules.
 
— Pour le reste, ça demande un peu plus de développement, admit Andrée. Tu prépares une thèse sur le sujet, ou quoi ?
 
Une gorgée de vin plus tard, elle ralluma une cigarette – il faudrait qu’elle fasse le compte en rentrant chez elle – et tenta d’expliquer simplement mais précisément. Pas toujours facile lorsqu’on parlait ce jargon tous les jours.
 
— La plus simple, d’abord : existe-t-il des remèdes ? Pas comme tu l’entends. Enfin, on peut encourager la guérison avec des potions, en appuyant la réparation de certains schémas neurologiques qui peuvent être responsables de la perte de mémoire – n’hésite pas à m’interrompre si je te perds.
 
Elle prit le temps de déglutir, tant pour elle que pour laisser à son interlocutrice le temps de digérer les informations :
 
— La plupart du temps, une amnésie est causée par une maladie, par le dysfonctionnement de ton cerveau (notamment quand tu prends de l’âge) ou par un traumatisme physique ou psychologique, comme je t’ai dit. Et les solutions les plus efficaces que l’on connaisse pour le moment, c’est la rééducation, souvent la psychomagie, parfois d’autres types plus expérimentaux. Et de la patience – beaucoup de patience. Dans le cadre d’un traumatisme, cela demande souvent à ce qu’on affronte les souvenirs qui y sont liés. C’est un processus douloureux.
 
Le regard d’Andrée se perdit un instant dans le vide, suivant inconsciemment les passages et les volutes de fumée qui voyageaient dans l’espace.
 
Les histoires qu’elle avait entendues sur ces réapprentissages – celui d’une vie, d’une identité – et sur le déroulement des séances de psychomagie spécialisées dans les traumatismes étaient terrifiantes. Trop imprécises pour être rapportées à Elvy comme elle le voulait mais terrifiantes. Les patients pleuraient, criaient, s’arrachaient la peau. D’après les chercheurs de Saint-Mangouste avec qui elle en avait parlé, ils revivaient littéralement la scène de leurs traumatismes. Le but était de réécrire les informations concernant cette période dans le cerveau du patient, et ainsi désamorcer les souvenirs traumatiques, la panique et tout ce qui y était associé.
 
Elle se redressa, chassa la brume qui s’était logée dans ses yeux et un mince sourire reprit sa place sur les lèvres de la jeune femme :
 
— Enfin bref. Dans la majorité des cas, en tout cas quand ce n’est pas lié à l’âge ou à une maladie neuro-dégénérative, c’est curable, mais c’est loin d’être une partie de plaisir. Tu pourras marquer ça dans la conclusion de ta thèse.
 
Elle souffla, comme pour rire à sa propre blague. L’atmosphère s’était alourdie ; elle-même avait perdu son flegme. Travailler sur la conception de potions destinées à améliorer la prise en charge de ces patients était une chose ; se confronter à la réalité de leur situation en était une autre.
 
Elle observa soigneusement les réactions d’Elvý, en quête d’un quelconque indice de plus sur sa personnalité – et aussi, surtout, sur l’origine de sa curiosité.
 
Puis elle se décida à répondre à la dernière question de sa compagne :
 
— Et dans le cas d’un traumatisme psycho-affectif, c’est d’autant plus complexe que, comme tu l’as souligné, le cerveau supprime tous les souvenirs. Il ne fait pas la différence entre les bons et les mauvais ; c’est comme ça. Il sélectionne les souvenirs liés de près ou de loin à la période ou au traumatisme, et il s’en débarrasse. Ça peut même parfois concerner la vie entière de l’individu.
 
Elle se pencha en avant, peut-être un peu portée par la douce caresse du vin, toujours à l’affût de ses réactions :
 
— Je te mentirais si je te disais qu’on connaissait tout sur tout sur le fonctionnement de notre cerveau… Malheureusement, tu vas devoir toi aussi sacrifier ta soif de connaissance et accepter cette dure réalité : l’humain est une créature ignare !
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Ven 12 Aoû 2022 - 15:37



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Mercredi 15 Novembre 1995

Et si Elvý venait de rencontrer celle qui pouvait démêler tout ? Celle qui détenait la clé du grenier de ses souvenirs ? Celle qui connaissait une façon de dépoussiérer sa mémoire ? Celle qui pouvait extirper son passé des abysses ? Et si Andrée était sa solution ?

