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Les Interrogatoires de Novembre.

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Mar 3 Nov 2020 - 17:47
Les InterrogatoiresLe pourquoi est la genèse de tout interrogatoire.


Charles, heureusement qu'il est là, avec son sérieux et son calme. Il est l'esprit froid, la distance derrière les protocoles et la pression sur les indécisions et les zones d'ombres.

Le bureau du Professeur Ombrage revêt parfaitement la personnalité de sa propriétaire. D'un rose pastel, il se dégage des assiettes de chats une ambiance oppressante, qui n'est pas sans placer à son avantage l'homme ayant pris la place de la sous-secrétaire d'État. D'une stature fine et longiligne, il arbore un visage fermé, strict, dont les lèvres fines surmontées d'une moustache savamment entretenue, n'affichent qu'une moue pincée, sévère. Son nez aquilin retient une monture carrée, aux verres polis. Propre sur lui, l'inspecteur se présente dans un costume sur-mesure, à la chemise sans plis ni tâches, et à la cravate sombre en accord avec sa silhouette d'une sobriété sans pareille. Si ses traits, peu ridés d'expressions criardes, ne laissent présager son approche de la quarantaine, en revanche, les quelques filins grisonnants qui brillent dans ses cheveux blonds cendrés, offrent un indice sur ses années de parcours. Scrupuleux des procédures et professionnel, à la limite de l'austérité, il n'a placé qu'en objets personnels une plaque portant son nom : Charles Clifton, ainsi qu'un stylo à plume et porte documents en cuir qu'il garde contre sa jambe.

Caroline, heureusement qu'elle est là, avec sa joie et sa compassion. Elle est la délicate attention, l'empathie pour une mise en confiance, une oreille attentive qui recueille les confidences.

La porte s'ouvre avec fracas, claquant contre le mur du bureau, mais aussi, faisant s'ébranler les assiettes dans des miaulements mécontents. Toute confuse de sa maladresse, la jeune femme d'une petite trentaine d'années ne peut que joindre ses mains devant son nez en trompette, où, se relève ses lunettes rondes d'un rouge extravagant, mangeant ses pommettes arrondies. Les joues recouvertes de taches de rousseur, elle dévoile dans un sourire avenant, d'une joie sincère, ses dents du bonheur, qu'elle dégage même dans sa démarche sautillante jusqu'à la table, sur laquelle différents objets étrangers des lieux, s'étalent déjà. Une broche, une trousse débordant d'accessoires, un carnet en cuir aux pages jaunies et cornées, une copie de la gazette des sorciers annotées à des endroits qu'elle seule comprend et juge pertinents. Dans une chemise trop grande pour elle, l'inspectrice retient son pantalon traînant sur les talons de ses bottes, par des bretelles aux motifs enchantés, qui bougent dans ses mouvements, dans ses réflexions. Ignorant visiblement le concept de la chaise, c'est sur le coin du chêne massif qu'elle prend place, étendant des longues jambes devant elle. Et le bouquin entre ses doigts, c'est avec affolement qu'elle cherche son stylo, avant de l'arracher de sa chevelure brune, qu'il retenait jusque-là en chignon imparfait. Vu le fouillis de nœuds cascadant sur ses épaules, il aurait sans doute mieux valu qu'elle ne le retire pas.

Hank, heureusement qu'il est là, avec son expérience des traques et des offensives. Il est l'action derrière une cigarette, le manque de tact qui échauffe les versions, mais le doigt qui appuie sur les incohérences.

Des pas lourds qui résonnent, qui claquent dans le couloir, devant la porte clos de la salle d'interrogatoire. Il y fait sombre. Il n'y a presque rien. Une table, deux chaises l'une en face de l'autre, et une vitre, un miroir qui donne sur des inconnus, des visages que l'on ne peut voir, qui ne nous montrent que notre propre regard. Une ambiance intimidante, aux allures de salles de torture dans son silence, dans ses conséquences. La porte s'ouvre, grinçant sur ses gonds. Un homme entre en se raclant la gorge bruyamment, se débarrassant d'une toux grasse. Robuste et bedonnant, l'inspecteur arbore sur ses joues mal rasées, les prémices des rides soucieuses, contrariées, qui s'étendent sur le bleu de ses cernes, et l'entre de ses sourcils fournis, en plis de lion. Coincée entre ses lèvres, dévoilant ses dents jaunis par la caféine qu'il tient dans sa main droite, un tube de tabac à moitié plié, laisse s'échapper quelques miettes, qui s'envolent sur le col de sa chemise froissée, qui du blanc, s'est déteint en gris. La démarche légèrement boiteuse, et les tempes dégarnis, il vient s'installer face au témoin, ou accusé, son air bourru et peu aimable, se traduit d'un reniflement dédaigneux, ou simplement enrhumé. Presque bancal sur son fauteuil, il est aisé de constater qu'il n'en a pas l'habitude, si l'on remarque les épaulières de son uniforme décharné par les années, par les combats et le terrain. De sa poche de pantalon, il sort alors un stylo et un carnet corné, vieilli, et entame l'interrogatoire d'une voix rauque, mâchée dans son double menton.

Aimee, heureusement qu'elle est là avec son charme étourdissant et sa ruse de vipère. Elle est l’élégance des belles phrases bien tournées, qui font tourner les têtes, les cœurs et amènent aux soupirs, mais aussi, la glace qui s'abat comme un fouet pour amener à la vérité.

Des longues jambes et le clac des talons hauts, une gazelle dans un tailleur sans équivoque ni sous-entendus, l'inspectrice arbore les couloirs de son sourire exotique, de son parfum fleurit et de sa présence magnétique. Des têtes se tournent, s'interpellent, et la suivent jusqu'à la porte de la salle d'interrogatoire. Le morne, le morose, l'angoisse d'une vitre sans teint et d'une aseptisation se dissipe en une fumée colorée, lorsque sa voix suave résonne dans la pièce, se répercute contre les murs. Aphrodite dans une jupe fendu et des bas opaques, d'une sobriété élégante qu'elle porte sur sa peau métissée, et son chapeau surmontant sa coiffure ondulée, qui salue d'un sourire enjôleur, distant et chaleureux à la fois. En deux enjambées, elle rejoint sa place, apposant ses cuisses l'une sur l'autre, pour y appuyer son bloc note vierge d'écriture. Sous les couches de son mascara, perdu dans un phare doré, le clair de ses yeux de biche transperce les armures et les défenses, autant que son chemisier anis débordant de ses arguments féminins. Ses dents s'accrochent au capuchon de son stylo, qu'elle taquine de sa canine un instant, pensive, d'une inattention charmeuse. Puis, le délaissant, elle humecte la pulpe de sa bouche se fondant dans son teint en un relief sensuel, du bout de sa langue. Le dos droit, la posture détendue et ouverte, elle passe son doigt ganté sur sa page en laissant entendre le miel de sa voix.

Silence ! Prenez place. Que les interrogatoires commencent.



Hors-RP

Chers Sorciers, sorcières, citoyens,

Installez-vous et profitez des interrogatoires mis en place en réaction à l'affaire d'Halloween. Dîtes-nous, qu'à vu votre personne ce soir-là ? A-t-il participé activement aux recherches, aux affrontements ? Ou, pauvre élève désœuvré, s'est-il retrouvé sous le joug de l'impuissance face à la menace de deux baguettes ? Est-il prêt à faire face à ses traumatismes et le regard perçant d'un inspecteur ? Ou bien est-ce l'envie de parler, donner son avis, qui l'assied ici ?

C'est ce que nous allons pouvoir lire à la suite de cette introduction qui vous présente les quatre inspecteurs envoyés par le département des Auror. Deux se sont rendus à Poudlard, dans le bureau du professeur Ombrage (les deux premiers), tandis que leurs confrères se trouvent dans une salle spécialement allouée dans l'enceinte du ministère de la magie.

Pour rappel, ils se déroulent entre le Lundi 6 au Samedi 18 Novembre, merci d'en tenir compte lors de votre rédaction. Sachez que pour les convocations, elles sont reçues par votre personnage quelques jours auparavant, pour laisser un temps d'organisation aux deux parties, puisque rappelons que certains étudiants ont émis l'envie d'être accompagné par un parent ou un représentant légal, et que leur déplacement et accueil se doivent d'être scrupuleusement préparé à l'avance.

Posterons à la suite de ce message les joueurs et joueuses ayant déjà joué l'interrogatoire avec un membre du corps administratif en privé ou sur discord. Merci de ne pas écrire si ce n'est pas encore le cas.

À vos plumes,
Le Maître du Jeu.
:copyright:️ 2981 12289 0
Le Choixpeau Magique
Maître du Jeu
Le Choixpeau Magique
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Mer 11 Nov 2020 - 19:54
Les Interrogatoires de novembre

RP commun

Chère Maman, cher Papa,

Merci pour votre lettre. Je sais que ce qui a été dit dans le journal peut paraître inquiétant, mais ne vous en faites pas : comme ils l’ont mentionné, ce n’était qu’une blague. Une bande d’étudiants a cru bon de pousser la fête d’Halloween jusqu’à ses limites et les conséquences sont celles qu’on connaît.

À présent, tout est terminé et la vie reprend normalement au château. Une enquête a été ouverte, c’est vrai, mais c’est davantage une formalité qu’une réelle nécessité.

Maman, je dirai à Amy de répondre plus souvent à vos courriers. Mais tu la connais, elle est aussi distraite qu’un papillon déconcentré.

Je vous embrasse, prenez soin de vous.
Ariel


.

La main fine serrait convulsivement le parchemin. Aucune chance qu’il n’y réchappe. Les mots n'étaient plus lisibles. Les informations n’étaient plus déchiffrables. Pas besoin : Ariel les connaissait par cœur. Ils avaient transpercé son apathie avec une facilité déconcertante. Depuis ils dansaient derrière ses yeux avec constance. Et à présent, la missive du Ministère hantait ses nuits en compagnie de la pluie et des feuilles mortes.

C’était le 13 novembre 1995. Ariel n’était pas superstitieux, mais il ne parvenait pas à empêcher ses muscles de se crisper dès qu’il songeait aux sombres présages qu’annonçait la date.

Comment était-il supposé vivre paisiblement cette convocation après la lecture des grands titres de la Gazette du Sorciers ? Même s’il évitait soigneusement d’en parler - même s’il évitait soigneusement de parler -, Ariel ne pouvait passer à côté des encarts réguliers dans le quotidien magique. Les journalistes ne manquaient pas d’imagination lorsqu’il s’agissait de sauver la réputation du Ministère.

— Tu vas leur raconter quoi ?, demanda Adam en désignant son poing fermé.

Adam était l’un de ses camarades de dortoir. S’il n’était pas spécialement ami avec lui, les deux garçons s’entendaient bien d’ordinaire. Ariel supposait que s’ils n’étaient pas devenus plus proches, c’était surtout parce qu’il passait son temps fourré avec Jules et les autres. Et qu’Adam était particulièrement snob ; il médisait souvent sur les Gryffondor et les Poufsouffle.

Oscar, installé sur son lit, toussota discrètement. Avertissement tardif sur la marche à suivre : il ne fallait pas adresser la parole à Ariel. En presque deux semaines, les personnes qui gravitaient autour du Melwing l’avaient compris.

Pas Adam.

— Pas tes affaires, éluda Ariel.

— J’ai entendu dire que les inspecteurs étaient de vrais connards, poursuivit-il sans se soucier de l’ombre qui se dessinait sur le visage de son vis-à-vis. Ils sont prêts à tout pour t’arracher la vérité. Je ne sais pas ce que tu comptes dire, mais tu as plutôt intérêt à ne rien leur cacher… ou à ne rien inventer.

Le sous-entendu était clair : Adam le pensait capable de mentir pour se rendre intéressant. Il croyait ce que les journaux racontaient. Avoir été tenu loin des événements brûlants de la soirée n’avait pas plu au Serdaigle. Il était du genre à vouloir se mêler de tout, partout, tout le temps. Entraîné par son ego, les conséquences psychologiques et les terreurs nocturnes qui restaient étaient négligeables.

Le sourire du garçon se fit plus marqué. Il prit une expression étrange, les yeux exorbités, les dents dévoilées. S’il ne l’avait pas autant agacé, Ariel l’aurait trouvé comique. À la place, la haine et la colère montaient de concert.

— Tu vas devoir replonger dans tes pires souvenirs, retrouver les plus infimes détails, raconter tes plus intimes peurs…

— Tu vas la fermer, oui ?, explosa Ariel sans attendre la fin. Putain mais tu comprends rien ?! Va te faire foutre !

Il sauta de son lit, chopa sa cape, piqua une écharpe qui traînait là et prit la fuite sans attendre de réponse. Derrière lui, il entendit Oscar murmurer quelque chose. Sans doute une brimade ou un reproche à l’égard d’Adam.

Les gens étaient cons. L’espèce humaine ne valait rien.

Dans le cœur d’Ariel, les émotions étaient plates mais l’étau se resserrait encore un peu. Il voulait pleurer mais les larmes ne montaient pas. Il voulait crier mais ses cordes vocales n’obéissaient pas. Il voulait s’oublier sans qu’on ne le maintienne dans la réalité.

.

Ce jour-là, il n’eut pas à éviter les étudiants, il n’eut pas à trouver d’excuse pour s’éclipser, il n’eut pas à hésiter en sortant de l’enceinte du château, car personne ne l’attendait. Personne ne le cherchait. Personne ne le trouverait.

Ce jour-là, l’eau était plus froide que la veille et les profondeurs plus libératrices que tous les autres jours.

.

15 heures. La porte claqua brusquement contre le mur, les assiettes dans le bureau d’Ombrage tremblèrent et une petite voix navrée perça le silence comme une vrille. Ariel n’eut pas la force de sursauter. Il se contenta de se lever, suivre la jeune femme des yeux, se demander si l’impact avait été suffisamment fort pour briser les assiettes.

Visiblement pas.

Ils quittèrent la fraîcheur du couloir pour la chaleur entêtante de la pièce.

Le tic-tac des horloges murales retentissaient dans l’air opaque. Les yeux des chats peints sur les assiettes, sur les tableaux, sur les broderies, le jugeaient avec toute la malveillance dont ils étaient capables. Il s’estimait heureux qu’Ombrage ait été chassée de son bureau le temps des interrogatoires - il n’aurait pas supporté son regard globuleux ni ses sourires mielleux.

C’était la première fois qu’il mettait les pièces dans l’office de la Sous-Secrétaire d’État. La moquette feutrait tous les sons, même les miaulements insistants des chats. La luminosité aux reflets rosés lui agressait les yeux. Ça sentait le parchemin, le vide et l’hypocrisie. Il détestait cet endroit.

Combien de temps l’interrogatoire durerait-il ? Il n’y avait pas beaucoup de détails dans la convocation. Simplement des formules d’usage sur le contexte qui entourait l’intervention, la nécessité de coopérer totalement, sans retenue, et leur volonté de gérer au mieux cette situation de crise. Ariel savait qu’une enquête entourait les événements d’Halloween. Il se doutait toutefois qu’on cherchait à prouver qu’il n’y avait eu aucun Mangemort sur place plutôt qu’à rétablir la plus authentique des vérités.

Devait-il mentir à l’inspectrice ? Abonder dans le sens du Ministère pour qu’on le laisse tranquille ? Il ne se sentait pas la force d’inventer ni de broder quoique ce fût. Il voulait qu’on le laisse tranquille, dans un coin, qu’on ne s’occupe pas de lui. Il voulait qu’on comprenne qu’il n’était pas capable de répondre à leurs exigences, qu’il n’était plus capable de répondre à ses propres exigences.

— Bonjour !, s’exclama la femme - elle avait l’air aussi Auror que lui ressemblait à Dumbledore. Entre donc, mets toi à l’aise ! Je m’appelle Caroline Johnson et toi c’est… Ariel Melwing, c’est ça ?

Ariel acquiesça en silence. La jeune inspectrice tenait entre ses mains un registre, sans doute un livret sur lequel elle consignait ses observations et où étaient réunis les documents relatifs à l’enquête.

Elle s’arma d’un stylo sorti de nulle part et Ariel s'étonna de la voir utiliser un objet moldu. Elle ajusta ses lunettes sur son nez et observa Ariel par-dessus ses verres.

— Tu étais présent à la soirée se déroulant aux Trois Balais, n’est-ce pas ? En quoi étais-tu déguisé ?

Le jeune Serdaigle soupira profondément. Il était fatigué, si fatigué ! Et la dernière chose qu’il souhaitait, c’était de revenir sur le déroulement de la soirée.

— Oui, dit-il néanmoins du ton le plus neutre possible. J’étais déguisé en Billywig.

— Oh ! Adorable créature. (Il eut envie de lui arracher son sourire ou de la piquer avec son dard enchanté.) Et tu t’es bien amusé ? Aucune chose étrange, qui n’a perturbé ta soirée avant qu’un élément extérieur ne l’interrompe ?

Il fit mine de réfléchir un moment, se repassa la banquet, la belle fille à moitié décapitée, son attitude étrange, sa demande en mariage. Une rougeur voulut se frayer une place sur ses joues pâles, une vague de chaleur voulut le submerger des pieds à ses boucles violettes, mais les feuilles mortes et le vent d’automne les chassèrent aussitôt. Il se décida :

— Je me suis ridiculisé devant mes amis, mais c’était peut-être l’ambiance de la fête. Et les lumières se sont éteintes. Mais c’est tout.

— On est tous passé par là, tu sais ? Je ne compte plus les fois où je suis tombée devant toute ma classe, et le ridicule n’en est pas mort ! Ni moi, d’ailleurs.

Il se retint de la fusiller du regard. Elle était ridicule et il n’avait pas envie d’en parler.

— Tu me dis que les lumières se sont éteintes ? Tu aurais une idée de comment cela a pu se produire ? Et où étais-tu, à ce moment-là ?

— Je… je ne sais pas. Il y a eu du bruit. J’imagine que c’est un sorcier qui les a faites exploser, je ne vois pas comment elles auraient pu toutes s’éteindre et exploser en même temps autrement. J’étais avec les autres, dans la foule, donc impossible d’être plus précis.

— D’accord, c’est pas grave, ça me suffit, dit-elle en notant avec intention la moindre des données. Et après, qu’as-tu fait ? Tu as rejoint tes amis pour suivre le cortège rentrant pour Poudlard ? Et pendant le rassemblement, as-tu vu quelque chose qui t’a interpellé ? Ou entendu, peut-être ?

Ariel remua. Les images se bousculaient dans sa tête. Les rumeurs murmurées, la précipitation, les messages aux hauts-parleurs, l’attente immobile. En y repensant, les signes étaient là : c’était la panique chez les adultes et personne n’avait voulu le voir. Lui le premier.

Il aurait dû fuir à ce moment, sortir du rang et emmener ses amis avec lui. Protéger leurs yeux de l’horreur de la cruauté et du terrorisme, et les siens aussi.

Il prit la parole en modulant sa voix pour qu’elle paraisse sûre et sans faille :

— Ils n’ont pas arrêté de nous dire de les suivre et de faire attention, mais rien de plus alarmant avant qu’on nous attaque. (Sa voix chuta d’un octave. Il reprit plus posément :) Je crois que McGonagall s’est disputé avec quelqu’un juste avant les premiers sortilèges, mais c’est un peu flou…

— Disputé ? C’est-à-dire ? Tu as pu entendre ce qu’il se disait ou voir la personne à qui elle était confrontée ? Ou tu étais trop loin ?

Son sang-froid le quitta totalement et ses mots se firent presque inaudibles :

— Je sais plus, j’ai oublié…

Mrs Johnson s’interrompit, comme si elle avait conscience que cette partie de l’entretien était compliquée à assumer. Lorsque sa main, douce et rassurante, entra en contact avec l’épaule du jeune garçon, Ariel se crispa complètement.

— Ce n’est pas grave, d’accord ?, tenta-t-elle de l’apaiser. C’est donc après que cette personne ait interpellé le Professur McGonagall que les premiers sorts ont été envoyés, c’est bien ça ?

— Oui, c’est ça.

Sa voix s’était raffermie.

— As-tu toi-même été touché par un sortilège lorsque la cohue s’est faite ou es-tu parvenu à t’en sortir indemne ?

— Oui. On m’a lancé un Petrificus Totalus, mais je ne sais pas par qui ni par où.

— Ouch, c’est jamais agréable de se prendre ce genre de sort. (Il eut envie de lui faire ravaler son expression compatissante.) Je me souviens de mes premiers duels avant de devenir officiellement Auror… Mais bref, passons. Peux-tu m’expliquer comment tu es parvenu à t’extraire des rangs si tu étais paralysé ?

— C’est Merlin qui m’a tiré.

Et à bien y réfléchir, il aurait préféré qu’elle le laisse là où il était tombé. Peut-être se serait-il fait piétiner, peut-être l’aurait-on retrouvé le lendemain seulement, mais il aurait échappé à la scène cauchemardesque qui avait suivi.

Aux feuilles mortes se serait greffée la boue, mais peut-être que leurs couleurs auraient alors été moins terrifiantes.

Il se sentit obligé d’expliciter :

— Une cinquième année à Serdaigle. Je ne sais pas trop où elle m’a emmené mais on s’est retrouvés séparés du reste des élèves, avec quelques camarades.

Elle commença à fouiller frénétiquement dans son registre. L’air aussi désorganisée que sa petite soeur, Ariel se demanda comment la jeune femme était parvenue à ses fonctions d’Auror.

— Veux-tu bien me dire son nom de famille ?

Puis, en constatant qu’Ariel ne savait pas, elle poursuivit ses recherches.

— Aha ! J’ai retrouvé ! Merlin Shafiq, tu confirmes ? (Ariel haussa les épaules encore une fois : Shafiq lui disait vaguement quelque chose, mais il était incapable d’affirmer que ce nom appartenait à Merlin.) Un nom pourtant connu, qui se retient facilement, tu ne trouves pas ?

— Je sais pas, je l’appelle pas par son nom de famille.

— Moi non plus, je n’appelais pas mes amis par leurs noms de famille à ton âge, sourit-elle comme si Ariel se souciait de sa jeunesse. Si je résume bien, tu es isolé avec certains de tes camarades après avoir subi les effets d’un sortilège. Pourrais-tu me dire qui d’autre était avec toi ?

— Il y avait Jules et Oscar. Jules Murphy et Oscar Clark. Ensuite Azalée, Merlin et une autre que je connais pas.

Mrs Johnson se remit à fouiller dans ses papiers. Certains voletèrent jusqu’au sol sans qu’elle ne parût s’en soucier. Enfin, elle mit la main sur ce qu’elle cherchait : le dossier des étudiants en question.

— J’ai, annonça-t-elle triomphalement.

Elle agita les feuilles, comme pour préparer le terrain pour la suite de la conversation.

— Je sais que nous entrons dans la partie la plus douloureuse, sans doute, commença-t-elle prudemment. Mais je n’ai pas le choix. Peux-tu me dire ce qu’il s’est passé ensuite ?

Un long silence accueillit ses paroles. À l’idée d’évoquer la clairière, ses occupants et son histoire, l'esprit du bleu et bronze s’était gelé. À nouveau seules des images fixes défilaient devant ses yeux. Le bouclier mental, dressé en permanence depuis cette nuit-là, renforçait ses ouvertures et condamnait ses failles.

Ariel leva les yeux vers l’inspectrice. Des yeux sans fond, sans expression. Sa voix s’était complètement tarie et ses fêlures étaient à nu.

— Il y avait des feuilles mortes et de la pluie, finit-on par discerner dans le silence assourdissant.

Même les chats se taisaient.

La jeune femme parut percevoir le mal-être du jeune Melwing. Elle vint se placer à côté, douce inspectrice maternelle, à genoux sur le sol. Son contact était doux. Cette fois, il fut bienvenu. Une ancre pour se maintenir dans la réalité.

Ariel se voûta.

— C’est ce que tu vois encore, pas vrai ?, demanda la femme d’un murmure rassurant. Ce qu’il te reste ? Chez les Aurors, c’est fréquent après une première mission, un premier traumatisme.

Ariel bloqua sa respiration. Alors il n’était pas le seul à avoir arrêté de vivre ? Il s’accrocha comme un fou au flot de paroles qui coulait de la bouche de l’Auror. Elle connaissait son sujet. Elle savait.

— C’est un rêve qui nous suit, qui nous hante, poursuivait Mrs Johnson. Comme un bonbon qui colle à la chaussure, tu vois ? Mais la seule manière de s’en débarrasser, c’est d’y faire face. Alors je te l’accorde, ce n’est peut-être pas à moi que tu as envie de te confier, mais j’ai besoin que tu aies le courage de le faire.

Je n’ai envie de parler à personne !, voulut hurler Ariel dans le vide. J’ai envie de sauter dans un gouffre et en remonter !

Elle se releva et la sensation de chaleur céda la place à l’étau qui l’enserrait depuis deux semaines. Il la sentit faire les cents pas derrière lui. Il refusa de se retourner. Sans doute cherchait-elle les meilleurs mots à utiliser, ceux qui ne raviveraient pas trop ses cauchemars mais qui l’inciteraient à parler.

Ses barrières cédèrent soudain.

— Ils étaient deux ils portaient des masques de Mangemort, ils voulaient qu'on les fasse entrer dans le château, on a pas voulu ils nous ont menacé, et ils ont attaqué Merlin et l'autre fille avec de la Magie Noire, je suis sûr d'avoir entendu "Endoloris" et en plus Merlin criait de douleur après, je ne sais pas ce que faisaient les autres moi je pouvais pas bouger je voulais m'enfuir mais en même temps je pouvais pas courir, je voulais les défendre mais en même temps je pouvais pas faire de magie, je voulais crier mais en même temps j'avais plus d'air, et ensuite ils sont arrivés pour nous sauver et après…

Son souffle était court. Son cerveau refusait de fonctionner correctement. Ses mains tremblaient, ses poings serrés viraient au blanc et ses veines bleuies, gonflées, pulsaient comme un appel à l’aide.

Quelque part pendant sa tirade, il s’était levé. Ses muscles le faisaient souffrir tant ils étaient tendus.

— Après c’est noir, acheva-t-il, presque inaudible. Je me souviens juste des feuilles et du vent et de la pluie.

C’était comme si son énergie l’avait déserté d’un coup. Il se rassit, soufflé, muet, incapable de rien rajouter ni de rien préciser. Son regard accrochait le vide sans vouloir s’attarder sur du concret.

La réalité fuyait et il voulait fuir la réalité.

— Très bien, dit enfin l’inspectrice. Très bien. Tu as été très courageux, Ariel. Beaucoup d'adultes ou de jeunes garçons de ton âge n'auraient pas pu faire ce que tu viens de faire. Je te remercie de ton témoignage. Tu peux retourner à tes activités et retrouver tes amis maintenant.

Ariel hocha la tête, sonné. La voix de Mrs Johnson provenait de derrière lui mais elle lui paraissait si lointaine qu’elle pouvait aussi bien être localisée à un millier de miles.

Le jeune garçon se leva, fit quelques pas automatiques. Se souvint de l’inspectrice. Lui adressa un signe de tête, à mi-chemin entre l’acquiescement et le salut.

Il fila sans se retourner en laissant la porte grande ouverte derrière lui.

Comme une ouverture béante pour ses démons qui le suivraient aussitôt.
Code by Ariel

HRP :
Ariel Melwing
Modo aquatique
Ariel Melwing
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Jeu 12 Nov 2020 - 22:56
Les interrogatoires de novembre
feat Hank Penley, l'inspecteur | Vendredi 17 novembre 1995
« T’es sûre que tu veux y aller ?
– Tu veux que je fasse quoi d’autre ? Me taire et faire comme si tout était normal ? »

Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle avait été agressive alors qu’il avait pour seul tort de s’inquiéter pour elle. C’est le visage mi-choqué mi-désolé de son ami qui la fit soupirer et arrêter sa déambulation boiteuse incessante. Son regard se porta sur la fenêtre, perdue. Elle ne savait pas trop quoi faire. A l’école une bonne dizaine avait déjà reçu des convocations. Elle avait vu leur ballet vers le bureau d’Ombrage, leurs visages soulagés ou douloureux, parfois les deux. Elle les avait regarder passer, impuissante et pourtant si compatissante. Elle n’avait pas vécu un quart de ce qu’ils avaient pu ressentir. Ce n’était que des enfants. Pourquoi se donner tant de mal pour traumatiser des enfants ? Ils auraient pu s’en prendre tout simplement à des adultes. Des adultes de leur niveau, peut-être pas aussi vicieux mais avec au moins les mêmes capacités qu’eux.

Bien installé sur le canapé il la regarda, un bras tendu sur le dossier. Un petit sourire compatissant prit place sur son visage alors que sa seconde main se mouvait pour lui faire signe d’approcher. Mi résignée mi attendrie Alex vint alors se blottir contre lui, laissant son corps se détendre dans le confort du fauteuil et la chaleur décontractante de son meilleur ami. La main du jeune homme se posa sur son épaule, y dessinant de petites formes dont la douceur l’apaisait. Ils restèrent quelques minutes ainsi, plongés dans ce silence de réflexion. Alors qu’il inspirait seulement, la bibliothécaire ne lui laissa pas une seconde pour débuter tout autre mouvement.

« Oui la Gazette en a parlé, je sais. Mais ils savent pas d’accord ? Ils étaient pas là et toi non plus ? J’peux pas les laisser faire genre que c’est que dalle, que c’est qu’une bande de cons qui s’amusent. Ils ont pas le droit de nous faire passer pour des menteurs, tu comprends ça ? »

Il n’y avait rien à dire de plus. Il savait qu’elle était déjà de toute manière convaincue. Et elle le savait aussi, qu’il n’y aurait pas de marche arrière.

~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~ • ~

Elle n’avait jamais mis les pieds au Ministère, et pour être honnête elle aurait préféré ne jamais avoir à y faire résonner ses talons. Elle s’était bien habillée pour l’occasion, enfilant tailleur et chemise. Elle avait discipliné ses cheveux pour les plaquer sur son crâne. D’une main ce n’avait pas été si simple, mais le résultat lui avait semblé convenable. La fourmilière qui grouillait autour d’elle lui donnait la nausée. Elle se sentait déjà étouffer ici, plus d’appréhension que de véritable oppression. Machinalement elle avait rejoint le premier bureau qu’elle trouvait pour y chercher les informations qu’elle souhaitait.

« C’est pour quoi ? avait-retenti une voix fluette bien installée derrière son bureau savamment rangé.
– Hm… J’ai entendu dire qu’il y avait euh… des interrogatoires, pour… enfin vous savez, la soirée d’Halloween. »

Elle ne se doutait pas que ce serait difficile. Pourtant il lui fallait être courageuse. Si elle ne le faisait pas pour elle, elle devrait au moins le faire pour eux. Pour les élèves, pour les blessés. Pour qu’ils ne souffrent pas pour rien.

« Vous avez votre convocation ?
– Euh non, j’ai pas été convoquée. Mais on m’a dit qu’on pouvait venir sur le volontariat. J’étais à Pré-au-Lard ce soir-là et… »

Inconsciemment elle avait posé ses mains sur la table, y cherchant un appui – au moins d’un côté. En repensant à ce qui lui était arrivé elle avait glissé lentement sa main blessée mais le mouvement attira le regard de la secrétaire. Tant pis pour la discrétion.

« Suivez-moi, on devrait trouver quelqu’un de libre pour vous auditionner. »

Même son sourire rassurant n’avait pas réussi à calmer la nervosité qui grimpait progressivement en elle. Sans réfléchir elle l’avait suivie. Sans réfléchir elle avait fait résonner ses talons en écho à travers les couloirs, les virages. Elle serait complètement incapable de ressortir de cet endroit, comme si la volonté était d’y enfermer à jamais toute personne qui osait y pénétrer. On lui désigna une porte ouverte sur sa gauche par laquelle elle s’engouffra.

« Installez-vous, un inspecteur va venir bientôt. »

Alex grimaça un semblant de sourire en remerciant la femme d’un geste de tête. La porte se referma derrière-elle, lui donnant l’impression d’être déjà emprisonnée avant d’avoir dit quoique ce soit. La lumière blafarde au plafond grésillait, donnant un aspect d’autant plus lugubre à l’espace bien vide. Une simple table, deux chaises et un grand miroir qu’elle supposait être une fenêtre ou du moins une vitre.

Son reflet lui faisait peur. Elle était pâle, reflet des nombreuses nuits de cauchemars. Sa main bleuie arborait presque des reflets verdâtres bruns qui se camouflaient à merveille avec le noir de sa veste. Un hématome ornait sa clavicule gauche pour remonter sur son trapèze et son cou, là où le col de sa chemise ne pouvait le dissimuler. Elle porta la main à ses côtes qu’elle tâta doucement en grimaçant. Vraiment, elle faisait peur.

Quittant son reflet elle boitilla, tournicota dans la pièce exiguë pendant de longues minutes. Peut-être cinq, peut-être dix, peut-être plus. Elle ne savait pas, seuls les petits élancements qu’elle ressentait faisaient office d’horloge arbitraire. Des bruits résonnèrent soudainement dans le lointain. Ils ne venaient pas de la pièce. Très certainement du couloir attenant. Alors que la porte grinçait elle ne se retourna pas. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, semblant vouloir défaire ses côtes pour se faire la malle.

Ce fut donc sur un raclement de gorge gras, infâme qu’elle se décida enfin à faire face au nouveau venu après une grande inspiration. Elle l’observa, cherchant en lui quelques signes qui le placerait du côté des accusateurs ou des compatissants. Rien dans son allure ne lui inspira la sympathie au premier abord. Son ventre bedonnant, sa barbe de trois jours immonde, ses dents jaunes, les miettes délaissés sur un col à la couleur étrange. Ils partaient sur un mauvais pied tous les deux.

Docilement elle s’assit cependant à son geste de main, tentant tant bien que mal de rester le plus neutre possible. Sa jambe tressautait, une main posée dessus tandis que ses doigts tapotaient la table de l’autre.

« Alors, ton nom, ta profession, la raison d’ta présence, s’te plait. Et moi, c’est Hank Penley. »

Eh bien, Hank Penley, sache déjà que je ne t’aime pas, pensa-t-elle. Avec Alex c’était souvent direct. La manière qu’il avait eu d’entrée l’avait laissée sceptique mais cette entrée en matière la laissait plus que perplexe. Il ne pouvait pas faire plus froid, sec et… inhumain ? Elle ravala le sourire ironique qui lui vint aux lèvres. Elle avait décidé d’être là, après tout.

« Alexandria Brekke, avec deux k et un e. Bibliothécaire à Poudlard. Et comme peut-être des dizaines de personne avant moi je viens par rapport à l’attaque à Pré-au-Lard. »

Elle avait fixé son regard sur la anse de la tasse à café de l’homme. L’odeur ignoble lui chatouillait les narines. Couplé au dédain qui semblait s’installer progressivement entre eux, l’ambiance était plus qu’électrique.

« Ouais, c'est en effet pour c't'affaire là qu'on s'fait face. T'étais sur les lieux du coup ? Si oui, j'te laisse me dire où précisément et qu'est-ce que t'y faisais. »

Non bien sûr que non, elle était à l’autre bout du pays à traire des chèvres. Alors que sa lèvre tressautait d’avantage, elle réussit à ne pas grimacer de manière trop visible mais dans sa tête les fustigations fusaient aussi sûrement que les sorts ce soir là. Elle n’aimait pas la manière qu’il avait de lui parler. Comme s’ils avaient élevés les cochons ou les boursoufs ensemble – selon la culture habituelle.

« J'étais à la Tête de Sanglier quand j'ai entendu le message comme quoi y avait une menace et qu'il fallait pas sortir. Je suis sortie quand même. »

Elle fit une pause dans son récit, essayant de rassembler les éléments le plus précisément possible. Elle se souvenait du bruit qui avait résonné dans la taverne, de l’inquiétude de Jayce quand elle avait voulu franchir la porte. De la manière sèche dont elle lui avait répondu. De l’état dans lequel elle était rentré.

« J’ai entendu des bruits bizarres, comme des gens qui se battaient, un truc qui explosait, je sais pas trop. »

Une nouvelle pause. Elle secoue la tête, ses sourcils se fronçant inconsciemment, perdue dans ses réflexions. Elle revoyait sans peine les flash de lumière, les sons des sorts.

« J’ai pas réfléchi, j’ai couru direct’ là-bas. C’est là-bas que c’est parti en vrille.
– En vrille hein ? Bah c’est intéressant ça. Et t’as pas décampé j’suppose ? »

La blonde serra les dents devant le ton employé par l’homme en face d’elle. Elle ressentait les pointes de condescendance, la manière dont il la jugeait sans vraiment l’exprimer clairement. Elle s’inventait peut-être un film. Peut-être qu’elle interprétait mal les tons et le vocabulaire employé. Elle l’espérait.

« Pourquoi je l’aurai fait ? Y avait déjà des gens présents et clairement ça avait l’air d’être la merde, j’allais pas les laisser se démerder en faisant genre que j’avais rien vu. »

Je ne suis pas aussi lâche que vous avez l’air de l’être, pensa-t-elle. Il griffonna quelques choses qu’elle ne pouvait voir. Qu’elle ne voulait voir.

« Des gens hein ? Et combien ils étaient ces gens ? »

Qu’est-ce qu’elle en savait de combien ils étaient. Est-ce que c’était si important que ça ? Ses yeux étaient fixés sur la table sans la voir réellement. Ils fixaient un vide indéfini. Elle cherchait, comptait, tentait de se souvenir.

« Derrière moi y avait un ami qui m’a rejoint. » Ou plutôt embrigadé de force. Elle n’avait pas vraiment laissé le choix à Cébren de la rejoindre. Elle s’était douté de toute manière qu’il la suivrait. « Sur le coup j’ai vu au moins deux types avec une capuche qui avait tout sauf l’air d’avoir envie de partager un pot devant des chocogrenouilles et des patacitrouilles, si vous voyez c’que j’veux dire. De là où j’étais je voyais personne d’autre mais je sais que y avait au moins trois autres personnes. »

Le bruit de la tasse qui heurta la table lui fit relever la tête brusquement. Ils se toisèrent quelques instants. Lui la jugeant presque, elle le dédaignant en restant le plus possible stoïque.

« M’faudrait le nom de ton ami s’te plaît, entendit-elle marmonner.
– Cébren. C-E-B-R-E-N, épela-t-elle. Hum… Gall… Gallagher, si je dis pas de bêtises. G-A… deux L… A-G-E-R. Je crois, j’suis pas sûre de comment ça s’écrit.
– Tu peux m’en dire plus sur ton copain Cébren ? Sa profession, son âge… Puis, c’qu’il faisait dans le coin, comment tu l’as croisé, etc., etc. »

Ses moulinets de bras l’agaçaient. Sa nonchalance, son dédain. « Dites-le si je vous fais chier » s’entendit-elle marmonner suffisamment bas pour qu’il ne l’entende pas. Elle n’avait pas pu le retenir, exaspérée par ce comportement. « J'le connais pas très bien, on s'est croisé à des soirées. J'crois qu'il est dans le commerce ou quelque chose comme ça et qu'il est un peu plus jeune que moi. J'dirai p't-être une vingtaine d'années pas plus. J'sais absolument pas c'qu'il faisait là et à la rigueur je m'en fous. J'lui ai pas laissé le temps de discuter, fallait aider le bordel qui se passait là-bas et je savais qu'il pourrait me filer un coup de main. »

Elle n’avait pas envie de le balancer, ce n’était pas son problème. Elle n’allait très certainement pas balancer aux forces de l’ordre en présence que l’ami en question était un négociant de bas étage qui la fournissait en diverses choses. Elle se redressa sur sa chaise. Sa côte fêlée lui faisait mal. Sa main gauche cassée au teint inquiétant la lançait atrocement. Le néon grésillant lui donnait un mal de tête tenace. Elle s’impatientait, gérait mal le fait d’être assise aussi longtemps.

« Mais au pire c’est pas le plus important, s’emporta-t-elle soudainement. Pourquoi vous vous concentrez pas sur les trois fouilles merdes qui ont détruit Pré-au-Lard, ont blessé des gens et on très certainement un très joli serpent sur le bras ? C’est eux les méchants, pas Cébren ou moi ! »

A que ça faisait bien de se lâcher comme ça. De râler un bon coup. Parce que c’était pour ça qu’elle était là après tout. Pour parler des vrais problèmes, de ces monstres qui avaient fait foirer cette soirée. Qui avait très certainement brisé la vie de plusieurs personnes ou du moins les avaient marqué pour le long terme. Et ils parlaient comme si de rien était, tournant autour du pot, parlant d’elle-même, de Cébren, des détours du problème même. L’effet qu’elle reçut ne fut pas celui escompté. Au lieu de faire mouche, de le piquer dans son ego, de lui faire entendre le vrai fond Hank soupira, s’avachissant d’avantage sur sa chaise.

