Les étoiles sont les phares des âmes perdues. Les coudes sur la table, Sessho jouait du pouce sur le coin d'une page cornée. Une chandelle allumée à ses côtés, il profitait du calme de la nuit dans le silence d'un feu légèrement crépitant. Tôt dans la soirée, il s'était vu prisonnier de la suée et des questions tournant sans cesse. Prit de dépit, il s'était glissé hors de ses draps, faisant suite à plusieurs tentatives de sommeil infructueuses. Bien qu'il s'était essayé à des techniques inédites pour retarder cauchemars et projections cauchemardesques, il s'était heurté à l'échec de son décompte des étoiles, puis à la défaite de son initiative d'épuiser ses méninges à se réciter intérieurement des lignes de grimoires soporifiques. L'histoire de la magie et la divination avaient au contraire encouragé son insomnie, jusqu'à ce que, résolu, il s'égare dans la salle commune sous les ronflements et autres soupirs de ses camarades endormis.
Dans son pull et les pieds nus battant le sol doucement, il s'était emparé de quelques ouvrages dans la bibliothèque, aidée du concours de sa baguette. Si les titres différés, ils avaient tous été écrits sur un domaine global : La métamorphose.
La matière avait éveillé son intérêt et sa seule mention suffisait à réveiller une conversation, tout au moins, une proposition, qu'il avait présentée à Ariel des mois auparavant. Si elle s'était éloigné de ses priorités, au point, d'être reléguée au rang de souvenirs à trier, il vit en cela l'opportunité de tuer le temps et surtout, de s'occuper. Les bouquins éparpillés, il s'était obligé à choisir les thématiques avant de pleinement se pencher sur les détails. Un parchemin sous le poignet et la pointe encrée sur le bord d'un début de ligne, il prit une inspiration pour se donner motivation et inspiration.
Observateur, il lui arrivait de noter les habitudes de ses colocataires ou, plus généralement, d'élèves qu'il pouvait croiser plus ou moins régulièrement. Melwing en faisait partie. Son mal-être s'était traduit récemment de manière visible, et suivant un schéma qu'il pouvait anticiper ; les baignades en était la plus grande démonstration, et il supposait, qu'à sa manière, il souhaitait souffrir pour contenir, et non souffrir pour mourir. Si ses idées noires avaient été au centre de leur dernière discussion sur les berges du lac, elles n'étaient pas révélatrices de ses habitudes ou envies. Sa crainte viscérale des animaux ou sa passion pour le violet – qui s'était exprimée par une coloration capillaire – étaient, elles, plus instructives à ses yeux.
C'est pour cela, que durant ses achats empressés pour les fêtes, il avait seulement ôté un bracelet de son poignet, voyant l’aubaine qu'il soit d'une couleur adéquate, mais également d'une symbolique rassurante, en vue de l'offrir au jeune garçon. Il n'en avait pas eu d'échos et espérait qu'il ait, si ce n'est démontré ses pouvoirs, apportait un semblant de calme à son cadet.
Il marqua d'abord un point, puis, inscrivit une série de boucles sur le papier. Les titres mit bout à bout, il remarqua qu'il s'était concentré sur des sortilèges agissants sur l’apparence. Se laissant guider, il poursuivit dans ses recherches, se levant une fois qu'il eut épuisé les ressources d'un livre pour trouver des informations complémentaires dans un autre. Il usa la corne de ses doigts dans des paragraphes entiers, où il spécifia moulinets de poignet, astérixis indicatifs, mais aussi, applications quotidiennes, situationnelles.
Quand le jour pointa ses rayons, il finissait de ranger les manuscrits sur leurs étagères. Satisfait de son travail, il admira les trois sujets qu'il plaça côte à côte. Pointilleux, il se relut pour s'assurer qu'aucune coquille ne s'était glissé dans ses différents exposés et finalement satisfait, il les roula pour les ficeler d'un ruban – qu'il avait été cherché dans sa valise -. Le bleu autour de ses petits fardeaux, il les rangea dans son sac, en même temps qu'il prit ses affaires pour se préparer.