Si c'était le cas, l'accepterait-elle seulement ? Était-elle prête ? Prête à se souvenir ?

Cet espoir naïf et terrifiant fit frissonner une étincelle nouvelle dans le regard de l'Islandaise.

- D’abord : mon rôle n’est pas de discuter avec les patients, j’en ai bien peur, commença Andrée après un temps de réflexion, éteignant l'expectative de tout récit concernant d'autres amnésiques. Je travaille beaucoup dans l’ombre et à part quelques rares occasions, je ne suis pas au contact des malades. Donc pour les témoignages, je ne peux pas vraiment t’aider.

- D'accord, acquiesça Elvý sans faire part de sa légère déception.

Encore une fois, elle cacha son désarroi dans une nouvelle gorgée de vin, la dernière, elle vida son verre.

-  Pour le reste, ça demande un peu plus de développement, admit Andrée. Tu prépares une thèse sur le sujet, ou quoi ?

Le tintement fluet du verre reposé sur le comptoir en bois s'accompagna du rire léger de l'amnésique. Elle se racla la gorge.

- Tout à fait, répondit-elle d'un air sérieux agrémenté d'un sourire en coin. Une thèse sur les mystères de la vie et, ma foi, nous venons d'en déterrer un particulièrement intriguant.

La potioniste se sentait-elle comme une conférencière que l'on noyait de questions tirées par les cheveux ? Peut-être. Curieuse par nature, Elvý devait probablement renvoyer l'image d'une jeune femme particulièrement intéressée et ayant soif de connaissances, du moins, elle l'espérait. Mais pour éviter de susciter de réels soupçons, elle se fit une note personnelle : « Prendre plus de distance avec cette discussion – Avoir l'air détaché. ». En expirant, elle commanda à ses épaules de se relâcher. Andrée se lança dans ses explications :

- La plus simple, d’abord : existe-t-il des remèdes ? Pas comme tu l’entends. Enfin, on peut encourager la guérison avec des potions, en appuyant la réparation de certains schémas neurologiques qui peuvent être responsables de la perte de mémoire – n’hésite pas à m’interrompre si je te perds.
 
- Continue, je t'en prie, l'invita Elvý, toute attentive qu'elle était.

Si, pour l'instant, les paroles de la Française lui paraissaient floues, elle se doutait bien que la suite de son propos viendrait éclairer les zones d'ombres.

- La plupart du temps, reprit l'experte, une amnésie est causée par une maladie, par le dysfonctionnement de ton cerveau (notamment quand tu prends de l’âge) ou par un traumatisme physique ou psychologique, comme je t’ai dit. Et les solutions les plus efficaces que l’on connaisse pour le moment, c’est la rééducation, souvent la psychomagie, parfois d’autres types plus expérimentaux. Et de la patience – beaucoup de patience. Dans le cadre d’un traumatisme, cela demande souvent à ce qu’on affronte les souvenirs qui y sont liés. C’est un processus douloureux.

Alors que le regard de la Française se perdit dans les volutes de fumée, celui de l'Islandaise tomba dans son verre vide qu'elle faisait doucement tournoyer entre ses doigts. Andrée lui avait-elle apporté une solution qu'elle ne connaissait pas déjà, au final ? Pas vraiment. Mais elle avait ramené à l'esprit d'Elvý une solution qu'elle avait écarté un peu trop rapidement. Ou que l'on avait écarté à sa place. Avait-elle choisi d'elle-même de rester dans le flou ou avait-elle simplement suivi la décision initiale de Johann de rester éloignée Sainte-Mangouste ? Encore un souvenir qui nageait dans la brume de son esprit.