« T’as vu deux ou trois types à capuches ? »

Elle passa sa main valide sur son front avant de masser sa tempe. C’était tout ce qu’il avait retenu ? Son mal de tête lui vrillait le crâne. Elle ne se souvenait plus de ce qu’elle avait dit, de où elle en était réellement. Avait-elle parlé des sorts et des blessés ? Avait-elle mentionné Cébren ? Elle se sentait las.

« Quand je suis arrivés sur les lieux j’en ai vu deux, répondit-elle en soupirant. Une fois que ça a fini de tirer de partout y a quelqu'un qu'a sifflé et ils ont détalé. Je leur ai couru après et le temps que j'arrive deux ont transplané. J'ai eu le temps d'entendre quelqu'un me dire de faire attention avant qu'un troisième type fasse péter un mur avant de se barrer aussi.
– Des types louches, y en a des tonnes, et ils portent pas tous c’tatouage avec un serpent, t’vois. Alors pourquoi t’crois qu’c’était des Mangemorts et pas juste des voyous ? »

La lassitude s’était fait la malle, ramenant à sa place une colère sans nom. Comment pouvait-il oser dire ça ? Après tout ce qu’il avait du écouter ? Quelque chose ne collait pas dans son comportement. Mais après tout c’était la dernière chose dont cet arrogant dédaigneux devait avoir à faire.

« Parce que vous pensez sérieusement que de simples voyous auraient foutu autant la merde à la fois à Pré-au-Lard et à Poudlard pour s'amuser ? » Son rire se fit ironique, aussi dédaigneux que le regard qu’elle retenait de lui lancer depuis le début de l’interrogatoire. « C'est fou comme vous pouvez tous être naïfs à répéter sans cesse que Vous-savez-qui n'est pas de retour. Ces connards en sont la preuve. » Elle secoua la tête avant de poses ses avants bras sur la table, le visage fermé. « Des masques. Ils avaient tous des masques. Alors oui je sais c'est Halloween, tout le monde pourrait faire peur, bla bla bla… Mais de simples voyous ne se prendraient pas autant la tête pour une attaque aussi… énorme. C'est trop calculé, trop coordonné, trop… Trop je sais pas, trop tout. Et puis je sais ce que j'ai vu. C'étaient des Mangemorts. J'en suis convaincue. »

Elle savait de quoi elle parlait lorsqu’elle mentionnait les voyous. Elle en avait été une, il fut un temps. Elle avait fait des conneries, des choses plus ou moins bien organisées, calculées, minutieuses. Elle savait ce que c’était de passer du temps à préparer un coup, de l’imaginer sous toutes ses coutures. De réfléchir à tous les plans B possibles. Rien n’avais jamais ressemblé à ça.

« T'sais c'que t'as vu, mais t'as pas d'preuves que c'est c'que tu crois avoir vu, t'saisis ? Pis crois-moi, des voyous qui se donnent du mal juste pour s'mettre en spectacle et foutre le bordel, j'ai d'jà vu. » Il tapota par deux fois son bloc note, se penchant presque vers elle. Si elle avait eu les mains en forme son poing aurait déjà rencontré sa mâchoire hirsute. « Après l’explosion, t’as fait quoi ? »

Sa mâchoire se contracta par intermittence. Son poing se serra sur la table. Elle était furieuse de ne pas avoir pu le convaincre. De ne pas être prise complètement au sérieux. Il faisait son travail, était formé pour déstabiliser les gens. Elle avait déjà connu le ton cassant des interrogatoires lorsqu’elle avait été suspecte. Mais alors elle était coupable, pas victime. Elle comprenait l’envers du décors à présent.

« J'ai pas de preuves mais vous en avez pas plus pour dire le contraire. Les autres témoignages ont aussi peu de valeur que ça à vos yeux ? Parce que je suis sûre qu'aussi bien les élèves que les autres sorciers présents sur les lieux ont vu exactement la même chose que moi. Ça fait beaucoup de témoins pour un simple spectacle… » Elle soupira, sachant pertinemment qu’elle ne convaincrait personne d’autre qu’elle même sur ses propos. Un stylo fut pointé sur elle, accusateur. « Tu veux m’apprendre mon boulot ? C'est pas en croyant tout c'qu'on nous dit qu'on obtient des preuves ou des infos vérifiables. J'prend en compte c'que tu me dis, comme j'prend en compte tout c'que les autres m'diront. »

Dans sa tête les mots et les images se mélangeaient. Elle était une boule d’émotions contradictoires. Elle était fatiguée, épuisée des longues nuits sans sommeil. Elle n’en pouvait plus d’entendre le cri de douleur de cette femme dans la rue. Elle n’en pouvait plus de voir sans cesse les dégâts de ces brisques contre son corps. Elle était las. Elle voulait tout simplement rentrer, dormir.

« Après l'explosion j'étais complètement sonnée. J'suis restée quelques temps par terre, j'sais pas combien de temps exactement. J'avais mal à la tête, au dos, aux mains. J'ai pas demandé mon reste et quand j'me suis sentie capable de marcher j'me suis tirée et j'suis retournée à la Tête de Sanglier où un ami m'attendait. » Jayce l’attendait toujours, elle le savait. Il devait très certainement se ronger les sangs sur son canapé. Depuis combien de temps était-elle dans cette salle ? L’homme vida son café froid, grimaçant un bordel de dégoût.

« Ton copain, t'as son nom, que j'vérifie auprès d'lui la fin de ton parcours ?
– Il s'appelle Jayce Penbrock, P-E-N-B-R-O-C-K, lui dit-elle en retenant une énième remarque de lassitude. Il bosse comme je vous l'ai dit à la Tête de Sanglier et il vit dans un petit appart au 1er étage du bâtiment à l'angle de la rue principale et de celle de la Tête de Sanglier, juste à côté de Derviche et Bang et en face de Scribenpenne. »

Même sans être là il lui sauvait encore les miches. Elle lui revaudrait ça, comme d’habitude. Elle disait toujours ça d’ailleurs. L’homme eut l’air de prendre à nouveau des notes avant de refermer son carnet. Ça y est, elle était libre ?

« Aut’ chose à ajouter ? » Oh qu’il aurait du se taire. Ils auraient pu finir cette conversation sur un simple au revoir monsieur, merci de m’avoir écoutée aussi faux que mielleux. Mais il lui avait tendu une perche. La perche de sa vie. Celle qui regorgeait d’exaspération et d’ironie, reflet parfait du sourire qu’elle lui offrit.

« Juste une simple question : pourquoi mettre une flopée d'Aurors sur l'affaire si pour vous c'est juste des "voyous qui se donnent du mal juste pour s'mettre en spectacle et foutre le bordel" ? Demanda-t-elle en imitant des guillemets du bout des doigts en reprenant les mots de l’inspecteur. »

Elle s’attendait à voir un peu de colère sur son visage, un semblant d’émotion. Mais rien. Plus que de la déception elle en était que d’avantage en colère contre lui. « Alors primo, ici c'est moi qui pose les questions. Secondo, parce que j'vais quand même te répondre, j't'ai jamais dit c'que je pensais vraiment de l'affaire. Moi, j'affirme rien pour l'instant, j'ai qu'des hypothèses et toi, t'as un peu trop d'affirmations pour quelqu'un qui connaît la situation que d'un seul angle. »

Il avait raison. Mais son ego refusait de l’admettre. Elle avait vécu les choses, elle savait ce qu’elle avait vu. Qu’est-ce qu’il pouvait dire lui ? Même le regard strict qui lui lançait ne l’atteignait pas. « C’te discussion est fini, t’peux t’en aller maintenant. » Elle n’en attendait pas moins. Douloureusement elle se releva, son postérieur témoignant du temps beaucoup trop long passé sur cette chaise inconfortable. Oh qu’elle rêvait d’un repos mérité. Peut-être même qu’elle squatterait le  canapé de Jayce. Ou son lit. Elle en avait plus besoin que lui. Alors elle offrit un petit sourire mielleux au sorcier installé qui se leva pour lui serrer la main. « Merci pour votre amabilité, inspecteur Penley. Ce fut un plaisir de converser avec vous. »

Une chose est sûre, elle ne remettrait pas les pieds dans des salles d’interrogatoires. Qu’elles soient moldues ou sorcières. Jamais
Alex Brekke
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Alex Brekke

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The good one or the real one ?
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Lun 16 Nov 2020 - 21:32
Les interrogatoires de Novembre
“Elyana Sleepy & Charles Clifton ”
Depuis cette fameuse nuit tout s’empire, rien ne va plus… Tout a commencé par ce lendemain qui avait déclenché ma haine, ma rage, déverrouillant mon cœur guerrier voulant hurler à l’injustice, au mensonge et au règlement de comptes. Le départ de Tabata n’avait rien aidé non plus… Bien que dans sa bonté naturelle, Eileen connaissant désormais mon secret, m’avait offert une solution, une idée pour que je puisse me défouler dans un coin discret plutôt qu’en plein milieu du dortoir ou des couloirs, ma haine était toujours là, bien présente, prête à arracher d’autres membres bien que j’évite de penser à ce sanguinaire souvenir… Clairement pas celui dont je suis la plus fière….

Aujourd’hui n’est que la suite logique, j’en ai bien conscience, et lorsque j’ai reçu cette convocation pour un entretien, je me rappel m’être précipitait au lac, ne vérifiant même pas vraiment si j’étais seule ou non, me changeant en une boule de poils blanches, et courant, courant, courant encore jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que ma haine soit partit… Je croyais rêver ! D’abord ils nous demandent de mentir sur ce qu’il s’est passé cette fameuse nuit, et maintenant ils souhaitent nous entendre ? Ils se foutent de qui ? Ils veulent trouver le meilleur moyen de nous discréditer ? Ou alors ils cherchent ceux qui pourront poser problème, ceux qui voudrons parler au monde… Pour mieux les faire taire…. Pour dire vrai, j’ignore leur véritable intention, mais cela ne me dit rien qui vaille, et je pars donc à mon rendez-vous en essayant d’enfouir ma haine au plus profond possible pour éviter tout… « accident ».

C’est ainsi que j’arrive dans le bureau d’Ombrage qui est exactement à son image…. A vomir ! Mais la présence sur la chaise de l’autre crapaud fait légèrement désordre avec son côté sombre et très peu accueillant dans cet univers de rose et de matous. J’entre donc, tandis que l’on me demande de m’asseoir. A entende l’homme parlait, il ne veut pas perdre de temps, et apparemment être aimable et agréable doit faire perdre du temps…


« Bonjour Miss Sleepy, prenez place je vous prie et débutons sans perdre de temps.
Vous vous trouviez donc au Trois Balais mardi 31 octobre au soir. Avez-vous remarqué des éléments suspects durant les festivités ? »

« Bonjour, non. »

Combat d’amabilité où chacun souhaite perdre mais où il y a clairement une égalité. Je tente de garder mon calme puisque pour le moment tout va bien… Bien que j’ignore réellement le pourquoi, mais quelque chose en cet homme me donne envie de lui sauter à la gorge….

« Bien. Je vois que vous aussi, vous ne voulez pas perdre de temps, alors enchaînons. Etiez-vous dans la salle lorsque les lumières se sont éteintes ? »
« Vous voulez que je sois où ? On avait pas le droit de sortir »

Je roule des yeux devant cette question si évidente… Non non j’étais en plein milieu de la rue, seule, à attendre gentiment que l’on vienne m’attaquer…. Même si l’on voulait prendre l’air, nous devions être accompagné d’un adulte, donc bon… Ma rage reste dans sa bulle, gentiment, mais mon désespoir devant cet homme que je n’aime définitivement pas monte en flèche !


« Il me semble que cet interdit avait pourtant bien peu de valeur pour vous ce soir-là, Miss. Il remonte ses lunettes sur un regard intransigeant. Je reformule ma question : êtes-vous partie des Trois Balais avant ou après l'extinction des lumières ? »

Bim ! L’une de mes hypothèses d’avant entretien s’avère donc bien exacte. Cet homme n’est pas là pour nous aider, mais bel et bien pour nous piéger…. Ce sous-entendu pour moi veut tout dire, et même certains dirons que c’est car je suis à fleur de peau que je vois le mal partout et que je suis légèrement irritable… J’en ai la certitude : Cet homme va chercher la moindre chose dans mes mots pour me discréditer ! Et même si je me trompe sur ce point, j’ai la certitude que quelque ne va pas avec cet homme sombre, et je n’ai clairement aucune confiance en ce type !

Je grince des dents, serre mes poings pour garder ma bulle de contrôle intacte. Des réponses courtes, il faut que je fasse des réponses courtes… Sèches et claires.


« Après »

Alors qu’il note ma réponse sur son carnet, me confirmant bien que rien que je ne dise ne passera à la trappe… Je tente de me détendre… Sauf que la question suivante a l’effet immédiate de me tendre à nouveau… J’enfonce aussi fort que je peux mes ongles dans mes cuisses… grince des dents… Le sujet qui fâche arrive à grand pas… Et je me prépare à garder mon calme…

« Mon ami avait disparu. »
« Et comment le saviez-vous ? »

Et voilà, comme sur le journal…. On tente de faire passer Sessho pour ce qu’il n’est pas… Sessho…. Pourquoi il a fallu que cela tombe sur toi ? Cette question de l’homme associée à mes souvenirs me fait plonger mon esprit à l’intérieur. Mes yeux se vident littéralement… Je me retrouve à nouveau là-bas, entourée de ce brouhaha, de cette agitation… Je revis la scène…

« C’était sa baguette, avec du sang.. Il serait jamais partit sans et ne serait jamais partit sans rien dire à personne. »
« Et donc vous en avez conclut que vous pourriez le retrouver à vous seule ? »

Cette réaction me ramène sur terre, me remettant dans ma tension précédente…. Je suis une bombe à retardement et il ne ralentit clairement pas le temps restant avant l’explosion avec ses remarques à la con. Je serre les points, durcit le regard, et tente comme je le peux de garder mon calme… Ou du moins un semblant de calme.

« Je pense que vous êtes assez bien informée pour savoir que je n’étais pas seule »
« Ce que je sais, c'est que vous n'étiez pas seule lorsque l'on vous a retrouvé dans les rues de Pré-au-Lard. Mais il me semble donc comprendre ici que vous étiez déjà accompagnée au moment de votre fuite. Il me faudrait à présent des noms. Et j'aimerais également comprendre comment vous avez réussi à vous dérober à la vigilance des adultes pour rejoindre les ruelles du village. »

C’est alors que je tilt quelque chose un peu tard mais important à mes yeux : Je n’étais pas seule ! Et vu les évènements, il ne faut pas que je dise quoi que ce soit qui puisse porter préjudice à l’un de mes camarades d’infortune… Même Miss Beurk… Même si je ne la porte clairement pas dans mon cœur, je lui dois bien ça… On est tous dans la même galère sur ce coup, et je ne compte pas trahir qui que ce soit… J’arrive donc à me calmer je ne sais trop comment… Je fais mine de rien me rappeler de manière impassible.

« Je suis désolé mais c’est aller très vite et je ne me souviens plus. »
« Nous avons connaissance de beaucoup de choses, Miss Sleepy. Et vous taire n'aidera pas vos camarades, ni votre "ami", dont le ravisseur nous échappe encore et que vous allez peut-être aider, par votre manque de coopération, a rester dans la nature. Mais soit, ne perdons pas plus de temps et pour se faire, allons au plus simple : racontez-moi ce dont vous daignez vous souvenir à partir du moment où vous avez quitté les Trois Balais »

Cela commence à devenir dure, et mon cerveau ne sait plus quoi faire… Entre la dureté de garder le contrôle, essayer de faire comme si je ne me souvenais de rien… J’inspire, expire mais mes idées s’embrouillent, tout comme les souvenirs dans ma tête… Je ne me rends même pas compte que je mélange tout, racontant sans le vouloir une situation pas vraiment identique à ce qu’il s’est vraiment produit…

« Un détraquer nous a attaqué, ainsi qu’une mage noire masquée. »
Il arque un sourcil et perd son air impassible le temps d'une seconde « Un détraqueur, vous dites ? Et comment a-t-il été neutralisé ? Son attaque était-elle simultanée à celle de ladite mage noire ? »

Je ne me rends pas compte que je mélange tout, m’énervant devant le visage de l’homme qui me donne l’impression de tout inventer. Il ne souhaite pas me croire, et le fait que mes mots et mes pensées s’embrouillent entre elle n’aide en rien la situation… Un serpent qui se mort la queue… Telle est la situation actuelle dans laquelle je perds littéralement tout contrôle.

« Il est partit et l’attaque de la VRAIE mangemort est parvenue juste en suivant. Inutile d’être un sorcier confirmée pour comprendre que les deux apparitions sont liés Monsieur. »

Je perds patience… Telle une adolescente énervée par les hormones je méprise l’homme qui ne souhaite pas se faire rabaisser par une étudiante telle que moi. Je ne sais pas quelle est le meilleur mot pour me décrire à ce moment… Enervée ? Idiote ? Ridicule ? Frustrée ? Embrouillée ? Tous iraient tellement parfaitement…


« Un détraqueur ne part pas tout seul à moins d'un patronus pour le chasser, mais inutile d’être un sorcier confirmée pour le savoir, n'est-ce pas Miss Sleepy ? Il me toise d'un regard arrogant .Passons. Qu'est ce qui vous fait penser qu'il s'agissait d'une "vraie" Mangemort ? »
« Elle nous la clairement fait comprendre. »
« C'est-à-dire ? Clarifiez vos propos je vous prie. »

Soudain, mes pensées se clarifie… Ou du moins la peur que j’ai ressenti ce soir-là me fait l’effet d’une douche froide… Cette femme n’était clairement pas là pour rigoler, et sa tentative d’attaque vers Eileen en avait été la preuve… C’était également le moment où mon secret fut dévoilé… Certes je me sentais vivante, aussi puissante que je puisse l’être… Mais l’adrénaline me permettait de ne pas me rendre compte la frayeur intense que je ressentais… Avec le recul je m’en rends compte. J’ai eu un faux courage…. Un courage désespéré devant cette femme effrayante et qui pué la magie noire à des kilomètres…. Je suis certaine que même un moldu aurait ressentit cette cruauté émanant de la mystérieuse mage noire… Ma tête se baisse alors, se balançant de gauche à droite, relatant dans ma tête cet évènement avec mes yeux d’aujourd’hui… Des yeux de quelqu’un qui savait très bien que l’on ne faisait pas le poids ce soir-là…

« Très clairement il m’est impossible de vous dire mot pour mot ce qui s’est dit ce soir là, la discussion est beaucoup trop floue dans ma tête avec tout ce qui s’est passé..... Cependant... »

Je relève la tête le regard dure, essayant de ne pas me noyer dans cette peur pourtant inévitable.

« Les mots n’étaient pas seuls, les actes étaient également de mise. A moins que lancer un Doloris sur une adolescente qui a eut de la chance d’être sauvée à temps, n’est pas une preuve en soi pour vous. »

« Une preuve en soi ? Non. L'utilisation d'un Impardonnable n'est pas suffisant à prouver une incrimination de telle ampleur. Ce pourquoi chaque détails dans cette enquête nous sont essentiels. regard appuyé par-dessus ses lunettes ponctuant quelques secondes de silence Mais continuons. La tentative d'attaque par le Doloris s'est-elle donc faite devant vos yeux ? Si c'est le cas, comment expliquez-vous que l'adolescente en question ait réussi à se soustraire à ce sort imparable ?»

Ma bulle de contrôle recommence alors a frétiller, à deux d’exploser et je me mets à chuchoter.

« Pour faire dire des conneries à la gazette vous avez besoin de moins de preuve que ça. »

Le Ministère montre une bonne fois pour toute sa mauvaise foi, son ignorance et son choix de ne pas vouloir voir ce qu’il se passe devant nous. L’homme semble utiliser ce qui lui chante pour avoir le résultat qu’il souhaite… Je ne l’aime pas… Non… Je le hais, et je sens parfaitement que dans ma voix ma colère se fait ressentir… Néanmoins j’arrive encore à garder mon calme, répondant sèchement mais calmement… Ne sachant pas comment une queue et des poils ne sont pas encore apparut vu la colère qui commence clairement à prendre possession de moi entièrement.

« Un homme que je ne connais pas et que je ne serais reconnaître à pris la mage noire par surprise, l’empêchant de finir son sort et donc de toucher sa cible. »


Ses traits commençant à se crisper mais la voix toujours aussi calme et tranchante « S'il s'agit d'informations nécessaires à l'enquête que vous chuchotez si bas, je vous prierez de répétez et sinon, de gardez pour vous des commentaires que je devine pouvoir vous placer dans une très mauvaise position. Vous parlez à présent d'un "homme", je présume donc qu'il ne s'agissait pas d'un autre élève mais d'un adulte extérieur à Poudlard - arrêtez moi si je me trompe. Était-il donc avec vous depuis le début où est-il arrivé au moment de l'attaque de l'assaillante ? Et comment est-il parvenu à empêcher son geste ? »

Calme… Je dois rester calme… J’inspire, expire et décide de faire ce qu’il faut pour en finir au plus vite avec ce maudit entretien avant que la bulle n’explose… Mais ma voix trahit ma colère, et un ton agacé à la limite de la désinvolture se laisse entendre et ressentir.

« Donc ! Pour résumé puisqu’apparemment vous souhaitez des précisions sur ce qui vous arrange.  Voilà l’histoire : un détraqueur est apparu, un homme sortir de nul part à couru apeuré dans notre direction criant au detraqueur, nous les élèves ont essayé de le fuir du coup sans réfléchir. Vous pensez bien que en tant que simple petit écolier on allait pas chercher midi à 14h. Au bout d’un moment on s’est quand même arrêter parce que courir comme ça bah c’est crevant et fallait bien qu’on réfléchisse 5 secondes. Là une mage noire est apparu et à commencer à nous attaquer. Certains amis essayant de faire en sorte que on arrive ne serait-ce qu’à rester en vie ont répliquer. La Madame n’était pas très contente donc elle a commencé un sortilège Doloris. Heureusement pour nous, l’homme criant au detraqueur est arrivé par derrière là sorcière et l’a assommé. On suppose qu’il était sûrement alcoolisé vu son attitude mais à part ça je ne peux rien dire de plus sur lui. La femme gisait au sol, elle n’était pas morte juste assommé. Cela est assez précis pour vous Monsieur ? »

Il prend le temps de noter le récit dans son carnet puis relève la tête d'un air satisfait « Très bien, vous voyez, ça ne vous a pas arraché la langue de faire cet effort de narration, même si je vous conseillerai d'employer un autre ton avec moi. Pourriez-vous me renseigner sur la manière dont l'homme a assommé la femme ? Quel sort a-t-il utilisé ? »

J’affiche alors un sourire faux, sournois, ma bulle retrouvant son calme grâce à ma désinvolture désormais bien claire et nette.

« Avec une massue »

« Hum... une massue. Il griffone et entoure une note dans son carnet Après cela, je suppose que vous avez poursuivi la recherche de votre camarade Sessho Shinmen ? »
« Bien vu »
« Et à quel moment précisément avez-vous juger bon de prendre votre forme animal ? Peut-être dans l'intention de mieux pister le disparu ? Il me semble pourtant que vous vous trouviez encore loin de sa position lorsque mes collègues vous ont retrouvés. »

Mon visage se fige alors…. Celle-là je ne l’avais pas vraiment vu venir et entendre dire ce genre de chose me paralyse…. Mon cerveau se met en pause l’espace d’un instant, et un grand silence s’installe avant que j’arrive enfin à ouvrir la bouche… Mais je sens que mon corps se crispe et que mes dents grincent d’elle-même car je vois très bien ou veut en venir cet être détestable… Et l’idée de lui croquer la main avec laquelle il écrit dans son foutu carnet me traverse l’esprit…

« On a dut partir aider une amie »
« Celle que vous avez attaqué ou celle qui se trouvait à terre à l'arrivée de mes collègues ? »

Des spasmes au niveau des bras se font ressentir, et ma bulle est à la limite de l’explosion… Je vais vraiment finir par lui sauter à la gorge…. J’inspire, expire, et réussit à répondre sans trop d’énervement dans la voix…

« Celle qui s’est égarée »

« Ça ne répond pas à ma question. »
« Tabata »

Je m’en veux de dire un nom, mais sait très bien qu’il ne m’aurait pas lâché….

Il prend note « Bien. Et pour quelle raison nécessitait-elle votre aide ? »

Je me crispe fortement, la scène me revenant à l’esprit… Non… Je ne veux pas revivre la scène…

« Elle avait disparu et s’est retrouvé être manipuler grâce à un Impero »
« A quel moment a-t-elle disparu ? Et connaissez-vous l'identité du lanceur de ce nouvel Impardonnable ? »
"Aucune idée. Tout ce que je sais c’est qu’elle n’était plus là quand on s’est arrêter après notre fuite."
« Donc, si je résume, vous êtes partie à sa recherche après avoir remarqué qu'elle avait, elle aussi, disparue et quand vous êtes arrivée, elle avait l'air manipulé ? Vous m'avez pourtant l'air bien certaine de cela, et du maléfice employé, donc je présume que vous avez distinctement entendu la formule ? »

Je sers les ongles contre mes cuisses… Non je ne veux pas revivre la scène… Je me contente de lui répondre le plus sèchement possible… Mais c’est la seule manière de garder le contrôle… Actuellement mon esprit est tiraillé… Colère… Culpabilité… Tout se mélange et la bulle de contrôle n’a jamais était aussi proche de l’explosion… Mes réponses sont rapides… Je ne souhaite pas réfléchir éternellement…. Je ne souhaite surtout pas revivre cette scène… Encore… Et encore… Elle envahit déjà bien assez mes nuits et mes pensées…


« Hum, elle vous a donc attaqué. Miss King a-t-elle donc été victime de l'un de ses sorts ? Si oui, lequel ? Est-ce pour stopper cela que vous l'avez mordu sous votre forme d'Animagus ? »
« Expulso »
Il note dans son carnet « Et pour la morsure ? »

Je me stop net. Même mes ongles ne s’enfoncent plus…. Je suis figée, tétanisée…. Le silence s’installe… Je ne suis plus capable de dire quoi que ce soit…

Il laisse le silence s'étaler, peser sur les épaules de sa vis-à-vis sans la lâcher du regard, puis annonce finalement :
« Eh bien, si vous ne souhaitez pas témoigner sur ce sujet, je pense que nous en avons fini. Cette partie-là n'est à mon sens pas essentielle à l'enquête, sachez toutefois que la victime pourrait porter plainte et que le silence ne sera alors pas votre alliée. Vous pouvez disposer. »

Je me lève alors très rapidement, sans un mot et pars. Je marche jusqu’à courir, à dévaler les escaliers manquant clairement de tomber à plusieurs reprises… Culpabilité…. Haine… Tristesse… Rage… Non je ne vais pas bien… Mon cerveau va exploser, mon esprit va s’en aller… C’est trop compliqué à gérer… Je ne peux pas, je ne peux plus…. J’arrive à l’extérieur, je fonce non pas vers le lac mais vers la forêt, vérifiant qu’il n’y est aucune surveillance avant de m’abandonner à ma forme animale… Je cours alors dans tout les sens vite… Très vite… Trébuchant sur des roches sur lesquelles je n’aurais pas trébuchais à l’origine…. J’évacue autant que je puisse…. Mes yeux aussi secs que le désert depuis cette fameuse nuit, courir est la seule façon que j’ai trouvé pour tout extérioriser… Par manque de membres à arracher, vaut mieux que j’évacue de cette manière…


©️ nightgaunt
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Sam 21 Nov 2020 - 15:34
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Il y a de ses moments où les mots s'enchaînent malgré la colère et la haine. Il y a de ses personnes qui, d'un sourire, d'une main sur l'épaule, ouvre les portes de notre esprit. La crainte s'envole. L'appréhension se dissipe. Le brouillard opaque qui nous empêchait de voir, de comprendre, de percevoir la réalité se métamorphose en une lueur presque aveuglante et la confiance se gagne. Doucement, certes, mais surement.

Je trouve ça drôle. Drôle comme il est parfois plus simple de se confier à un inconnu. La peur du jugement s'estompe pour ne laisser qu'une évidence parfois faussée : celle qu'il ne sert à rien de craindre son regard, car on ne reverra pas cette personne. La sympathie, possible traître que l'on ressent pour elle, peut jouer un rôle aussi. Quand ça arrive, l'anxiété s'enlise et les mots s'enchaînent.

Ce jour-ci, j'ai cru qu'un poids disparaissait de mes épaules. Ce jour-ci, j'ai cru pouvoir respirer de nouveau. Ce n'était qu'une illusion pour mieux replonger dans les affres de mes tourments l'instant d'après. Cette époque n'a pas été la plus joyeuse, mais n'est-ce pas les épreuves surmontaient qui nous donne aujourd'hui cette force pour avancer et affronter de nouveaux obstacles sur notre chemin ?
Eileen se trouvait devant la porte du bureau de sa directrice de Maison. Quelques jours plus tôt, elle avait reçu une seconde missive portant le sceau du Ministère. Elle était convoquée pour un entretien - ou un interrogatoire, plus précisément. Cependant, contrairement à ce qu'elle avait cru de prime abord, elle n'avait pas été la seule au courant de la nouvelle. Le professeur McGonagall le savait également. Orpheline et née-moldu, même si elle se gardait bien de donner cette seconde information, c'était à l'enseignante de l'accompagner si elle le désirait. Quand la femme lui en avait parlé à la suite d'un cours de métamorphose, Eileen avait immédiatement décliné l'offre, puis avait fui sans se retourner.

Un choix, ce jour-ci, le jour j, qu'elle regrettait amèrement. Elle avait peur. Peur de se retrouver seule à seule avec une personne qu'elle ne connaissait pas. Peur de laisser sa colère, sa rancœur contre le ministère la contrôler. Peur d'être agressive. Peur d'être fermée, au point de se mettre elle-même dans une situation inconfortable. Elle s'était déjà suffisamment fait remarquer en début de mois pour s'y oser.

C'était pour cette raison qu'elle se retrouvait dans ce couloir, à attendre que la directrice des Gryffondors daigne lui ouvrir. Une attente qui, bien qu'elle en eut l'impression, ne dura pas bien longtemps. Elle fut invitée à entrer peu de temps après l'alarme de son poing cognant contre le bois.

Pénétrant la pièce, ce fut avec une certaine gêne qu'elle se présenta à celle qui, des années plus tôt, lui avait permis de s'échapper de son enfer personnel. De fait, s'il y avait bien une personne dans ce château, parmi les adultes, en qui Eileen pouvait offrir une confiance aveugle, c'était bien en l'animagus devant laquelle elle se retrouvait à présent.

« Miss King ?, questionna la dame, l'air toujours aussi sévère. Que puis-je pour vous ? »

La susnommée se tortilla sur place quelques secondes, essayant de trouver le courage d'avouer sa faiblesse. Ce fut dans un soupir qu'elle répliqua finalement, avec un malaise certain.

« J'ai changé d'avis, professeur... Je… J'aimerais que vous soyez présente pour mon entretien. J'ai peur de... De me faire remarquer, encore une fois, de la mauvaise manière si j'y vais seule... »

La surprise qui se lut sur le visage de la directrice adjointe radoucie considérablement ses traits et ce fut d'une voix plus douce qu'elle répliqua, en se redressant. Elle savait déjà qu'Eileen devait s'y rendre dans les minutes qui suivaient.

« Je suis agréablement surprise, miss, dit-elle en se rapprochant, déposant une main sur son épaule pour la guider, avec une certaine douceur, vers la sortie. Vous reconnaissez vos torts, et vous apprenez de vos erreurs. Rassurez-vous, je veillerai à ce que ça n'arrive pas. »

Eileen n'arrivait pas à savoir, pour le moment, si c'était la bonne décision, mais après avoir retourné la question dans tous les sens, elle en était venue à la conclusion suivante : y aller seule était une mauvaise idée. Elle ne savait pas qui l'attendrait derrière la porte, tout comme elle ne pouvait deviner, dans son état mental actuel, comment elle réagirait aux questions posées. La présence d'un adulte qu'elle connaissait, représentant une autorité légitime à ses yeux, était une assurance.

Le trajet se passa dans le silence. Cependant, loin d'être désagréable, l'illusionniste le trouva reposant. Il n'était pas assourdissant, comme quand elle s'enfermait dans le laboratoire de Salazar, ou trop inégale, comme quand elle s'échouait dans son dortoir, sur son lit, quand la pièce était vide de monde. Un juste milieu, offert par le bruit de leurs bottes cognant en pair contre les dalles, contre la pierre. Un bruit qui s'estompa quand, arrivée dans le bureau du professeur Ombrage, le rose de l'endroit agressa sa rétine.

Le lieu était désagréable. Vide de monde pour le moment, la porte était restée ouverte et si la demoiselle avait eu l'idée, initialement, d'attendre à l'entrée, ce fut la directrice qui l'invita à s'y installer. Elle-même se plaça dans un coin, à sa droite, derrière elle. Elle ne serait qu'une observatrice extérieure, sauf en cas de nécessité. Les deux femmes n'avaient pas eu besoin d'en parler plus que de raison pour le comprendre, pour se mettre d'accord sur le rôle de l'Écossaise.

Ce fut sur cette constatation mentale qu'Eileen sursauta. Elle n'avait pas eu conscience que Minerva avait refermé le battant. Un battant qui venait de claquer avec force et fracas contre le mur, venant créer une cacophonie de miaulements mécontents. La décoration de la folle en rose en devenait d'autant plus effrayante.

Avec un certain malaise, Eileen se tourna pour voir l'arrivante. Un malaise qui se dissipa quand elle put la voir. Elle ne savait pas vraiment comment la décrire. Fantaisiste, loufoque, il se dégageait d'elle une certaine forme d'authenticité. Un véritable aimant à sympathie, donnant l'envie de lui accorder une confiance presque aveugle d'un simple coup d’œil. Néanmoins, la King resta méfiante et ne parla pas. Elle préféra l'observer quand elle s'installa sur le bureau, puis quand elle chercha ses affaires dans le foutoir qu'elle avait placé sur le bureau de l'inquisitrice.

« Bonjour !, commença-t-elle, tout en cherchant des parchemins dans son porte-document, d'où s'en échappait déjà certaine. Miss King, c'est ça ? Je me présente, je suis Caroline Johnson et on va passer un peu de temps ensemble. »

La fameuse Caroline se fendit d'un sourire avenant. Sans même en prendre garde, la voix chaleureuse de la dame détendit la demoiselle. Elle s'apprêta à répliquer, mais referma la bouche quand l'auror reprit sans lui laisser le temps d'en placer une.

« C'est donc toi l'une des organisatrices de la fête d'Halloween au Trois Balais ?, demanda-t-elle, mais là encore, elle ne lui donna pas l'occasion de parler. J'ai entendu dire que les festivités ont revêtues de jolies couleurs ! Du moins, avant l'incident dont nous n'allons pas tarder à parler. »

Avec l'idée qu'elle allait, encore une fois, se faire couper la parole, Eileen mit un certain temps avant de répondre. Elle ouvrit la bouche, très lentement, avant de soupirer quand elle comprit que Johnson patientait pour avoir son avis.

« Bonjour, souffla la Gryffondor par politesse. C'est exact, avec Madame Rosmerta, ainsi que Fred et George Weasley. Pour les couleurs... J'en sais trop rien. »

La réalité, c'était qu'elle n'avait pas voulu savoir. Sa soirée avait bien débuté, avec Aria à ses côtés, mais la suite n'avait pas été joyeuse.

« J'en ai reçu d'excellents échos pourtant, bien que la soirée ait tourné d'une manière que tu n'avais pas prévue, n'est-ce-pas ? Tu veux bien me raconter le déroulement de votre soirée avant que les lumières ne s'éteignent ?
J'ai pas spécialement cherché à savoir, pour être franche. »

Suite à sa remarque, le mutisme s'empara d'elle le temps de remettre de l'ordre dans sa tête. L'inspectrice n'y allait pas par quatre chemins, ce qui rassurait autant Eileen que cela la stressait. Un paradoxe qui la rendit silencieuse quelques minutes, avant qu'elle se force à répliquer, essayant d'être la plus précise possible.

« Pour faire simple, je suis descendue quand les festivités ont commencé, commença-t-elle, comprenant dès lors que son récit risquait d'être long et cherchant à le rendre le plus court possible. Je suis montée sur scène avec une amie, après quoi on a subi l'une de mes blagues - c'était le jeu après tout -, puis on s'est séparé. J'ai retrouvé une autre amie avec qui je me suis disputée. »

Eileen s'arrêta et pinça les lèvres. Après plusieurs jours, elle n'avait toujours aucune nouvelle. Tabata n'avait pas daigné lui envoyer la moindre lettre. L'espoir d'en recevoir une s'était ainsi envolée et, par cette simple constatation, l'Américaine en était venue à la conclusion qu'elle avait vu juste. Son « amie », sa « sœur » avait fui, sans même un regard en arrière.

« J'ai passé le reste de la soirée dans le flou, reprit-elle d'une voix sarcastique, à me morfondre de ma bêtise, ce qui m'a permis de voir un défilé. Un "cadavre" bien vivant, Jin-Shun Fa. »

Les mots qui voulurent se bousculer pour sortir restèrent au fond de sa gorge un temps, mais, bien que difficilement, elle força pour prononcer la suite. D'une voix lasse, basse, avec un soupir à fendre l'âme d'un damné. La culpabilité qu'elle ressentait toujours vis-à-vis de son camarade était bien présente.

« Puis Sessho Shinmen, qui s'est contenté de m'offrir une boisson chaude pour me réconforter. J'aurai dû le retenir. »

Elle soupira, la mine toujours basse. Les mots suivants furent à peine audible, tant ça lui paraissait inintéressant comparé à ce qu'elle venait d'expliquer.

« Puis la personne avec qui je suis montée sur scène est arrivée, ayant sans doute perçu mon état, et c'est à ce moment que les lumières ont été soufflées. »

Eileen s'apprêta à s'arrêter-là, mais une idée lui vint en tête. C'était puéril, au fond. Idiot, même. Cependant, elle avait cette nécessité. Elle avait besoin de cette impression, un minimum, d'avoir le contrôle sur la situation. Elle ne voulait plus ressembler à un lion en cage ou un serpent cherchant à s'échapper de son terrarium.

« J'aimerais vous poser une question, si ça ne vous dérange pas. »

La femme, durant son temps de parole, prenaient des notes à une allure assez improbable. Eileen, malgré sa curiosité, ne s'intéressa pas à ce qu'elle écrivait. Elle n'était pas à la place de l'auror, ne le voulait pas, tout comme elle ne désirait pas savoir ce qu'elle pouvait bien trouver de pertinent dans ses mots. Pour être franche, elle ne comprenait pas en quoi le déroulé de sa soirée catastrophique avait une quelconque utilité pour l'enquête.

« C'est très complet, reprit l'inspectrice après avoir relu ses notes, mais j'aimerai avoir quelques précisions avant de pouvoir te renseigner, c'est donnant-donnant, tu comprends ? »

Elle la pointa de son stylo, non sans un sourire que la mentaliste jugea sincère. Néanmoins, elle n'appréciait pas vraiment l'idée de devoir offrir le moindre renseignement supplémentaire. Son mauvais pressentiment s'avéra d'ailleurs juste, elle en eut la confirmation dès que son vis-à-vis reprit.

« Tu me parles d'une amie qui t'aurais accompagné sur scène, j'aurai besoin de son nom, bien que je sois curieuse de pourquoi ne pas l'avoir précisé, comme tu as mis un point d'honneur pour le faire pour tes autres camarades ? »

Le silence, assourdissant, qu'elle aurait aimé permanent. Elle le brisa d'un soupir.

« Donnant-donnant... Hm. »

Elle n'appréciait pas l'idée de devoir donner le nom d'Aria. Pourtant, au fond, elle savait qu'elle y viendrait à un moment ou un autre. Elle ne voulait pas trahir son secret, mais elle ne pouvait pas faire de rétention d'informations pour autant. Elle ne savait pas exactement ce qu'il s'était passé ce soir-là, mais si elle en croyait les mots de la Gazette – du moins, les non-dits plus exactement, caché à l'intérieur des idioties proposées -, leur groupe n'avait pas été les seuls en danger. Pour Sessho, mais aussi pour tous les autres, elle ne pouvait pas mentir. Cependant, elle pouvait toujours essayer de s'assurer que la Beurk ne serait pas en danger, ou au moins essayer.

« L'identité de cette personne est restée secrète des années, expliqua-t-elle donc, même pour mes plus proches amies. Pas spécialement pour moi, ou même parce que je n'ai pas confiance en eux, mais pour elle. Le révéler, j'en suis persuadée, ça pourrait la mettre en danger. Je peux seulement vous dire que c'est une personne qui vient d'une famille influente. Une famille qui n'accepterait pas vraiment notre amitié. »

Eileen s'arrêta-là quelques secondes, mais elle se fit la réflexion que ce n'était pas assez. Pas assez explicite. Elle voulait la protéger, tout en essayant d'offrir l'information à l'auror. Il y avait bien un moyen, même si, au fond, elle s'en doutait déjà : elle s'en voudrait de l'avoir dit.