L'eau chaude coula sur son visage blafard, et c'est mécaniquement qu'il opéra de se laver, esquivant son torse. Le miroir embué lui épargna son reflet et fidèle à sa routine anti-angoisse, il se saisit des bandages qu'il appliqua sur sa poitrine, les yeux relevés sur le plafond en prévention. Il serra presque jusqu'à se couper le souffle. S'il ne voyait rien, alors, rien n'était arrivé. Les écritures cachées, il s'autorisa à soupirer. Camouflant ses cernes sous des couches d'enchantements, il se dessina un sourire devant la glace. Maintenant que son cerveau était au repos, loin des instructions à lire, il se sentait las et trop-pleins de questions. Des pulsions de vide et de chute.
L'envie gagna en intensité et les paumes sur la céramique du lavabo, il prit une minute pour s'organiser. Le chagrin, la colère, le désespoir finirent dans des vases séparés qu'il isola soigneusement sous clef. Faisant suite à un dernier soupir, cette fois-ci de soulagement, il rassembla ses forces pour se mêler à ses relations. Callum accueillit donc sa participation avec enthousiasme, combattant son envie de simplement ignorer la présence d'Hiverna, dont les arguments étaient contraires aux siens. Ils retrouvèrent un semblant de normalité sociale et il s'en sentit soudainement plus rassurer ; aucun ne remarqua les poches sous ses yeux fatigués, ni son manque de concentration évidant lors des cours, où il participa à peine. L'enchantement, qui d'ordinaire ravissait aisément son attention, avait été un casse-tête insoluble les dernières heures.
Faisant mine de rien, il parvint à distiller au déjeuner son désir de comparer ses notes avec celles de son binôme et ainsi les compléter au besoin, sans que cela n'alarme ledit camarade, qui ne nota pas l'impossible de cette demande ; jamais Sessho n'avait eu besoin de ça depuis sa première année.
Durant son temps de pause, et en prévision du petit mot qu'il glisserait au troisième année d'ici peu, il vadrouilla dans les couloirs, harpant les étages avec une intention précise ; Trouver une salle vide. Longeant la galerie des armures, il finit par tourner une poignée, qui consentie à lui dévoiler une pièce où quelques tables avaient été empilées. Le nez piqué par la poussière, il éternua silencieusement au creux de son coude, puis, gardant sa position, il traversa l'allée centrale pour tirer les rideaux. Les lourds tissus laissèrent voler un nuage qu'il put admirer grâce à la lumière extérieure traversant les carreaux. Sans être intimidé par la saleté, il retroussa ses manches puis soupesa sa baguette dans sa paume.
Depuis quelques semaines, ou mois, son utilisation avait été compromise. Le cerisier était le bois du contrôle, et loin d'être naïf, il était conscient qu'il pouvait être défaillant en ce moment. C'est en partie pour y remédier, en plus de garder ses sentiments profonds pour lui-même, qu'il s'était penché sur des méthodes alternatives pour cloisonner son esprit. Suite à Noël et son lot de discussions désagréables, il s'était fiévreusement documenté, et têtu, il n'avait pas ménagé ses efforts pour parfaire le schéma visant à le couper de ses traumatismes. Et en Janvier, il était parvenu à trouver un équilibre, qui, s'il n'était pas idéal et avait besoin d'être renouvelé au cours de la journée, avait eu le mérite de lui accorder une utilisation de sa baguette plus fluide. Ne voulant creuser l'écart avec ses camarades et prendre du retard, il avait profité de ses nuits d'insomnies pour s'entraîner, ou encore, épuiser sa rétine sur de la théorie, où chanceux, il pouvait s'endormir une heure ou deux.