Mais, à présent que cela faisait un mois qu'elle tachait de se reconstruire dans le déni, serait-elle prête à accepter une aide médicale ? Cette idée lui sembla si lointaine qu'elle en eut aussitôt sa réponse : peut-être un jour, mais pas tout de suite.

- Enfin bref. Dans la majorité des cas, en tout cas quand ce n’est pas lié à l’âge ou à une maladie neuro-dégénérative, c’est curable, mais c’est loin d’être une partie de plaisir. Tu pourras marquer ça dans la conclusion de ta thèse.

L'amnésique releva le nez de son verre dans un soufflement rieur. Sa note personnelle resurgit au milieu de ses réflexions et elle accueillit la dérision de son interlocutrice avec des traits plus légers, reconnaissante qu'elle l'ait inconsciemment ramené à sa prise de recul.

- Ce sera fait, certifia la Njállsdóttir avec amusement.

Cette dernière déporta son regard vers la silhouette de Chiyo, occupée à faire léviter jusqu'à elle des caissons depuis la réserve. Elle hésita à lui demander de remplir son verre mais décida finalement – et à son propre étonnement – que non, elle resterait raisonnable. La discussion qu'elle menait commençait à prendre des chemins trop escarpés pour qu'elle se risquât à perdre l'équilibre. Andrée reprit la parole :

- Et dans le cas d’un traumatisme psycho-affectif, c’est d’autant plus complexe que, comme tu l’as souligné, le cerveau supprime tous les souvenirs. Il ne fait pas la différence entre les bons et les mauvais ; c’est comme ça. Il sélectionne les souvenirs liés de près ou de loin à la période ou au traumatisme, et il s’en débarrasse. Ça peut même parfois concerner la vie entière de l’individu.

« L'individu ». Ce terme était si impersonnel - donnant presque l'impression de reléguer un être humain à une donnée factuelle -, qu'Elvý aurait pu ne pas se sentir concernée. Or, étant l'incarnation même de cette donnée factuelle, elle ne put s'empêcher de détourner le regard. Elle le redirigea vers son interlocutrice quand cette dernière se pencha vers elle :

- Je te mentirais si je te disais qu’on connaissait tout sur tout sur le fonctionnement de notre cerveau… Malheureusement, tu vas devoir toi aussi sacrifier ta soif de connaissance et accepter cette dure réalité : l’humain est une créature ignare !

Un nouveau rire étira les commissures d'Elvý et une lueur complice vint se nicher dans ses iris turquoise.

- Je crois que je vais plutôt te piquer cette conclusion-là pour ma thèse, déclara-t-elle, laisse-moi juste la noter...

Comédienne dans l'âme, elle fit mine de tremper une plume dans un encrier imaginaire avant d'en diriger la pointe vers la paume de son autre main. Elle agita son poignet tout en articulant lentement :

- « L'humain est une créature »... quoi déjà ? Ah oui, « ignare ». Je n'aurais pas trouvé meilleur terme. Et je finirais même par cette question ouverte : « Existe-t-il seulement des vérités que l'Homme peut affirmer détenir avec un certitude absolue ? ». Et vu que cette grande question a déjà été résolue et résumée en trois mots latins que tout le monde connaît - Cogito, ergo sum -, je renverrais mes lecteurs insatisfaits sur la tombe de Descartes pour les inviter à continuer le débat avec son fantôme.

À nouveau, le son d'une porte qui s'ouvrît résonna dans le couloir du fond de l'auberge. La Scandinave se pencha légèrement sur le côté et aperçut une ombre familière.

- Mais le nôtre risque de s'achever ici, j'en suis désolée, conclut-elle à l'adresse d'Andrée. La personne que j'attendais m'a enfin l'air disposée à me voir.

Un brin de cynisme s'était glissé dans sa voix. Mais celui-ci n'était que purement affectif. Johann était un homme occupé, mais Johann trouvait quand même toujours du temps à lui accorder. Elvý se leva de son tabouret.