« Mais si vous lisez entre les lignes, reprit-elle, vis-à-vis de ce qu'il s'est passé ensuite, vous comprendrez de qui je parle sans que j'aie à la nommer. Tout ce que je vous demande en retour, toujours vis-à-vis d'elle, c'est de faire en sorte que sa famille ne comprenne pas. »

C'était tout ce qu'elle pouvait offrir de mieux, en espérant que la femme face à elle serait compréhensive.

« Je ne peux te promettre que je serai celle qui auditionnera ton amie, je le crains, et je te devine assez intelligente pour comprendre que je ne pourrai retenir des informations précieuses pour mon collègue le cas échéant. »

La demoiselle acquiesça, malgré ses lèvres pinçaient, miroir de son interlocutrice qui, elle, lui offrait une moue contrite. Pour sa part, c'était de la déception, bien qu'elle n'allait pas durer. Comme elle l'avait espéré quelques secondes plus tôt, elle lui prouvait qu'elle pouvait avoir confiance en elle. Non pas parce qu'elle promettait à l'aveuglette, mais bien parce qu'elle expliquait concrètement pourquoi elle ne le pouvait pas.

« Mais soit, je respecte ta volonté de ne pas la nommer lors de notre entrevue, ni de t'y contraindre, reprit la femme en rayant quelque chose sur son parchemin. Tu m'as parlé de farces, était-ce des blagues pour rendre la soirée plus "fun" ? »

Eileen acquiesça, puis garda le silence un temps, son regard ne quittant pas une seconde le visage de l'inspectrice.

« Mais vous pourriez lui glisser de faire attention à la manière dont il lui pose certaines questions, surtout si c'est pour sa sécurité, non ?, demanda-t-elle, avant de poursuivre sans attendre de réponse directe. Des farces et attrapes, faites maisons, qu'on a placé dans le buffet sous la forme de boissons ou de bonbons, pour rendre la soirée plus... chaotique ? C'est un peu notre marque de fabrique, je crois. »

La jeune femme essayait de paraître détendu en expliquant ce qu'ils avaient fait, mais malgré la confiance qu'elle offrait maintenant à la femme, l'idée que ce n'était pas forcément elle qui interrogerait Aria la stressait plus que de raison.

« Je le ferai, si ça peut te permettre d'appréhender notre entretiens avec plus de sérénité, sourit l'auror. Pour preuve, je te laisse me poser ta question. Je te l'ai dit, c'est donnant-donnant. Si je peux y répondre, je le ferai, dans le cas contraire, s'il s'agit d'une donnée que je ne peux pas te fournir pour une raison ou une autre, il faudra t'y conformer. »

La Gryffondor soupira, laissant son anxiété s'évader. Elle se sentait déjà plus sereine à cette idée, même si elle n'avait aucune assurance que ça servirait. Elle aurait au moins essayé.

« C'est plutôt correct, comme proposition, dit-elle, puis elle enchaîna sur ses questions. J'aimerai savoir pourquoi le Ministère force la Gazette à mentir de la sorte. C'était pas une blague... »

Elle pinça les lèvres, ferma les yeux et essaya de calmer les battements sourds de son cœur. La colère grimpait rien qu'à l'idée. Elle sentait presque le regard du professeur sur sa nuque, ce qui l'aidait à rester concentrée, toutefois.

« Si c'était le cas, si le Ministère le croyait vraiment, vous ne seriez pas là. Alors en quoi est-ce que ça peut aider qui que ce soit que la Gazette raconte des conneries pareilles ? Et si c'est pour soulager la population, est-ce que vous croyez pas que ça risque surtout de se retourner contre le Ministère quand ça va finalement s'apprendre ? Parce qu'au fond, vous plus que quiconque d'autre, vous le savez, n'est-ce pas, que la vérité finira par éclater au grand jour ?
Tu sais, les Aurors ne représentent pas le ministère, ni ses motivations. Nous ne sommes que des sorciers parmi d'autres, qui comme toi, essaient de voir les choses dans leur ensemble. Je ne peux pas parler au nom de tous mes collègues, ou même des hautes sphères du gouvernement, et te fournir une réponse qui n'en sera pas une, parce qu'elle ne se reposera sur rien de plus que mon avis personnel. Et celui-ci n'a pas à intervenir dans notre entretien, j'en suis désolée. »

Eileen acquiesça, un micro-sourire apparaissant le temps d'une seconde sur son faciès. Son regard pétilla d'un éclat victorieux. Elle se doutait qu'elle n'aurait pas réponse à ces questions, mais elle avait la réponse qu'elle avait désirée, ou croyait en tout cas l'avoir. C'était suffisant pour elle.

« D'accord. On peut poursuivre. »

L'auror lui accorda un nouveau sourire, puis elle survola ses notes en mâchouillant son stylo à plume.

« Alors, alors... Revenons-en à ta "marque de fabrique", souffla-t-elle avec un clin d’œil complice. Peux-tu me faire une liste de ces farces et attrapes et me décrire les effets s'il te plaît ?
Si vous avez un parchemin et une plume, offrit l'élève en haussant une épaule, je peux vous l'écrire rapidement, si vous voulez. »

Elle ne désirait pas s'étaler sur le sujet pendant plusieurs minutes, n'y voyant aucun intérêt. Et de cette manière, et c'était une ruse dont elle serait sans doute plutôt fière un jour, l'enseignante derrière elle ne connaîtrait pas ses créations.

« Oui, bien sûr !, fit l'inspectrice en fouillant dans son carnet à la recherche d'une page vierge ; page qu'elle arracha dès qu'elle la trouva, avant de lui tendre avec son stylo. Voilà pour toi ! Tu auras assez de place pour tout écrire ?
Ça devrait aller. », répliqua Eileen après avoir tout récupéré.

Elle s’attela ensuite, les minutes suivantes, à faire la liste des farces mises en place durant la soirée, expliquant leurs formes, les recettes et les effets. Sa tâche achevée, elle rendit la feuille noircie d'encre et le stylo à sa propriétaire. Cette dernière survola les écrits avant de la glisser dans son porte-document.

« Tu m'as dit avoir vu Sessho Shinmen durant la soirée, reprit-elle, te souviens-tu de l'heure approximative de votre rencontre, et par où il se serait éclipsé ensuite ? »

Eileen y réfléchit un instant. Ce fut suite à un nouveau soupir qu'elle répondit.

« Ça faisait plus d'une heure, peut-être une heure et demie que la fête avait commencé, mais je n'en suis pas sûre. Et non, je n'ai pas fait attention.
Les lumières se sont éteintes combien de temps après son départ ?, l'interrogea dans la foulée l'auror. Où étais-tu à ce moment-là Et qu'as-tu fait après qu'elles se soient rallumées ?
Peut-être cinq ou dix minutes après, je dirais, riposta la lionne. J'étais toujours au même endroit, sur l'un des fauteuils dans un coin de la pièce. »

Elle resta silencieuse pendant une bonne minute, le temps de rassembler ses souvenirs. Elle en ferma d'ailleurs les yeux, et les garda clôt durant sa réplique. De cette manière, elle parvenait à reconstituer la scène plus facilement.

« Quand les lumières se sont éteintes, j'ai immédiatement compris que quelque chose clochait, alors j'ai attrapé ma baguette et j'ai attendu. Dès qu'elles se sont rallumées, je me suis dirigée vers les professeurs, et c'est là que j'ai compris ce qu'il se passait, quand j'ai entendu que la baguette de Sessho avait été retrouvé avec du sang dessus. »

La King se mordit la lèvre inférieure et laissa ses paupières s'ouvrir à nouveau, ses poings se serrant et se desserrant par intermittence. C'était tout de même difficile de se rappeler la scène, parce qu'elle ne l'appréciait pas. Tout comme il était difficile de ne pas préciser qu'Aria se trouvait toujours avec elle à ce moment-là. De cette façon, elle ne précisa pas non plus que c'était elle qui l'avait entraînée dans sa recherche. L'inspectrice pourrait, de toute façon, le comprendre d'elle-même.

« Tu en as donc conclut que ton ami était en danger ? Qu'est-ce qui t'a fait te dire que ça n'était pas une farce comme toi tu as pu en faire ? »

À la seconde où les mots franchirent la bouche de la chasseuse, les dents de l'Américaine se serrèrent rien qu'à la mention d'une blague.

« Parce que... »

Elle s'arrêta, inspira et expira lentement pour expulser sa colère, comprenant que Minerva allait intervenir tant son ton s'était fait agressif. Elle reprit plus calmement ensuite, bien que sa voix était polaire.

« Parce que quiconque connaît vraiment Sessho Shinmen sait que le préfet des Serdaigles n'est pas du genre à faire ce genre de blague idiote. Ça aurait été moi, les jumeaux, Tabata, je ne dis pas. Tout le monde aurait pu croire à une blague. Mais Sessho ? Une blague de ce type ? Non. Il n'aurait jamais fait ça ou n'aurait jamais accepté d'en être un complice, alors que c'est le type le plus droit dans ses bottes que je connaisse.
Dans mon métier, se fier à ses intuitions, c'est quelque chose d'essentiel. Si tu ne souhaites pas te spécialiser dans les farces et attrapes, n'hésites pas, répliqua l'auror avec un nouveau clin d’œil complice. Ces faits en main, qu'as-tu fait ? »

Eileen arqua un sourcil à la première phrase. Ça eut au moins le mérite de la calmer, tant elle fut surprise du sous-entendu.

« Je n'ai pas l'intention de me spécialiser dans les farces et attrapes. Je vise une maîtrise de potion... Et mes "farces" sont surtout des ratés. »

Elle redressa ses épaules, chassant sa gêne, pour reprendre plus sérieusement.

« J'ai prévenu toutes les personnes que je croisais et qui, je le sais, tiennent assez à Sessho pour accepter d'aller le chercher avec moi. Oui, j'ai désobéi aux ordres du professeur ici présente, mais je n'aurais pas supporté d'attendre... »

Suite à un énième soupir, elle grinça des dents et reprit, bien plus bas.

« Pas que ça ait servi à quelque chose...
Ton action ne t'es pas reproché, tu sais ?, expliqua l'agent du gouvernement. Moi-même, je ne sais pas comment j'aurai réagi si l'un de mes amis avait disparu. Elle lui offrit un sourire, puis reprit. Comment es-tu parvenu à sortir des trois-balais sans être remarqué par les adultes présents et qui composait ce groupe de sauvetage que tu as participé à réunir ?
La salle de stockage, derrière le bar. Enfin, derrière la scène, du coup. Il y a une fenêtre qui donne sur une ruelle, expliqua la vipère refoulée ; elle fit une courte pause, puis reprit. Elyana Sleepy, Tabata Wyatt, Joris de Beauvoir et Aria Beurk. »

L'inspectrice prit note des informations, avant de poursuivre. L'entretient avait maintenant bien débuté et les paroles s'enchaînaient plus rapidement, plus facilement.

« Huum, par une fenêtre arrière, malin... Une fois dehors, qu'avez-vous fait ? Comment avez-vous décidé de la direction à prendre ?
On l'a pas vraiment décidé, expliqua Eileen. On était dans la ruelle depuis même pas une minute qu'un homme a déboulé de nulle part en criant au détraqueur. Sur le moment, on a pas vraiment réfléchi et on a couru en sens inverse, même si j'ai fait un petit demi-tour pour l'aider à se relever. Il avait trébuché sur une poubelle.
Combien de temps avez-vous couru ? Avez-vous pu vérifier qu'il s'agissait bien d'un détraqueur ? Peut-être même avez-vous dû l'affronter ?
J'ai dit qu'il avait crié au détraqueur, pas qu'il y en avait un, siffla-t-elle avec une certaine exaspération, qu'elle refoula à l'aide d'un temps de repos de quelques secondes. On a couru pendant quelques minutes, pas plus, jusqu'à arriver à un lampadaire, où on s'est tous arrêté. Enfin, tous sauf Tabata qui avait disparu entre temps - et l'éclair de lumière qu'on a perçu devait y être pour quelque chose. Là-bas, le fameux détraqueur nous a rejoint et je confirme que ça y ressemblait de loin. »

Elle souffla un rire ironique. Elle haïssait ces non-êtres qui lui avait donné des cauchemars pendant des mois suite à sa troisième année.

« Sauf que je me souviendrais toujours de la sensation de ces créatures et qu'elle n'était pas présente, tout comme un détraqueur ne chantonne pas avec une voix de femme.
Une voix de femme dis-tu ? En effet, je conçois que ce ne serait pas banal. Cette femme s'est-elle adressée à vous ? Et as-tu pu voir à quoi elle ressemblait une fois que tu as compris que ça n'était pas un détraqueur ? »

Pendant quelques secondes, la jeune femme releva le nez vers le plafond, essayant de se rappeler en détail de ce qu'elle se souvenait de ladite femme. Elle ne voulait rien omettre la concernant.

« Pour la description... Elle était grande et fine. Elle portait un masque sur le haut de son visage qui cachait aussi ses yeux. On voyait juste le bas de son visage. Elle était très pâle. Enfin... Oui, elle s'est adressée à nous. Elle nous a souhaité un bon Halloween et nous a demandé si la surprise nous plaisait. »

Eileen marqua un temps d'arrêt et réprima une grimace. Elle n'aimait pas appeler Aria, son secret, par son nom de famille, mais elle n'avait pas le choix.

« Beurk lui a parlé, ensuite, en lui demandant pourquoi ils chassaient des sang-purs, vu qu'elle a explicitement dit qu'ils étaient plusieurs... Et la femme lui a dit qu'elle accusait ses semblables, en gros. La conversation a un peu coupé court après. »

L'auror marmonna quelque chose d'inaudible, rendant la jeune femme curieuse et suspicieuse à la fois, mais elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps. Johnson reprenait.

« A-t-elle avoué ou laissé sous-entendre être à l'origine, d'une façon directe ou indirecte, de la disparition soudaine de Sessho Shinmen ? »

L'illusionniste arqua un sourcil suite à la question de l'auror. Elle avait l'impression d'avoir déjà répondu à celle-ci, mais elle se fourvoyait peut-être. Elle réprima un soupir, vint passer une main sur ses yeux pour refouler sa fatigue, autant physique que mental, et répliqua.

« Je viens de le dire. Oui, elle l'a sous-entendu, en nous demandant si la surprise nous plaisait. Je ne vois pas de quelle autre "surprise" elle aurait pu parler à ce moment-là. »

L'interrogatrice tapota son stylo – depuis quand les sorciers utilisaient des stylos moldus, d'ailleurs ? - sur son parchemin, avant de relever le regard vers son interlocutrice.

« Bien sûr quoi d'autre ?, sourit l'adulte, avant de reprendre. La conversation a coupé court de quelle manière ? Vous a-t-elle attaqué ? »

Le temps d'une seconde, Eileen eut envie de se retourner pour voir l'expression de son enseignante. Une seconde, la gêne s'empara de son visage et ses joues. Les images de la soirée revenaient à mesure que la conversation se poursuivaient. Et avec du recul, la King se trouvait particulièrement stupide.

« Non, avoua-t-elle malgré tout, mais elle voulait être divertie, ou quelque chose comme ça. Je sais plus exactement comment elle l'a dit, mais c'était ce que j'avais compris... Et elle nous faisait perdre du temps. C'était en tout cas l'impression que la Louisianaise avait eu à ce moment-là. Alors je me suis décalée pour lui proposer un duel. Enfin, un semblant de duel. »

Elle vint se mordre l'ongle du pouce, toujours embarrassée, avant de reprendre.

« Ça l'a fait rire, jusqu'à ce que Joris et moi, on attaque en même temps. Elle a pu arrêter le sort de Joris, mais elle n'a pas pu esquiver mon expulso... Après quoi, j'ai compris que j'avais fait une connerie... Quand elle a commencé à dire la formule du doloris. Elle n'a pas eu le temps de la finir. »

Un soupir à fendre l'âme s'échappa des lèvres de la brune. C'était évident que l'idée de subir un doloris ne l'avait pas mise en joie.

« Heureusement. »

Pendant son récit, l'agent du gouvernement prenait frénétiquement des notes en se mordant les lèvres, lui donnant l'allure d'une adolescente ne voulant rater aucune miette d'un cours. L'image était assez drôle et eut le mérite de soulager un peu l'élève.

« Pour quelle raison n'a-t-elle pas eu le temps de finir ?, demanda l'employée quand elle releva la tête vers elle.
Parce que le type qui criait au détraqueur a profité, lui aussi, de notre attaque pour se glisser derrière elle pour l'assommer d'un coup en pleine tête. »

Ça avait été radicale comme méthode, mais ça avait eu le mérite de fonctionner. Finalement, Eileen et les autres lui devaient une fière chandelle.

« Ouch, grogna la chasseuse en faisant une grimace. Il a donc utiliser un objet pour l'assommer, non pas un sort ?
Un gourdin, ou une masse, je sais pas trop, qu'il a trouvé dans une ruelle avec une broche qui appartient à Sessho - ce qui a permis de savoir quelle direction il fallait prendre pour le retrouver. »

C'était du moins les souvenirs un peu embrumés qu'elle avait toujours. L'inquiétude qu'elle avait ressenti pour Sessho et Tabata sur l'instant l'avait aveuglée et avec le temps passé, elle regrettait son choix. Encore fallait-il qu'elle comprit qu'elle n'avait peut-être pas fait le mauvais, mais l'Américaine était encore trop en colère pour se l'avouer.

« Un gourdin ? Une broche ? Quel sens du détail tu as pour te souvenir de tout ça !, siffla Johnson, admirative, ce qui surprit Eileen. Ce n'est pas banal comme manière de mettre fin à un affrontement, tu en conviens ? Celui-ci terminé qu'as-tu fait ? »

Caroline remonta ses lunettes d'un rouge extravagant sur son nez tout en posant sa dernière question. Eileen, toujours le rouge aux joues, souffla les mots suivants.

« Merci ? Disons que j'en ai besoin pour une... Forme de magie que je maîtrise. Pourquoi le disait-elle ? Elle n'en avait aucune idée. Elle marqua un temps d'arrêt face à sa propre bêtise, puis reprit. J'ai dit aux autres d'aller retrouver Sessho et j'ai fait demi-tour. Je ne voulais pas l'abandonner... »

Elle soupira. Au fond, elle savait que c'était la meilleure option que de se scinder en deux groupes pour retrouver les deux, mais avec sa rage latente pour la Française, elle avait envie de croire qu'elle aurait dû l'abandonner à son sort.

« Mais Tabata avait disparu, alors je suis partie à sa recherche, en priant toutes les forces supérieures que je connaisse pour que les autres le retrouvent saint et sauf. Elyana m'a suivi. »

Elyana sous sa forme animale, mais elle ne savait plus si elle en avait parlé ou non, et le détail ne lui parut pas indispensable.

« Choisir entre deux amis en danger, une décision que personne ne devrait avoir à prendre, soupira l'agent avec une compassion certaine. Heureusement, vous étiez quatre et vous avez eu la présence d'esprit de vous diviser en pairs. Avez-vous rencontré d'autres dangers, Elyana et toi, pour retrouver Tabata ? »

Elyana avait eu la présence d'esprit de la suivre, surtout, parce que la vipère refoulée avait eu idée d'y aller seule, mais elle préféra taire cette vérité. Nouveau soupir. Elle n'arrêtait plus. Puis, elle secoua la tête.

« Le danger, c'était Tabata elle-même. »

Sa voix trahissait la rancœur qu'elle avait pour la blonde, mais Johnson n'eut pas l'air de le remarquer.

« Votre amie était devenue un danger pour vous, Elyana et toi ? Veux tu bien m'en dire plus, s'il te plait ? »

La mine de Caroline était plus que compatissante à ce stade, mais la Gryffondor ne le vit pas. C'était la tête baissée, se souvenant des actes de chacune, qu'elle prit sur elle pour raconter le récit avec une voix aussi neutre que possible.

« Quand on est arrivé, elle a directement essayé de m'attaquer d'un sort. J'aurai voulu répliquer... L'arrêter, la stopper, mais... Mais j'en étais incapable. J'étais tétanisée. Avec Tabata, on a eu des disputes, bien sûr et on s'était pris la tête durant la soirée... Une esquisse abattue vint lui manger les joues. Mais de là à ce qu'on en vienne aux baguettes ? Jamais. C'était jamais arrivé. Elle souffla à plusieurs reprises, essayant de ne pas se laisser déborder par ses émotions contradictoires. Je lui ai parlé pour la raisonner. Et j'ai compris. Elle n'était pas elle-même. C'était pas possible autrement. Tabata, elle aurait hurlé, elle aurait pleuré, mais jamais… Jamais elle n'aurait cherché à nous attaquer Elyana et moi. »

Caroline vint déposer une main sur son épaule et lui fit relever la tête, pour qu'elle la regarde dans les yeux. Dans ses pupilles, elle y voyait une bienveillance qui lui fit presque peur.

« On ne peut jamais savoir comment on réagirait dans ce genre de moment. Moi-même, j'aurai sans doute été incapable de lever ma baguette face à l'un de mes amis. Y compris pour le protéger de lui-même. La femme serra sa main pour l'ancrer. Tu n'as pas à te le reprocher. Tu as agi comme tu le pouvais. »

Reprenant une position plus professionnelle – si tant est qu'on pût qualifier le fait de s'asseoir sur le bureau de professionnelle -, l'inspectrice reprit le cours de la conversation.

« Si ton amie n'était pas elle-même, penses-tu qu'elle était sous l'emprise de la magie ?
Oui, je pense que oui, répliqua la King en acquiesçant. Elle ne parlait pas, avait le regard vide, comme endormi. Et elle avait l'air d'agir comme une espèce de… De marionnette. Je trouve pas d'autre exemple qui m'y ferait penser.
Comme une marionnette, d'accord... »

Johnson fronça les sourcils et nota l'information sur ses parchemins.

« Eh bien, ça doit en effet être très déstabilisant de voir une amie dans un tel état. Tu disais d'ailleurs que tu es restée tétanisée lorsqu'elle vous a attaqué. Cela t'a-t-il conduit à être la victime de l'un de ses sorts ? Ou peut-être qu'Elyana a réussi à s'interposer ? Tu pourrais peut-être aussi essayer de me dire, selon toi, ce qui a ramené Tabata à son état normal ? Car il me semble qu'elle n'était plus sous l'emprise d'aucune magie lorsque mes collègues vous ont trouvé. »

Pendant presque une minute, seule le silence répondit aux questions. La cinquième année se laissa happer par ses souvenirs une seconde fois, mais à la différence de la première, elle ne désirait pas se laisser aller. Elle en avait besoin. Elle devait se souvenir. Elle ne savait pas si ça aiderait pour retrouver ceux qui s'en étaient pris à Sessho, mais pour lui, elle le devait.

« Non, ce n'est pas... Elyana était sous sa forme animale. J'ai appris ce soir-là qu'elle est une animagus, ce qui n'est pas étonnant vu qu'elle ne veut pas que ça s'ébruite. Pour finir, l'information lui paraissait indispensable et elle espéra que son amie comprendrait. Dans cette forme, elle ne pouvait pas se défendre et quand Tabata l'a visé, mon corps a réagi avant que je comprenne. Je me suis jetée au-dessus d'elle pour la protéger. Pour le reste... J'ai souvenir que Tabata était blessée, donc je suppose que c'est la douleur qui l'a ramené à elle. »

L'adulte prit de nouvelles notes, comme elle s'y attelait depuis le début, les lèvres pincées par la concentration. Eileen avait maintenant hâte que ça se termine. Elle sentait que ses émotions essayait se frayer un chemin à travers elle pour exploser à la surface. Elle ne souhaitait pas que ça arrive devant l'auror ou le professeur.

« Sais-tu ce qui l'a blessé ? Ou qui ?
Non... J'étais pas... Enfin, j'étais consciente, mais j'avais l'impression... »

En saccade, la respiration d'Eileen s’emballa quelque peu, mais elle refusa de se laisser aller de la sorte, de faire voir une telle faiblesse. Elle força pour reprendre, pour répondre.

« J'avais l'impression de ne voir que le noir et une lueur trop... Trop douce. Paradoxale, hein ? »

Le rire qui suivit, qui sortit de ses entrailles, fut d'un sarcasme mordant envers elle-même. Autant parce que la phrase lui paraissait improbable que parce que c'était vraiment le souvenir qui s'était imposé à elle.

« La peur nous fait voir toute sorte de chose, surtout si l'on est blessé, répliqua l'inspectrice en secouant la tête, l'air compréhensive. Est-ce après ça que mes collègues sont intervenus ? »

Eileen ne rétorqua pas dans l'immédiat. Pendant plusieurs secondes, elle se concentra sur sa respiration, sur les battements sourds de son cœur qu'elle avait l'impression d'entendre bien trop fort. Elle souffla, lentement, sûrement, dans l'unique but de reprendre ses esprits. Ce ne fut que quand elle fut presque satisfaite du résultat de son introspection qu'elle releva la tête vers l'adulte. Elle hocha la tête, s'essayant ensuite à une petite touche d'humour qui mourut dans l’œuf.

« Oui. La blonde m'a fait boire un litre - j'exagère à peine - de potion calmante, ce qui m'a... pas mal calmé, logique.
Ah oui quand même... Tu devais être un peu ailleurs, tout en restant… Présente, marmonna la femme en tordant sa bouche dans une grimace. Tu souhaites rajouter quelque chose ? »

Eileen s'enfonça dans une réflexion qui ne dura pas longtemps, avant d'acquiescer. Elle ne savait pas vraiment si c'était important, mais elle préférait être totalement transparente.

« C'est le professeur Dumbledore qui nous a ramené à Poudlard, sauf Tabata qui est partie je-ne-sais-où, sachant que je la reverrais sans doute jamais, j'imagine que c'est pas important. Elle marqua un temps d'arrêt, avant de terminer. Sessho lévitait derrière le professeur durant le trajet... Comme moi, je crois, mais je suis pas trop sûre. Et c'est tout. »

Caroline hocha la tête à son tour, avant de lui sourire dans une moue souhaitant sans doute la rassurer. Peine perdue, mais elle ne pouvait pas le deviner.

« Je peux te rassurer pour ton amie. Elle a été transportée à Sainte-Mangouste et a été soignée, dit-elle en refermant son carnet. Je te remercie de t'être montrée aussi coopérative. Je te laisse retourner à tes occupations, je ne te retiens pas plus.
Ouais. »

La magicienne acquiesça, son visage se refermant aussi vite qu'une huître.

« Je m'en doutais. »

Après quoi, elle se releva, inclina la tête vers l'inspectrice pour la saluer, puis se dirigea vers la sortie. Elle ouvrit la porte et observa la directrice adjointe hocher sèchement la tête pour l'auror, avant de se diriger elle-même à sa suite. Elle passa la porte. Porte qu'Eileen allait claquer, sans vraiment en prendre pleinement conscience, après les derniers mots qu'elle adressa à Caroline. Des mots emplis d'une rancœur qui ne demandait qu'à s'échapper, à s'évader.

« Puis elle s'est tirée en France sans un regard en arrière, ou même une lettre pour moi. Tu parles d'une sœur. »

L'ignorant, ignorant ses appels à travers le corridor, la Gryffondor n'offrit aucun regard à sa directrice de maison et s'en alla aussi vite que possible, c'est à dire dans un sprint. Elle voulait mettre autant de distance possible entre elle et les autres ; elle voulait fuir le reste de l'humanité. Sur l'instant, pour pouvoir exploser en toute tranquillité, elle en avait la nécessité. Plus tard, sans doute, elle remercierait l'animus de sa présence et s'excuserait. Plus tard.
(c) princessecapricieuse
Eileen M. King
Admin enragé
Eileen M. King

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Rêve ta vie en

COULEUR
• lilie
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Lun 23 Nov 2020 - 2:03
Sam avait été convoquée avec son père dans le bureau de Dolores Ombrage afin de témoigner de ce qu'il s'était passé, la nuit d'Halloween. Elle avait été volontaire pour répondre aux questions des Aurors, parce qu'elle avait toujours quelque chose à dire et qu'elle voulait aider la justice à régner. Cela dit, quand elle arriva, elle trouva qu'ils auraient pu choisir un autre bureau pour lui poser toutes ces questions. Quelle idée de l'amener dans un bureau tout rose avec des photos de chats partout. C’était parce qu'elle était une fille sûrement. Sauf que rien n’horripilait plus Sam que le fait d'être une fille. Du coup, le bureau l’horripilait aussi.

« Bonjour, Monsieur et Miss O'Neill, installez-vous je vous prie, nous allons commencer dès maintenant. »

Elle prit place en face de l'homme qui devait l’interroger. Il avait l'air très strict et très sévère avec ses lunettes carrées et son costume trois-pièces. En plus, il était tout en noir. Sam se demanda s'il avait un deuil dans sa famille. Il était plutôt âgé et il portait une plaque avec son nom, Charles Clifton, ce que Sam apprécia, parce que au moins elle savait comment il s'appelait. Du coup, avant de commencer elle tint à lui faire ses remarques.  

« Dites, m’sieur Clifton, c'est parce que je suis une fille qu'on m'a mise dans un bureau aussi rococo ? Non parce que vous auriez pas dû vous donner tout ce mal, moi les trucs de fille, ça me branche pas. Il aurait mieux valu des dragons plutôt que des chats. »
« Sam ! » s'indigna son père aussitôt, tandis que l'homme la regardait abasourdi. « excusez-la, elle manque un peu de savoir-vivre. »
« Ce n'est rien », répondit l'homme en nettoyant ses lunettes. « Bien, pouvons-nous commencer ? Miss O'Neill, vous êtes-vous rendue à la soirée d'Halloween aux Trois Balais, le mardi 31 octobre dernier ? »
« Oui, mais j'avais le droit, hein ! Les professeurs ils avaient dit qu'on pouvait ! » assura Sam en tournant son regard vers son père.
« En effet, vous étiez autorisée. Mais vous n'êtes pas ici sur le banc des accusés, que je sache, au contraire, votre présence est due à votre propre initiative. Continuons. »

Le fait de ne pas être sur le banc des accusés et surtout que l'homme le précise rasséréna un peu Sam qui se détendit. C’était vrai qu'elle était venue de sa propre initiative et après tout, elle n'avait rien fait de mal. Il valait mieux éviter de tout prendre comme une attaque au risque de se le mettre à dos.

« Durant la fête, avez-vous remarqué quelque chose d'étrange ? La présence d'un individu un peu à l'écart de la fête ? »

S'il y avait bien une chose que Sam ne faisait pas dans une fête, c'était remarquer ce qui était étrange. Elle avait une certaine tendance à s'amuser sans regarder absolument rien de ce qui se passait autour d'elle, sauf si on embêtait sa sœur. Elle prenait toujours le pli de surveiller ce qui se passait autour de Beth pour s'assurer que personne ne lui joue de mauvais tours.

« Ben oui, si je peux aider, je le ferai. Heu... non, enfin, je ne crois pas. Vous savez, avec les copains, on était plutôt à danser et à faire la fête, je regardais pas trop autour de moi. Après, si, Beth était un peu à l'écart, bien-sûr, Beth c'est ma sœur, mais c'est qu'elle est timide c'est tout. Donc non. »
« Hum, je vois. Je doute que votre sœur soit impliquée, n'est-ce pas ? »

Sam sentit son cœur bondir en le voyant noter quelque chose dans son carnet. Il était évident que sa sœur n'avait absolument rien à voir avec les choses qui s'étaient déroulées le soir même. Et il ne fallait pas que cette tête de hibou pense le contraire où elle allait lui montrer de quel bois elle se chauffait. Elle tenta de se calmer afin de lui répondre de façon posée.

« Nan, c'est juste pas possible. Ma sœur, c'est un bisounours, elle est trop mignonne avec tout le monde. Heureusement que moi et Léo on est là pour la protéger, vous croyez pas ? Nan, j’sais pas qui est impliqué, mais si j'en trouve un je lui défonce la tête. J'ai des copines qui se sont retrouvées dans la mouise. Lynn, pis Azalée, pis Jules... Franchement, m'sieur, j’suis pas méchante mais on touche pas à mes amis ! »

Son regard était enflammé et elle avait presque bondi de son siège. C’était un sujet épineux pour Sam qui n'avait jamais supporté qu'on s'en prenne à ceux qu'elle aimait, que ce soit sa sœur ou ses amis les plus proches. Bien entendu, elle savait qu'elle aurait probablement aucune chance face à un de ses Mangemorts, mais ça ne l'empêchait pas d'être prête à tout démolir si elle en croisait un. Son interrogateur arqua un sourcil et lança un regard interrogateur par-dessus ses lunettes au mot "bisounours", puis reprit ses notes.

« Rectification », corrigea-t-il,  « si vous en trouvez un, vous venez le dénoncer et nous nous chargerons de le confronter à la justice. Mais ne vous faîtes pas d'illusions, vous ne trouverez personne. Maintenant, avez-vous bien rejoint le cortège retournant à Poudlard lorsque le professeur McGonagall a annoncé le départ ? »

Sam réfléchit un instant à ce que son interrogateur venez de dire et fit soudain une tête la plus innocente possible pendant que son père, à côté d'elle, levait les yeux au ciel devant son intrépidité.

« Oui, oui, le dénoncer, c'est ça c'est que je voulais dire », se rattrapa-t-elle avec un sourire d'ange. « Oui, je suis repartie pour Poudlard. Je vous le cache pas, j'aime bien les aventures et ça m'arrive de pas toujours faire ce qu'on me dit, mais là, j'avais un peu peur, quand-même. Vous comprenez ? »

Le regard de son interrogateur se fit suspicieux et Sam comprit qu'il avait commencé à cerner le genre de nature qu'elle était qui ne restait généralement pas sagement dans les rangs.

« Donc, vous n'avez pas quitté les rangs un seul instant du trajet ? »
« Ben... », avoua Sam avec un regard gêné, « quand j'ai pas vu Lynn je suis restée un peu en arrière pour voir ce qui lui arrivait, mais j'ai rejoint le groupe vite, hein ! Bien avant l'attaque ! »

Si elle devait être totalement honnête avec elle-même, elle avait eu peur. Et quand elle avait vu le groupe s'éloigner, elle n'avait pas osé attendre Lynn tellement elle avait eu peur et elle s'était sauvée pour le rejoindre. La présence des professeurs et des autres élèves lui avait été rassurante sur le moment.

« Pouvez-vous me donner le nom complet de cette Lynn ? Est-ce une autre élève ? Et l'avez-vous retrouvé avant l'attaque ? »

« Elyana Sleepy, c'est un peu une autre grande sœur pour moi. Elle me protège souvent. Elle est en cinquième année. Je l'ai pas retrouvée, je l'ai revue que plus tard, dans les jours qui ont suivi. Elle a pas voulu me dire ce qui s'est passé. »

Et bien entendu, Sam avait eu beau insister, Lynn n'avait rien dit. Elle était comme ça toujours à vouloir la protéger. Sam avait fini par renoncer. A l'évocation du nom d'Elyana Sleepy, l'inspecteur sortit un dossier de ses affaires, s'humecta un doigt et chercha parmi plusieurs feuilles jusqu'à en sortir une et la survoler furtivement. Il la rangea ensuite en hochant la tête. Sam se demanda ce qui se passait et pourquoi il avait fait ça.

« Hum-hum... Revenons-en à l'attaque. Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il s'est passé de votre position ? »

Sam repensa à ce moment et l'angoisse l’étreignit un peu. Sa voix trembla quand elle répondit et son père l’enlaça afin de la rassurer.

« Y’a quelqu'un qui a parlé à la directrice. Je crois qu'il cherchait Harry Potter. Je ne sais pas pourquoi, sauf qu'après y’a des sorciers qui sont apparus et qui ont commencé à nous attaquer. J'ai voulu éviter un sortilège, j'ai trébuché et je me suis cogné la tête. C'est pas ma première bosse, je vous rassure, mais j'avais la tête qui tournait comme pas possible, j'entendais des cris, mais j'ai pas trop vu. Quand j'ai repris conscience de ce qui se passait j'étais cachée derrière mon frère avec Beth qui me tenait fort. Léo avait l'air de se battre. Je crois qu'il nous protégeait. »

Un sourire se peignit sur le visage du père de Sam. il savait son fils très protecteur à l'égard de ses deux sœurs et il venait d'avoir le témoignage qu'il pouvait lui faire confiance pour veiller sur elles quand ils se trouvaient tous à Poudlard. Sam avait été rassuré de le voir devant elle, à la protéger. L’inspecteur nota les dires de la demoiselle dans son carnet, décrivant un cercle sur l'une de ses notes. C'est après un temps de silence qu'il releva son regard sur elle, la perçant par-dessus ses lunettes.

« Comment ce "quelqu'un" était-il habillé ? Est-ce lui qui a prononcé le nom de Harry Potter ? Ou peut-être devrais-je dire "elle" ? »
« Je crois que c’était une femme », répondit Sam, hésitante, « mais je ne l’ai pas vue. Je l’ai seulement entendue. Elle a juste dit Potter mais n’est-ce pas le seul Potter à Poudlard ? »
« Que je sache, c'est le seul, oui. Très bien... Pourriez-vous me dire où vous étiez lorsque vous avez repris connaissance et comment le combat a pris fin ? »
« Je ne sais pas exactement où j’étais. Quelque part entre Pré-au-Lard et le château. Pas dans la forêt interdite à priori. Je ne voyais rien car Léo était devant moi mais j’ai entendu quelqu’un crier. Des aurors sont arrivés. Ils ont fait fuir les mangemorts je crois. Je sais qu’il y en a un qui nous a insultés de trouillard je voulais aller lui répondre mais Beth m’a empêchée de le faire. Je lui aurais montré qui c’était les trouillards », fit-elle d’un air bougon, tandis que son père secouait la tête avec fatalité.
« Bien. Avez-vous encore quelque chose à déclarer ? » lui demanda l’enquêteur.
« Oui ! Je pense que c’est pas fini. C’était une attaque vachement risquée y’avait pas beaucoup de chances qu’ils réussissent. A mon avis y avait un truc en dessous genre ils cherchaient à évaluer les défenses ou un truc comme ça... je crois que je devrais apprendre à me battre plus vous croyez pas ? »
« Je crois surtout que vous devriez vous concentrer sur votre scolarité déjà. Je vous remercie de votre coopération. Vous pouvez disposer. »

L'inspecteur referma sèchement son dossier, sur lequel il plaqua sa paume sitôt l'entretien clos. Sam haussa les épaules et repartit avec son père. Elle avait l’impression d’avoir fait ce qu’elle avait à faire.
Samantha O'Neill
Membre
Samantha O'Neill

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Les Interrogatoires de Novembre.  Prsm
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Ven 4 Déc 2020 - 23:10
Interrogatoire de Novembre.
Mardi 7 Novembre 1995,

Dehors, il ne pleuvait plus. Après une averse, venait un soleil blafard. Rayons pâles reflétant son visage dans les losanges du carreau. Passé les midis, il était venu. Présent sans vraiment l'être, il attendait le dos droit, le regard alternant entre le haut des arbres dépouillés d'une partie de leur manteau, et la pelouse jaunie de feuilles mortes. Occupation d'attente. Il ne voulait pas s'asseoir sur le sol. Il ne voulait pas relire la missive qu'il tenait encore entre ses doigts, incertains d'avoir appuyé les mots justes. Ceux qui calment. Ceux qui apaisent. Sa mère attendait sans doute de ses nouvelles. Elle était sûrement inquiète, il la connaissait. Non expressive, sur la réserve émotionnelle, pointilleuse d'un contrôle aux antipodes de sa douceur tendre, elle devait se confondre en sourires, en esquisses délicates. Avec un soupir, il massa ses paupières endolories d'une nuit agitée, de son pouce et le côté de son index. Déjà la fatigue le maintenait à demi somnolant. Les troncs tremblaient, se floutaient sous ses cils. Ils ondulaient comme l'eau. Comme une flaque.

Sa tête lui faisait mal. Et il ne parvient pas à s'en préoccuper tout à fait. Des jours de lassitude collant à ses talons, à ses épaules fléchies d'une envie de dormir, de s'allonger et ne plus s'extraire de sa couette. La migraine d'une paralysie, d'une terreur sous la coupe d'une Lune ombragée, le fauchant des pieds à la tête. D'une insomnie l'embrassant dès les premières aiguilles des deux heures. Le parchemin lui semblait pesait lourd. Le plomb de ses nouvelles rassurantes lui brûlait les doigts. Et un instant, il regretta de ne pas l'avoir déjà envoyé, et se maudit de ne pas être parvenu à faire taire les bribes de perfectionnisme lui collant à la plume. Il désirait trouver les bons termes. Sur eux reposaient l'importance de la paix, de la préservation d'un pays déjà en proie à des tumultes internes. Sa disparition et les lignes du ministère ne feraient qu'attiser une flamme qu'il n'était pas nécessaire d’entretenir. Surtout pas pour lui.