Tout en informulé, il fit danser le bois dans les airs, soulevant comme un chef d'orchestre les notes de chaises et de tables dans les airs. Il les aligna, puis les débarrassa de la couche grise qui se fit souffler d'un ventus, dévoilant le brun des pupitres si commun à tout le château. Il rapprocha les premières rangées, et finalement, dégagea les autres pour garantir de la place. Il ne savait pas s'ils en auraient besoin, mais prévoyant, il ne voulait rien laisser au hasard. D'un simple moulinet, il alluma les bougies du plafonnier, puis appliqua la même démarche sur les bougeoirs muraux. La pièce se retrouva baignée dans une atmosphère tamisée, propice à l'apprentissage et à la tranquillité. Sans doute pourrait-il garder en mémoire son emplacement pour des expériences plus personnelles et l’aménager selon ses besoins.
Sur l'estrade, il garda le bureau en place, bien que désireux de rendre l'ambiance plus chaleureuse, il fit quelques allés retours avec l'extérieur pour y placer coquillages et autres curiosités naturelles : un bout de branche sec, des cailloux aux formes originales, et une fiole de sable venant du lac. Il jeta un coup d’œil à sa montre, puis enfila sa cape qu'il avait jusque-là délaissé sur une assise, il traversa l'école d'un bon pas, oubliant dans toute cette entreprise qu'il aurait été raisonnable de troquer toute cette mise en scène et son énergie, contre une sieste réparatrice.
De retour dans leur salle commune, il s'approcha de Melwing plus prudent et réservé. Se glissant sur un fauteuil adjacent, il se perdit un temps dans sa contemplation de la cheminée, qui fourmillait de braises et d'étincelles dorées. Sessho humecta ses lèvres, puis, prenant appuis sur l’accoudoir, il interpella le plus jeune d'un léger : Salut, qu'il souffla comme un murmure non intrusif.
«
Un cours, ça te tente ? Je me souviens que tu avais accepté la dernière fois, néanmoins, compte tenu de la situation qui avait précédé ma demande, je n'ai pas désiré – il hésita brièvement –
insister ? », puis, il se releva, d'un pied pour finalement se mettre droit sur ses jambes. «
Je crois que.. », plus bas encore, il continua. « …
nous avons tous les deux besoins d'une activité intellectuelle. »
Réfléchir c'était occuper son esprit. Occuper son esprit, c'était l'assurance de ne pas être pétrie d'angoisse au fond de son siège. Une part de lui voulait retrouver ses draps et ne plus en sortir jusqu'au lendemain, ou plus loin encore. L'autre était affamé de savoir et de questions. Elle était assoiffée de vide et de chute. Elle était insatiable d'idées et d'hypothèses sordides. Parfois, il donnait raison à l'une et ne cédait pas à la pulsion de se pencher aux fenêtres et de voyager des nuages pour achever sa course le corps tordu comme une feuille morte. À défaut d'être motivé à s'épuiser à dormir, il avait établi un compromis avec sa conscience : Il allait pouvoir réfléchir.
Ils passèrent les escaliers, où son impatience avait finalement encourager sa démarche, il les fit traverser la galerie vide où les armures étaient si justement rangées. Puis, bifurquant à gauche dans un renfoncement, il ne prit non pas la première porte, mais la deuxième.
«
Celle-là mène à un placard à balais. », expliqua-t-il.
Rien ne s'était éteint depuis son départ. Au sol et sur les murs dansaient des halos chauds, ondulant comme de l'eau. Plus timide, il l'invita à approcher, puis, prenant place de l'autre côté des tables – trois mises bout à bout -, il sortit les parchemins de son sac. Les trois rouleaux se retrouvèrent devant lui, encore scellés.
«
Choisis-en un. Et seulement un. - il leva son index à titre indicatif -
Et ce sera le sortilège que tu apprendras. »
Le choix fait, il tendit la main pour s'en saisir et le décacheter. Un sourire releva doucement les coins de ses lèvres, puis, il l’aplatit devant eux, face au Serdaigle pour lui dévoiler l'intitulé :
Enchantements colorés. CODAGE PAR AMATIS
AVATARS PAR PINTEREST