- Je suis ravie de t'avoir rencontré, Andrée, et j'ai hâte que l'on se retrouve à philosopher à nouveau ensemble. J'espère seulement que tu n'as pas sacrifié trop de ton temps pour moi.

Elle lui servit un clin d’œil rieur puis reprit :

- Il me semble que l'on fait la « bise » en France, non ?

Et elle s'approcha de la Française pour lui déposer un bisou sur chaque joue, sans être convaincue qu'il s'agît du bon nombre. Certains n'en faisaient-ils pas trois ?

- Oh, et ne te soucie pas de la note, c'est tout pour moi ! Bless1, Andrée, finit-il dans sa langue natale en lui faisant un signe de la main, tout en s'éloignant vers le couloir d'où la Française était arrivée.  

Et voilà que d'une rencontre hasardeusement provoquée était apparût de nouvelles clés. Peut-être que l'amnésique reviendrait un jour vers la potioniste pour lui quémander ces fameuses potions qui l'aideraient à trouver un chemin dans la brume. Mais, pour l'instant, elle n'était pas prête à avancer dans son passé, alors, elle se contenta de garder précieusement cette discussion dans un coin de sa mémoire : celle-ci, elle ne l'oublierait pas. Ou du moins, elle croisait les doigts pour que ce ne soit pas le cas.


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Dim 23 Avr 2023 - 14:00
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Je crois que je vais plutôt te piquer cette conclusion-là pour ma thèse. Laisse moi juste la noter, souffla Elvý.

Une fois n’était pas coutume – même si cela le devenait un peu trop depuis le début de l’échange -, la réplique étonna Andrée. Les réactions d’Elvý, trop différentes les unes des autres, étaient trop vives, trop mouvantes, pour être analysées. D’un intérêt marqué à un détachement désarçonnant, la scandinave était difficile à comprendre. Et Andrée n’était pas sûre de si elle appréciait la situation, stimulante, ou si ces changements de perspectives lui faisaient peur. Difficile de s’adapter quand on ne comprenait pas l’autre – et la potionniste n’aimait pas ne pas comprendre.

Fidèle à l’image d’exubérance qu’elle renvoyait depuis leur rencontre, Elvý se concentra, pris une inspiration puis, d’un geste soigné, mima la rédaction de ladite conclusion :

— « L’humain est une créature »… quoi, déjà ? Ah oui, « ignare », dit-elle avec cérémonie. Je n’aurais pas trouvé meilleur terme.

Andrée ne put retenir un petit rire. Elle riait rarement autant. Même si Elvý s’éloignait de tous les standards des personnes qu’elle côtoyait d’habitude, on ne pouvait lui retirer ce mérite.

— Et, reprit-elle, je finirai même par cette question ouverte : « Existe-t-il seulement des vérités que l’Homme peut affirmer détenir avec une certitude absolue ? » Et vue que cette grande question a déjà été résumée en trois mots que tout le monde connaît – Cogito, ergo sum –, je renverrai mes lecteurs insatisfaits sur la tombe de Descartes pour les inviter à continuer le débat avec son fantôme.

— Pauvre Descartes, commenta Andrée d’une voix cynique. Son repos éternel semble toucher à sa fin – pas si éternel que ça, semble-t-il. Il va le détester, ton débat…

Elle fut heureuse de s’éloigner des sujets trop lourds de l’amnésie et de la rémission des patients touchés. Son verre de vin terminé, la jeune femme se demanda ce qu’il lui convenait de faire désormais. Elle avait beaucoup bu, beaucoup fumé, et elle ne tenait pas à perdre le contrôle sur ses actions cet après-midi-là. Peut-être un café ? Ou Elvý était-elle du genre à préférer le thé, cette boisson anglaise qu’Andrée trouvait infecte ?

La réponse ne vint jamais ; à la place, un grincement de porte se fit entendre, le même qui avait résonnait quand elle avait quitté le bureau de Kayser. Au mouvement de la tête de sa compagne du jour, elle sut qu’ils se connaissaient. Et surtout, elle sut qu’il était la raison de la présence d’Elvý dans cette auberge.