Dans son dos, la porte du bureau s'ouvrit, le happant déjà tout entier. Les réserves de son énergie s'épuisèrent à la simple étincelle qui vrilla ses neurones, activant sa mémoire. L'entretien. C'est en posant ses pupilles dilatées sur la silhouette de la jeune femme, qu'il regretta de ne pas avoir accepté la proposition multiple fois récidivé de son directeur de maison. Il devait faire face. Seul.

Le pas traînant, il pénétra dans la pièce à la suite de l'interrogatrice. Le rose lui agressa instantanément la rétine. Une couleur franche, qui détonna avec l'austérité imprimée sur le visage partiellement ridé de sa propriétaire. Sans doute voulait-elle comblée un manque flagrant d'empathie, par la sympathie qu'inspiraient naturellement les félins surplombant chaque pan de mur ? Sans parvenir à juger sa fantaisie, ni à haïr la décoration chargée, il tira la chaise donnant sur la table en chêne. Ou en acacia. Il ne sût le dire. Les pieds grincèrent sur le parquet, et les barres recouvrant le dossier inconfortable accueillir son dos rigide. Il devait se détendre, décontracté ses muscles qui ne lui obéissaient plus. Respirer. Et ne pas penser à cette panique remontant dans ses entrailles comme un saumon sur une cascade.

La jeune femme ne s’embarrassa pas de sa tenue crispée et de ses mains agrippées à sa cape sur ses cuisses, pour s'installer à son tour contre le coin du meuble lui faisant face. Elle était belle. Naturellement rayonnante. D'elle se dégageait un quelque chose de rassurant. Une bienveillance la rendant vivace, maladroite, peu assurée dans ses gestes rapides. Le sourire qu'elle lui adressa détendit légèrement ses épaules, et fit se tortiller ses talons contre le tapis.

« Bonjour Sessho, je suis Caroline Johnson, c'est moi qui vais te poser des questions aujourd'hui. Je sais que ça risque d'être douloureux de te remémorer cette soirée mais ne t'inquiète pas, on va y aller à ton rythme, d'accord ? Tout d'abord, parle-moi un peu de la fête, ce que tu as fait, les personnes que tu as croisées, si des choses ou des personnes t'ont paru étranges avant que... Enfin, tu sais, forcément. »

Aimable, voir amicale, il ressentit en elle une sincérité déconcertante, qui ne parvient pas à dégeler totalement ses réserves et son appréhension. Ses mots ne l'apaisèrent pas. Au contraire. Ils étaient pressants. Et la vision du carnet et des nombreux documents empilés dans les dossiers prêts à craquer, lui donnèrent le tournis. Ses poings blanchirent sur ses jambes, et il s'efforça de prendre une grande inspiration. Il devait le faire. Il y était obligé. Ses traits se fermèrent pour ne laisser apercevoir aucune aspérité, aucune grimace. Ses iris se posèrent sur l'un des tableaux en porcelaine. Un persan à poil long léchant les rebords d'une tasse à thé à la hanse dorée.

« J'ai passé une partie de ma soirée avec Callum Vectorio, l'un de mes camarades. L'on ne s'est séparé que quelques fois. Pour une danse. Pour que je puisse jouer sur scène. Et quand je suis parti chercher l'une de nos amie qui s'était éclipsée. », commence-t-il donc après une trentaine de secondes de préparation et de réflexion.

Ses barrières étaient solides.  Et il en remercia ses années d'entraînement. Les faits étaient bruts, concis. Il aurait pu s'épancher sur les bons moments de la soirée, pour retarder l’inévitable, le tournant d'un coup sur la tête et le tintement par trois fois d'une cloche de mauvaise augure. Néanmoins, s'attarder sur la valse d'une poupée désormais absente, la saveur d'une friandise citronnée et le réconfort d'un chocolat fondu dans les paumes d'une âme en peine, ne permettraient pas de mettre fin à la mise en abyme de ses souvenirs qu'il cloisonnait pour ne pas y faire face. Son souffle était peu présent. Au bord de ses lèvres. S'il devait arracher les coutures de ses cicatrices, le faire vite serait le plus supportable. Du nez, il gonfla ses poumons. Et reprit.

« La pensant aux toilettes, peut-être malade, je m'y suis rendu et j'y ai croisé l'un des invités auquel je me suis heurté. C'est tout. »

Elle vient mordiller son capuchon de stylo, se parant d'un ton de velours, aussi clair que l'eau, et doux que la soie. Patiente. Elle lui faisait penser à sa mère. Dans son ventre s'ouvrit le gouffre du manque. De la honte. De la culpabilité. Du fardeau l'empêchant de respirer. Qu'il rêvait de se blottir dans ses bras, de se lover dans le coton de sa voix pour y trouver du réconfort.

« Doucement. Il ne sert à rien de se presser. Nous avons du temps et je sais d'expérience que c'est très difficile de se remémorer des événements traumatisants pour nous. », l'incita-t-elle avec calme, entourant une note d'un tour de poignet. « Est-ce au moment où cet invité t'a heurté que les lumières se sont éteintes ? Te souviens-tu de ce qu'il s'est passé à ce moment-là ? De la façon dont tu as été amené à quitter les Trois Balais sans ta baguette ? »

Démunis, désarmé, il se voûta pour appuyer ses paumes sur ses paupières, quittant sa contemplation perpétuelle de la gourmandise du chaton. Dans le noir, tout lui revenait. La lueur tamisée du couloir, ses pas sur les lattes, et les bruits de fond d'une musique faisant pulser son cœur au son des basses. Son nez baissé sur sa ceinture pour en rajuster l'un de ses accessoires. Dans l'air flottait une odeur de fête, d'alcool, de sucre, de parfums de citrouilles et de fruits. Son front s'était cogné à l'épaule d'un arrivant, et sans se plonger dans son sourire masqué, il lui avait tendu un morceau de bois. Gourdin déséquilibré, s'était-il fait en réflexion, en miroir aux reproches de son père. Puis, le sourd fusionné d'un coup l'envoyant à terre, sous l'explosion d'un plafonnier enchanté. Sentant son cœur s'emballer, il fit planer un silence d'une trentaine de secondes, emprisonnant sa lèvre inférieure secoué d'un tremblement désespéré, et il laissa sortir les seules confidences dont il se sentait capable.

«  Je ne sais pas. Je .., sa voix ne bougeait pas. Plus basse. Plus atone. J'ai pris un coup à la tête.. Et.. Plus rien. Je me souviens qu'il pleuvait.. Que je saignais.. Je crois.. »

La pluie. Constante effrayante l'ayant poursuivi de bout en bout. Le thorax comprimé par l'émotion, il desserra sa cravate pour dégager sa gorge enrouée, bloquée d'un nœud de panique le rendant sifflant, soufflé. Il ne pouvait rien dire de plus. Pas encore. C'était déjà beaucoup.

« C'est déjà ça. Tous les détails comptent, même ceux qui nous paraissent flous ou parfois inutiles. », décréta l'inspectrice en finissant de nourrir sa feuille d'encre sombre. Compréhensive, elle lui désigna la fenêtre entrebâillée, laissant filtrer un semblant d'air. Pas assez pour faire taire les vagues de fraîcheur glacée le faisant transpirer à grosses gouttes. « Tu veux prendre un peu l'air à la fenêtre avant de continuer ? »

Ses genoux le portèrent et il profita du maigre chemin jusqu'à la rambarde, luttant contre son empressement qui le souleva de grandes foulées, pour reprendre du recul. Ses remerciements s'étaient invités, contraints et forcés de son éducation rigoureuse, alors qu'il était déjà à la moitié de sa route. Son père aurait eu honte. Il laissa le vent faucher ses pommettes et sécher son front. Ça lui fit du bien. En contrebas, les feuilles se balançaient dans les airs. Un défilé orange, rouge et jaune qui le projeta quelques jours auparavant. Son souffle se perdit dans la brise, quelque part entre l'odeur de la pluie de la veille, et la torsade des branches à nues.

« Arrête-moi si je me trompe. Tu as pris un coup sur la tête, si je comprends bien, ce qui t'a sonné. Arriverais-tu à me dire où tu étais lorsque tu as repris connaissance ? », reprit l'inspectrice en griffonnant sur son carnet.

Sa main passa sur ses paupières, qu'il frotta de son pouce et son index. Il inspira profondément, dilatant ses bronches d'un regain automnal. Ses coudes s’aplatirent sur la chambranle, et sa nuque s'incurva en avant, pour mieux se représenter une scène, une succession d'images qui ne cessaient de tourner en boucle. Le couloir et ses chandelles. Le parquet sur sa joue. La nausée d'une tête en bas. Ses lèvres s'ouvrirent d'abord sur le vide, sur une absence de son. Comme une carpe dans son bassin, il s'imagina un havre plus paisible. Chez lui. Loin de l'orage, des nuages et de la pluie britannique.

« J'étais dehors. Je le sentais marcher, mais... Je ne pouvais pas bouger. Je voyais flou, je voyais juste de la boue, les flaques d'eau... Et je me suis rendormis. », quelques secondes s'égrainent de nouveau.

Les cerisiers devaient avoir entamé une nouvelle floraison, dans un Hanami berçant un inter-saison qu'il n'avait plus vu depuis des années. Sa mère devait préparer du thé. Un matcha légèrement sucré, aux douces notes amères, contrebalancées par une pointe de pâtisserie aux haricots rouges. Son frère était sans doute dans l'un des salons, plus au Nord, les pieds sous une table de shogi. Son père devait être dans son bureau, un pinceau de calligraphie dans une main, ou bien au sanctuaire, pour y prier les Dieux anciens.

« Quand je suis revenu à moi … Je ne sais pas combien de temps après … Je... », il fut incapable de continuer.

Les pétales se parèrent des ombres effrayantes de monstres griffus. D'une lame de rasoir sous le clair de Lune. Tout le submergea. Comme une vague qui terrassa sa voix dans une crispation qui fit trembler ses épaules de souvenirs ravageurs. Pendant une minute, une très longue minute, tout se refit, comme un théâtre de marionnettes, dans les moindres détails. Des trous dans le plafond. Des gouttes s’échouant sur son torse nu. Les escaliers qui grincent. Les chaînes à ses poignets. Les cris. Les rires tordus. Le goût du sang. « J'étais sur une table. »

Simple. Cours. C'était comme être avalé dans un puit sans fond. Comme être vidé de toute énergie. Le néant de ses émotions l'écrasa de tout son sou, comme une enclume entourant ses chevilles, sa glotte, engluant ses mots d'une nuance d'indifférence.

« Des liens te retenaient-ils à cette table ?, elle fit une légère pause, Et est-ce que tu arriverais à me décrire un peu le lieu, ce qui t'entourait ? »

Flottant dans une mélasse de déni, d'un choc qui glaça les bribes de réalisation, de traumatismes, il ne put empêcher sa main de frotter son poignet. Le lendemain, les traces avaient déjà disparues. Son menton se redressa. Dehors, tout lui semblait terne. Comme une bulle de savon coloré que l'on aurait éclaté. Il acquiesça à l'affirmative, sans pour autant s'étaler. À quoi bon ?

« Je voyais un plafond … Troué, rajouta-t-il en humectant ses lèvres, Les gouttes me tombaient dessus... Il y avait une torche qui éclairait l'endroit. Des escaliers... Et lui. »

Lui. Pas de prénom. Pas de descriptions. Un simple pronom ne désignant rien de concret. La compassion dans la voix de la jeune femme coula sur lui comme une averse, comme un rien.

« Lui ? Est-ce-que tu pourrais me décrire cette personne … ? »

Beaucoup de détails auraient pu être notés. Grand. Massif. La voix grave, caverneuse, comme un monstre d'outre-tombe. Un cauchemar sortant de l'ombre d'une ruelle. Une nuée d'informations, d'indices, qui fila entre ses doigts comme du charbon, ne laissant en emprunte que les détours d'un sourire de façade, éternellement figé sur le nacre d'un masque. Ses cheveux fouettèrent son front dans la négation, manquant cruellement d'entrain, de certitudes.

« Je n'ai pas vu son visage. Il portait un … masque. »

« D'accord, ce n'est pas grave. », une manière de dire que ça l'était certainement. Il n'était pas stupide. « Pourrais-tu en revanche me décrire le masque qu'il portait ? »

Elle creusait. Elle insistait. Et lui, il n'avait pas envie de parler. Un besoin égoïste de se conforter dans le mutisme. De ne pas nageait dans des sables mouvants le privant de toute énergie. Le ciel était gris. Un monochrome écrasant.

« Un clown. », souffla-t-il avec lassitude.

« Déguisé en clown, donc … Il n'y a rien d'autre qui t'a marqué, comme un signe distinctif qui pourrait permettre d'aider à son identification ? Comme je te l'ai dit, tu peux prendre ton temps pour y réfléchir et n'oublie pas que chaque détail peut compter. »

Il le savait. Dans sa poitrine monta l'acidité d'un million d'aiguilles qui le voûtèrent un peu plus, une main derrière la tête, et l'autre dans l'air, à mi-chemin entre la mousse sous la corniche, et l'aspérité froide de la pierre. Sur son torse, sous son palpitant saccadé, les lettres s'inscrivaient. Un trait après l'autre. Sa bouche s'ouvrit sur le sifflement d'une inspiration, puis se referma sur une toux crispant le fond de sa gorge. Les yeux fermés, c'était encore pire.

« Il... Il a une cicatrice... Sur le torse. », les propos étaient hachés, sur un tempo qu'il ne maîtrisait plus. Soufflé comme une bougie, toute volonté de se pourfendre de l'ivresse d'une nuit d'horreur, délaissa sa voix. Un soupir se cogna à ses dents serrées, à sa mâchoire qui se décrispa sous cette fatigue vrillant ses ongles contre sa carotide. Le pas lent, il se détourna du paysage sans saveur, pour se replacer sur son siège. Devant lui, le chaton reprenait son repas sur la coupelle de lait.

« Bien, très bien ! Est-ce-que tu saurais me la décrire cette cicatrice ? », l'enthousiasme d'une nouvelle question, d'une énigme dans un casse-tête invraisemblable.

« Ce sont.. des mots. Quatre mots. », sur ses cuisses, ses mains s'étaient accrochées à son pantalon. Elles étaient moites.

« Des mots ? », elle fronça les sourcils, et il n'eut pas le cœur de l'imiter. « Tu te souviens de ces mots ? »

Un long silence alourdit l'atmosphère déjà tendue malgré les tentatives de rapprochement et de sympathie de l'Auror. Il n'y était pas sensible. Il n'était pas sensible à grand-chose de toute manière. Ses paumes lissèrent les plis de son bas d'un frottement compulsif, nerveux.

« Mon art est vôtre. », répondit-il après une minute de prolongations, le ton plat, monocorde. En spectateur impuissant, il observait la scène d'un autre prisme. Comme cette nuit-là.

La plume gratta le papier avec une satisfaction malsaine. Si la violence l'avait emporté sur la stupéfaction et son profond malaise à s'enfoncer dans cette conversation, il aurait eu la tentation de la voir se briser sur le carnet.

« D'accord. Reprenons, tu veux bien ? », avait-il le choix ?, « Qu'est-ce qu'il s'est passé après que tu te sois réveillé sur la table ? »

Sessho haussa les épaules, à la fois incertain sur la réponse attendue, que désintéressé de la reconstitution du drame.

« On a discuté. », choisit-il de formuler avec sobriété, se narguant de la simplicité du déroulement des faits.

« Discuté ?, répéta-t-elle, incrédule, et quelque part, il partagea sa surprise. Avant de le vivre, d'y être, sans doute aurait-il douté que tout puisse être aussi facile à résumer. « D'accord … Te souviens-tu de cette discussion ? Arriverais-tu à me la retranscrire dans sa globalité ? »

Il se souvenait. Les grandes lignes, les plus petites. Des échanges courtois, aux suppliques de ne pas être achevé. De sa main tendue, offerte, au refus obstiné et l'agression. Le tout en toile de fond des éclairs faisant tanguer son reflet dans le scalpel sur sa pomme d'Adam.

« Je lui disais qu'il pouvait arrêter et faire marche arrière. », une totale transparence sur les premières secondes, sur le leitmotiv qui l'avait guidé de bout en bout. Ses épaules roulèrent de nouveau, alourdies du poids de narration exclusivement extérieure. « Il a fini par le faire et ne m'a pas tué. C'est tout. »

C'est tout. Une conclusion éclipsant tout le reste de leur entrevue, passant sous silence un amoncellement de détails significatifs.

« D'accord, d'accord. », elle vint farfouiller dans ses dossiers, et le bruissement des feuilles le força à se détacher de la toilette du persan, qui, par ses gestes répétés et cycliques, commençaient à lui donner mal à la tête. « D'après ce je sais, tu as été retrouvé blessé, mais pour toi, il n'a pas cherché à attenter à ta vie, c'est bien ça ? Pourtant, c'était son intention première, mais tu as réussi à l'en dissuader si je comprends bien ? »

« Je suppose … Je ne suis pas mort, donc, c'est qu'il ne le voulait pas. », limpide, coulant dans le silence, les raisons de son intégrité relative se traduisant d'un passage sur le haut de sa chemise, où, par le tissu, il accrocha les reliefs d'un bandage qu'il s'était fait à la hâte le matin même. Pour ne pas voir. Pour ne sentir. Pour ne pas comprendre.

Observatrice, elle suivit avec attention ses moindres mimiques, et la peine affaissant les sourcils de la dame aux lunettes rouges, fit naître un nœud dans son estomac.

« D'accord et … pourrais-tu me parler de la blessure qu'il t'a laissé plutôt que de te tuer ? Prend le temps qu'il te faut, encore une fois. »

Du temps. Du temps. Il n'en aurait jamais assez pour accepter. Pour se suspendre dans l'humour et la compréhension, à ces reflux d'émotions faisant trembler ses ongles sur sa cape. Son cœur était serré. Et ses pupilles tremblèrent contre les contours en dentelles de l'assiette en porcelaine. Lassé du persan, il s'était perdu dans la contemplation d'une femelle tigrée, aux oreilles courtes et arrondies. Par trois fois, il dilata ses bronches pour y faire entrer un air qui se raréfiait dans ses poumons de seconde en seconde. À mesure que l'interrogatoire traînait en longueur.

« Les mêmes mots que lui. », fit-il donc d'une voix atone, étrangère à ses intonations coutumières.

« Est-ce-que tu te souviens du sort qu'il a pu utiliser pour... te faire ça ? »

Il secoua la tête. Le chat suivit son mouvement, comme hypnotisé devant un insecte. Il le délaissa pour suivre le pendule de la pointe sur des annotations entourées. Se concentrer sur tout, sauf sur les images lui revenant par intermittence.

« Une lame. Pas un sort. »

Elle écarquilla les yeux, ses sourcils se fronçant dans une grimace ahurie. Elle se heurta au marbre de ses amandes fixes, délaissant le stylo et ses va-et-vient incessants. Avait-elle bientôt terminée ?

« Il n'a pas utilisé la magie ? »

Il se contenta de tourner lentement son profil à droite, puis à gauche, ses poings se serrant légèrement par compulsions involontaires. C'était comme se ronger les ongles. Ou se mordre l'intérieur des joues. Les pages devinrent noires en quelques instants. Les mouvements répétés lui donnèrent la nausée.

« Est-ce-que tu l'as vu manier une baguette à un moment, même une seule fois ? »

Derechef, il lui présenta son menton de trois quarts, sans un mot. Il n'avait pas besoin de parler, de s'exprimer plus. Elle ne le demandait pas. Alors, il ne le fit pas. Soucieuse depuis le départ, et marchant sur des œufs, les murmures de ses pensées, mises en chuchotements incompréhensibles, firent poindre les prémices d'une migraine. Elle était troublée. Mais douce. Un mélange déroutant.

« T'aurait-il fait... autre chose encore ? Ou s'est-il directement enfui après ? »

La torche. Les flammes. Les cris. La douleur. La brûlure. L'eau. Le flottement. Le plafond. La pluie. Toujours elle. En un battement de paupières, il se ressaisit, et peignit le détachement sur ses traits.

« Il est parti. »

Un mensonge. Une demie vérité. Une omission. Compatissante, ce qui ne l'aida pas, elle acquiesça, satisfaite en partie de son affirmation. Pas totalement, il le savait. Elle voulait plus, sans doute.

« T'aurait-il dit quelque chose, avant de partir, qui pourrait nous aider à le retrouver ou qui pourrait au moins nous mettre sur sa piste ? »

Son art était sien. Il y en aurait d'autres. Il ne serait pas le seul. Cette simple certitude l'empêchait de trouver le sommeil. Les réminiscences d'une ombre collait à sa peau, d'une promesse dans sa chair.

« Non. Enfin..., prit de remords, il voulut lui dire que ce n'était pas fini, pas tout à fait, mais il n'y parvint pas, Je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas. », il reprit plus bas après quelques palpitations. « C'est flou. Désolé. »

Sa main gagna son épaule, et il sursauta au contact. Il fut partagé entre l'envie de reculer sa chaise et s'enfuir, et avancer pour l'étreindre et s'accrocher à l'unique bouée de sauvetage de ces derniers jours. Il ne bougea pas. Il resta droit. Il préféra l'option de l'entre-deux. Ne pas rejeter. Ne pas accepter totalement non plus.

« Tu n'as pas à t'excuser, tu as déjà fait preuve de beaucoup de courage pour me dérouler le récit jusqu'ici, et ce n'est pas rien pour un traumatisme si récent. », il n'en avait pas l'impression. De s'être montré outrageusement brave. Au contraire. « Donc il t'a laissé et il est parti … Ce sont tes amis qui t'ont ensuite trouvé n'est-ce-pas ? », elle se fit plus songeuse. Lui plus fermé. « Serait-ce peut-être leur arrivée qui aurait fait fuir l'homme ? »

« Je suppose. », la voix mesurée, il compléta pour échapper à des demandes de précisions. « Sûrement même. »

« D'accord. », elle en sembla contentée. « S'est-il passé autre chose jusqu'à ce que les aurors vous retrouvent ? »

Les bras autour de lui. Ses excuses. Ses larmes. Le froid. Le sang. La peur. La Lune brillant bien haut. La main dans la sienne. Elle était restée. Et au réveil, elle n'était plus là.

« Je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas vraiment. », il s'était souvenu par flash de la barbe pulsant sous les étoiles. Des constellations sur une robe bleutée. D'une cape sur ses épaules. De ses pieds quittant le sol. « Tout est flou après qu'ils m'aient trouvé. »

« Je comprends, ce n'était pas tout à fait vrai. Après un tel choc, notre esprit a besoin de se reposer et même si notre corps s'y refuse, lui ne laisse pas vraiment le choix, au moins au début. », il n'était plus au début, plus vraiment. « Je suppose que le souvenir le plus clair que tu as ensuite, c'est ton réveil à l'infirmerie de Poudlard, je ne me trompe pas ? »

« C'est ça. », souffla-t-il péniblement, se retenant de décrire un virage à cent quatre-vingt degrés et revenir sur ses paroles. Il se contorsionna sur son siège, agrippant son pantalon en pulsion nerveuse. Il n'avait plus rien à dire. Ne voulait plus rien dire non plus. Et il s'en voulu de se montrer si égoïste, de ne pas pouvoir se rouler dans son altruisme habituel à corps perdu. Il était seul. Il n'avait pas d’exutoire, d'âme plus égarée que la sienne pour transférer sa douleur en baume sage et compatissant. Pas de Ariel et ses algues dans les cheveux. Pas de Merlin et ses tableaux déchirés. Pas de Callum et ses insomnies chroniques. Pas d'Eileen et sa trompette triste. Pas d'Aria et sa sensibilité à vif. Pas d'Hiverna et ses répétitions de trois. Pas d'Elyana et de colère en éclair. Il était seul. Totalement. Conforme à son attitude tout au long de la conversation, elle lui tendit une carte portant un nom qu'il garderait en mémoire. Caroline Johnson.

« Si jamais tu as besoin de parler, ou une présence compréhensive, n'hésite surtout pas. Ce que tu as traversé …, elle soupira, Enfin, tu sais bien. », il regarda le morceau cartonné, un peu con, et s'en saisit, trop poli pour la refuser. Son père l'aurait enterré dans le cas opposé. Débarrassée, elle lui tendit la main. Il la serra une demi-seconde. Ses paumes étaient moites. Son éducation le rattrapa et il courba la nuque en ultime salut respectueux.

« C'était un plaisir de te rencontrer Sessho, même si j'aurai aimé que ce soit dans d'autres circonstances. Tu peux maintenant retourner à tes occupations et retrouver tes amis. »

Ses amis se résumeraient à la salle de musique. Au piano. Aux partitions en origami. En oiseaux déployant leurs ailes dans le brouillard. Pas vraiment assuré, et pressé, il lui souhaita une bonne journée, et coulissa sur ses talons pour s'échapper des tentures roses. C'était trop. C'était rien. Tout était gros. Tout était petit. Il n'entendait plus ses pas. Il ne comptait plus les marches. Et dehors, il ne vit pas vraiment les feuilles non plus.

(c) AMIANTE

Sessho Shinmen
Préfet Serdaigle
Sessho Shinmen

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Un enfant perdu qui fond en larme

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Dim 6 Déc 2020 - 17:55
Les interrogatoires de Novembre"Lorsqu'il n'y a plus de mots, ne cherche ni à parler, ni à penser à autre chose. Le silence a sa propre éloquence parfois plus précieux que les paroles." Elisabeth Kübler-RossC'était le grand jour. Celui de l'interrogatoire. Son interrogatoire. On voulait lui poser des questions à propos de la soirée. De cette maudite soirée. Des questions auxquelles il aurait bien aimé se soustraire. Mais on ne lui avait pas vraiment laissé le choix. La convocation était claire, il ne pourrait pas y échapper. Il devrait parler. Se remémorer. Raconter ces choses qu'il aurait préféré oublier, sans être sûr d'y arriver. Sans être sûr qu'on le croit. Devait-il dire une vérité sans être sûr qu'on le prenne au sérieux ? Mais mentir ne ferait que les desservir. Ce serait rentré dans le jeu d'une censure qu'il haïssait. D'une censure qui traitait un ami de menteur, alors qu'il avait vu la vérité de ses propres yeux. Qu'ils avaient vu la vérité. Il ne pouvait pas lui faire ça. Il ne pouvait pas leur faire ça. Mentir comme un arracheur de dents, dire qu'il ne se souvenait plus parce qu'il avait trop bu, ou toute autre connerie de ce genre. Parce qu'il n'était pas seul ce soir-là. Parce qu'il n'était pas fou d'avoir vu tout ça, même si certains détails lui échappaient probablement. Parce que leurs versions devaient coller pour avoir plus de poids. Sans ça, ils étaient foutus, et le système continuerait de gagner en prenant les gens pour des cons, en accusant les victimes de menteurs.

Et si les autres mentaient lors de leur interrogatoire ? Personne ne serait là pour le savoir après tout. Sauf l'Auror en charge des questions, s'il aimait s'amuser à relever des incohérences aux nez des personnes qu'il interrogeait. Mais Joris ne voulait pas croire que quelqu'un irait mentir sur les événements de la soirée. Ils avaient vu la même chose, à des niveaux différents. C'était peut-être utopique. Peut-être qu'il se fourvoyait totalement à penser cela. Mais s'il s'arrêtait de croire, il ne voyait plus d’intérêt à défendre une vérité que même les plus proches témoins s'amusaient à bafouiller. Ça ne valait pas le supplice des cauchemars, des heures d'angoisses, des traumatismes. Ça ne valait pas de se dire qu'il se battait pour rétablir des injustices. Ça ne rimait à rien de vivre la vérité si eux-mêmes la niaient, qu'importait qu'elle soit belle ou atroce. Joris pouvait facilement comprendre qu'on préférait le confort d'une vie tranquille où tout se passait bien. Lui aussi aurait préféré ne jamais assisté à tous les événements malheureux qui avait pu se produire dans sa vie. Mais ça ne fonctionnait pas comme ça. Ça ne serait pas rendre service à Sessho que de nier l'horreur qu'il avait vécue. Il en porterait les conséquences bien assez longtemps, ce n'était pas pour l'accabler du statut injuste de menteur qu'il ne méritait pas. Ce ne serait pas rendre service à ses camarades de nier ce qu'ils avaient vécu. Joris se disait que s'il ne le faisait pas pour lui, pour espérer libérer sa conscience de ce poids pesant, il le ferait au moins pour les autres. Il parlerait pour ne pas les laisser tomber. Parce qu'ensemble ils seraient plus fort pour faire éclater et accepter la vérité que les dirigeants ne voulaient pas voir. Même si c'était long. Même si c'était fastidieux. Il fallait des gens pour y croire. Il en allait de leur future sécurité à tous.

Ce jour – là, son beau-père devait venir. En soit ça l'arrangeait. Ça le réconfortait de savoir que quelqu'un de cher à son cœur serait témoin de la conversation. Si l'Auror ne le croyait pas, il savait que son paternel, lui, y serait plus enclin. Il pourrait lui donner le courage de parler, au moins pour cette fois. Il pourrait le calmer si jamais il perdait patience. Il serait son rempart contre l'angoisse des souvenirs. Pour tenir, juste le temps qu'il faudrait. C'était tout ce qu'il demandait.

Dans les étages, un bureau tout de rose coloré. Des murs aux plafonds, en passant par l'immonde tapis qui recouvrait le sol. Sans compter les assiettes de chats, qui n'apportaient rien d'autre à la pièce qu'un supplément de malaise. À la place d'Ombrage, se tenait un homme à l'allure strict et sévère. Un certain Charles Clifton, si on croyait la plaque sur le bureau. Blond, une moustache entretenu et des lunettes carrés. Il ressemblait à un trentenaire tout ce qu'il y a de plus banale, si ce n'était qu'il avait l'air aussi aimable qu'une porte de prison. Si on ne se fiait qu'a son apparence du moins. Sa façon d'être pouvait être tout autre.

Joris se souvenait à peine être entré dans la pièce. Comme si sa mémoire avait laissé ses souvenirs de la journée sur le pas de la porte. Il était pourtant là, dans la salle, en face de cet homme en charge de son interrogatoire, papa de Beauvoir présent à ses côtés. À peine arrivé, l'inspecteur n'avait pas attendu pour les accueillir.

« Bonjour Messieurs De Beauvoir. Installez-vous et débutons sans plus tarder. » Leur avait-il indiqué d'entrer de jeu.

Père et fils avaient répondu à son salut d'un mouvement poli de la tête, avant de prendre place sur les sièges face à l'Auror. L'homme avait l'air pressé de rentrer dans le vif du sujet. Plus vite commencé, plus vite terminé, aurait-on pu penser. Cette optique aurait eu de quoi plaire à Joris, si les choses avaient été aussi simples.

« Monsieur Joris De Beauvoir, vous avez donc assisté à la fête organisée aux Trois Balais mardi 31 octobre dernier. Auriez-vous relevé des éléments suspects lorsque la fête battait son plein ? »

Une question simple pour ouvrir le sujet. Classique. Mais nécessaire pour planter le décor. Pour savoir si une chose aurait pu amener à penser que la soirée prendrait une tournure inhabituelle. Or, dans l'esprit de Joris, rien. Du moins rien de concret, juste des impressions superposé qu'il avait chassé d'un revers, pensant simplement que c'était le fruit de son imagination. Pour lui, ça avait commencé comme une simple soirée, dont le principe était de se détendre et s'amuser. Pourquoi aurait-il du s'inquiéter d'un événement aussi anodin à première vue ? Le principe même de fête aurait perdu tout son sens. Il comprenait l'idée de la question, mais lui ne pouvait pas y apporter de réponse.

« Je n'ai rien remarqué de spécifique. À la base, c'était une fête d'Halloween comme une autre. »

De la musique, des costumes effrayants, des farces et attrapes dissimulés dans des friandises… Éléments banals pour une fête de ce genre. Rien de bien spécifique. Pour ceux qui refusaient encore d'y croire, c'était vraiment à se demander comment un événement aussi simple avait pu virer au cauchemar. Le manque de vigilance et d'attention, sûrement. L'effet de surprise voulut, aussi. On ne saurait jamais vraiment.

« Bien. Passons alors directement à l'instant où les lumières se sont éteintes. Où étiez-vous à ce moment précis et avec qui ? »

Les images de la piste de danse lui revenaient en tête. Dernière chose qu'il avait faite avant le noir : danser pour ne plus penser. Entraîné par Mika, à travers la foule de corps bougeant au rythme de la musique. Perdu dans une foule d'autres costumé, il avait cherché à faire tomber les derniers remparts l'empêchant de profiter de l'instant. Un moment gâché. Soufflé dans une explosion. Noyé dans l'obscurité d'un événement imprévu.

« J'étais sur la piste de danse, avec mon meilleur ami. »

Il avait marqué une pause, face aux souvenirs se bousculant dans sa mémoire. Il se rappelait effectivement que Mika l'avait entraîné sur la piste. Mais la suite était plus flou avant le noir. Alors qu'il dansait pour oublier...

« Du moins, j'étais près de lui quand il m'y a entraîné. » Avait-il repris.

Il ne savait pas si c'était vraiment utile de l'avoir précisé, mais c'était déjà trop tard pour y réfléchir.

« Sous-entendez-vous par là qu'il n'était plus avec vous lorsque les lumières sont revenues ? Si vous pouviez m'expliquer précisément ce que vous avez fait à ce moment-là. »

Il avait retenu un haussement de sourcil à la première question. Pour lui, le sous-entendu était évident puisqu'il l'avait vécu. En revanche, ce n'était pas forcement le cas de l’Auror qui ne pouvait se fier qu'à ses paroles. Avec un peu de réflexion, il lui concédait cette précision.

« C'est ça. Ou peut-être un peu avant... Je sais pas exactement quand on a été séparé. » Il serait probablement plus juste de dire qu'il n'y avait pas vraiment fait attention. Mais la finalité revenait au même, donc il n'y avait pas vraiment d'importance dans la façon de le dire. « J'étais surpris, et je comprenais pas ce qui venait de se passer. Je me souviens pas avoir bougé de ma place jusqu'à ce que le professeur McGonagall nous dise qu'on rentrait au château. »

Ce qui était vrai. Mais qui ne précisait rien de ce qu'il avait fait ensuite. La question ne sous-entendait pas non plus qu'il le fasse. Mais l'inspecteur était intelligent, et en savait probablement plus que ce qu'il voulait bien laisser croire. Du moins, Joris se doutait qu'il pouvait avoir droit à une remarque là – dessus.

« Et pourtant, il me semble que vous n'êtes pas retourné au château comme le reste de vos camarades. » Bingo. L'homme venait de toucher l'imprécision. Il avait poursuivi son propos après avoir remonté ses lunettes sur son nez. « Pouvez-vous me donner une explication à cela ? » Avait-il simplement demandé.

« Dés que j'ai su ce qui était arrivé, et qui avait disparu... Je me suis enfuie en douce pour partir à sa recherche. »

En s'entendant parlé, il se rendait bien compte que ses propos pouvaient être vagues. Et qui disait propos vagues disait questions. L'Auror en face de lui semblait plutôt tatillon sur les détails, ce que Joris avait cru descellé au fur et à mesure de la conversation. Pour autant, bien qu'il répondît aux questions qu'on lui posait, il était difficile pour l'adolescent de connaître les questions suivantes. Tout dépendait ce que l'homme relèverait de ses propos.

« ''Dés que vous avez su ce qui était arrivé '' ? Il me semble pourtant que personne ne savait précisément ce qu'il venait de se passer à ce moment-là, alors peut être que vous pourriez m'expliquer en quoi vous étiez une exception, jeune homme ? »

Si jusque-là l'interrogatoire lui avait semblé banal, cette dernière réflexion n'avait absolument pas plut à Joris. Il la trouvait insultante, et ne voyait pas en quoi ses propos (aussi vagues qu'ils puissent être) justifiait ce genre de sous-entendu désagréable. L'homme supposait-il que les informations lui étaient tombé dessus comme par magie ? Bien que son don de voyance aurait pu le justifier, encore fallait-il savoir que le brun le possédait. Or, son don n'avait rien à voir là-dedans, et Joris pouvait donc garder cela pour lui. De toute façon, l’inspecteur n'aurait probablement pas cru cette version. Comme la majorité des gens qui considérait les voyants comme des charlatans cela dit. Mais tout ça n'avait peut – être rien à voir, et Joris tentait tout de même de se persuader que Charles Clifton n'avait pas dû faire attention que ses propos pouvaient être mal pris ou mal interprétés.

Si l'adolescent avait pu être vexé de la remarque, il n'avait rien montré et il s'était contenté de justifier son propos.

« Une simple farce n'aurait pas amené à une telle décision. J'ai trouvé ça étrange, et j'ai voulu comprendre ce qui avait motivé cela. Comme d'autres, j'imagine. J'ai entendu que Sessho avait disparu et qu'il fallait le retrouver. Ça à suffit à me convaincre. »

En somme rien d’extravagant. Juste une suite logique de réflexions et d'information. Si l'Auror s'était attendu à une explication plus originale, il y avait de quoi être déçu. Pourtant, Joris ne faisait que relater la vérité, justifiant qu'il y avait tout de même une réflexion derrière ses actes.

« Et vous n'avez pas cherché à vérifier cette information avant de fuguer ? Laissez moi douter que de simples rumeurs aient suffi à vous convaincre. »

Le désavantage se trouvait ici : l'homme semblait maintenant le voir comme assez intelligent pour ne pas se laisser emporter par des bruits de couloirs. Il n'avait pas spécialement faux, mais n'avait pas tous les éléments justifiants le raisonnement du jaune et noir.

« À moins que vous ayez été confronté à une personne très convaincante, peut-être ? »

Ah. Ça se corsait. Jusqu'à maintenant, si Joris n'avait pas encore évoqué de nom mis à part celui de Sessho, il pressentait que ce moment arrivait à grand pas. Mais, tant que l'auror ne posait pas la question, il n'avait, a priori, aucun besoin de le faire.

« J'aurais pu me questionner plus longtemps, mais ça aurait été une perte de temps. Je ne voyais pas l’intérêt, pour la personne m'ayant informé, de plaisanter sur la disparition de quelqu'un. Je vois encore moins Sessho accepter de participer à ce genre de blague d'un goût douteux. Simple relation de cause à effet. »
« Et quelle est la personne vous ayant informé ? »

On y était. Une question qu'il redoutait. Il n'était pas sûr de vouloir donner des noms comme ça, ne sachant si ça allait porter préjudice aux concernés. Il se souvenait qu'Aria lui avait dit qu'il pouvait donner son nom à l'inspecteur qui l'interrogerait, puisque de toute façon celui-ci était probablement déjà au courant qu'on les avait vu tous les deux ramener Sessho. Pourtant, même si Joris était encore quelque peu réticent, l'inspecteur attendait une réponse et risquait de ne pas le lâcher. Décidant de prendre le pari que Charles Clifton savait probablement déjà la fin de l'histoire, le poufsouffle avait répondu.

« Aria Beurk. Je ne sais pas comment elle l'a su, elle seule pourra vous le dire. »

C'était à contre-cœur qu'il donnait son nom, même si ça ne laissait, a priori, rien entrevoir de plus que le fait qu'elle l'avait avertit. Après tout, il y avait aussi une part de hasard dans le fait qu'ils soient tombés l'un sur l'autre. Joris ne savait même pas si Aria serait à la soirée, il l'avait découvert seulement à ce moment précis. Il espérait que la violoniste ne lui en voudrait pas, et que l'inspecteur n'irait pas déformer ses propos. Il essayait de se rassurer comme il pouvait, se disant que ça permettrait à l'enquête d'avancer.

« Aria Beurk, très bien. » Avait répondu l'homme avant de noter l'information dans sa feuille. « Et comment donc êtes-vous arrivés à vous dérober de la surveillance des adultes présents pour rejoindre les rues de Pré-au-Lard ? »
« La fenêtre dans la réserve des Trois Balais. Elle débouche sur une ruelle. » Avait simplement répondu Joris, comme une évidence.
« Comment avez-vous eu connaissance de cette échappatoire et qui était avec vous au moment de votre fuite ? »

Encore des noms à donner. Maintenant qu'il avait commencé, autant continuer. De toute façon, l'homme l'aurait facilement su en recoupant les informations des divers témoignages. Du moins, dans l'optique où personne n'avait menti.

« Je n'en avais pas connaissance avant de suivre Aria dans la réserve. J'étais avec Aria et Eileen. »

L'homme avait sèchement noté quelque chose sur son carnet. Joris l'avait identifié au bruit du stylo sur le papier, et au mouvement rapide de la main. Il était curieux de savoir ce que le blond pouvait bien écrire de cette façon, et en quoi les noms de ses camarades semblaient si importants. Était-ce parce qu'il allait les interroger après lui ? Ou peut-être l'avait-il déjà fait ? Ou alors une simple note pour se souvenir de voir leur version des faits pour savoir si elles concordaient avec la sienne ? Pourtant, malgré ces interrogations, Joris n'avait rien demandé. Il n'était pas sûr d'avoir envie de le savoir. Tout comme rien ne lui assurait que l'homme répondrait à ses questions. Et au vu de son allure froide depuis le début, il risquait plus de l'envoyer paître qu'autre chose. Alors, Joris avait gardé ses questions pour lui, enfouissant sa curiosité dans les tréfonds de son mutisme du début du mois.

« Je vois, passons. » Avait repris l'Auror. Il avait remonté ses lunettes aussi sèchement qu'il avait écrit dans son carnet, avant de poursuivre. « Vous vous êtes retrouvé dehors et après, qu'avez-vous fait ? »
« Un sans - abris nous est rentré dedans en criant au détraqueur. Dans le doute, on a tous fuit en sens inverse. »

Un jeu de ping-pong interminable. Un jeu de question réponse qui lui semblait sans fin, mais dans lequel l'adolescent semblait se complaire. Expulsant les questions par des réponses presque aussi courtes les unes que les autres, il s'enfonçait lui-même dans le cercle vicieux d'un interrogatoire qu'il voulait finir au plus vite, sans parvenir à complètement débloqué le mutisme qui l'empêchait de formuler le récit de la soirée d'une seule traite. C'était le serpent qui se mordait la queue. Le mécanisme de défense inconscient d'un cerveau qui sentait qu'il devait se souvenir du pire, se souvenir de ce qu'il voulait pourtant effacer. Mais qu'il serait obligé de se rappeler, au moins une dernière fois, pour le raconter.

Cependant, à cet instant, alors que l'homme le regardait en silence après avoir noté brièvement quelque chose, Joris sentait qu'il en attendait plus. Probablement insatisfait de voir sa question éjectée aussi vite qu'il l'avait posé, l'homme avait repris pour l'invité à continuer.

« Eh bien, continuez votre récit, jeune homme. »

Peu assuré fasse à la retransmission des événements qu'il allait lui conter, Joris avait tourner la tête pour regarder en direction de son paternel. Il prenait conscience que, depuis le début, il redoutait de raconter ce moment de la soirée où ça n'avait fait qu'aller de mal en pi. Sa voix se bloquait à cette pensée, et il s'en sentait idiot. Lui qui voulait raconter la vérité, le voilà qui se retrouvait à avoir peur de l'exprimer. C'est irrationnel, aurait-il sûrement pensé s'il n'avait pas lui-même vécu tout ça. Mais c'était ça, le problème. Il l'avait vécu. Pire, il s'en souvenait. Sans certitudes par moment. Mais il s'en souvenait. Lui qui avait cherché à oublier. Mais ça ne vaut pas les souffrances de Sessho, réalisait-il de nouveau. Alors il devait parler. Aider à rétablir la vérité. Pour que justice soit faite. Est ce que ça soulagerai vraiment les âmes des témoins de cette horrifique soirée ? Ça ne les guérirait pas du mal qui a été fait. Mais si ça pouvait aider à ce que ça ne se reproduise plus, c'était une avancée. Ou juste une excuse qu'il s'inventait pour se rassurer.

L'homme à ses côtés lui avait offert un sourire d'encouragement, avant de tendre sa main vers la sienne pour la prendre et la serrer dans un geste rassurant. Sans vraiment intervenir oralement dans l'entretien pour ne pas être préjudiciable à son avancée, Joris savait que le quarantenaire se voulait être un véritable soutient pour lui dans ce moment compliqué. L'adolescent se disait qu'il avait bien fait de lui demander sa présence. Son optimisme vacillait quelque peu à cet instant, et il n'était pas sûr de réussir à poursuivre son récit sans cela. Or, le geste lui redonnait un brin de courage. Suffisamment pour le convaincre de nouveau de l'utilité de son récit. Pour lui redonner suffisamment de cet espoir sans lequel il ne se voyait pas vivre.

Alors, le Poufsouffle avait serré la main de son beau-père en retour, pour se donner du courage, et il avait reporté son attention sur l'Auror. Remettant ses idées en ordre, il avait entamé ce qui allait être son plus long monologue depuis plusieurs jours.

« Sur le chemin, on croisé la route de Tabata et Elyana qui nous ont suivit dans notre fuite. Pendant qu'on courait, il y a eu une lumière rouge dans le ciel. Et un cri. » Même si ces derniers éléments lui avaient semblé des illusions, il les avait mentionnés, dans le doute. « On s'est arrêté sous un lampadaire, et j'ai remarqué que Tabata n'était plus avec nous. C'est là qu'une femme est arrivée. Elle avait un masque sur les yeux, une capuche et une grande cape. Elle nous a parlé, le sans - abri à fuit et elle a raté le sort qu'elle à essayé de lancer sur Eileen. »

Joris avait l'impression d'oublier pleins de choses. Étrangement, ça ne lui plaisait pas. Dans sa tentative d'oubli, avait-il réussi à effacer certains éléments de sa mémoire ? Peut-être. Ou alors il ne les avait pas retenu. Tout était allé tellement vite... Ce qui ne l'avait pas empêché d’enchaîner sur la suite de son récit. Il dirait ce dont il se souvenait, et ce serait déjà bien assez.

« Aria à tenter de discuter, Eileen à proposer un duel et j'ai profiter de la diversion pour lancer un sort en même temps qu'elle. La femme à contré mon sort, mais pas celui d'Eileen qui l'a envoyer plus loin au sol. Elle a voulu nous lancer un impardonnable, mais le sans – abri est revenu pile à temps. Il l'a assommé par surprise et nous à évité le pire. »

Il avait fait une pause. Un léger doute sur les événements s'était immiscé dans son esprit. Il se souvenait que le SDF leur avait montré un objet important pour la suite, mais quoi ? Ça leur avait permit de suivre la trace du disparu. Puis le costume de Sessho lui était revenu en mémoire, et la suite lui était revenu. Alors, il avait repris son récit.

« Il avait trouvé un élément du costume de Sessho un peu plus loin dans la rue, et nous l'a redonné. C'est là qu'on a séparé le groupe en deux : Elyana et Eileen sont retournées en arrière pour essayer de retrouver Tabata. Avec Aria, on s'est fié à la ruelle indiqué par l'homme, et on est allé dans cette direction pour chercher Sessho. On a suivi les traces de sang qui nous ont menées à la cabane hurlante. Sur le perron, un Mangemort nous à posé une énigme. On a… » Sa voix se perd, mais il continue. « On a entendu un cri venant de l’intérieur. »

Une nouvelle pause, alors que le souvenir du cri lui revenait en mémoire. Un des souvenirs qu'il aurait voulu effacer en premier. Mais un de ceux qui, paradoxalement, avait le mieux résisté à sa volonté. Il paraît que se sont les choses qu'on cherche le plus à oublier qui sont les plus difficiles. Sur ce coup, ce n'était pas qu'une rumeur. Tout comme ce qui avait fait passer cette soirée de festive à horrible. Mais il avait repris son récit, pour ne pas s'attarder là-dessus trop longtemps. Sans compter que la suite n'était pas des plus faciles à raconter.

« Il nous a laissé trois minutes pour répondre. Il est parti lorsqu'il a eu la réponse, et on a pu rentrer. Une fois à l'intérieur, on a… »

Il s'arrête brusquement dans sa narration, alors que les souvenirs défilaient en avance dans son esprit. Il passe alors sa main libre sur ses yeux, comme si cela allait faire disparaître les sombres images de son esprit. Mais il le faisait plus pour se concentrer de nouveau, car il savait déjà que c'était peine perdue pour le moment. Tant qu'il devrait raconter les événements, elles seraient là. Gravées dans son esprit, jusqu'à ce que le temps décide de faire son œuvre. Résigné, il avait soupiré avant de reprendre son récit de nouveau.

« On a trouvé Sessho, poings et chevilles attachés par des chaînes. Il a été... torturé. On l'a libéré, et on est retourné à Pré-au-Lard avec lui. » Il fait une courte pause avant de terminer. « À partir de là, on a été prit en charge par les autorités sur place. »

Et cette fois, il s'était arrêté pour de bon dans son récit. Alors qu'il aurait pu penser l'inverse, il ne se sentait pas mieux de l'avoir raconté. Au contraire, devoir revivre les souvenirs de la soirée avaient fait remonter des émotions qu'il aurait voulu ne jamais revivre. Le constater n'améliorait pas vraiment la situation. Même s'il essayait de garder la face, ça se bousculait à l'intérieur.

Il aurait voulu que l'interrogatoire puisse s'arrêter ici, mais au vu des notes que l'auror avait prit, il en doutait fortement. Combien de question allait-il encore lui poser ? Il n'était pas sûr d'avoir envie de le savoir. Il espérait surtout que ce serait rapide. Pour pouvoir enfin commencer à se remettre, à défaut d'oublier complètement. Pour ne plus avoir à le revivre. Pour que les images ne deviennent plus qu'un lointain souvenir.

Relevant la tête vers lui, l'inspecteur avait remonté ses lunettes, laissant échapper un commentaire.

« Très bien. » Avait-il dit en croisant ses mains sous son menton. « Il y a cependant un détail dans votre récit qui m'interpelle. Vous avez mentionné le terme "Mangemort". Pourriez-vous m'expliquer en quoi ce terme vous est venu avec tant de certitude pour désigner l'homme qui vous a posé une énigme ? Il me semble qu'il faut bien plus qu'une simple bonne réponse pour faire céder les barrières d'un partisan de Vous-Savez-Qui. »

Bien qu'il ne le montrait pas, la dernière remarque lui paraissait stupide. Évidemment, l'homme le lui disait certainement par expérience, mais Joris n'avait jamais vu l'homme à l'énigme avant cette soirée. Surtout, ce n'était pas ce qui le tracassait à ce moment précis. Il ne pouvait donc pas expliquer les agissements de cet inconnu à l'inspecteur, ce qu'il n'allait pas manquer de préciser suite à sa réponse.

« Son masque. C'est pas le genre de truc qui passe inaperçu. Quant à son comportement... Je saurais pas vous dire. Je le connais pas, je sais pas comment il réfléchit ou ce qui lui est passé par la tête. Puis c'était pas vraiment ma préoccupation du moment. »

Suite à sa réponse, le blond avait survolé rapidement ses notes, avant de tapoter le bout de son stylo sur sa feuille.

« Vous disiez avoir entendu un cri venant de l'intérieur de la cabane lorsque vous étiez dehors avec l'homme masqué. Aviez-vous reconnu ce cri comme celui de monsieur Sessho Shinmen ? Et était-il bien seul lorsque vous avez pu entrer ? »

Typiquement le genre de question que Joris aurait voulu éviter. La tournure de l'interrogatoire ne lui plaisait pas. L'auror ne semblait pas vraiment se soucier de ce qu'il pouvait penser, visiblement plus friand de réponses que du bien-être de son témoin. Du moins, c'est ce que supposait Joris pour le moment. Lui qui se refusait aux avis trop rapides, il commençait à se faire une image de son vis-à-vis. Cependant, il ne pouvait pas lui reprocher un certain professionnalisme. Il ne lui en voulait pas de faire son travail. Alors, il avait simplement répondu à la question, malgré le malaise qui s'invitait en lui.

« C'était bien celui de Sessho, oui. Il n'y avait que lui à l'intérieur lorsqu'on est entré. »
« Que pouvez-vous me dire sur l'intérieur de la cabane et sur lui ? »

Le malaise grandissait de nouveau. L'adolescent n'avait pas répondu tout de suite à la question, prenant le temps de réfléchir. Comme il sentait qu'une crise d'angoisse pouvait monter, il se forçait à respirer calmement en prenant exemple sur la respiration de son père. Il ne savait pas combien de temps encore il pourrait tenir comme ça, combien de temps il pourrait encore supporter les questions. Mais il le fallait. Il ne voulait pas craquer. Pas tout de suite, pas maintenant. Alors, il faisait ce qu'il pouvait pour rester calme, afin que ça ne se voit pas. Puis il avait repris pour répondre à la question de l'inspecteur.

« Je me souviens pas exactement, mais ... On a trouvé Sessho allongé sur le dos sur une table. Comme je vous le disais, il avait les poignets et les chevilles attachés par des chaînes, et il a été torturé. Dans la pièce, il y avait aussi un panel d'armes blanches. »

Une vision que beaucoup aimeraient oublier. Toutes ces armes, réunis en une seule pièce... Il ne voulait pas imaginer les horreurs qui avaient pu être commises avec.

Il avait vu les sourcils froncés de l'inspecteur, pendant qu'il murmurait quelque chose en écrivant sur sa feuille.

« Armes blanches.... » L'avait-il entendu dire avant qu'il ne s'adresse de nouveau à lui. « À quoi avez-vous pu voir qu'il a été torturé ? »

Si Joris n'avait pas eu autant envie d'en finir avec cet interrogatoire interminable, il aurait probablement pensé que la question n'était pas forcement nécessaire. En effet, si l'Auror avait eu vent de l'affaire avant de venir poser ses questions (ce qui était plus que probable), il devait normalement savoir que Sessho avait été ramené avec des blessures. Et au vu de ce que Joris lui avait dit avant, il était difficile d'imaginer que le Serdaigle se soit fait ça tout seul. Mais, sans relever, le jaune et noire s'était contenté de répondre.

« Les inscriptions sur son torse. »
« Pourriez-vous me les décrire plus en détail ? »
« Une phrase... Je crois... Désolé, je me rappelle pas exactement. Mais je suis sûr que ça y était. »

Plus concentré à détacher son ami et à vouloir le faire sortir de l'endroit, il ne s'était pas attardé plus que de raison sur cet élément. Il avait juste eu le temps de le voir, sans en comprendre le sens. Est ce que cela lui serait préjudiciable ? Pour le moment, il ne cherchait pas à le savoir, attendant la question suivante même s'il savait déjà qu'il n'en supporterait pas une de plus. Il voulait en finir, et avait déjà dans l'idée de demander la fin de l'interrogatoire si une nouvelle question venait s'ajouter à la liste. Mais, à sa grande surprise et à son soulagement, la suite avait été toute autre.

« Très bien. Avez-vous autre chose à ajouter ? »

À peine une dizaine de secondes de réflexion avait suffi pour qu'aucun autre élément ne lui vienne en tête. S'il avait omis un élément, il ne s'en souvenait pas. De ce qu'il se souvenait avoir dit, il ne manquait rien. Du moins, pour le moment. Si quelque chose devait lui revenir plus tard, tant pis.

« Non Monsieur. »
« Dans ce cas, nous pouvons nous quitter ici. » L'inspecteur s'était raclé la gorge avant de leur adresser ses derniers mots. « Au revoir, messieurs. »

Pour Joris, c'était un soulagement. Son interrogatoire était enfin fini. Le malaise était toujours là, fort, mais les questions ne pleuvaient plus, et il pouvait enfin se soustraire à cet horrible bureau. Sans besoin d'être prié, il s'était levé de sa chaise avant de saluer l'inspecteur.

« Au revoir. »

Puis, lâchant la main de son beau-père, il était sorti d'un pas rapide. Le plus âgé l'avait imité, bien que plus calmement, en adressant un signe de tête à l'Auror.

« Bonne journée à vous. » Lui avait-il dit avant de sortir à son tour pour rejoindre son fils à l'extérieur.

Tout deux s'étaient éloignés du bureau et, une fois à l’abri des regards, Joris avait explosé en larmes. Son beau-père l'avait alors prit dans ses bras, pour le rassurer et le consoler. Il ne savait pas combien de temps cela avait pus durer, et il s'en fichait. L'adolescent, qui avait retenu toutes ses émotions négatives depuis des jours, acceptait enfin de les laisser sortir. À l'image d'une bombe à retardement. La pression de l'interrogatoire avait tout réveillé. Sans compter le retour de ses cauchemars qui n'avait rien arrangé. Lui qui avait refusé de parler pour ne plus penser à cette soirée, pour ne plus la revivre, pour ne pas avoir à se justifier, il avait accepté de le faire pour cette fois.

Cependant, il ne pouvait s'empêcher de se sentir complètement stupide. Il n'avait pas vécu le pire. Alors pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il craquait ? C’était idiot. Il n'avait pas de raison. Du moins, il ne pensait pas en avoir. Ce n'était pas lui qu'on avait enlevé et torturé. Ce n'était pas lui qui garderait les souvenirs les plus atroces de cette soirée. Ce n'était pas lui qui garderait les marques d'un moment gâché. Alors pourquoi ? C'était tellement idiot...

Et pourtant, paradoxalement, alors que ses sanglots se calmaient doucement, que ses larmes coulaient de moins en moins sur ses joues, il se sentait plus léger. Épuisé d'avoir tant pleurer, mais plus léger. Un peu plus apaisé, peut-être, alors que la présence de son père le rassurait. Ça ne réglait pas tout, mais c'était un début. Et son cerveau, bien qu'encore embrumé et un peu secoué des récents événements, semblait se remettre à fonctionner un peu plus facilement. Ça lui demanderait sans doute encore un peu de repos pour le confirmer, mais il commençait déjà à voir les choses différemment. Elle était peut-être là, la raison des larmes. Libérer de la place, pour mieux envisager la suite.

Après s'être assuré que le brun allait mieux, restant auprès de lui le plus possible pour ne pas le laisser en proie à de nouveaux démons, le plus âgés avait dû partir. Quant à lui, Joris s'était dirigé vers le sommet de la tour d'Astronomie. Cet endroit si particulier qui l'avait si souvent vu ses derniers jours, en proie à une humeur maussade et à de sombres souvenirs. Mais cette fois, c'était avec une optique nouvelle que l'endroit l'accueillait, malgré la fatigue et le manque de recul. Cette fois, c'était avec une envie de renouveau qu'il se présentait aux pieds de la voûte céleste et des paysages colorés. Lui qui s'y raccrochait pour ne pas sombrer, maintenant, il commençait à vraiment les voir de nouveau.

Au final, même s'il maudissait cet interrogatoire, il remerciait celui qui en avait été le conducteur. Il aurait pu le détester pour son manque d'empathie et son attitude stricte. Mais il ne pouvait nier que l'homme, au moins, n'avait pas chercher à être agréable pour lui faire plaisir. Avec du recul, il se dirait même que ce comportement l'aurait probablement agacé. Puis, avec une personne se montrant plus empathique, il n'aurait certainement pas explosé comme il venait de le faire. Il aurait peut-être gardé pour lui ses pensées négatives, celles qui l'empêchaient d'avancer. Il acceptait donc de croire que, même si l'interrogatoire n'avait pas été plaisant, le destin avait mis cet inspecteur sur sa route pour lui permettre de craquer et d'alléger son esprit. Alors merci, Mr. Charles Clifton. Finalement, aussi étrange que cela puisse être, le trentenaire ne lui apparaissait pas si antipathique qu'il aurait pu l'être.

Les mains posées sur la rambarde, le regard captant les paysages alentours, l'adolescent souriait.
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Joris de Beauvoir
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Joris de Beauvoir
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Mar 15 Déc 2020 - 15:47



Les Interrogatoires de Novembre
Event

Lundi 13 Novembre 1995

Ils avaient tous un peu changé. Plus perceptiblement pour certains que pour d'autres. Pour Tom, ça se mesurait à environ trois vannes en moins par jour. Louisa, elle, couvait encore plus Oscar : à chaque repas, son regard épiait la table des Serdaigle pour vérifier que son frère finissait bien son assiette. Ce dernier, quant à lui, flottait encore plus dans sa bulle qu'auparavant et, plusieurs fois, il sursautait quand on se mettait à lui parler. Tout ça n'était que des détails invisibles pour ceux qui ne les connaissaient pas de près. Jules, elle, apercevait chacun d'eux avec l'éclat d'un mince bout de verre qui faisait ricocher la lumière sur les zones d'ombres. Mais surtout, ses yeux voyaient la silhouette d'Ariel. Lointaine. Muette. Une ombre. Sa voix s'était éteinte dans un dernier cri un soir d'automne.

Ils avaient tous un peu changé. Jules, elle, avait délaissé un bout de parchemin pour se focaliser sur un autre. Celui de ses projets pour l'année, de ses idées de farces, de plans foireux, de recrutement pour la S.A.L.E., de manifestations engagées, avait été délaissé dans le tiroir de sa table de chevet depuis un petit moment. S'il n'y avait pas eu son alliée Petit Jean pour lui rappeler le projet d'une mission préméditée, Jules Murphy aurait presque pu se faire oublier, ce mois-ci. Oui, derrière les schémas, lignes, flèches et ratures d'un parchemin sans fin qui accueillait, quant à lui, l'évolution de ses réflexions, hypothèses et conclusions des dernières semaines, elle aurait pu se faire oublier. Entre les rangées d'étagères d'une bibliothèque qui n'avait jamais autant vu son visage, elle aurait pu s'effacer. Dans son enquête entêtante, elle aura pu entièrement s’immerger.

Mais il y avait Louisa et Tom qui étaient là pour la sortir de ses recherches et continuer à la faire rire les soirs au coin du feu. Il y avait Oscar et l'espoir dans ses yeux qui était là pour préserver la flamme dans ses propres prunelles. Il y avait Ariel et son errance fantomatique qui était là pour lui garder la tête froide, pour l'ancrer auprès d'eux et lui rappeler qu'ils avaient chacun besoin des uns et des autres. Il y avait Azalée et sa candeur inchangée qui était là pour lui rappeler les luttes qu'il ne fallait pas pour autant négliger. Il y avait Merlin et son talent de duelliste qui était là pour lui rappeler qu'elle devait redoubler d'efforts dans ses entraînements. Et il y avait son équipe de Quidditch qui était là pour combler les trous dans son emploi du temps. Son entourage lui était ce qu'elle avait de plus précieux en cette période. C'était lui qui la tenait à flots.

Mais elle ne pouvait toutefois pas s'empêcher de continuer à creuser. Le moindre moment de creux qui s'offrait à elle la reconduisait tout droit dans ses réflexions : que s'était-il exactement passé ce soir-là ? Pourquoi ? Qui ? Comment ? Elle voulait savoir.

Eux aussi, voulaient savoir. Les Aurors, le Ministère, la société sorcière. Mais que feraient-ils de la vérité lorsqu'ils la détiendraient pleinement ? La distordront-ils avec la même application dont ils avaient usé pour broder la Gazette de tissus de mensonges, au premier du mois ? Peut-être. Et pour lutter à cela, la première mission de Jules était de déterrer elle-même la vérité pour la présenter à son état-brut durant son entretien avec un enquêteur chargé de l'affaire.

Le lundi 13 novembre avait tardé à montrer le bout de son nez. Et même si Jules avait attendu ce jour avec autant d'impatience que d'appréhension, le matin-même elle n'était plus tout à fait convaincue d'être prête. Avait-elle pu rassembler tous les éléments dont elle avait besoin avant de se présenter à cet interrogatoire ? Ses souvenirs lui reviendraient-ils seulement avec la même clarté que dans ses cauchemars ? Parviendrait-elle à convaincre l'Auror de ses propres conclusions ?

- Bonjour Miss Murphy. Installez-vous et débutons sans plus tarder.

L'homme avait les traits stricts et le dos droit. Son nez était bossu et son intonation de voix aussi plate que son regard inexpressif. Lisse, sans aucun pli, ni remous, telle était son apparence tout entière. Sans attendre de manifestation vocale de l'élève qui venait d'entrer dans le bureau, il en enchaîna :

- Vous avez assisté à la fête organisée aux Trois Balais le mardi 31 octobre dernier. Durant les festivités, avez-vous relevé des éléments étranges ou suspects pendant que la fête battait son plein ?

Jules s'était installée sur la chaise faisant face au bureau.

- Bonjour Monsieur – ses yeux accrochèrent la plaque de métal posée sur la surface de bois et se plissèrent pour lire le nom qui y était inscrit – Clifton.

Un sourire poli en direction de la paire de lunettes inflexible. Puis, les prunelles de la rouquine délaissèrent leur préoccupation première pour inspecter le décor. Du rose, des chats. Des chats, du rose. Rose, Chats, Rose, Chats. Elle en eut presque le tournis.

- Pendant les festivités ? commença-t-elle en entamant le premier plongeon dans ses souvenirs, les sourcils froncés. Huuum... Eh bien, il y a eut pas mal de trucs bizarres mais ça, c'étaient les farces du buffet... je suppose. Enfin, c'étaient des trucs fun, rien en rapport avec ce qu'il s'est passé ensuite, je pense.

Un carnet. Des notes. Jules n'avait encore rien dit de déterminant, mais elle fut rassurée de voir l'homme encrer ses dires. Elle souhaitait que chacun de ses mots eût leur importance, aujourd'hui.

- Et que s'est-il passé ensuite ?

- Bah, on a été plongé dans le noir. D'un seul coup. Pouf.

Ses mains s'agitèrent dans le mimétisme d'une explosion.

- Puis, ça a été la panique.

- Où étiez-vous dans la salle à ce moment-là et avec qui ?

- Euh, je sais pas exactement, j'étais au milieu de la foule. Avec mon ami Ariel.

Un Ariel shooté au philtre d'amour qui voyait l'extinction des lumières comme l'instant le plus romantique qu'il fût pour retrouver sa dulcinée. Si le contexte n'avait pas ensuite pris un tournant horrifique, l'évocation de cet instant aurait put réveiller un mince sourire sur le minois de la Murphy. Il n'en fut rien. L'inspecteur Clifton se mit à fouiller dans ses dossiers jusqu'à en tirer un parchemin qu'il survola du regard.

- Ariel Melwing, vous confirmez ?

- Je confirme.

- Après que les lumières se soient rallumées, vous et votre ami n'avez toujours rien remarqué de suspect ?

- Non, pas particulièrement. On pensait que c'était une nouvelle farce, d'abord. Puis, les rumeurs ont commencé à monter... ça parlait de sang et d'un Serdaigle disparu...

Elle se stoppa dans son récit. Ses sourcils se froncèrent dans sa perplexité. L'article de la Gazette lui revenait en mémoire. Puis, la silhouette dudit Serdaigle l'incitant à arrêter ses protestations du haut de la table des Gryffondors, le lendemain du drame. D'apparence, il avait eu l'air d'aller bien. D'apparence.

- D'ailleurs, il est vraiment rentré au château sans blessure ? ne put-elle s'empêcher de questionner.

- Il s'agit d'une donnée confidentielle, miss. Vous comprendrez que je ne peux pas vous la fournir.

Oui, elle comprenait. Mais elle voulait savoir. Apercevoir jusqu'où la Gazette avait poussé le vice. Mais elle n'insisterait pas. Elle n'était pas là pour ça. Son objectif premier était de prouver sa propre vérité, pas de remettre en cause celle qu'on lui servait. De ça, elle s'en était déjà chargée.

- Reprenons. En entendant ces rumeurs, qu'avez-vous fait ?

- Ariel et moi on a rejoint nos amis dans les rangs, c'est tout. Ces rumeurs nous ont fait un peu peur au début mais on s'est pas attardé dessus. On était tous ensemble alors c'était OK. Puis, on a pris le chemin du château et c'est là que tout a dégénéré.

- Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il s'est passé pour en venir à des termes aussi extrêmes ?

« Aussi extrêmes » ? Jules arqua un sourcil, se donnant un air insolent dont elle prit à peine conscience. Bien sûr qu'il savait ce qu'il s'était passé, au moins dans les grandes lignes, elle n'était pas la première à se faire interroger. Alors, allait-il aussi considérer ça d'« extrême » quand elle lui expliquerait qu'ils se sont fait attaquer ? Cernés ? Piégés ? Presque torturés ? Et peut-être même presque tués ? Ce soir-là, les élèves n'avaient pas eu la chance de jouer sagement à Tricks or Treat dans les rues de Pré-au-Lard, n'en déplaise à Monsieur Charles.

- Bah, on s'est fait attaquer, répondit-elle sur le ton de l'évidence. Et si au début ça avait l'air de sorts innocents, après ça rigolait plus.

- Pouvez-vous être plus précise ?

- Oui.

Elle prit une inspiration et son regard concentré se perdit dans le vague tandis qu'elle remettait de l'ordre dans ses pensées.

- Alors, d'abord y'a une voix qui a parlé, comme dans un mégaphone - l'Auror arqua à son tour un sourcil au milieu de sa prise de note -, pour prévenir d'une "menace" dans le village. Juste après ça, y'a eu un feu d'artifice dans le ciel. Tout rouge. Puis... tout le monde s'est arrêté d'avancer, parce qu'une Mangemort a fait face à McGonagall qui nous ramenait au château. J'ai pas entendu tout ce qu'elle a dit, mais elle cherchait Harry Potter, et ça, c'est une certitude.

Elle appuya sur ce dernier mot. En plus d'être persuadée d'avoir entendu son nom, tous les indices qu'elle avait pu rassembler au creux des souvenirs de cette soirée l'avaient mené à cette évidence : les Mangemorts avaient été à la recherche d'Harry Potter cette nuit-là.

- Mais, comme McGonagall allait pas lui vendre un élève comme ça, elle – la Mangemort - et ses alliés sortis de nul part nous ont attaqué. Mais, c'était que des maléfices inoffensifs, humiliants mais inoffensifs. Sur le coup, j'ai rien compris, c'était la pagaille, mais après y avoir réfléchi, j'ai compris : c'était un piège. Ils voulaient nous mener tout droit dans la Forêt Interdite où d'autres de leurs amis nous attendaient. Et à partir de là, comme je disais, ça rigolait plus.

Le plan était enclenché : présenter ses pistes et hypothèses qui s'étaient muées en certitudes pour convaincre Charles Clifton. Ou du moins, lui présenter une réalité pouvant davantage encore être décortiquée pour faire avancer l'affaire et voir éclore la vérité. Il fallait seulement qu'elle se montre suffisamment sûre d'elle. Et Jules, lorsqu'elle parlait avec ses convictions, débordait d'assurance.

- Qu'est-ce qui vous fait dire que la femme qui parlait au professeur McGonagall était une Mangemort ?

La première tentative de contestation à laquelle elle s'était attendue. Patiemment, au fil de son récit, elle lui prouverait qu'ils étaient des Partisans du Seigneur des Ténèbres. Mais pas question de passer pour une fillette irréfléchie en fonçant directement dans le tas.

- Parce qu'ils en étaient tous. Je le sais par les deux qui nous ont ensuite cerné dans la clairière où je me suis retrouvée, suite au sort qu'on m'a lancé.

- Avez-vous pu identifier le sortilège qui vous a été lancé ? l'interrogea l'Auror en redressant ses lunettes sur son nez aquilin.

- Le Sortilège de Danse Endiablé, répondit-elle simplement, attendant les questions plus déterminantes.

- Les deux personnes qui vous ont "cerné", pouvez-vous me les décrire ?

Ce genre de questions, par exemple. Elle planta son regard dans celui de l'homme et articula chaque phrase avec soin.

- Il y avait un homme et une femme. Ils portaient chacun une longue cape et un masque. Des masques comme ceux sur les photos de la Première Guerre des Sorciers.

Elle ne l'avait pas vécu, n'était même pas encore née. Mais elle avait épluché nombre d'articles et de bouquins témoignant de cette sombre époque. Et ce, bien avant le 31 octobre dernier.

- Et il s'agit de ceux qui vous ont révélé être des Mangemorts ?

- Ils ne nous l'ont pas dit directement, rectifia-t-elle. Mais c'était clair et net qu'ils en étaient. Ils voulaient entrer dans le château, ils essayaient de nous faire chanter. Tout ça pour mettre la main sur Harry Potter. Et qui d'autre que Vous-Savez-Qui organiserait une telle attaque juste pour mettre la main sur celui qu'on appelle le "Survivant" ? Qui d'autre userait de sortilèges impardonnables sur des enfants pour parvenir à de telles fins ? C'étaient des Mangemorts, c'est clair et net.

Son ton battit le tempo de ses convictions. La voix calme mais inflexible. Les questions rhétoriques pour appuyer l'évidence, pour faire appel au bon sens. Des certitudes issues de nombreuses heures de réflexion et qui se dévoilaient à présent en quelques phrases.

Charles Clifton rehaussa son air hautain d'un sourcil élevé. Ce n'était pas lui qu'elle impressionnerait. Mais la véritable question était : serait-ce lui qu'elle convaincrait ?

- Des impardonnables, vous disiez ? Étonnant qu'à votre âge vous en ayez connaissance. De quels impardonnables s'agissait-il, qui était avec vous et qui a été visé ?

À présent, la partie qu'elle redoutait. Celle où elle devrait avouer sa lâcheté. Sa fuite. Son impuissance. Son inaction. D'un coup, la flamme de son assurance s'affaiblit derrière une brume de culpabilité inavouée.

- Je n'en avais pas connaissance avant ce soir-là, commença-t-elle en faisant allusion aux Impardonnables, mais j'ai fait mes recherches après avoir entendu les deux formules : Impero et Endoloris.

Puis, la honte s'insinua en taches rosées sur ses joues et diminua quelque peu le volume de sa voix tout en détournant son regard du bloc de glace qui lui faisait face.

- Par contre, je n'ai pas vu les cibles... Je peux juste vous dire que ce n'était pas Oscar, ni moi.

Car ils avaient fui. Entre les arbres et les buissons. Glissant sur la terre boueuse. Ils avaient fui en abandonnant les autres à leur sort. Leurs amis.

- Un certain Oscar, donc. Pouvez-vous me donner son nom complet ?

- Oscar Clark.

Sur le parchemin, il lui sembla que son stylo traça les lignes du mot lâcheté. En tout cas, c'est ce qu'elle aurait écrit, elle, à sa place.

- Qu'est-il arrivé ensuite ?

- Ensuite ?

On ne déstabilisait pas facilement Jules Murphy. Et pourtant, même après avoir tourné en boucle dans sa tête les mille scenarii qu'aurait pu prendre cet interrogatoire, elle se retrouva tout à fait impuissante une fois prise dans les griffes de ce moment tant redouté. Celui où elle devait faire face à son hideux reflet : une Gryffondor désarmée de son courage. Avait-elle seulement été véritablement courageuse  une seule fois dans sa vie ?

Elle tenta de chasser ses idées noires qui lui criaient de toutes parts qu'elle était coupable. Coupable d'avoir couru, d'avoir grimpé à un arbre. Coupable d'avoir observé la scène du dessus dans le silence de sa passivité.

- Un nouveau feu d'artifice, reprit-elle en récupérant à bout de bras son assurance, le même qu'avant, puis plus de Mangemorts. Disparus. C'était sûrement un signal, dans le ciel.

- Votre "feu d'artifice" était-ce une étincelle rougeoyante envoyée vers le ciel ? Et si vous étiez présente, pourquoi n'avez vous pas vu qui était ciblé par les impardonnables ?

La dernière question vint la faucher avec la puissance d'un Stupéfix, alors même qu'elle tentait de reprendre appui.

- Une étincelle rougeoyante, oui, c'était exactement ça.

Un silence moqueur s'installa alors que, regard baissé, les mots refusaient de former son aveu.

- Et... Parce que...

Elle soupira.

- Je n'étais plus avec les autres dans la clairière. Quelqu'un nous a offert une diversion pour qu'on puisse fuir, alors c'est ce que j'ai fait... J'ai pas réfléchi, j'ai couru dans la forêt, puis j'ai escaladé un arbre...

- Et de votre... perchoir – était-ce du jugement qu'elle semblait percevoir dans sa voix ? Évidemment, qu'elle se persuada -, vous n'aviez aucune visibilité sur ce qu'il se passait ? J'imagine que vous ne savez donc pas pourquoi vos assaillants ont disparu alors qu'ils étaient, c'est évident, en position de force, en dehors du second Periculum que vous pensez être un signal, c'est cela ?

- Je voyais Ariel, Azalée et la Mangemort qui la tirait par les cheveux en lui disant des mots horribles. C'est tout. Ensuite, le flash rouge m'a fait lever la tête vers le ciel et quand je l'ai ensuite baissée, la Mangemort n'était plus là. Donc oui, ça me semble logique que ce fût un signal, sinon, comme vous l'avez dit, pour quelle raison seraient-ils parti alors qu'ils étaient en position de force ? Cette réponse-là, je ne l'ai pas.

- Mh.

Encore une fois, le voir écrire sur son parchemin eut quelque chose de rassurant. Comme un rappel de la raison de sa présence ici : pour témoigner de la présence de Mangemorts et non pas de sa propre lâcheté. L'interrogée se redressa.

- Vos assaillants disparus, que vous est-il arrivé ? Il est connu qu'il est très complexe de retrouver son chemin dans la forêt bordant Poudlard.

- Bah, on est venu nous chercher.

L'évidence de cette réponse rattrapa son tact. N'était-ce pas eux, les autorités sorcières, qui avaient envoyé Maugrey et Lupin ? Comment auraient-ils pu les retrouver s'il en avait été autrement ?

- Les deux anciens profs de Défenses Contre les Forces du Mal, précisa-t-elle ensuite, dans le doute.

- L'un d'eux était bien Alastor Maugrey ? l'interrogea l'Auror sans lever le nez de ses notes.

- Exact. Le vrai, cette fois, je suppose.

Pas celui qui avait usurpé son identité l'année passé. Celui-là était sûrement emprisonné, à présent, non ? Cette affaire restait brume et mystère aux yeux de la Deuxième Année qui, à cette époque, n'était pas allé chercher plus loin que les rumeurs qu'elle avait vaguement entendu sur le sujet.

- Je vois. Après leur intervention, avez-vous avisé l'état de vos camarades ? Certains étaient-ils blessés ?

- Euh... oui, la Poufsouffle je crois. Elle avait un peu de sang qui coulait de sa tête. Mais il me semble que c'était la seule.

- C'est après votre mésaventure que vous avez regagné Poudlard, guidé par vos sauveurs ?

- Oui, c'est ça.

- Avez-vous d'autres choses à ajouter ?

C'était le moment. Maintenant ou jamais. Insister, une dernière fois, sur ce qu'elle avait vu. Sur ce qu'elle avait déduit. Sur ses certitudes. Convaincre l'Auror. Après un instant d'hésitation, sa sincérité trouva d'elle-même les mots :

- Je sais que beaucoup sont persuadés que c'est la terreur qui nous a fait croire à la présence de Mangemorts ce soir-là. Sauf que non, on sait ce qu'on a vu, on a entendu leurs paroles et assisté à leurs attaques. On en a été victimes, et ce n'est qu'un avant-goût avant qu'ils ne recommencent. Alors, même si on est encore que des gamins à vos yeux, j'espère que vous accorderez du crédit à nos paroles car ça ne bénéficiera à personne de se voiler la face plus longtemps.

Son regard était accroché à celui de l'Auror. Il n'y avait dedans, ni provocation, ni animosité. Mais de l'imploration. La demande muette d'une enfant ayant conscience de trop de choses pour son âge. Un souhait de confiance. Envers elle. Envers eux.

- C'est tout ce que j'ai à ajouter, conclut-elle.

Il se passa alors quelque chose que Jules n'aurait pu prévoir. Dans un soupir, les traits de l'homme se décrispèrent. Imperceptiblement. Mais elle le vit.

- Vous êtes une enfant, miss. Ce n'est pas votre rôle de vous battre pour savoir ce qui est vrai, ce qui ne l'est pas, ce qui est cru ou ce qui se passera dans le futur. Ceci est notre rôle. Croyez bien que si nous pensions qu'il ne s'agissait que d'une blague, nous ne serions pas là aujourd'hui.

Son index, long et fin, se leva à la verticale, ponctuant la suite de son discours d'une étrange bienveillance stricte.

- Et être une enfant n'est pas un mal, bien au contraire, alors restez-le le plus longtemps possible, plutôt que vous jeter dans des combats qui vous feront grandir trop vite. Si vous n'avez plus rien d'autre à ajouter, vous pouvez disposer.

Son dossier s'était refermé sur ces conseils inattendus. Jules resta un instant aussi immobile que muette devant le regard de Clifton qui attendait de la voir sortir du bureau. Finalement, un sourire fin et doux naquit au creux des taches de rousseur de l'Irlandaise. Le premier de l'entretien. Le seul.

- Merci, Monsieur Clifton. Au revoir.

Dans le dédale des couloirs, elle erra un moment. Pour la première fois du mois, elle ne s'empressa pas de gagner la bibliothèque ou son dortoir pour combler son temps libre et solitaire de ses recherches et de ses questions sans réponses. Cette fois-ci, elle s'ouvrit à l'introspection, accoudée à une fenêtre du sixième étage.

Les quelques rayons de soleil qui vinrent percer le brouillard pour tacher le parc de puits de lumière lui peignirent l'espoir et la résignation. La culpabilité de sa lâcheté était toujours là, mais elle ne portait plus le visage de la fatalité.

Elle était encore une enfant. Et, comme tout enfant, le courage brûlait quelque part en son âme. Il suffisait seulement, au milieu du brouillard, de le trouver et de l'envelopper dans un puits de lumière.

☾ anesidora
Jules Murphy
Admin idéaliste
Jules Murphy
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Mer 23 Déc 2020 - 17:15
Les interrogatoires
de Novembre
Tap tap tap.