Alors elle aussi était impliquée dans des réseaux pas clairs ? Une pointe de déception lui informa qu’elle aurait préféré le contraire. Peut-être était-elle lassée d’être entourée de contrebandiers, menteurs et fraudeurs. Peut-être qu’elle avait aimé l’idée que la scandinave fût vierge de ces scandales, même si cette parenthèse de spontanéité aurait de toute façon pris fin.

Ses tâches de rousseur, émissaire de sa fatigue et de son découragement, semblèrent la brûler.  

— Mais le nôtre risque de s’achever ici, j’en suis désolée, dit Elvý. La personne que j’attendais m’a enfin l’air disposée à me voir.

— Je t’en prie, répondit Andrée avec un sourire qui n’atteignit pas ses yeux. C’était un plaisir.

Elvý se leva.

— Je suis ravie de t’avoir rencontrée, Andrée, et j’ai hâte que l’on se retrouve à philosopher de nouveau ensemble. J’espère seulement que tu n’as pas sacrifié trop de temps pour moi.

Andrée haussa les épaules. Mr Pattinson ne se formaliserait pas des deux heures qu’était restée fermée la boutique – si toutefois il en était informé. Aucune préparation pour Saint-Mangouste ne requerrait son attention ce jour-là. Pour le reste, elle aviserait plus tard – elle n’avait plus envie de cacher ses traces, couvrir ses actes, que ce fût pour l’Œil ou pour une autre cause en laquelle elle croyait. Pas maintenant.

Lorsque la nordique s’approcha d’elle, avenante, et que l’apothicaire comprit son intention, horrifiée, celle-ci eut tout le mal du monde à camoufler son mouvement de recul.

— Il me semble qu’on fait la « bise » en France, non ? lança Elvý, enjouée, en lui embrassant chaque joue.

— Exactement, fit l’autre, crispée.

Elle avait toujours détesté cette pratique. L’indémodable poignée de main lui convenait très bien.

— Oh, ajouta Elvý avant de s’éclipser, ne te soucie pas de la note, c’est tout pour moi ! Bless, Andrée !

Un vague signe de main, et elle avait déjà disparu. Andrée s’affaissa sur sa chaise, lasse.

Cette discussion imprévue la forçait à considérer, une fois de plus, sa vie professionnelle. Elle n’avait jamais mesuré l’impact de ses recherches auprès de patients qu’elle n’avait jamais rencontrés ; au début, ce contrat avec Saint-Mangouste relevait davantage d’un à-côté que d’autre chose. Puis on l’avait impliquée dans la recherche, et au fil des missions, on l’avait investie, on l’avait considérée. En parler à Elvý l’avait mise face à cela, face aux enjeux de ce qu’elle faisait. N’était-ce pas une cause juste en elle-même ? Devait-elle forcément jouer les héroïnes de l’ombre, à négocier avec des trafiquants, brouiller les pistes et fuir la surveillance des Aurors ?

Elle savait à quoi elle s’exposait. Elle l’avait su avant même de s’engager pour la cause. Certaines de ses actions avaient des conséquences très indirectes sur le reste, et certaines collaborations ne se révéleraient utiles que des années plus tard – peut-être jamais. C’était de l’anticipation. De la prévoyance. Lorsque la fatigue prenait le dessus, elle avait du mal – à comprendre, à se souvenir, à poursuivre.

Pourtant, elle continuerait. C’était une certitude. Parce qu’elle croyait en ce qu’elle accomplissait, en ce qu’elle contribuait à construire. Et parce que demain, ses doutes seraient derrière elle, et sa détermination aurait repris le dessus – comme toujours.

Andrée soupira, se passa le dos de la main sur les yeux. Se rappelant des dernières paroles d’Elvý, elle héla le serveur : elle pouvait bien s’autoriser un verre de vin supplémentaire.

Au moins, les goûts de Kayser avaient toujours promis le meilleur à sa clientèle.
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