Un bruit insistant la tira de sa torpeur. Des vapeurs violettes l’entourant, elle eut du mal à resituer le contexte. Son odorat anesthésié et ses yeux larmoyants activèrent ses alarmes mentales.

Tap tap tap.

Elle s’était perdue dans sa propre potion. Une recette expérimentale ; jamais testée, jamais préparée, elle n’en connaissait pas les effets. Si elle était presque certaine, cette fois, de la qualité du résultat final, elle n’avait pas anticipé les difficultés liées à la fabrication. À savoir : fumées anxiogènes et vapeurs hallucinogènes.

Tap tap tap.

Une erreur de débutante.

Une erreur qu'elle commettait rarement. Ce genre de maladresse pouvait lui coûter la vie, elle le savait. Plus d'une fois, sa vie avait flirté avec l'hébétude, la paralysie et même la mort. Aucune excuse n'était admise pour ce genre d'oubli, et pourtant il fallait se rendre à l'évidence : la plupart des savants fous vivaient ce genre d'expérience plusieurs fois par an.

Pas qu'Andrée se considérât comme un génie incompris ; elle s'estimait néanmoins passionnée.

Suffisamment timbrée, en tout cas, pour en arriver à de telles extrémités.

Elle se réveilla complètement, convainquit son esprit qu’il fallait qu’elle se tire de là. Son atelier était aéré - pas assez. Ses bronches et ses poumons hurlaient leur souffrance. Son nez piquait, désormais incapable de filtrer les particules mauves qui empoisonnaient l'air.

Tap tap tap.

Elle se précipita dans la pièce adjacente. Un bureau aux multiples fenêtres, sur-éclairé et sur-aéré, précisément conçu pour les problèmes de cet ordre. Ses locaux avaient été créés pour des potionnistes comme elle, inconscients des dangers qu'ils couraient, ou en tout cas pas assez concernés par leur survie pour en tenir compte.

Pendant plusieurs minutes, Andrée toussa. Son organisme devait purger les bêtises qu'elle avait ingurgitées. Où était passé ce foutu masque qu'elle se traînait d'ordinaire ?

À la boutique, se rappela-t-elle. Et elle avait négligé d'aller le récupérer, persuadée que la concoction de ce filtre anti-jaunisse serait inoffensive. La potion en elle-même n'avait rien de dangereux – c'était plutôt le contraire. Elle était censée combattre les effets secondaires d'un traitement compliqué contre une forme de cancer sorcier, qui avait tendance à jaunir la peau, les yeux, les dents et les cheveux du patient qui en prenait. Andrée n'avait pas envisagé que la préparation tournerait mal.

Il faudrait qu'elle se penche sur la raison de cette réaction en chaîne, dans le futur. Était-ce le bézoard qui avait mal supporté un autre des ingrédients qu'elle avait choisis ?

Tap tap tap.

Pas complètement remise des effets des fumées terrassantes de sa potion, elle se força quand même à se diriger vers une fenêtre. Derrière les épais carreaux aux encadrements imposants, un hibou s'impatientait. Il avait le plumage et la carrure standards des coursiers officiels des institutions du Monde Magique et le blason de Saint-Mangouste. Andrée saisit la missive, une enveloppe suffisamment épaisse pour contenir le paiement de sa dernière commande, gratifia le volatile d'une brève caresse et lui offrit une friandise avant qu'il ne reprît la route.

La sorcière ferma la fenêtre, l'attention déjà accaparée par son courrier. Un choc sourd lui fit relever la tête.

Un second oiseau glissait contre le carreau, les plumes abîmées par son entrée, l'oeil vitreux fixé sur elle. Elle soupira ; elle haïssait les rapaces. Son aversion s'était certes atténuée au fil des années – il fallait bien qu'elle s'accoutumât aux services postaux des sorciers. Mais Andrée évitait au maximum de côtoyer des chouettes et des hiboux s'ils n'étaient pas les siens. Seule Ballade avait vraiment sa place, chez elle.

Elle ouvrit au second coursier – du Ministère, cette fois -, réitéra le rituel et le laissa filer.

Au sol, des plumes et des fientes se disputaient.

La sorcière soupira profondément. Contrôla sa respiration en tentant de venir à bout de sa migraine naissante. Décida de remettre à plus tard le nettoyage de son parquet pour se concentrer sur l'enveloppe du Ministère. Elle en recevait quelques fois, et ce n'était jamais bon signe.

Le contenu était simple, concis. Ils la convoquaient pour une entrevue officielle, suite aux événements qui s'étaient déroulés à Pré-au-Lard ce mois d'octobre, le 31, 1995. L'enquête suivait son cours et ils interrogeaient tous les témoins qui étaient sur place à ce moment. Chaque contribution, même la plus minime, était appréciée. Il allait de soi que la participation de Miss Andrée Jeanne de Kerimel était obligatoire.

La potionniste pesta. Elle s'était tirée le plus rapidement possible. Avant que les autorités n'arrivent sur les lieux de combat. Pas à dessein, mais elle devait reconnaître qu'elle se portait mieux quand les Aurors se tenaient loin de son cas.

Moins de crasse, plus d'espace. Un gain de temps pour elle comme pour eux.

Elle se mordit les lèvres. Quelqu'un l'avait sans doute mentionnée lors de son interrogatoire. Il pouvait s'agir de n'importe qui – elle était plutôt connue dans le village, de part son statut d'apothicaire et celui, moins public, de potionniste indépendante. Elle ne pouvait blâmer cette personne : elle n'avait fait que son devoir. Et pourtant, Andrée avait furieusement envie de lui plonger la tête dans son chaudron.

Ce putain d'interrogatoire gâchait une bonne partie de ses plans et l'incitait à la prudence. Maximale.



Même si les bâtiments du Ministère suintaient le luxe et le pouvoir, Andrée ne s'y était jamais sentie à l'aise. Elle était incapable d'expliquer pourquoi – peut-être était-ce à cause de cette majestuosité qui donnait ce sentiment au visiteur d'être insignifiant, peut-être était-ce à cause de ces regards hautains et suffisants qu'elle s'imaginait posés sur elle, ou peut-être était-ce simplement les relents de la méfiance qu'elle portait aux agents ministériels. Elle n'avait pourtant pas le luxe de se plaindre : elle-même gratifiait ses inférieurs des mêmes œillades condescendantes et puis, elle savait qu'elle n'était pas la bienvenue dans ces locaux.

Elle parcourut un couloir glacé, carrelé d'un marbre aux formes ciselées, aux murs plantés de portes noires, simples et austères.

Numéro 27, indiquait sa convocation. Les nombres dorés défilaient, la narguant sous leurs allures officielles.

Elle arriva enfin à la porte dite. Rien ne la distinguait, mais Andrée la détesta plus que les autres. Une réaction puériles aux nuances enfantines, elle le savait, mais elle ne pouvait s'en empêcher : derrière cette porte, un inspecteur l'attendait pour la faire avouer. Quoi, elle ne savait pas, mais les inspecteurs cherchaient toujours à faire avouer.

— Bonjour, Miss, l'accueillit une femme lorsqu'elle entra. Installez-vous.

La pièce était exiguë, dénuée de charme, murs gris sol gris, meubles en bois brut, sans forme, et pourtant flottait dans l'air les senteurs épicées d'un parfum entêtant. Il venait de la femme – c'était une évidence. Accordé aux cils battants bordant ses yeux, au rouge pulpeux parant sa bouche, aux vagues soyeuses animant ses cheveux, l'Auror avait tout d'une prédatrice envoûtant ses proies pour leur tirer des informations.

Andrée la détesta aussitôt.

Elle-même prit place sur le siège qui lui faisait face, de l'autre côté de la table aux allures mortuaires. Un pénitencier, voilà ce que représentait cette pièce.

— Je suis l'inspectrice Aimee Stevens. Savez-vous pourquoi vous avez été convoquée aujourd'hui ?

— Bonjour Miss Stevens. J'imagine que ça a un rapport avec cette soirée qui a fait grand bruit dans les journaux.

Naturellement, Andrée était parfaitement au courant de la raison de sa présence ; sa convocation l'avait suffisamment évoquée pour qu'elle s'en souvienne.

— Une simple blague, n'est-ce pas ?, poursuivit-elle, provocatrice.

— Vous êtes bien inspirée. Mais nous ne sommes pas là pour papoter des derniers ragots de la Gazette. L'on a rapporté votre présence à l'un de mes collègues, est-ce le cas ?

Le rictus suffisant de l'Auror excita ses sentiments de haine et de colère. Elle eut envie de le lui faire ravaler ; un agent de l'ordre en moins en Angleterre ne porterait préjudice à personne. Pourtant, malgré son envie pressante de remettre les idées de cette Stevens en place, malgré sa haine des autorités qui la poussait parfois aux extrêmes, elle se retint.

Ni l'endroit, ni le moment. Encore moins la circonstance.

Ses démonstrations explosives ne feraient qu'empirer son cas.

Elle se contenterait de l'attitude la plus provocatrice qui fût, la plus insupportable, et c'était déjà bien trop – Andrée devinait qu'Aimee Stevens n'était pas le genre de femme à aimer qu'on la prenne pour une imbécile.

L'immense sourire mielleux que l'apothicaire se composa répondit parfaitement au cours de ses pensées.

— À la soirée ? Non, c'était réservé aux étudiants.

— Inspirée, disais-je, mais pas si bien informée.

Andrée haussa un sourcil. Elle avait avancé cette information suite à ses propres déductions – vu l'âge moyen des fêtards ce soir-là, et étant donné que les convives adultes qu'elle avait aperçus faisaient partie du personnel de Poudlard ou assurait la sécurité de la soirée, c'était tout naturellement qu'elle avait conclu à une soirée entre étudiants.

D'ailleurs, les journaux n'avaient-ils pas mentionné les noms de plusieurs étudiants en tant qu'organisateurs de la soirée ?

La jeune femme observa son bourreau prendre quelques notes dans son carnet, placide. Elle était déjà épuisée de ces formalités. D'autres affaires l'attendaient ; elle souhaitait sortir de cette salle le plus rapidement possible.

— Pourtant, reprit Stevens, vous avez été aperçue devant les Trois Balais en compagnie de trois autres adultes. Ce n'était donc pas le cas ?

— Je n'étais pas à la soirée en elle-même, mais je suis arrivée en attendant l'agitation inhabituelle. J'étais dans le coin.

— Vous étiez dans le coin ? Et que faisiez-vous à cette heure-ci, seule, je présume ?

— Vous ai-je dit que j'étais seule ?, cingla Andrée.

Cette bonne femme semblait décidée à lui faire perdre toute patience.

Andrée haïssait qu'on s'immisçât dans ses affaires personnelles. Elle devait déjà subir les Aurors, parfois, en raison de ses antécédents familiaux et de ses activités professionnels plus ou moins claires ; hors de question de faire étalage du reste.

Stevens ne sembla pas discerner sa défiance – ou l'aperçut trop bien, au contraire. Son expression froide et moqueuse ne subit aucun changement.

— Une simple hypothèse, répondit-elle. Mais c'était là le deuxième versant de ma question, Miss de Kerimel. Trop subtil pour vous, j'imagine. Quoiqu'il en soit, j'attends toujours votre réponse.

Je t'en foutrais, de la subtilité.

Elle se contenta de refroidir son ton et de noircir ses yeux.

— Ce que je fais de mes soirées, seule ou accompagnée, ne regarde que moi, Miss Stevens. Je ne répondrai qu'à des questions qui concernent directement les faits qui vous ont poussée à me convoquer. À partir du moment où j'ai rejoint messieurs Serger et Kayser.

— Et quel lien entretenez-vous avec eux ?, rit Stevens, comme à l'écoute d'une bonne blague. Si, bien sûr, ce n'est pas trop vous demander.

— Des liens professionnels, rien de plus.

Andrée ne savait pas ce que l'Auror était en train de s'imaginer, mais l'air railleur que Stevens laissait planer sur son visage ne lui plaisait pas du tout. Ses sous-entendus et ses piques lui laissaient entendre que sa parole n'avait aucune valeur.

L'apothicaire était tendue, sur le point de quitter la salle au moment-même où l'inspectrice dépasserait ses limites. Malheureusement, la porte était verrouillée et le Ministère grouillait d'employés prêts à la rattraper si elle décidait de décamper.

Sang-froid.

Il fallait qu'elle recouvre son sang-froid. Sa vie privée était peut-être un sujet sensible pour elle, mais ce n'était pas une raison pour qu'elle oubliât toutes les notions de contrôle d'elle-même qu'on lui avait inculquées.

Ne laisse jamais ton ennemi voir l'emprise qu'il a sur toi.

Andrée inspira et se força à sourire. Stevens, en face, ne se déparait pas de son expression condescendante.

— Vadrouillant pour vos affaires personnelles, donc, reprit-elle après un bref silence, vous avez rejoint un groupe sans rien connaître des événements de la fête. Ce n'est pas tout le monde qui suivrait des connaissances purement professionnelles. (Andrée serra les poings – sang-froid. Elle relégua l'air concerné de Serger quelque part dans son cerveau.) Qu'avez-vous donc fait une fois en leur compagnie ?

— Comme vous l'avez si aimablement souligné, je ne savais pas ce qu'il se passait. J'ai demandé autour de moi ce qu'il en était et jugé de la nécessité de ma présence sur les lieux.

— Et après avoir jugé la nécessité de votre présence, comme vous dites, qu'avez-vous fait ?

— Eh bien, j'ai suivi les autres, que vouliez-vous que je fasse d'autre ? La cuisine ?

Les symptômes de l'impatience que Stevens commençait à montrer, si minimes fussent-ils, remontèrent un peu le moral d'Andrée. Un léger sourire vint même adoucir sa mine fatiguée.

Visiblement, ses réponses contre-productives ne plaisaient pas à l'autre femme. Son ton se fit plus dur, plus froid, moins enclin aux piques aigres-douces qui pleuvaient depuis le début de l'entretien.

— Et pourquoi pas ?, rétorqua Stevens sur un ton qui ne souffrait d'aucune protestation. L'ordre donné n'était-il pas de se confiner chez soi le temps que la situation soit gérée par des personnes compétentes ? Je vois que vous vous êtes sentie concernée par cette dernière catégorie, donc oublions vos histoires de cuisine et revenons à notre sujet. Pourriez-vous, de ce fait, m'expliquer en quoi vous vous êtes montrée compétente en restant sur les lieux ? Commencez par m'indiquer où vous vous êtes rendu avec votre groupe et pour quelle raison.

Plus d'issue sarcastique possible, constata Andrée. Il valait mieux pour elle qu'elle coopère, en effet. Ses plans pour la soirée étaient déjà établis et elle n'avait aucune envie de rester coincée entre ces quatre murs gris.

Elle s'appuya sur le dossier de son siège, se forçant à relâcher la tension dans ses épaules et dans son dos pour la première fois depuis qu'elle était arrivée.

Il fallait qu'elle lui explique en quoi elle avait été utile à la situation en traînant dans les pattes des Aurors et autres guignols qui étaient intervenus – elle en faisait partie, naturellement. Sauf qu'elle ne pouvait pas avouer qu'elle n'avait été d'aucune aide à la situation. Ni avant, ni pendant, peut-être même pas après. Un poids du début à la fin. Un boulet qu'on tirait au bout de sa chaîne.

Elle ne pouvait pas dire ça. Pas à Stevens.

La question se perdit quelque part dans la tension ambiante et elle préféra répondre à sa dernière injonction.

— Quelqu'un a lancé un Periculum, on s'est contenté de le suivre. Écoutez, je suis sûre qu'on vous a déjà dit tout ça. Vous perdez votre temps.

— Vous souhaitez m'apprendre mon métier, Miss de Kerimel ? Si nous perdons du temps, c'est uniquement parce que vous vous perdez en remarques inutiles comme vous venez de le faire encore une fois. Mais sachez que contrairement à vous, j'ai tout mon temps, donc nous pouvons continuer ce petit jeu pendant des heures si vous voulez, et je sais me montrer très patiente. Si vous vous décidez à être plus coopérative, par contre, nous pourrions avancer vite et, par conséquent, vous libérer tout aussi vite.

Sous la table, les poings d'Andrée étaient si serrés que ses jointures en blanchissaient. Et pourtant, elle ne pouvait pas la contredire : l'animosité que lui inspirait cette femme était telle qu'elle ne pouvait s'empêcher de l'attaquer.

— Que s'est-il passé ensuite ?, exigea-t-elle d'un ton sans appel.

Stevens ne méritait pas qu'elle fît d'efforts, décida-t-elle. Andrée refusait d'accepter le rôle de victime ou de criminelle – quel mot convenait, d'ailleurs ?

La jeune femme ignorait si le Ministère encourageait ce que la Gazette du Sorcier avait relaté dans ses pages. À la lecture de ses lignes serrées, l'élan de colère qui l'avait submergée l'avait surprise – cela faisait longtemps qu'elle ne se sentait plus concernée par les affaires de Poudlard.

Sauf que cette affaire-là était d'une gravité sans précédent, ou peut-être que si, justement : ses précédents étaient trop ignobles pour être ignorés. En parcourant la feuille de chou, elle avait revécu les sortilèges qui volaient, la confusion qui régnait et le sentiment d'impuissance qui l'avait prise aux tripes. Elle avait risqué sa vie, ce soir-là. Contre son gré, certes, mais la soirée avait quand même laissé ses marques.

Andrée décida qu'elle profiterait au moins de cet interrogatoire pour tirer les choses au clair. Et pour pousser à bout son interlocutrice.

— Ensuite, Miss Stevens, trois Mangemorts nous ont attaqués. La pagaille voilà ce que c'était. Qu'auriez-vous fait, à notre place ? Je suis curieuse : je souhaite m'améliorer pour la prochaine fois.

— La pagaille ?, reprit Stevens – au déplaisir d'Andrée, elle sembla ravie de reprendre leur petit jeu. Allons, Miss de Kerimel, je ne peux pas faire suite à votre curiosité avec si peu d'informations. Je suis certaine que vous pouvez faire un effort pour être plus précise, d'autant plus si vous êtes persuadée d'avoir reconnu des Mangemorts en pleine nuit. Ça ne devait alors pas être tant la pagaille que ça, si ?

— Alors vous aussi, vous êtes persuadée que ces Mangemorts n'en étaient pas réellement ?, l'accusa Andrée. Que c'était un tour de notre esprit ou un genre de jeu auquel se sont essayés quelques étudiants en manque d'adrénaline ?

Les mots étaient sortis tout seul, indépendants de sa volonté. Mais ces silhouettes noires lui rappelaient les réminiscences de son passé : Leigh et ses réunions secrètes, les hommes qui allaient et venaient dans son manoir, les messes basses qu'ils s'échangeaient avant de se quitter. Elle n'avait jamais vu de masque sur eux, mais cette soirée d'Halloween lui avait montré clairement l'allure qu'ils empruntaient lorsqu'ils commettaient leurs méfaits.

Un sentiment de malaise s'était réveillé ce soir-là, une vieille impression qu'elle avait oubliée au fil des années, et il ne l'avait plus quittée depuis.

— Des persuasions, j'en ai peu à l'heure actuelle, rétorqua l'Auror, des hypothèses, en revanche, j'en ai à foison. Mais s'il y a bien une chose dont je suis persuadée, c'est qu'il me faudra plus d'éléments qu'un simple costume pour conclure qu'il s'agissait définitivement de Mangemorts. Alors plutôt que de vous éparpiller en provocations infantiles, tâchez d'être persuasive.

Leur allure, leur aura, leur magie !, voulut hurler Andrée. Tout corrélait. Et en plus de tout cela, une intuition puissante et tenace, le genre d'appels silencieux qu'il était impossible d'ignorer. Mais elle savait qu'elle n'obtiendrait pas de crédit, alors elle se tut.

— Quelqu'un s'est amusé à lancer un Lumos, pour dévoiler la position d'un parti ou d'un autre ou pour nous aveugler, je ne sais pas bien. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un masque de Mangemort est en métal et qu'il reflète particulièrement bien la lumière...

— Qui a lancé le Lumos et que s'est-il passé ensuite ?, demanda Stevens sans faire plus de cas de ses sous-entendus.

— C'est l'Auror. Serger. Puis il y a eu quelques sortilèges perdus, des explosions et des blessures, une ou deux personnes sont arrivées pour nous aider et ensuite les Mangemorts se sont fait la malle.

Si Stevens refusait d'admettre qu'il s'agissait bien de partisants du Seigneur des Ténèbres, Andrée ne se gênerait pas pour le mentionner à chacune des occasions qu'elle trouverait.

Un bref silence plana, rompu par les crissements d'une plume sur un parchemin. Du coin de l'œil, la potionniste estimait les notes de Stevens particulièrement fournies. Ses pensées lui brûlèrent la conscience, mais elle dut admettre que l'Auror était consciencieuse.

— Vous parlez de blessures, reprit Stevens en consultant ses notes. Ceux que vous ne démordez pas à nommer Mangemorts sont-ils concernés ? L'un de vous leur a-t-il laissé une séquelle notable ?

— Figurez-vous que j'étais très concentrée à ne pas servir de cible, répondit Andrée en forçant son intonation à rester agréable. Je n'avais pas le loisir de les observer assez pour remarquer leurs petits bobos. Mes propres sortilèges ne les ont pas touchés, c'est tout ce que je peux vous dire.

— De quelles blessures parlez-vous, dans ce cas ? Serait-ce l'un deux qui aurait touché l'un des vôtres ? Un duel en trois contre trois aurait pourtant dû être équilibré, voire même pencher à votre avantage avec un Auror dans vos rangs.

Un voile rouge obscurcit ses yeux pendant un quart de seconde. Les insinuations de cette peste étaient honteuses ; avec sa formation d'Auror, son expérience du terrain et sa formation aux combats sauvages, il était évident qu'elle était en position de les prendre de haut. Bien sûr qu'ils avaient été acculés, et bien sûr qu'Andrée avait été inutile dans cet affrontement.

Pétasse.

La jeune femme tiqua sur la mention du duel trois contre trois – ne lui avait-elle pas dit qu'ils avaient été rejoins par deux autres personnes ? Ne lui avait-on pas mentionné la présence de Gravil lors d'entretiens précédents ?

Elle se tut. Elle n'avait plus envie de faire d'efforts. Et puis en taisant la présence des trois autres adultes lors du combat, elle minimisait le ridicule de la situation. Car à six contre trois, Andrée était d'accord, l'affrontement devenait risible.

L'acidité reprit ses droits dans sa réponse et ses mots jaillirent sans qu'elle ne parvînt à les retenir.

— Battez-vous contre des Mangemorts expérimentés dans une ruelle à moitié sombre. Votre adorable air de séductrice parfaite ne tiendrait pas longtemps et vous cesseriez de me toiser avec cet air condescendant. Surtout vu l'inconfort de votre tenue.

La réplique arriva trop vite pour qu'elle ne regrettât ses paroles.

— Et moi qui vous pensais assez fine pour voir au-delà des apparences, voilà qui est bien décevant. Mais c'est donc vrai, vous avez vu un masque et vous cataloguez directement son porteur de Mangemort. Alors en quoi devrais-je m'étonner qu'à la vue d'un tailleur vous me cataloguiez comme incompétente sur le terrain ?

Andrée se mordit les lèvres : sa grossière erreur lui vaudrait sa crédibilité. Et le pire, c'est qu'elle était loin de douter de l'efficacité de Stevens au milieu d'un attroupement de Mangemorts.

La colère avait parlé, et comme toujours, ses mots n'avaient rien d'intelligent.

— N'inversons toutefois pas les rôles, continua l'agent en se vêtant de mots tranchants. La seule personne qui doit prouver des choses ici, c'est vous. Ainsi, vos assaillants sont partis lorsque la balance s'est renversée et que vous êtes passé à cinq contre trois, c'est cela ? Et comment ont-ils réussi à prendre la fuite sans pouvoir transplaner et en esquivant vos sorts ?

— Je n'ai pas dit que vous étiez incompétente sur le terrain, Miss. Simplement qu'en talons, un combat n'est pas facile à mener et que c'est précisément le genre de tenue que je portais ce soir-là. Vos capacités de déduction ne sont visiblement pas si développées que ça. (Elle fit une pause, si brève que le silence eut à peine le temps de s'installer :) Il y avait un passage adjacent à la ruelle, et le troisième était tout proche de l'artère principale de Pré-au-Lard.

Elles s'affrontèrent du regard. Lentement, Stevens sortit un feuillet de ses papiers.

— Nom : De Kerimel. Prénom : Andrée. Nature du délit : Outrage à un agent public, énonça-t-elle. Dites-moi si je continue de remplir ce papier, mes doigts me démangent de plus en plus et il me semble que vous avez passablement oublié la position qu'est la vôtre, je me trompe ?

— Pardonnez-moi, quel outrage ai-je commis ? Je ne fais que m'expliquer et répondre à vos questions. Le fait est que j'étais en talons et en robe ce soir-là et que ce n'est pas, vous en conviendrez, la tenue la plus appropriée pour croiser le fer avec des Mangemort.

À l'intérieur, elle bouillait. Andrée était bien consciente qu'elle perdait ses moyens et que l'emprise de sa haine était trop grande à ce moment-là. D'ordinaire, elle aurait pris une pause, aurait marché quelques pas et fumé une ou deux cigarettes. L'échange aurait pu continuer plus calmement, plus sereinement. Les émotions à plat, la jeune femme aurait cessé de faire ces erreurs stupides et aurait peut-être même pu reprendre le dessus sur la conversation.

Mais elle se connaissait, depuis le temps : la colère l'avait toujours menée en bateau. C'était elle qui l'avait poussée à se frotter aux mauvaises personnes, à Poudlard, elle qui l'avait détruite lorsqu'elle s'était rendue compte qu'elle n'était plus rien pour son père alors qu'elle-même attendait tout de cet homme de son passé. C'était la colère qui l'avait fait prendre les plus mauvaises décisions de son existence.

Une émotion qu'elle n'avait jamais su maîtriser. Une émotion qui la prenait en traître à chaque fois que c'était possible.

— Bien, fit l'Auror.

Le sourire satisfait que lui renvoya Stevens attisa les braises qui s'agitaient dans son esprit. Andrée se força à respirer. Une fois. Deux fois.

— Les avez-vous poursuivi malgré votre "tenue inappropriée" ou les avez-vous laissé s'enfuir ?

Visage stoïque, intonation morne – voilà qui était mieux. Ignorer les battements de cœur qui se rebellaient. Fixer le vide, tout plutôt que ce visage qu'elle crevait d'ébouillanter.

— J'ai suivi l'Auror en direction du Periculum qu'on a aperçu au départ. L'union fait la force, comme on dit.

— Comme on dit, oui. Vers où cela vous a-t-il menée ?

— Un mur en train d'exploser.

— Une explosion provoquée par ?

— Par un Scroutt à pétards, Miss.

— Votre humour est aussi subtil qu'eux.

Andrée inclina la tête, comme pour la remercier du compliment. Les pensées toujours tournées vers la régularité de sa respiration, elle prit grand soin d'ignorer la provocation.

— Blague à part, la poussa Stevens. Un sortilège l'a fait exploser, ou peut-être un artefact magique? Avez-vous vu qui en était à l'origine ?

— Je suis au regret de ne pouvoir répondre à aucune de ces deux questions. Mais je peux avancer sans trop me tromper qu'un des Mangemorts, ou peut-être un complice, en est à l'origine. Cette explosion avait clairement l'intention de nous blesser.

— Et cela a-t-il été le cas ? Avez-vous été blessés, vous et vos camarades d'infortune ?

— Plusieurs d'entre nous, oui.

Andrée ne put retenir une grimace à l'évocation de ses douleurs. Elle avait rarement eu aussi mal auparavant. Les seules lésions qu'elle avait connues avaient été le résultat de mauvaises chutes à la danse ou d'un empoisonnement de l'air dû à ses potions – rien d'aussi vif ni d'aussi tranchant.

Son poignet remua malgré elle. Parfois, des douleurs surgissaient encore, relents de soins négligés et effectués à la va-vite. Si elle connaissait les potions à utiliser pour soigner les autres, si elle appréciait cette partie-là de son métier, même, elle n'avait jamais trouvé l'utilité de se prendre elle-même en charge. Une perte de temps, quand il y avait tant d'autres choses à faire.

Une fois la douleur atténuée, quel intérêt de passer des heures alité alors que le temps ferait sans doute son effet ?

Elle haussa les épaules.

— Mais je ne me souviens pas qui ni comment, avant que vous ne demandiez.

Stevens nota quelque chose à nouveau. Elle était passée à un second rouleau de parchemin. Andrée ne savait pas si les Aurors étaient toujours aussi prolixes lorsqu'ils interrogeaient des témoins, mais si tel était le cas, elle préférait ne pas imaginer le temps que leur prenaient leurs débriefings.

— Et qu'avez-vous fait, après cette explosion ? Vos assaillants étaient-ils toujours présents ?

— Je ne sais pas où sont passés les Mangemorts, après. Il n'y avait que nous, blessés, au milieu d'un tas de gravas, acheva-t-elle en se remémorant la scène.

Elle s'était sentie si seule, si sale et si impuissante. Elle revit Kayser l'aidait à se lever, et quelque chose se serra dans sa gorge ; une dette en plus l'accablait désormais. Il n'avait rien fait de plus, mais Andrée aurait mal supporté le contraire. La pitié ne faisait pas partie des sentiments qu'elle souhaitait inspirer.

La question de Stevens la tira de ses pensées. L'interrogatoire s'étirait en longueur.

— Les hostilités se sont donc achevées ici pour vous ?

— Pour tout le monde, Miss... Enfin, elles ont commencé pour vous puisque vous êtes là, en train de me poser des questions.

— L'on peut voir cela comme ça. Vous avez ensuite quitté les lieux ?

— Il a bien fallu me soigner, en effet, dit Andrée en désignant son poignet meurtri.

— Direction Saint-Mangouste, donc ?

La potionniste la jaugea un instant, les yeux plissés. Que fallait-il répondre ? Qu'est-ce que Stevens était prête à entendre ? Qu'est-ce que le Ministère devait savoir ?

Évidemment, les autorités compétentes n'ignoraient rien de sa double casquette. Ses contrats réguliers avec l'hôpital sorcier, ses formations avec des chercheurs et des docteurs agréés, tout cela était déclaré. Il n'y avait rien d'étrange à ce qu'elle connût les bases de la médecine et qu'elle se soignât elle-même.

Pourtant, les alarmes d'Andrée s'activèrent et ses défenses s'érigèrent automatiquement. Rien n'était jamais certain, avec le Ministère, mais peut-être que l'Auror cherchait de quoi l'accabler, comme le faisait certains agents depuis des années.

Quoiqu'il en fût, elle n'avait rien fait de répréhensible ce soir-là.

— Certainement pas. Je suis rentrée chez moi.

— Hmm, des blessures minimes, donc, j'imagine. Dans ce cas, ne vous est-il pas venu à l'esprit d'attendre les autorités sur place pour témoigner directement des faits ?

La patience d'Andrée s'amoindrit encore un peu. Son ton se fit plus agressif que nécessaire.

— Que feriez-vous, Miss, si vous sortiez de l'attaque de plusieurs Mangemorts – pardons, présumés Mangemorts -, que vous aviez un poignet foulé et des côtes fêlées et que vos alentours ressemblaient à un champ de ruines ? Non, je n'avais pas envie d'attendre les autorités pour témoigner directement des faits, comme vous dites. À vrai dire, je n'y ai même pas pensé.

— Poignet foulé et côtes fêlés ? Ouille, ça n'a pas dû être agréable.

Son semblant de compassion alerta la française. Elle ne la croyait pas ; ou en tout cas la pensait-elle coupable de quelque méfait inavouable. La suite lui donna raison :

— Et pourtant, l'accusait l'Auror, des soins hospitaliers convenables ne semblent pas non plus avoir effleuré votre esprit sur le moment. Mais bon, la douleur fait parfois délirer, c'est bien connu. Assez pour que l'on se croie capable de se soigner soi-même. À moins que vous aviez quelque chose à cacher en vous éclipsant des lieux sans laisser de trace de votre passage ni aux autorités, ni à de compétents médicomages ?

— J'imagine, fit Andrée d'une voix glaciale, qu'en tant qu'inspectrice, vous n'êtes pas sans savoir que je suis potionniste. Avec quelques certifications dans le domaine médical, qui plus est, que j'ai obtenues à Saint-Mangouste des même médicomages que vous évoquez. Je suis donc parfaitement capable de me soigner seule, en ce qui concerne ce genre de blessures.

— Je sais des choses, oui. Ce n'est cependant pas le savoir qui est la clé de la vérité, mais la cohérence de vos propos.

Andrée étouffa un rire amer ; ses propos étaient on ne pouvait plus cohérents puisqu'elle n'avait rien tu. En tout cas, rien de fondamental. Rien qui ne concernât le cœur de leur affaire.

— Quelqu'un peut-il me confirmer que vous êtes bel et bien retournée chez vous ?

— Ma chouette hulotte, répondit Andrée, tout à fait à l'aise avec sa solitude apparente. Elle m'attendait dans la cuisine.

— Évidemment, grimaça Stevens. Dommage que ces créatures ne soient pas très loquaces, n'est-ce pas ?

L'inspectrice posa son stylo, relut en diagonale son deuxième rouleau de parchemin. Andrée y vit le signe que l'entretien touchait à sa fin – seize heures trente passées, constata-t-elle en louchant sur sa montre, il était temps.

Elle se refit rapidement leur conversation. Quelque chose la gênait, sans qu'elle ne mît le doigt dessus.

— Bon, reprit Stevens. Avez-vous quelque chose à ajouter, concernant cette enquête ?

Et soudain, elle percuta : c'était le fondement même de cette enquête. Le pourquoi elle s'était retrouvée mêlée à ce foutoir, pourquoi elle s'était coltiné un entretien dans les bureaux du Ministère, pourquoi elle avait risqué sa vie ce soir-là, alors qu'elle n'aspirait qu'à une soirée tranquille accompagnée de cigarettes et d'une bouteille de vin de la décennie précédente.

L'adolescent perdu.

Si Stevens lui affirmait que ce n'était en effet qu'une blague, elle ne répondrait plus de rien. La mauvaise foi à son paroxysme.

— A-t-on retrouvé l'étudiant qui avait disparu ?, demanda Andrée après une brève hésitation. Je ne fais pas confiance aux journaux.

C'était peut-être la seule phrase à l'intention sincère qu'elle avait prononcée au cours de l'entretien. La seule question dont elle attendait vraiment la réponse.

— Il a en effet été retrouvé. Mais encore faut-il que vous fassiez confiance en la parole d'une Auror, Miss de Kerimel. (La sus-nommée pinça des lèvres, contrariée.) Sur ce, je vous laisse rejoindre votre chère chouette hulotte. Au revoir, et bonne continuation.

— Bonne journée, Miss Stevens. J'espère que le Ministère va cesser de se voiler la face.

Rectification : en un après-midi, elle avait prononcé deux phrases aux intentions sincères. Même si concernant la dernière, elle doutait que son souhait pût devenir réalité.
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Andrée de Kerimel
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Jeu 11 Fév 2021 - 16:35
les interrogatoires de novembre
Il y a leurs secrets et il y a les miens.
Il y a leurs non-dits et il y a mes silences.
Il y a l'insistance et il y a l'impatience.
Mais certaines choses se doivent de rester sous scelle.
Au moins un temps. Ou pour toujours.

Jeudi 9 Novembre 1995

La seconde lettre du Ministère, arrivée quelques jours seulement après la première, lui avait glacé le sang. Là où la première lui avait délivré des informations arrangeantes, rassurantes, la confortant dans son déni mensonger, la deuxième fut le brise-glace de ses illusions miroitantes. Aria n'avait pas voulu voir cette faille.

Et, aujourd'hui, jeudi 9 novembre, elle y était finalement confrontée.

Bientôt 17h30, heure de sa convocation à l'entretien avec un Auror. De son corps tremblant d'un trop-plein de cortisol, elle avait rangé ses affaires et quitté la salle de Défense Contre les Forces du Mal, déboussolée. Les cravates vertes descendaient vers les cachots, là où les rouges rejoignaient les étages et, elle, elle resta plantée là. Tout se jouerait à cet étage-ci, quelques couloirs plus loin, dans les minutes qui allaient suivre. Elle avait encore quelques minutes devant elle, mais à quoi bon ? Où aller ? Que faire ? Hormis ressasser en boucle son anxiété, ses tourments et son appréhension ? Puis, l'une des sources de toutes ces craintes afficha son portrait une fois la foule dissipée. Au bout du couloir, elle reconnut la silhouette droite de son père. Et, à ses côtés, celle de son frère.

Son muscle cardiaque enclencha un sprint. Mais ses jambes, elles, restèrent immobiles. Elle les observa un instant, paralysée, se parler à voix basse, sur le ton de la confidence, leurs mots inaudibles volant avec menace dans les airs. Puis, Gregory Beurk releva la tête et son regard de glace croisa celui de sa fille. Ce ne fut qu'alors que cette dernière retrouva la mobilité de son corps et s'avança jusqu'à eux.

- Bonjour, père. Ezechiel.

- Bonjour Aria, répondit le patriarche des Beurk d'une voix encore plus sévère qu'à l'accoutumée.

Ezechiel, quant à lui, n'adressa pas une seule parole à sa cadette mais vissa son regard au sien et, en une seconde, lui confia mille reproches parsemés de mépris et de déception. Il venait d'apprendre la vérité sur les mensonges qu'elle lui avait servis le premier du mois. Probablement qu'une seule phrase de leur père avait suffi pour lui faire comprendre que ses crampes d'estomac du 31 avaient plutôt ressemblé à des sursauts d'adrénaline inexpliqués qui pouvait à présent les menacer eux, les Beurk au complet. Dans quels troubles les avait-elle plongés ? C'était la question qui hantait à présent son quotidien. Malgré cela, la cadette garda son regard inflexible face à celui de son frère, décidée à ne lui révéler aucune faiblesse, aucune faille, et peu importaient les excuses rangées au placard, seul le combat d'ego avait sa place dans cette joute visuelle.

- Au revoir, père, à bientôt, fit Ezechiel la seconde suivante, laissant le père et la fille en tête-à-tête.

Gregory soupira et planta à son tour son regard dans celui d'Aria. Ces yeux-là, contrairement à ceux de son frère, elle n'osait pas les défier. Elle n'avait jamais osé. Alors, elle baissa les siens.

- Je ne veux pas d'explications, Aria, s'étonna-t-elle d'entendre de la bouche de son père. Il n'y a toujours qu'une seule version des faits, tu m'entends ? Une seule version des faits.

Son regard s'intensifia. Ses mots avaient été prononcés avec lenteur et insistance. Et il n'avait pas mentionné celui de « vérité ». Aria savait cela intentionnel, elle comprit.

- Alors, tu te tiendras à cette version. Sans t'éparpiller, tu ne voudrais pas éveiller des soupçons qui n'ont pas lieu d'être, n'est-ce pas ?

Elle releva ses prunelles pour essayer de décrypter celles de son père. Elle y lut les non-dits, les mystères, les secrets. Le reflet de ses propres doutes. Son père était-il des leurs ? De ceux contre qui elle s'était battu ce soir-là ? Elle ne sut quoi en conclure mais elle comprit : elle n'en dirait pas de trop. Juste assez. Pas d'accusations, ni d’allusions qui pourraient potentiellement mettre sa famille en porte-à-faux. Elle parlerait de masques, pas de Mangemorts. Elle mettrait sur la précision de ses cruels souvenirs une brume d'incertitude post-traumatique. Elle ne mentirait pas, mais sélectionnerait les informations. Elle avait compris. Elle hocha la tête.

Lors de cet entretien, il n'y aurait qu'une seule version des faits : la sienne. Et, à l'issue, il n'y aurait aussi qu'une seule version des faits : la somme de tous les récits. La cohérence devra donc rester maîtresse de ses remodelages ou non-dits.

- Bien. Allons-y.

À l'entrée du bureau de la nouvelle professeur de Défense Contre les Forces du Mal où avait lieu l'entretien, tous les muscles d'Aria étaient en tension alors que l'attente lui semblait interminable. Ils patientaient dans le couloir depuis une quinzaine de minutes déjà. Son père inspecta sa montre. 17h36. Elle le sentit s'agacer silencieusement du manque de ponctualité de l'Auror, toutefois, il ne montra rien lorsque celle-ci arriva finalement en une bourrasque de vent. À l'inverse, il afficha un sourire poli. Courtoisie d'apparence qui donnait toujours un autre visage à l'autoritaire père de famille.

- Bonjour, salua la femme au chignon décoiffé d'une voix vive et de gestes agités, remontant ses larges lunettes rondes avant de tendre sa main à ses interlocuteurs. Je suis Caroline Johnson, et c'est moi qui vais m'occuper de cet entretien.

Les deux Sangs-Purs lui serrèrent la main à tour de rôle en répondant à ses salutations, leur ton plat et allure droite dénotant avec l'énergie débordante de la rouquine.

- Installez-vous, je vous en prie. Commençons par le commencement...

Le bureau de Dolores Ombrage les accueillit dans un trop-plein de rose et de chats qui miaulaient dans une symphonie désynchronisée. Aria ne s'y sentit pas à l'aise et son dos s'en trouva davantage raidi sur la chaise où elle s'installa, juste à côté de son père. Miss Johnson ignora sa propre assise, préférant visiblement se hisser sur le coin du bureau. Ce cataclysme indiscipliné détenait-il vraiment le titre d'Auror ? Le scepticisme d'Aria prit presque le pas sur son anxiété alors qu'elle dévisageait la femme sur le point d'ouvrir les hostilités de cet interrogatoire.

- Tu étais bien présente à la soirée d'Halloween, n'est-ce-pas ?

Adieu le temps des mensonges.

- Oui, répondit-elle.

Un silence étrange flotta un instant. Le sourire de l'Auror se voulait-il encourageant ? Ou rassurant ? Qu'elle le garde, son sourire, c'étaient ses questions qu'Aria attendait. Qu'elles en finissent. Mais l'entretien débutait seulement. Caroline prit le temps de se saisir d'une feuille vierge pour y noter quelque chose – ou plutôt, tapoter par trois fois la pointe de sa plume en haut de la page.

- Durant la fête, as-tu observé un comportement, ou un événement sortant de l'ordinaire ?

- Non, répondit toujours aussi sobrement Aria, bien qu'après un léger temps de réflexion, cette fois-ci.

- Saurais-tu me dire avec qui tu as passé la soirée ?

Cette question posée d'un air innocent, la tête de Johnson basculée sur le côté, agaça Aria. Pourquoi se focaliser sur la partie de la soirée qui n'avait aucune importance, aucune incidence sur l'affaire mais qui la poussait déjà à envisager le mensonge ? Que sa famille sache qu'elle avait été confrontée à des Mangemorts de par son propre comportement irréfléchi, c'était déjà une chose considérable, fallait-il en plus de cela qu'elle avoue ses fréquentations cachées ? Son amitié secrète avec une Gryffondor aux origines troubles, probablement Née-Moldu de par sa pratique de l'illusionnisme, alors qu'elle rejetait tous les Sangs-Purs convenables de son entourage ? Son père en aurait peut-être rien à faire de cette amitié, et pourtant, Aria ne pouvait se résoudre à la lui avouer. À dévoiler ce secret qui lui était si cher. À dévoiler ce secret qui n'était plus, qui devenait fumée.

Elle sentit l'attente dans le regard de son géniteur posé sur elle, attentif. Elle savait l'espoir vain qu'il accrochait à cette situation : « Si ma fille s'est rendue à cette fête, c'est sûrement qu'elle commence enfin à se développer un cercle d'amis », pensait-il sûrement. Et s'il y avait une part de vrai à cela, lesdits amis – ou ladite – ne correspondaient en rien au profil désiré par un Sang-Pur attaché à la réputation de son nom. Tendue, Aria répondit de sa voix froide et convaincue :

- Je l'ai globalement passée seule.

- Qu'as-tu fait durant le déroulement des festivités ? continua l'inspectrice de son même sourire trop mielleux pour ne pas être agaçant.

- Pas grand chose hormis écouter la musique et piocher dans le buffet. Je me suis pas mal ennuyée, pour tout vous dire.

Le doute se refléta dans le verre d'une paire de lunettes rondes.

- Tu es sûre que tu n'as rien fait d'autre ? Chaque détail est important.

Aria repensa à Elia Rosebury et son jeu incroyable, son propre duo avec Eileen sur scène, l'alcool, l'épistaxis et le verre brisé. Le flottement allègre du reste de la soirée. Les souvenirs traversèrent ses pensées en un éclair mais ce fut une obstination froide qui se nicha dans les iris.

- Il n'y a rien d'important que je puisse vous fournir sur cette partie-là de la soirée. Il n'y a eu que des banalités sans intérêt typiques de n'importe quelle soirée d'Halloween, jusqu'au... noir.

- Très bien. Que peux-tu me dire sur l'extinction des lumières ?

Soulagée de passer à autre chose, Aria s'autorise enfin à relâcher son regard pour se faire plus pensive.

- Eh bien... c'est arrivé tard dans la soirée. D'un coup la salle a été plongée dans le noir et les lumières ont mis plusieurs minutes à revenir. Je ne sais pas comment cela s'est produit.

- Je vois. Avec qui te trouvais-tu au moment de l'extinction des lumières et pourrais-tu me dire où tu te situais dans la salle ?

Mentir concernant le début de la soirée, c'était une chose. À présent qu'elles entraient dans le vif du sujet, il lui fallait modeler.

- Je me trouvais au niveau de chaises posées contre l'un des murs de la salle. Il y avait Eileen King à côté de moi, l'organisatrice de la soirée, précisa-t-elle, comme si cela la dédouanait du moindre lien avec elle. Quand les lumières sont revenues, elle avait l'air inquiète et, moi qui croyais d'abord à une énième farce de sa part, j'ai trouvé ça étrange donc j'ai décidé de la suivre. Elle se dirigeait vers le professeur McGonagall.

- Hum-hum... fit l'Auror qui s'était mis à noter de rapides informations sur sa feuille. En approchant dudit professeur, qu'as-tu remarqué ?

- Le sang.

La réponse avait fusé d'un coup. Glaçante. Comme le souvenir qui l'entourait. Caroline Johnson avait pincé ses lèvres de surprise. Réalisant la seconde d'après la spontanéité déroutante de sa réponse, l'interrogée se racla la gorge tout en se redressant pour se redonner contenance.

- Je veux dire, le sang sur la baguette de Sessho Shinmen qui était entre les mains du professeur McGonagall, détailla-t-elle.

- Après avoir vu ça, qu'as-tu choisi de faire ? questionna doucement l'inspectrice, la compassion dans un sourire en demi-teinte.

- Eh bien, justement, je ne savais pas quoi faire, soupira la blonde. Dans la panique, j'ai encore une fois suivi Eileen qui, elle, semblait savoir quoi faire. C'est-à-dire : partir à la recherche de Sessho.

La jeune fille ne put retenir un bref regard en coin vers son père. Mais sa réaction restait aussi impassible et inchangée qu'un bloc de glace. Ou peut-être que le pli concentré entre ses sourcils s'était quelque peu accentué d'un mécontentement muet ?

- C'était probablement la chose la plus irréfléchie à faire sur le moment, continua-t-elle, mais au final...

Hésitante, sa voix devient presque murmure.

- Sans nous, Sessho n'aurait peut-être pas été retrouvé à temps...

Miss Johnson joignit ses mains dans un hochement de tête. Elle laissa le silence s'étirer une nouvelle fois alors que son regard alterna entre l'interrogée et son représentant légal. Patiemment, elle reprit :

- Comment avez-vous échappé à la surveillance des professeurs et adultes présents pour vous extirper du bâtiment ? Et surtout... étiez-vous toujours avec miss King pour cela ?

- Oui, je l'ai suivi jusque dans la réserve du pub. C'était l'organisatrice de la soirée, ce pourquoi elle avait connaissance de cette salle, je suppose, justifia à nouveau la Serpentard. On est sorti par la fenêtre.

- Vous n'avez pas été séparée une seule fois entre le moment où les lumières se sont éteintes et le moment où vous êtes sortie des Trois Balais par la fameuse fenêtre ?

Aria toisa l'inspectrice. L’abîme de son regard se refaisait mauvais. Johnson faisait-elle exprès d'insister sur des détails futiles qu'Aria taisaient volontairement pour ne pas attirer l'attention sur son lien fusionnel avec Eileen ?

- Si. Elle a rapidement essayé de trouver ses amis dans la salle pour qu'ils viennent avec nous. Je l'ai attendu dans la réserve, donc.

- Elle t'a donc laissé seule dans la réserve pour ensuite repartir les chercher, c'est bien ça ? Ce n'est pas un peu...

L'inspectrice chercha ses mots en tapotant le haut de son stylo sur ses lèvres. Et puis, depuis quand les Aurors utilisaient-ils des stylos moldus, d'ailleurs ? L'antipathie de la blonde enfla sur cette observation soudaine, nouveau motif en carton de ses mauvais sentiments.

- Contre-productif ? Pendant ce temps, tu n'as rien fait, en sachant que les trouver aller lui prendre plusieurs longues minutes ?

- J'ai dit "rapidement", soupira Aria, témoignant de son impatience face à l’insistance de l'Auror, je ne l'ai pas attendu cent ans, sinon je serais probablement partie.

- Aria, tonna Gregory d'une voix sévère, les sourcils cette fois clairement arqués.

La jeune Beurk baissa aussitôt les yeux avant de les relever sur des excuses imposées.

- Excusez-moi. Mais là n'est pas le plus important, si je peux me permettre. Au final, on était trois à sortir ensemble par cette fenêtre : Eileen King, Joris de Beauvoir et moi. Et dans la rue, on est tombé nez-à-nez avec Tabata Wyatt et Elyana Sleepy. Puis, un...- son nez se retroussa légèrement -... gueux.

Caroline Johnson laissa le temps à son interlocutrice d'achever ses paroles mais ne manqua pas de revenir sur le témoignage d'impatience de cette dernière, bien que prenant soin d'orner sa morale de son indécrochable sourire de sainte.

- Bien que je ne doute pas du... Bon raisonnement dont tu peux faire preuve, tu ne possèdes pas encore l'expérience que j'ai acquise avec le temps. Si je te pose certaines questions qui peuvent te paraître superflues, crois bien qu'elles ont leurs utilités.

Une crispation froide retroussait légèrement les traits de la Sang-Pur mais elle tut son mépris dans le silence. L'Auror chassa le vide d'un mouvement de main.

- Mais passons. Avant que nous arrivions là où tu veux nous emmener, j'ai juste besoin d'une précision. Monsieur de Beauvoir est arrivé en même temps que miss King est revenue ou est-il arrivé là où tu attendais par ses propres moyens ?

- Il est arrivé en même temps que moi à la réserve. Je l'ai croisé en chemin, il a lui aussi décidé de suivre.

- Vous avez donc, tous les trois, retrouvé miss Wyatt et miss Sleepy à l'extérieur, ainsi qu'un "gueux" pour reprendre tes mots. Ce "gueux" était-il déjà là ?

- Non. Il a déboulé d'une rue en criant au détraqueur.

- Un détraqueur ? répéta la rouquine aux airs faussement étonnés. Qu'avez-vous fait après sa mise en garde ?

- On a couru à l'opposé de là où il venait. On ne nous a pas encore appris à nous défendre contre une telle créature, précisa la Cinquième Année.

- Un choix judicieux ! hocha vivement de la tête Caroline en griffonnant plusieurs traces sur sa page. Vous avez couru donc, jusqu'où s'est étendue votre course ? Et que s'est-il passé ensuite ?

- On a tourné dans une autre ruelle puis...

La blonde fronça légèrement ses sourcils, fixant un point dans le vide alors que les images défilaient de façon saccadée devant ses yeux.

- Je me suis arrêtée et retournée. Il y a eu un cri et un éclair rouge en provenance de la rue qu'on venait de quitter. Wyatt n'était plus avec nous... Puis, une femme est venue.

Elle redressa ses pupilles vers celles de l'inspectrice.

- C'était une femme, une sorcière, pas un détraqueur, au final.

- Un éclair rouge et une disparue... marmonna l'enquêtrice en prenant de nouvelles notes. Une femme, dis-tu ? Pourrais-tu me la décrire ?

Tu ne voudrais pas éveiller des soupçons qui n'auraient pas lieu d'être, n'est-ce pas ?
Dans l'esprit de la blonde, les récentes paroles de son père revenaient en écho. Elle comprit d'instinct que ce serait à ce moment précis que son témoignage aurait le plus de valeur. Son propre jugement, ses propres yeux feraient office de pierre à l'édifice branlant construit par tous les témoignages réunis. Sa pierre à elle serait fissurée, incomplète, pouvant défier l'équilibre global de la structure.
Décrire ce qu'elle a vu, sans en dire trop. Sans t'éparpiller, Aria.

- Elle portait une longue cape noire à capuche et... le haut de son visage était recouvert par une sorte de... masque de loup, je crois.

Jouer avec l'incertitude, le flou, pour éloigner les certitudes de cette réalité dissimulée.

- Un masque de loup ? Ou un loup ?

Mais ne pas mentir.

- Un masque de loup.

- Cette femme vous a-t-elle parlé ?

- Oui, elle nous a parlé.

- Te souviens-tu de ses paroles ?

- Pas vraiment non... Mais ça se résume à quelques provocations qui ont eu l'effet escompté.

- Quel genre de provocation ?

- Comme je viens de vous le dire, je n'ai plus souvenir de ses paroles.

Impatience, douce impatience, te revoilà à importuner l'interrogée.

- Mais globalement, reprit cette dernière, c'était un appel au combat et, avec la présence de Gryffondors parmi nous - elle poussa un soupir exagéré en levant les yeux au ciel -, ça a évidemment marché.

- Hum, je vois, acquiesça l'Auror. S'est-elle adressée à toi en particulier ou était-ce des provocations générales ?

Les doigts de la jeune fille se crispèrent furtivement sur les pans de sa jupe d'uniforme.

- D'abord générales, puis adressé à moi car j'ai voulu régler la situation par la discussion. Mais comme j'essaie de vous le faire comprendre, celle-ci a très vite été interrompue par l'intervention de mes... camarades, qui ont directement usé de leur magie pour attaquer.

- Très bien. Je sais que s'attarder sur des détails peut paraître... insignifiant, expliqua l'enquêtrice une nouvelle fois, toujours avec patience. Mais crois-moi, c'est dans ces détails que l'on trouve les plus gros indices.

Elle remonta sa grosse monture rouge pétant sur son nez à la courbe enfantine.

- Dans quel sens a tourné votre affrontement ?

- Il a été court. Elle n'a pas eu le temps de riposter qu'elle s'est faite assommer par le gueux. Encore une fois, je ne sais pas vraiment d'où il déboulait.

- Hé bien.. Un "gueux" fort utile dans cette situation, fit remarquer la rouquine, toujours peu adepte du mépris visible de la Sang-Pur envers le pauvre sans-abri. Votre adversaire à terre, qu'as-tu fait ?

- J'ai-

Elle se stoppa net, comme rattrapée par sa pensée. Ils touchaient à présent du bout du doigt un élément clé du récit. Un élément qu'elle devait garder sous scellé, invisible aux yeux de tous. Son vol.

C'était à ce moment précis dans leur cheminement jusqu'à Sessho qu'elle s'était discrètement emparée de la baguette de la Mangemort qui avait perdu connaissance. Sur le moment, sa seule pensée avait été de préserver leur sécurité, de s'assurer qu'elle ne revînt pas les attaquer une fois sa conscience revenue. Mais ensuite, ça avait été un objet magique volée qui reposait entre ses mains et qu'elle avait enfoui au fond de sa malle, ne sachant quoi en faire. Elle aurait pu l'amener aujourd'hui et la donner à l'Auror pour tenter de retrouver l'identité de leur agresseuse. Mais ce serait mettre en péril l'identité d'une Mangemort et donc, potentiellement la mettre en danger elle et sa famille, selon si cette dernière était affiliée au camp de Celui-Dont-On-Ne-Prononce-Pas-Le-Nom. Ne pas savoir était terrible. Ne pas savoir la plongeait dans un brouillard de doutes et de craintes qui la faisaient suffoquer à chaque réveil. Le camp de sa famille était le sien, alors, ne pas savoir, c'était comme ignorer une partie de sa propre identité. La baguette était donc restée au fond de sa malle. Elle ne voulut pas non plus révéler sa possession à son père : ce serait admettre un vol et, qu'il fût lié au Seigneur des Ténèbres ou non, ça ne pouvait avoir que de mauvaises conséquences. Cette baguette resterait donc l'un de ses nouveaux secrets. Son affaire personnelle.

- Je me suis approchée de son corps pour vérifier qu'elle était bien inconsciente, reprit-elle, l'air de rien, puis on est reparti à la recherche de Sessho... Enfin, juste Joris et moi. Eileen et Elyana sont revenues sur nos pas pour trouver Tabata. On s'est divisé, donc.

Elle s'arrêta une seconde, puis un détail sembla lui revenir à l'esprit et elle le pointa d'un doigt relevé sur sa cuisse.

- Ah oui et le gueux venait de trouver une broche appartenant à Sessho. On l'a directement reconnu et Joris et moi avons donc suivi les indications du gueux quant à l'endroit où il avait trouvé l'accessoire. Ensuite...

Le factuel, le factuel, encore et encore... jusqu'à ce que du rouge carmin vînt entacher les données chiffrées du tableau. L'émotion prit subitement le dessus et l'adolescence se retrouva en difficulté pour terminer sa phrase. Une seconde fois, sa voix diminua d'un demi-ton. Comme si désigner ce liquide corporel lui arrachait la trachée.

- On... on a suivi les traces de sang...

- Des traces de sang ? répéta l'Auror d'un clignement de paupière. Par où vous emmenez-t-elles ?

- Jusqu'à la cabane hurlante...

- La cabane hurlante... répéta à nouveau la femme, notant cette fois-ci l'information. Sur place qu'avez vous trouver ?

- Un homme. Sur le perron. Et...

Un son glaçant atteignit les oreilles de la blonde, souvenir ramené par les claquements du vent contre les vitres de la fenêtre.

- On entendait les cris de Sessho à l'intérieur...

Les yeux baissés, l'interrogé n'avait pas un seul instant envie d'assister au regard débordant de compation de l'inspectrice.

- Un homme... reprit la rousse, épargnant pour la première fois Aria de son insistance non désirée sur les sujets qu'elle préférait tenir éloignée. Peux-tu me le décrire ?

- Comme la femme de tout à l'heure, il portait une cape sombre et un masque.

- Cet homme vous a-t-il provoqué lui aussi ?

- Pas vraiment. Il s'est contenté de nous poser une énigme.

- Une énigme ? s'étonna la femme d'un froncement de sourcils. Te souviens-tu de cette énigme ?

Aria tenta de se concentrer, faisant pour la première fois preuve d'une réelle bonne volonté. Mais tout ce qui lui revint en mémoire fut une bourrasque d'émotions diffuses amenant du flou aux contours de chaque terme prononcé par ce sphinx ténébreux. Il n'y avait qu'un seul mot qu'elle n'avait pas oublié. Elle secoua la tête.

- Seulement de la réponse...

- C'est déjà très bien, l'encouragea l'Auror d'un ton maternelle qu'Aria n'avait eu l'occasion de connaître de sa propre mère qu'à de rares occasions. Quelle était la réponse ?

- La mort.

Sa voix à elle sonna plate, vide. Son regard hivernal s'était relevé.

- Je présume que toi ou Joris.. enfin que vous lui avez donné une réponse, n'est-ce-pas ?

- Oui, Joris.

- Cet homme vous a-t-il attaqué par la suite ?

- Non, il est parti à la résolution de l'énigme, nous laissant ainsi l'accès à l'intérieur de la cabane.

- Étrange...

La femme s'enferma dans une bulle réflective, mâchouillant le capuchon de son stylo dans l'attente de sa prochaine question. Si Aria n'avait pas été pas aussi déstabilisée par la remontée de ses émotions alors qu'ils atteignaient le point culminant du récit, peut-être qu'elle se serait faite une nouvelle remarque intérieure sur le manque flagrant de professionnalisme de l'Auror. Peut-être bien que son père se fît lui-même cette réflexion à l'instant-même, en tout cas son visage toujours impassible ne laissait rien percevoir.

- Vous êtes entré par quel moyen ? reprit finalement la rouquine.

- Eh bien, comme l'on entre partout : par la porte.

Retrouver son sarcasme, c'était comme retrouver ses repères. Aria s'autorisa à expirer longuement l'air trop longtemps retenu dans sa cage thoracique.

- Elle n'était pas verrouillée ? Ou scellée ?

- Quelque chose la bloquait de l'autre côté mais ce n'était pas si résistant que ça.

Elle évita de préciser qu'au lieu d'utiliser sa baguette – comme l'aurait fait n'importe quelle sorcière un minimum réfléchie et en possession de tous ses moyens  –, elle avait tambouriné de son épaule contre la porte jusqu'à ce que cette dernière cède. Détail futile qui ne ferait qu’émerger une honte voilée. Et peut-être que l'inspectrice se fatiguait, car, cette fois non plus, elle n'insista pas.

- D'accord.. lorsque vous êtes entré, qu'as-tu vu ?

Mais peut-être qu'elle aurait préféré que Johnson s'éternisât un peu plus longtemps sur cette histoire de porte, finalement... Son pouls s'accéléra d'un coup alors que des flashes mémoriels remplacèrent le décor de porcelaine du bureau. Elle sentit ses doigts qui s'accrochèrent à nouveau à sa jupe dans un tremblement qu'elle tenta de chasser. Elle déglutit, son regard s'échoua sur ses cuisses et elle entrouvrit ses lèvres. Mais il lui fallut encore plusieurs secondes avant d'arriver à prononcer un mot.

Quel regard posait à présent son père sur elle, sa fille, sur son état d'impuissance, derrière ses iris indéchiffrables ? De la pitié, de la compréhension ? Ou de la contrariété, de la déception ? Lui qui avait toujours été son référent dans l'art d'enfouir ses émotions, pouvait-elle s'osait à afficher les siennes devant lui ? L'Empathe essaya de cacher les faiblesses de sa voix. Mais ses efforts furent vains.

- Sessho était là... Enchaîné à une table et... et...

Sa respiration s'accéléra. La suite lui semblait impossible à prononcer.

- Prends ton temps, proposa Caroline d'une voix douce. Tout vas bien. Tu veux que j'ouvre la fenêtre pour que tu prennes un peu l'air ?

La sensation de se faire materner resurgit. Et elle suffit à lui rappeler qu'elle n'avait pas besoin de la pitié des autres. Elle avait toujours vécu sans. Une Empathe ayant grandi dans un univers dépourvu d'empathie, voilà ce qu'elle était. N'avait-ce pas suffi à lui forger du caractère ? Elle ne pouvait témoigner de sa faiblesse plus longtemps devant son père, alors elle fronça les sourcils, secoua la tête et redressa son dos.

- Ça ira.

Puis, elle prit une inspiration avant de débiter d'une traite :

- Son torse était en sang.

- As-tu pu voir sa blessure ? demanda l'Auror d'un ton plus bas après s'être légèrement rapproché de l'adolescente.

Cette dernière hocha la tête et, après une nouvelle inspiration, débita de la même façon :

- "Mon art est vôtre". C'était ce qui était écrit...

- Étiez-vous seuls dans la pièce ?

- Juste Joris, Sessho et moi, oui.

- D'accord, acquiesça l'Auror en survolant ses notes du regard. Peux-tu me décrire comment était la pièce à votre arrivée ?

- Hum... Eh bien, je n'ai pas vraiment fait attention, ou alors j'ai oublié... Je ne me souviens que de la table et des chaînes, désolée.

Le trouble de la jeune fille avait pris écho dans ce dernier mot. « Désolée ». Cette fois, ce n'était plus son conscient qui cherchait à taire les souvenirs.

- Ce n'est pas grave. Le choc nous fait oublier beaucoup de détails. Parfois ils reviennent, et puis parfois non. Était-il encore conscient ?

- Oui, il l'était, soupira Aria - de peine ou de soulagement ? Elle-même n'aurait su dire.

- Vous a-t-il dit quelque chose ?

Oui. Trois mots qui l’avaient marquée aussi sûrement que la réponse à l'énigme. Trois mots qui n'avait rien eu à faire dans la bouche du torturé. Trois mots qui avaient révélé les ailes brisées d'un Aiglon désorienté, trop humble pour voir qu'il était la victime et non pas le coupable.

- "Je suis désolé", murmura-t-elle. Juste ça.

Des notes. Encore des notes. Toujours des notes. Aria pourraient toutes les brûler dans un énorme brasier si c'était la promesse d'un Oubliette sur cette soirée.

- Vous l'avez ensuite détaché, c'est bien ça ? Puis vous êtes redescendu vers le village ?

- C'est cela.

- C'est sur le chemin qu'un de mes collègues vous a intercepté, n'est-ce-pas ?

- Oui.

- Et par la suite vous êtes rentré à Poudlard avec le directeur de l'école. Très bien.

Enfin, l'enquêtrice referma son dossier sur sa feuille tout du long griffonnée.

- As-tu d'autres choses dont tu voudrais me parler ?

- Rien d'autre, non.

- Dans ce cas, c'est ainsi que se conclue notre entretien.

Annonce salvatrice ponctuée du mouvement de la femme pour rejoindre la porte et la leur ouvrir.

- Je te remercie de ta coopération. Passez une bonne journée.

Elle tendit sa main à Gregory Beurk qui s'était relevé en premier.

- Monsieur Beurk.

- Merci pour votre patience, Miss Johnson. Au revoir, la gratifia-t-il aimablement d'un hochement de tête en lui rendant sa poignée de main.

- Au revoir, l'imita sa fille.

Ce ne fut que quelques couloirs plus loin que l'aîné des Beurk brisa le silence.

- Bien. Une chose de faite. Tâche de ne plus te mêler à des histoires pareilles, Aria. Concentre-toi sur tes études comme tu l'as toujours fait jusqu'ici.

Sa voix était sévère, sans appel. Aria aurait voulu savoir si elle avait agi correctement durant l'entretien, si elle avait dit ce qu'il avait fallu dire, tut ce qu'il avait fallu taire, si son discours avait correspondu aux attentes de son père. Mais celui-ci ne fit aucun commentaire de plus. Si ce ne fût le suivant :

- Finalement, c'est préférable lorsque tu te fais oublier.

Ces mots furent pour elle la plus tranchante des aspérités de cette journée.

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Aria Beurk
Admin empathique
Aria Beurk

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Ecoute cette médolie troublante.
C'est l'eau qui chante.
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Lun 29 Mar 2021 - 11:12



Les Interrogatoires de Novembre
☽ Event ☾


Samedi 18 novembre 1995

Le Ministère de la Magie britannique était encore plus impressionnant que ceux à quoi l'Islandaise s'était attendue. Son hall était immense, la foule y était dense, et la fontaine qui surplombait les lieux de ses cinq gigantesques statues était à couper le souffle. Elvý s'arrêta un instant devant, captivée. Aussi magnifique que fut cet or scintillant, il y avait pourtant quelque chose qu'il la dérangeait dans ce singulier spectacle. L'homme et la femme, tous deux sorciers, étaient grands, fiers, leur allure était prégnante et leur position centrale. L'elfe de maison, le centaure et le gobelin levaient chacun leurs yeux étincelants vers eux comme s'il s'agissait d'êtres divins. Elvý lut l'inscription gravée sur une plaque : « Fontaine de la Fraternité ». Elle fronça les sourcils. Ça ressemblait donc à cela, la fraternité, chez les Anglais ? La Scandinave y voyait plutôt une hiérarchisation avec l'ascendance sorcière surplombant tout le reste. Les autres êtres n'y étaient pas représentés comme des frères, pas même comme des égaux.

Un sorcier pressé la bouscula. Elle aussi, était pressée, d'ailleurs. Elle délaissa son observation songeuse pour se fondre à nouveau dans le conglomérat humain. Ce n'était pas un jour pour être en retard.

La sorcière eut plusieurs occasions de se perdre dans le dédale de couloirs et d'ascenseurs du Ministère mais, grâce à l'aiguillage plus ou moins précis des autres citoyens qu'elle croisa, elle réussi à trouver la salle d'interrogatoire juste à temps. Ou bien avait-elle quelques minutes de retard ? Elle n'avait même pas de montre pour en juger. Mais ce détail ne lui importait déjà plus : au moment où elle ouvrit la porte, une boule d'appréhension vint se nicher dans son ventre. Ce n'étaient pas les questions quant à la soirée d'Halloween qui l'angoissaient - elle n'avait rien à cacher et y avait passé très peu de temps de toutes manières -, mais celles qui pouvaient mener vers d'autres terres inexplorées. Celles qui voudront dénicher des vérités interstitielles sur son installation en Angleterre. Comment pourrait-elle expliquer quoique ce soit si elle ne se souvenait de rien ? Essaieraient-ils de s'immiscer dans sa vie en découvrant son cas d'amnésie ? De la prendre en charge, de la confier à des médicomages, d'essayer de retrouver sa famille ? Non, non et non. Elle ne voulait rien de cela, elle n'était pas prête. Pas prête à affronter tout ça, cette réalité, celle de l'oubli. Si Johann l'avait tenu éloignée des aurors et des médicomages malgré sa situation, c'était pour son propre bien, elle en était convaincue. Elle voulait continuer à fuir.

Mais elle se trouvait à présent dans cette salle grise.

- Bonjour Mademoiselle, l'accueillit une voix d'une féminité suave.

L'auror était d'une élégance sans pareil. Les mains gantées, le rouge aux lèvres, le soleil sur la peau et les boucles bien coiffées. Sur le seuil de la porte, Elvý lui sourit.

- Bonjour, hum... Miss... ?

Elle voulut connaître son nom. C'était, chez elle, un besoin viscéral qui se manifestait à chaque rencontre. Chaque visage méritait que soient prononcées les syllabes qui l'embellissaient et lui donnaient une identité.

- Miss Aimee Stevens, répondit l'auror, je suis navrée de manquer à tous mes devoirs.

L'expression d'Elvý se fit plus décontractée, adoptant même un air rassurant. Un simple nom et la glace était brisée.

- Pas de soucis, les étourderies ça arrive, à moi la première d'ailleurs !

Oh que oui. L'interrogée prit enfin place sur la chaise qui l'attendait. Son regard se fit ensuite distrait, il survola les rares meubles de la pièce tandis que l'inspectrice ouvrit son dossier et attaqua avec la première question :

- Savez-vous pourquoi vous êtes là ?

- Eh bien, je suppose que c'est parce que j'étais présente à la soirée d'Halloween à Pré-au-Lard, juste avant que ça ne dégénère ?

- C'est exact, mademoiselle. Votre nom a été abordé durant notre enquête et nous espérons que vous pourriez nous fournir quelques éclaircissements.

Mais qui donc avait donné son nom ? Hormis Johann, Elvý ne connaissait personne de cette soirée et elle savait que son protecteur n'aurait pas mentionné son nom – elle n'avait rien à apporter à l'enquête dans tous les cas. Après, il y avait aussi eu Yöan, certes, mais il l'avait si bien ignoré durant la fête que ça aurait été un comble d'ensuite notifier sa présence aux autorités. Puis, il y avait eu le fameux Lévine, aussi... Mais s'était-il seulement souvenu de son prénom après s'être joué d'elle ?  

- Commençons par le début, continua l'auror. Pourriez-vous me dire vers quelle heure vous êtes arrivée sur place ?

- Hum... bonne question, répondit la fêtarde d'un air mi-songeur, mi-amusé. Je ne suis pas la plus ponctuelle des personnes, vous savez, donc j'étais loin d'être la première. Et encore, je ne suis pas arrivée si tard... Peut-être juste une heure après le début de la fête ? Ouais, quelque chose comme ça, je dirais.

- Y êtes-vous allée seule ? Un joli brin de femme comme vous, si personne ne vous accompagnait, devait au moins rejoindre quelqu'un pour passer la soirée avec lui... Ou elle, n'est-ce pas ?

Le léger sourire de l'inspectrice était assorti à l'énigme de son regard. Était-il complice, malicieux, inquisiteur, amicale ou seulement poli ? Un léger rire s'échappa spontanément des lèvres d'Elvý. Dans le coin de son sourire à elle, c'était l'amusement qu'on pouvait y lire.

- Jolie ou pas, il n'y avait que l'indépendance pour m'accompagner et le hasard de nouvelles rencontres à rejoindre.

Les phrases à demi-mots, les sous-entendus métaphoriques et les élans philosophiques au creux des virgules, c'était typiquement du Elvý. Son regard défia un instant celui de l'auror. Du haut de son  assurance et par le claquement de ses talons, ne clamait-elle pas elle aussi son indépendance de femme à chaque couloir ? Pas besoin de la compagnie d'un rencard pour apprécier ses soirées, n'était-ce pas, Miss Stevens ?

Malheureusement, la Scandinave n'était pas là pour enclencher ce genre de débat. L'auror attendait du concret. Et la vérité. Alors, Elvý haussa les épaules en se déliant d'un nouveau rire, puis se rectifia :

- Enfin, presque. Il y avait bien quelqu'un que j'avais prévu de rejoindre à cette fête mais, loin de vos hypothèses, il s'agissait simplement d'un ami.

- Un ami, donc. Et qui était cet ami ?

- Johann Kayser.

Elle hésita. Rien qu'une demie-seconde, elle reprit avant que l'inspectrice n'ait le temps d'enchaîner. Elle devait être sûre.

- C'est peut-être lui qui vous a donné mon nom d'ailleurs, non ?

- Cette information est confidentielle, mademoiselle, d'autant qu'ici...

Cette fois, le sourire carmin de la Stevens se teinta, clairement, d'amusement.

- C'est moi l'inspectrice, je crois ?

- J'aurais essayé, se justifia Elvý dans un nouveau rire.

- Reprenons. Vous avez donc rejoins monsieur Kayser. Et ensuite ?

- Ensuite, eh bien... j'ai profité de la soirée ? J'ai dansé, papoté avec d'autres personnes, bref, ce qu'à peu près tout le monde fait à une fête, quoi !

- Et vous n'avez rien remarqué d'étrange, sortant de l'ordinaire, durant la soirée ? J'entends avant que les lumières soient soufflées.

- Hm, hormis des costumes un peu flippants... comme celui du clown – elle frissonna légèrement, le souvenir de son regard sembla subitement la percer à nouveau de toutes parts - et...

Fut-ce cette image soudaine qui la priva de son souffle ou l'hésitation à révéler une autre scène étrange de cette soirée qui retint ses mots ?

- Hum... non rien, souffla-t-elle finalement. Je n'ai rien remarqué de spécial. Le whisky m'est vite monté à la tête pour tout vous avouer...

Inconsciemment, son regard se fit fuyant et ses joues s’empourprèrent légèrement. Elle avait honte. Pas pour le whisky ingéré – en réalité, elle n'en avait bu qu'un verre -, mais pour le philtre d'amour qui y avait été dilué. Se devait-elle de raconter cet incident ? Après tout, ce Lévine l'avait envoûté à son insu, mais ensuite, il n'avait rien fait de plus que de l'emporter dans une danse légère et innocente. Il lui avait offert un instant d'envol en lui volant sa pleine conscience pour un temps. Fallait-il l'accuser ou le remercier ? Elle ne savait pas, et elle avait honte. Honte de l'état temporaire dans lequel elle avait été piégée. Elle ne souhaitait pas vraiment en parler. Alors, pour l'instant, elle décida de ne pas partager l'orchésographie de cet instant particulier à l'auror.

Seulement, cette dernière ne passa pas à côté de ses non-dits : la sémillance de son regard sembla la décrypter pendant de longues secondes silencieuses. Toutefois, elle décida de ne pas relever et lui sourit à nouveau.

- Mh. D'accord. Dans ce cas, pouvez-vous me dire ce que vous avez fait et si vous avez remarqué quelque chose durant l'extinction des lumières ?

Soulagée, la Njállsdóttir sentit les muscles de ses épaules et de son visage se décrisper.

- J'étais de nouveau avec Johann à ce moment-là, répondit-elle, il a lancé un Lumos mais je n'ai rien remarqué dans le halo de lumière qui nous entourait. Tout le monde s'était figé.

- Vous n'avez donc rien vu ni entendu de suspect jusqu'à ce que les lumières reviennent ?

Elvý secoua la tête.

- Du tout.

- Très bien. Qu'avez-vous fait ensuite ?

- J'ai transplané jusqu'à chez moi, répondit-elle simplement.

Quasi-simultanément à sa réponse, un souvenir lui revint. Non, elle n'était pas directement rentrée chez elle. Elle leva l'index et ajouta :

- Enfin, juste avant ça, j'ai suivi Johann jusqu'à une femme qui tenait entre ses mains... Une baguette, je crois.

Elle fronça les sourcils. Cette image-là était floue. Elle ne se souvenait plus à quoi ressemblait la baguette – elle qui était pourtant autrefois spécialiste dans ce domaine -, seulement un détail lui revenait encore.

- Avec du sang...

Et c'était cette nuit-là qu'elle avait découvert sa violente et soudaine aversion pour ce liquide rougeâtre. Réminiscence d'un traumatisme refoulé. Elle avait dû l'affronter, pour Johann, pour l'aider. Elle en avait eu la nausée.

- Mais je ne suis plus très sûre de ce que j'ai vu, ajouta-t-elle, c'est un peu flou dans mon esprit, désolée...

- Une baguette ensanglantée, donc.

Aimee Stevens baissa son regard sur son parchemin pour y déposer des notes. Quand elle le releva, Elvý y vit à nouveau luire les étincelles subtiles de son intelligence.

- Il n'y a aucune autre information dont vous voudriez nous faire part ? Même un détail qui peut vous sembler insignifiant pourrait peut-être nous permettre de résoudre la situation.

Elvý hésita. Se devait-elle de partager cet instant volé de sa soirée ? Elle soupira. L'auror avait réussi à la mettre en confiance alors elle s'osa à franchir les barrières de sa honte.

- Hm... Eh bien, quelqu'un a mis un philtre d'amour dans mon verre de whisky durant la soirée... Ça n'a pas eu beaucoup d'incidence - hormis que je sois tombée raide dingue d'un inconnu -, donc ce n'était sûrement qu'une simple farce...

Puis, soudain, une hypothèse lui traversa l'esprit. Et si c'était lui ? Et s'il avait participé à toute cette mascarade en l'envoûtant ? En avait-il envoûté d'autres ? Pour effriter l'attention de la foule ? Pour ensuite mieux agir en arrière-plan et semer le chaos ? Soudain, les traits angéliques dudit Lévine s'ombragèrent d'un voile sinistre. Les sourcils d'Elvý s'affaissèrent sous le poids de ses incertitudes et elle ajouta, un peu plus bas :

- Ou peut-être pas, je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas...

Elle haussa les épaules. Son regard s'était échoué sur ses mains posées sur ses cuisses dans un entrelacement crispé.

- Vous avez un nom pour cet inconnu ? l'interrogea la Stevens.

La Scandinave hésita une nouvelle fois. Et si cet homme énigmatique n'avait été en réalité pourvu d'aucune réelle mauvaise intention ? Et si le fait de donner son nom pouvait lui causer des torts injustifiés ? Mais peut-être qu'il était tout de même coupable... Elle cracha le morceau.

- Il m'a dit s'appeler Lévine.

La réaction de l'auror fut à l'opposé de tout ce à quoi elle aurait pu s'attendre : elle arqua un sourcil puis esquissa un sourire. Elle connaissait cet homme, c'était évident. Savait-elle des choses le concernant qui pouvaient expliquer ce comportement ?

- Je vois, dit-elle simplement. Une fois rentrée chez vous, qu'avez-vous fait ?

Les sourcils d'Elvý s'étaient froncés. La Stevens ne pouvait pas balayer l'énigme de son sourire d'un simple « Je vois ». Elle devait lui expliquer, lui éclairer la situation. L'interrogée ignora la question qui lui était adressée pour en poser une autre à place :

- Vous le connaissez ?

- S'il s'agit de celui auquel je pense, répondit la femme, il s'agit d'un auror, mais je ne le connais pas personnellement. Donc. Pourriez-vous répondre à ma question, mademoiselle ?

Un auror ? Elvý voulut en savoir davantage mais le ton d'Aimee s'était ponctué d'un point sans détour. Alors, l'Islandaise se résigna à simplement hocher la tête. Puis, un air confus imprégna son visage.

- Pardon, quelle était la question déjà ?

- Une fois rentrée chez vous, qu'avez-vous fait ?

- Oh, euh, pas grand-chose. Je me suis plus ou moins endormie sur mon canapé.

Pour ne pas dire qu'elle avait laissé son corps et son esprit planer dans les effluves de cannabis. Elle ne crut pas non plus nécessaire d'évoquer le fait qu'elle avait accueilli et soigner Johann l'heure suivante : à quoi cela les avancerait ?

- Et bien, dans ce cas, je suppose que je peux vous libérer là-dessus, à moins que vous souhaitiez rajouter quelque chose ?

- Je n'ai rien à rajouter, non, Miss Stevens, lui sourit-elle.

- Je vous remercie de votre coopération, mademoiselle. Je vous raccompagne jusqu'à la sortie ou vous saurez retrouver votre chemin ?

- Je pense pouvoir le retrouver, merci, ria légèrement Elvý.  

Elle se leva pour rejoindre la sortie. Aimee l'imita, vint lui ouvrir la porte et lui tendit son autre main. Elvý l'empoigna et lui offrit un dernier sourire.

- Passez une belle journée et bon courage avec l'enquête. Au revoir.

-  Au revoir mademoiselle. Passez une agréable journée vous aussi.

Les craintes de l'amnésique s'évaporèrent dans les derniers reflets chauds du fard de l'inspectrice. Dans le couloir, elle respira amplement et se redirigea d'un pas léger vers l'Atrium. À l'approche de la somptueuse fontaine, elle vit un sorcier y jeter une Noise. Avait-il formulé un vœu ? Lorsque l'Islandaise se pencha à son tour au-dessus du bassin, elle pu contempler un millier de scintillement s'échappant de ses profondeurs. Alors, elle aussi décida d'y noyer une pièce en bronze. Mais que faire comme vœu ? Une volonté s'imposa naturellement à son esprit :

« Que la vérité émerge des abysses. »

Faisait-elle référence à l'enquête ? Au mystère entourant un fantôme du nom de Lévine ? Ou à tous les autres fantômes de son passé : sa vérité ?

Peu importait, elle ne voulait pas se pencher plus que cela sur cette pensée. Elle cristallisa son vœu au cœur de cette fontaine et laissa ses pas et son esprit vagabonder vers de nouveaux horizons.
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Elvý Njállsdóttir
Admin amnésique
Elvý Njállsdóttir

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All that remains is a silent call
Is the Earth colored red, as I land like a flower on the meadow ? It happened quiet - Aurora

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Sam 1 Mai 2021 - 17:15
❝ vérité brûlante, une réalité tranchante, surin se délectant de leur fiction... ❞
Les Interrogatoires de Novembre

Les Inscrits

Lancelot Shafiq était un homme grand, la stature relativement imposante, à la barbe parfaitement taillée et au regard fixe. Droit et fier dans ses bottes, il se dégageait de lui une assurance peu commune parmi les mortels. Une assurance, une aura qui lui avait valu un certaine réputation au fil du temps ; une assurance que son épouse, Alice, partageait également.

Et à son côté, malgré sa grande taille et sa posture tout aussi droite, Merlin avait la triste sensation de n'être qu'une ombre. Intérieurement, et ce bien que le début de mois lui était apparu assez doux contenu de ce qu'elle avait vécu, elle avait la désagréable impression de se liquéfier sur place. C'était l'un des plus pernicieux effets qu'avait les parents de la jeune femme sur elle : si elle faisait montre d'une parfaite aisance en milieu sociable, du moins habituellement, la venue de l'un des deux brisait cette réalité. Le stress et l'inconfort de se trouver face à son patriarche, de pouvoir être jugé par ce dernier pour de potentielles fautes, avait ce petit grain qui avait le don de terrifier la jeune femme.

Maintenant qu'elle avait pleinement pris conscience de son don de voyance, l'oniromancie comme du reste, elle allait devoir en parler ; connaissant son devoir envers sa Maison, elle n'avait nullement pour projet de cacher une telle information à son géniteur. L'interrogation qu'elle se posait dès lors était la suivante : croirait-il en sa version ou penserait-il à tort à une omission de la part de son aînée ? Si le questionnement pouvait paraître idiot, même à la principale concernée, elle gardait une certaine importance. Merlin acceptait les critiques et que l'on pût lui mettre sous les yeux certains de ses défauts, mais elle ne se considérait ni menteuse, ni hypocrite. Du moins, cela valait vis-à-vis des autres ; elle s'avouait sans mal qu'elle s'était, sans le vouloir, aveuglée et, par la même, menti à elle-même.

« Tu te souviens de ce qui a été décidé, Merlin ? »

Présent pour l'entretient de sa fille avec un auror, le père la força par sa question à revenir au présent. D'ici à quelques minutes, la porte du bureau de Dolorès Ombrage s'ouvrirait sur un illustre inconnu qui allait, d'après le Langue-de-Plomb, la passer au crible, elle et ses mots. C'était pour cette raison que, les quelques jours séparant la mésaventure de la cinquième année à cette nouvelle épreuve avait été mis à profit pour préparer son témoignage. L'aide de l'avocat des Shafiq, entretenant une correspondance abondante avec les deux membres qui seraient présents, avait été précieuse.  

« Oui, père, répliqua la demoiselle. Je réponds aux questions avec des phrases concises et j'évite de me perdre avec des élucubrations.
Avec des détails inutiles, oui, sauf ?, trancha Lancelot.
Sauf si les détails me paraissent utiles à la compréhension de la personne qui nous fera face. »

La satisfaction de son paternel, visible, soulagea la jeune femme. Elle sentait son cœur battre à vive-allure dans sa poitrine. Les sueurs froides qui coulaient le long de son dos n'avaient également rien d'agréables, mais elle se donna le courage nécessaire pour faire front en serrant le carnet à dessin enchanté qu'elle tenait contre sa poitrine. Le présent lui avait été offert par son père lui-même dès son arrivée quelques minutes plus tôt. Un moyen silencieux de lui certifier que sa mère et lui-même étaient de son côté et ne l'avaient pas oubliée. Habituellement, la jeune femme recevait son cadeau d'anniversaire durant les fêtes de Noël, dans l'optique de lui remettre en main propre comme le voulait les traditions Shafiq. L'entorse à celles-ci n'en était que plus parlante pour la jeune femme.

Ce fut avec cette pensée rassurante que la demoiselle releva la tête, soulageant son stress d'un soupir bienvenue ; un soupir à fendre l'âme. Ce fut à cet instant que le battant menant à l'antre de l'inquisitrice décida de s'ouvrir et le grincement des gongs fut comme une alarme retentissante à ses oreilles. La pression que l'adolescente ressentit dès lors, et bien que s'y étant attendue, lui donna la sensation de sombrer dans des profondeurs inexplorées. Elles en étaient telles qu'elle s'y perdit et ne réussit pas à faire un pas en avant. Elle ne s'y résolut qu'au contact de la main de son paternel sur son épaule l'enjoignant à la marche.

La décoration de mauvais goût du bureau donnait à l'endroit une ambiance oppressante et l'homme qui les accueillit, à l'apparence aussi austère que son visage était fermé et son regard strict, le plaçait immédiatement et irrémédiablement en position de force. Dans l'optique de s'offrir un semblant de contenance, la voyante s'attarda sur les rares objets déposés sur le meuble par l'officier. Un porte-document en cuir, parfaitement ordonné, un stylo à plume – la demoiselle en fut surprise, l'objet étant initialement moldu, connaissance acquise à l'aide de sa relation amical avec Kyle Porter. Enfin, et pour terminer, une plaque portant son nom : Charles Clifton.  

Ce fut sans plus de cérémonie que, d'un geste, l'homme invita ses invités forcés à s'installer sur les deux fauteuils face au sien. Dans un même temps, il lança les hostilités.

« Bonjour, Monsieur et Miss Shafiq. Prenez place et commençons dès à présent. Son ton froid obligea la jeune femme à imaginer Rogue en face d'elle pendant une demi-seconde, la faisant déglutir. Miss, vous avez donc assisté à la soirée d'Halloween à Pré-au-Lard le mardi 31 octobre. Avez-vous relevé quelque chose de suspect ou d'étrange durant le déroulement de cette fête ? Avant que les lumières ne s'éclipsent, bien entendu. »

Sans lui laisser le temps de répliquer, ce fut son père qui reprit. Lancelot n'était pas homme à apprécier le manque de politesse, que ce fut durant un entretien à caractère privé ou officiel dans le cadre d'une enquête et, d'un signe de tête polit, tout en prenant place, il le fit.

« Bonjour inspecteur.
Bonjour monsieur. », suivit la seule femme.

Elle n'avait nullement besoin de son don pour comprendre qu'elle avait tout intérêt à imiter son père si elle ne désirait pas s'attirer ses foudres. Après son salut rapide, elle s'installa à la gauche de ce dernier, et seulement quand il lui fit un signe, discret, l'y invitant. Une fois assise, ne pouvant s'empêcher de triturer ses mains moites, elle chercha à répliquer avec plus d'aplombs. Il était grand temps d'entrer véritablement en scène.

« Pas vraiment, avoua-t-elle. J'ai passé le plus clair de ma soirée en compagnie d'un de vos collègues. Un certain Stanislas. »

Un certain Stanislas dont elle ne connaissait malheureusement pas le nom. Elle savait toutefois que Lévine Serger était son binôme... Un binôme qui, encore aujourd'hui, pouvait lui donner des sueurs froides, mais paradoxalement l'attirer comme un papillon l'était par la lueur et la chaleur d'un feu...

« Stanislas Ibranovitch, c'est bien cela ? », questionna l'auror en remontant le coin de ses lunettes.

Merlin eut l'envie de hausser les épaules, mais eut la délicate attention de s'abstenir. À la place, elle formula l'une de ses pensées précédentes.

« Je ne connais pas son nom. Il est un peu plus grand que moi, brun, avec les yeux bleus. »

Elle avait passé suffisamment de temps avec lui pour pouvoir le décrire sommairement sans problème. Elle n'eut néanmoins pas le temps de l'expliquer que le chasseur de mage noir reprenait.

« Cela correspond en effet au profil de mon collègue. Passiez-vous la soirée en sa compagnie pour une raison particulière ayant trait à ses fonctions d'Auror ?, demanda-t-il d'emblée.
Non, pas que je sache. »

Réponse concise, sans élucubrations, se répéta mentalement la noble pour ne pas commettre d'impair.

« Bien. Étiez-vous encore en sa présence au moment où la salle s'est assombrie ? »

Merlin secoua lentement la tête en signe de négation. À ce moment-là, ils s'étaient déjà séparé et elle ne savait pas où il se trouvait.

« Non. Je me trouvais avec des camarades plus jeunes. »

Elle ne se vit pas avouer qu'il s'agissait de l'une de ses protégés, qu'elle avait prise sous son aile au Club de Duel, ainsi que d'un ami à la seconde année. Elle ne s'entendait néanmoins pas à l'interrogation suivante, preuve que la Serdaigle avait bien des progrès à faire en terme d'enquêtes.

« Avez-vous leurs noms ?
Jules Murphy et Ariel Melwing. »

Quelques recherches de son père suffirait à savoir qui pouvaient être les deux personnes susnommées. Le fait que son géniteur fut quelqu'un d'ouvert d'esprit était cependant rassurant ; il savait bien que Morgane passait le plus clair de son temps avec une née-moldue et une sang-mêlée et il n'en disait rien. L'auror, pour sa part, ouvrit son porte-document et attrapa sa plume pour écrire quelque chose que l'interrogée ne pouvait voir.

« Bien. Après le rétablissement des lumières, avez-vous aperçu un élément suspect ?
Non, répliqua immédiatement la cinquième année. J'avais plus pour projet de retrouver mon frère, à ce moment, plutôt que d'enquêter. »

Lancelot redressa légèrement la tête en tournant un regard approbateur vers Merlin, que celle-ci capta à l'aide d'un reflet. Il ne fit néanmoins aucun commentaire oral, laissant l'employé ministériel poursuivre son œuvre. Celui remonta, une nouvelle fois, ses lunettes sur son nez ; le tic était insupportable, mais la jeune femme s'enjoignit à la patience.

« Et l'avez-vous retrouvé ?
Oui, répliqua la jeune femme.
Avez-vous rejoint ensemble le cortège retournant vers Poudlard ?, demanda l'homme du tac au tac.
Oui, répéta la sorcière, avec deux de ses amis et certains des miens.
Durant le trajet, poursuivit l'auror en accélérant encore la cadence, avez-vous remarqué quelque chose susceptible d'être notée ? »

Là, Merlin fit une pause, relevant son regard vers la fenêtre. Elle crut y voir un harfang, posé sur un arbre, qui fixait dans sa direction. Excalibur souhaitait-il lui donner de son courage ? L'idée amena la demoiselle à reprendre un peu plus d'assurance et, après quelques secondes de réflexion, elle reprit son récit.

« Plusieurs. Il y avait un dôme anti-transplanage qui avait été posé sur l'intégralité du village. C'est une femme qui avait prévenu les habitants à l'aide d'un sonorus. Elle avait un accent, mais je ne saurais dire de quel pays. »

La conteuse s'arrêta un instant et ferma les yeux, cherchant à fouiller sa mémoire.

« Ensuite, il y eut un pericullum et le professeur McGonagall nous prévint que des personnes compétentes allaient se rendre sur place et que nous devions continuer. »

D'une main pensive, elle vint caresser son menton, ses sourcils s'arquant sous le coût de la concentration. Était-ce réellement une information pertinente ? C'était difficile de le deviner, mais elle ne pouvait pas le cacher, même si le quarantenaire en face d'elle la prenait ensuite pour une folle – c'était, du moins, ce qu'elle se répéta pour s'en convaincre.

« Et bien avant ça, bien avant le début, durant le premier trajet, j'ai eu une vision en regardant Sessho Shinmen... »

Lancelot arqua un sourcil vers sa progéniture, mais il ne souhaita pas l'interrompre.

« J'ai vu un visage de clown quand je l'ai regardé, mais je ne sais pas si c'est vraiment une information pertinente. »

Si trouble il y eut de la part de l'enquêteur, rien dans son attitude ne changeant, ne permettant pas de le prédire.

« Une vision, dîtes-vous ? D'une nature prophétique ? Vous possédez donc un don de voyance ? »

Merlin, n'osant pas l'affirmer de vive-voix, se contenta d'un acquiescement lent, avant de poursuivre.

« C'était vers lui que je regardais, et si je n'y ai pas vraiment fait attention quand la vision m'est apparue, je doute que ce soit une coïncidence en sachant qu'il a disparu et a été blessé ce soir-là. »

Sans remettre en doute sa parole, le fonctionnaire prit de nouvelles notes, avant de braquer son regard dans le sien pour un nouvel échange.

« En avez-vous eu d'autres au cours de la soirée, ou bien fusse la seule ?
Sur le retour. J'ai vu... », répliqua la demoiselle, mais elle s'arrêta un instant.

L'image était encore fraiche dans son esprit. Ce n'était pas de ses rêves étranges qu'elle se devait de noter pour s'en souvenir. C'était presque tangible. Les sons, l'odeur, et si elle s'était risquée à tendre la main, elle était presque persuadée qu'elle aurait pu la toucher.

« Une table en métal avec des chaînes, une table de torture, reprit-elle en forçant pour rester neutre. Il y avait du sang qui gouttait sur le sol.
Je vois. »

De nouveau, le stylo à plume gratta le parchemin, sans laisser l'opportunité à la jeune femme de voir les écrits.

« Où étiez-vous lorsque le convois s'est retrouvé à l'arrêt et avez-vous aperçu ou entendu quoi que ce soit pouvant le justifier ? »

Le changement presque brutal du sujet surprit la noble, mais elle garda un semblant de neutralité, ne souhaitant le faire remarquer.

« C'était sur le chemin qui traverse la forêt vers les grilles de Poudlard. J'étais à l'arrière, donc je n'ai pas pu voir pourquoi nous nous arrêtions.
Que s'est-il passé ensuite ? »

La stupeur. Les cris. Les bousculades. Les éclairs qui zébraient le ciel et la terre. Les adultes en rempart et les adolescents en fuite dans la forêt. Les souvenirs se mélangèrent, s'étirèrent et ce fut avec une certaine brusquerie, pour se forcer à garder la tête sur les épaules, que Merlin affirma la suite des événements.

« Un grand nombre de sortilèges ont visé le convoi sans distinction entre les élèves et les adultes présents et ça a été le chaos le plus total.
Avez-vous pu distinguer les assaillants ?, poursuivit l'homme sans s'émouvoir.
Non, ils étaient cachés par la forêt, mais ils étaient tous à droite, expliqua-t-elle en réponse. Il est clair qu'ils voulaient nous attirer à gauche, ce qui a parfaitement fonctionné. C'était le seul repli possible et la majorité du convoi a suivi. Je n'ai pas fait exception, d'autant plus que je voulais mettre un élève qui avait subi un sortilège à l'abri ; il risquait de se faire piétiner.
Et Morgane ? », la questionna Lancelot dans la foulée, sans laisser le temps à l'interrogateur de continuer sa mission.

Merlin ferma les yeux un instant, avant de tourner ses iris dans ceux de son père. Elle n'y lut aucune déception, seulement une curiosité pressente.

« Il était avec Hestia et Flora, lui avoua-t-elle pour le rassurer, je n'avais aucune crainte à avoir pour lui. »

Lancelot acquiesça, avant de se retourner de nouveau vers Clifton.

« Veuillez m'excuser pour cette interruption, offrit-il, vous pouvez reprendre. »

L'homme hocha la tête et fit exactement ce qui était attendue de lui.

« Quel était cet élève et de quel sortilège a-t-il été victime ?
Ariel Melwing. Vu sa position, je dirais un maléfice du saucisson. »

Et elle avait raté le contre-sort le plus basique qui existait pour l'en libérer, mais elle préféra taire cette information. Elle était l'une des meilleures élèves de son année, mais elle avait saisi ce jour-ci le faussé qui séparait une salle de classe sécurisée où elle était à son aise à la dure réalité de l'extérieur.

« Avez-vous donc pu l'amener à l'abri comme vous le souhaitiez ?, questionna le chasseur. Je vous laisse me dérouler la suite des événements. »

Merlin acquiesça, mais le geste ne suivait pas les dires suivants qu'elle prononça.

« Pas vraiment. Je pense que, en définitive, il aurait été plus en sécurité là où il était initialement. Quand le sort a arrêté de faire effet sur lui, nous nous étions dirigé vers une clairière. D'autres élèves nous avaient rejoints, mais je ne connais pas leurs parcours. Là, deux individus nous ont pris de court. Un homme et une femme, vêtus comme les mangemorts de la première guerre. La femme ne parlaient pas et l'homme nous a demandé de les faire rentrer dans Poudlard. »

De nouveau, son regard fut attiré par l'oiseau, qui se révéla être véritablement de l'espèce de son hibou. S'agissait-il réellement d'Excalibur, ou était-ce Hedwige, celle de Potter ? Sans réponse, elle revint à l'interrogatoire.

« La manière dont il le demandait ne laissait pas de doute qu'en à ses intentions s'il nous prenait l'envie de refuser. J'ai voulu parlementer, mais je n'en ai pas vraiment eu le temps. »

Son soupir fut accompagné par la voix de l'inspecteur qui, pendant le récit, avait pris soin de retranscrire ses dires – du moins, là était la croyance de la jeune femme.

« Bien. Si vous ne connaissez pas le parcours des autres élèves présents, êtes-vous au fait de leurs noms ?
Azalée Winchester, Jules Murphy, Neïa Sërindë et Oscar Clark. », soupira la jeune femme.

Elle avait une excellente mémoire des visages et des noms, ce qui était bien pratique avec le nombre de relations qu'elle entretenait à Poudlard. Une des leçons de son mentor, tout comme elle l'avait déjà entendu par son père, était que si les amis se comptaient sur les doigts d'une seule main, il était possible de se faire de nombreux alliés sur les bancs de l'école.

« Et qu'est-ce qui vous a coupé dans votre tentative de négociation avec l'homme et la femme présents ?, reprit l'auror, sans se douter des pensées de son vis-à-vis.
Neïa a lancé un enchantement qui a créé une barrière de feuilles mortes entre eux et nous. Puis la femme a lancé un impero sur Neïa – je ne sais pas comment elle a réussi à la viser – pour lui ordonner de... Se frapper la tête contre le sol ? Je ne sais pas trop, mais l'enchantement a disparu. »

À ses côtés, son père s'était tendue et avait l'air de plus en plus pensif. En miroir, l'auror plissa les yeux dans sa direction. Merlin s'y attendait : il allait remettre en cause sa parole.

« Avez-vous nettement entendu sa formule pour pouvoir affirmer que cet impardonnable ait été lancé ?
Oui, siffla l'adolescente sans le vouloir. Impero est bien la formule, non ?
C'est exact. »

Sans prendre ombrage de son ton, l'homme se remit à écrire, tout en poursuivant l'échange.

« Donc, vous l'avez entendu, dit-il, avant de relever ses yeux vers elle. Et ensuite ? L'un de vous a-t-il essayé de riposter ? L'homme a-t-il attaqué simultanément à sa partenaire ?
Azalée Winchester a tenté de l'attaquer avec un bâton, soupira la demoiselle, laissant comprendre la folie téméraire d'un tel geste au travers de son timbre de voix. La femme n'a eu aucun mal à la maîtriser en quelques secondes et lui a fait comprendre qu'elle n'avait aucune chance. J'ai voulu la repousser et la désarmer d'un même sort avec un maléfice de désarmement, mais... »

De nouveau, les images se succédèrent, dansèrent devant ses yeux, remplaçant le décor affreux du bureau de son professeur de défense. Elle revint à elle après un temps de silence.

« Elle est arrivée à dévier mon sort avec sa propre baguette. Je n'avais jamais vu ça avant. »

Un peu hésitante sur la suite, à savoir son propre sort, elle préféra se taire. Elle espéra secrètement que l'homme ne chercherait pas à savoir, bien qu'elle se doutait déjà que son souhait ne se réaliserait pas. L'employé ministériel reprit ses écrits et entoura certains endroits, avant de relever le menton vers la jeune femme.

« Il s'agit d'une parade souvent employée par les duellistes ou les membres de la sécurité sorcière. Auror. Police magique. Tireur d'élite. »

L'information, à savoir que la femme qu'elle avait affronté était peut-être membre de l'une de ces castes, n'entra pas dans l'oreille d'une sourde. Elle avait sa petite idée en tête pour la retrouver, autant pour comprendre que par fierté, mais elle ne laissa rien transparaître.

« Après avoir maîtrisé votre camarade, et votre tentative d'attaque, a-t-elle attenté à votre intégrité par la suite ? »

Si Merlin s'en était doutée, devoir livrer l'information était plus dure qu'escomptée. Elle n'avait rien dit à sa famille ou ses proches, ne souhaitant pas les inquiéter et les seuls à savoir étaient ceux présents dans la forêt ce jour-ci. Elle dut néanmoins se résoudre face au regard inquisiteur et hocha la tête.

« Oui. Elle..., commença-t-elle, avant de lancer une rapide œillade vers Lancelot, l'air contrit, avant de fermer les yeux. Elle m'a lancé un doloris. »

La douleur insupportable avait laissé un souvenir amer et un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Elle avait eu la sensation de brûler de l'intérieur, que sa peau se faisaient lacérer de toute part, que sa tête allait exploser... Et cette description mentale n'était en réalité qu'un avant-goût de la vérité qu'elle ne pouvait tout bonnement pas retranscrire véritablement.

« Un…? Pardon ?! », entendit-elle la voix de son père, choquée, mais lointaine.

Ce fut la question de l'auror qui la ramena brusquement à la réalité.

« Un Doloris, donc. Avez-vous, encore une fois, entendu clairement la formule être prononcée ? »

Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent sous l'émotion. Dans un tic totalement incontrôlable, geste inconscient réalisé durant sa torture, elle plia et déplia ses doigts à multiples reprises. C'était comme si, avec la force du désespoir, elle cherchait un moyen de se raccrocher à quelque chose.

« Oui !, grinça-t-elle entre ses dents serrées, oubliant toute retenue. Je l'ai entendu ! Et vous savez quoi ? La seconde suivante était, paradoxalement, la seconde la plus longue et la plus courte de toute ma vie ! Vous avez déjà subi un doloris ? Si c'est le cas, vous ne devriez pas poser cette question, parce que vous savez que je n'avais pas besoin d'entendre la formule pour savoir ce que je subissais. »

Désireuse de se calmer, la demoiselle chercha un instant l'oiseau du regard, pour se rendre compte qu'il n'était plus présent. Ses paupières se baissèrent et, dans l'obscurité relative, elle put se concentrer sur les battements de son cœur dans un premier temps. La main, en guise de soutien silencieux, que son père déposa sur son épaule fit le reste.

Sa rancœur envers l'homme en face d'elle était loin d'avoir disparue – et allait prochainement être alimentée par ses mots – mais elle parvint à s’exhorter au calme.

« Sachez que plusieurs sortilèges permettent d'imiter cet impardonnable. Croyez-bien que la magie noire recèle bien des substituts moins condamnables sur le papier. »

Merlin en connaissait un rayon sur la magie noire, ne serait-ce que parce qu'elle s'était montrée bien trop curieuse pour son propre bien. Peut-être avait-il raison, peut-être pas, mais la demoiselle s'enferma dans une bulle de déni vis-à-vis de ces dires. Elle n'avait pas connaissance de tels sortilèges. La plupart laissait des traces physiques, visibles sur les sorciers les subissant et c'était parce que l'endoloris n’atteignait que l'esprit, pouvant amener jusqu'à la folie, qu'il était devenu un impardonnable. La seule trace était psychologique, contrairement à la plupart des autres maléfices qu'elle avait découverts durant ses recherches.

Si elle eut envie de lui hurler au visage, elle parvint à se retenir. Avouer en connaître bien plus qu'elle ne le devait sur les pratiques interdites risquait de la mettre dans une très mauvaise position, autant envers le sans-cœur qui lui faisait face que son propre père. Avec une touche d'humour macabre, le destin lui permit de garder cela pour elle... Avec l'aide dudit sans-cœur qui ne lui laissa pas le temps de répliquer.

« Bien. Comment avez-vous pu vous extraire de l'emprise du maléfice ? »

Comprenant qu'elle avait tout intérêt à se calmer, Merlin prit le temps de s'isoler mentalement comme elle avait appris à le faire. De cette façon, elle put souffler un instant, avant de se propulser de nouveau face à cet homme qui, à ses yeux, méritait bien un cognard sur ses lunettes ridicules. L'image eut, au moins, le bénéfice de la rendre plus sereine et ce fut avec un rictus n'atteignant nullement son regard qu'elle répliqua.

« Je n'ai rien eu à faire, vu qu'Alastor Maugrey et Rémus Lupin étaient là pour nous sauver et faire fuir nos assaillants, après quoi ils nous ont ramenés à Poudlard. »

Le sous-entendu était loin d'être subtiles et c'était parfaitement voulu de sa part. L'homme n'eut pas l'air de le remarquer et continua sa prise de notes.

« Et de quelle façon ont-ils fait fuir vos assaillants ? »

Il est sérieux ?, se demanda un instant l'adolescente, avant de comprendre que c'était bien le cas. Elle se fit la réflexion, à cet instant, qu'il n'avait jamais été victime de l'impardonnable. Si cela avait été le cas, nul doute qu'il aurait su d'avance que sa question était inutile. Toujours avec son rictus, Merlin offrit sa réponse.

« Aucune idée, je n'étais pas vraiment en état pour admirer la manière utilisée pour y parvenir. Quand j'ai pu revenir à moi, nos assaillants n'étaient plus là.
D'autres de vos camarades avaient-ils une quelconque blessure, lorsque vous avez pu retrouver un peu vos esprits ? »

De nouveau, pendant une seconde, Merlin se demanda si c'était une vaste blague. Avait-il écouté son récit ou avait-il joué aux mots croisés durant tout l'entretient ?

« Neïa, soupira l'adolescente en guise de rappel, qui s'est blessée à la tête après que l'Impero ait été lancé.
Personne hormis vous deux, donc. Avez-vous quelque chose à ajouter ou peut-on clore cet entretien ici ? »

Elle avait tout sauf envie de passer une seconde de plus dans ce bureau affreux avec cette personne ignoble. Peut-être avait-elle omis certains détails, mais dans l'instant, elle ne le remarqua pas.

« Nous pouvons le clore. Bonne journée. »

Sans plus de cérémonie, et sans attendre une quelconque réponse, la sorcière se redressa et se dirigea vers la sortie à grandes enjambées.

« Mr. Clifton, entendit-elle, la voix de son père lui parvenant à peine.
Bonne journée, au revoir. », fit celle plus froide de leur ancien interlocuteur.

La porte se claqua derrière le patriarche des Shafiq et ce dernier dut accélérer le pas pour rattraper sa fille. Celle-ci, ayant pris de l'avance, se dirigeait déjà vers la salle du duel. Il fallait qu'elle extériorisât l’amas d'émotions qui bouillonnait à présent en elle ; émotions qui, maintenant que la pression était retombée, ressortaient avec la violence d'un ouragan.

Ce fut une main large, attrapant son avant-bras, qui la força à faire volte-face. Elle braqua ses iris humides dans ceux, compatissants, de son chef de famille. Pendant un instant, l'homme n'avait plus rien de majestueux, comme si un poids immense venait de s'abattre sur ses épaules ; un instant seulement, avant qu'il ne reprenne son cachet perpétuel, si bien que sa fille crut avoir rêvé.

« Il te faut parler, Merlin. », dit-il avec plus de souplesse dans la voix qu'à son habitude.

Cette dernière saisit sans mal le non-dit et secoua violemment la tête. Il était hors de question, pour elle, de se retrouver face à l'un de ces médicomages spécialisés dans les maux mentaux. Elle n'était pas l'une de ces aliénées enfermées à Sainte Mangouste.

« Je sais ce que tu traverses pour l'avoir moi-même traversé par le passé, ma chérie, reprit-il plus bas, tout en s'assurant que personne n'était autour d'eux pour entendre leur conversation. Je sais que tu te crois responsable et que son attitude ne va que renforcer ce sentiment. »

Merlin s'apprêta à répliquer, mais il la coupa d'un geste impérieux.

« Tu penses que c'est de ta faute, mais ce n'est pas le cas. Ce n'est pas normal que tu crois ça. Je vais voir ton directeur de maison pour que tu puisses voir un psychomage. »

De nouveau, Merlin secoua la tête. La terreur d'être prise pour une folle devait pouvoir se lire sur son visage, car Lancelot la prit par les épaules, braquant son regard dans le sien.

« Tu es ma fille et je sais que tu n'es pas responsable. Je dois te le faire comprendre. Je dois faire en sorte que tu vois cette personne, qui m'a aidé par le passé, pour que tu te rendes compte que tu es une victime Merlin. »

Ce fut avec un certain découragement que ladite fille finit par accepter. Elle savait que son père ne la lâcherait pas.

« Mais les autres...
Les autres n'ont pas à le savoir et s'ils l'apprennent, d'une façon ou d'une autre, ne te préoccupe pas, jamais, de ce qu'ils pensent de toi.
Ils vont penser que je suis folle... »

Avec un sourire triste, Lancelot rapprocha son front de celui de son aînée.

« Tu n'es pas folle Merlin et s'ils pensent ça de toi, c'est qu'ils ne te connaissent pas. »

Suite à l'échange, le patriarche Shafiq amena sa descendante jusqu'au bureau du professeur Flitwick...

Bien plus tard dans la soirée, durant le repas, un majestueux grand-duc vint s'installer devant son assiette. La demoiselle l'avait à peine entamée. Après lecture, elle apprit qu'il s'agissait d'une missive de son père lui certifiant avoir fait tout le nécessaire. Elle eut envie de la déchirer sur-le-champ, l'impression d'être dévisagée depuis son entretien n'aidant nullement à calmer sa pulsion. Ce fut une seconde missive, plus courte, avec l'écriture de sa mère, qui retint son geste. Comme à chaque fois, durant leurs rares échanges, la sagesse d'Alice trouvait un écho chez elle.

Ma chérie,

Ta valeur ne se mesure pas à la perception qu'en ont les autres. Elle réside dans ta personnalité, ta sagesse, ta créativité, ton courage, ton indépendance et ta maturité. Tu es parfaite comme tu es. Tu dois seulement devoir apprendre à ne pas forcément correspondre à ce qu'attendent les gens, ne pas toujours te conformer à leurs critères, leurs valeurs, leurs attentes, mais que tu oses afficher ta différence, parfois même si elle les dérange. Lâche prise sur l'image que tu souhaites offrir aux autres et apprends à ne pas te soucier de ce qu'ils pensent de toi.

Ta mère qui t'aime.


Merlin
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Dim 2 Mai 2021 - 12:12


Interrogatoire de Novembre
Jeudi 16 Novembre.
La salle était grande, d'une quinzaine de carrés sur dix. Un cube sinistre, d'un gris terne du sol au plafond, se détachant d'un décor semi-victorien. Le commissariat du centre portait encore les traces du mythe d'un détective à la casquette et son héritage pesait sur les épaules des fourmis en noire serpentant entre des bureaux aux pyramides de papiers. Les couloirs étaient bondés. La foule s'entassait jusqu'aux plaintes et le carrelage était aussi inconfortable que des bancs de bois toujours occupés. Pourtant, il n'entendait rien. Pas un cri. Pas un souffle. Pas un rire. Seulement sa propre respiration dans l'écho d'une salle vide. Les jambes pendantes, il triturait ses doigts par-dessus le coton de sa chemise trop grande. Dans son short et ses hautes chaussettes, il ressemblait à l'un de ses écoliers de pensionnats privés, ou de ses fils de riches descendant à la capitale. Ils n'avaient eu que ça à lui donner, avaient-ils dit. La table lui arrivait au torse, et devant lui, long comme le mur, un miroir le narguait d'un reflet maladif, tiré par l'angoisse et la fatigue. Un gamin pâlot écrasé par le poids des mensonges et des non-dits. Un garçon se sentant minuscule sous la lueur fade d'un lugubre luminaire.

***

Le dos droit, Lévine scrutait ses traits sur la vitre sans teint. Il l'avait craint. Une fois ou deux. Ses cernes s'étaient tarit d'une nuit presque complète, bien que la rougeur autour de ses amandes ne laissaient aucun doute. Il dormait peu. Trop peu. La courbure de sa mâchoire était encadrée du col haut d'une veste lui arrivant aux chevilles, léchant les mèches encore humides d'une triste averse londonienne. Ponctuel, il était sans doute un peu en avance. Un coup d’œil à sa montre le contredit. 8h02. Il était à l'heure. C'était l'interrogateur qui était en retard.  Ses jambes se croisèrent de dépit, contraint et forcé de s'épuiser dans un silence de plomb. Il se sentait observé. Comme toutes ses fois où il était obligé de mettre les pieds dans cet alignement de cellules copiées-collées. Une surface égale, pour un mobilier tout aussi aseptisé que tout le reste. C'était comme plonger dans une cave froide et austère, où de sous sa chaise, pouvait émerger un attirail de torture.

Dans son dos, la porte claqua, et de lourdes enjambées accompagnèrent Hank Penley. Un homme bedonnant dans un uniforme dépassé et mal taillé, antipathique dans une démarche bancale, et dans sa barbe négligée. Le stéréotype du flic s'enfilant un paquet de cigarettes bon marché la journée et buvant de tout son soûl en s'affalant dans son canapé le soir. Un enquêteur se salissant les mains dans des affaires sordides. Il ne pouvait lui enlever cela. Ce caché d'un temps révolu, où les inspecteurs rôdaient de scène de crime en scène de crime, plutôt que de crouler sous une paperasse inutile. Ses épaules rectangulaires lui rappelèrent celles d'un autre homme. Plus maigre. Plus effilé dans son costume trop ample, et à l'intégrité étincelante dans le regard, comme une petite flamme de justice que l'on ne pouvait éteindre complètement. William Serger était un bon gars. De ceux que l'on ne rencontre qu'une fois. Qui nous marque et qui nous fait croire à l'exception d'un cadre pourrit jusqu'à l'os.

Les pieds de la chaise grincèrent et ses dents firent de même dans son sourire crispé. Poli. Aimable. Cordial.

« Tiens donc, l'Serger. », le salua son collègue, les mots mâchés.

Qu'il détestait ça.

« Penley. », répondit-il sobrement.

« Bon, j'pense que j'ai pas b'soin de te d'mander ta profession, hein ? », non, ce n'est pas utile, se reteint-il de rétorquer avec cynisme. « Allez, on va pas tourner mille ans autour du pot : qu'est-ce tu foutais à c'te soirée organisée par des gamins et avec qui t'y étais ? »

Silencieusement, il le remercia de ne pas s'attarder sur des formalités, pour directement en venir au sujet de sa convocation. Il n'avait pas de temps à perdre. Ni d'énergie. Ni de salive. Que l'on en finisse vite, souhaita-t-il en roulant des épaules pour mieux s'exprimer d'un ton affable.

« J'y étais avec mon binôme, Stanislas Ibranovitch, pour recueillir des preuves sur une enquête en cours. Une série de disparitions et de meurtres dont certains corps ont été retrouvés près des Trois-Balais. », c'était clair, concis. Rien de plus, rien de moins.

« Et y'a un rapport qui peut prouver c'que tu m'racontes ? », ouvrant son carnet, il suspendit sa plume au-dessus d'une page aux coins jaunis par le tabac et la saleté. Dégoûtant, lui souffla malicieusement sa maniaquerie. Nerveusement, il inclina ses pupilles de biais. Ne pas y penser, se raisonna-t-il. Ne pas y penser.

Il inspira. Ne pas y penser. Méthodique, il consulta la référence dans sa mémoire. Rayon C, alignement 15. Le dossier avait été rédigé par ses soins. Un Mardi. Complété de nouvelles découvertes. D'une photographie animée d'un matin pluvieux, sur la silhouette écharpée d'une virtuose. D'une sculpture de chair sur une fontaine à l'abandon. Ou d'un envol de l'aigle sur le talus d'un parc peu fréquenté. Des pages d'horreur. Des lignes de descriptions dansant encore sous ses paupières, lui mettant les bottes au jour j des mois plus tard. Un spectacle donnant des sueurs froides. Il avait vu pire. Il avait connu pire.

« Bien sûr. Le numéro de référence est : 15544C, tu pourras le trouver aux archives pour le consulter. »

Penley en sembla satisfait. Ça finirait plus vite.

« Ça marche. T'as r'marqué des trucs ou des gars louches, du coup, à c'te soirée ? »

Il n'y a que ça, siffla sa pensée.

« Et bien difficile à dire, choisit-il de formuler, après tout, tous portaient des déguisements. En revanche... », il marqua une pause, pour fouiller dans la poche intérieure de sa veste. Ses ongles accrochèrent d'abord le lisse d'un anneau, avant de se saisir d'une feuille impeccablement pliée en deux. De l'index, il la fit glisser jusqu'à son interlocuteur.

« Je t'en ai fait une liste non exhaustive. Si le suspect se trouve sur celle-ci, et il était probable que ce soit le cas, en regroupant les signalements possibles par l'intermédiaire des différents témoins, vous pourrez en faire une traçabilité auprès des habitants du village et avoir une vague idée de son itinéraire. »

Du billywig, en passant par la monstruosité à la bouche déchirée, il n'avait rien omit. Ni la sœur démoniaque ou le vampire magnétique. Il avait écouté. Il avait observé. Il prêtait oreille aux rumeurs, aux murmures enflant hors des salles de confession. Certains ne prenaient pas la peine de baisser la voix, de se montrer discrets. Alors les on dit parvenaient à lui, et chevauchaient ses hypothèses pour former des conclusions. Et du farfelu faisait naître une certitude. Si bien qu'il avait pris la liberté de souligner un accoutrement d'une fine ligne, celui concluant son énumération détaillée : Le clown.

Le plus vieux s'en empara et la survola mécaniquement. Son café sentait le goudron. Un fond de filtre serré sans sucre. Il en avait cruellement envie. Bordel.

« J'te r'mercie. », mais de rien, j'adore vous faciliter le travail, son esquisse, elle, se fit simplement plus large. « Tiens, quitte à avoir tout prévu à l'avance, t'aurais pas aussi une ptite liste des personnes hors Poudlard qu'étaient présentes ? »

Et avec ça, tu veux le cul de la crémière, Penley ?

« J'me doute bien qu'tu connais pas tout Pré-au-Lard et ses alentours, mais si jamais t'as reconnu quelques types, qu'on puisse aussi les interroger. De fil en aiguille on tombera ptet sur les coupables. M'enfin, tu connais l'métier. »

Il le connaissait. Plutôt bien. Son index quitta sa poigne sur ses cuisses, pour rejoindre la surface d'acier, et y tracer des cercles distraits. Il se refit le déroulement d'une soirée trop longue. De leur arrivée aux lumières éteintes. D'une danse à la course dans les ruelles. D'une paire rougeoyante à l'explosion.

« Delyla Gavril, elle est couturière auprès de Madame Guipure au Chemin de Traverse. », il s'était renseigné. Après le bar. Après le vert. Après un moment d'égarement. Son majeur se déploya pour former un deux. « Andrée de Kerimel, potioniste indépendante, qui est employée à la boutique de l'Apothicaire de Pré-au-Lard. Elle n'était pas présente durant les festivités, mais a été sur les lieux par la suite. », sans plus détailler pour semer le doute sur une alliée détestable, il s'attarda sur une cape volatile et les rubis d'un maigre espoir qui lui tordit l'estomac.

« Une certaine Elvy, dont je n'ai malheureusement pas le nom de famille. En revanche, je peux t'affirmer qu'elle entretient un lien avec Johann Kayser. Lequel ? Je l'ignore. », une amie proche. Ou plus. Il s'en fichait.

« Cébren Gallagher, déjà connu de nos services, tu pourras d'ailleurs trouvé son dossier aux archives, il possède déjà un rapport complet de la Police Magique. Il est peu probable qu'il soit coupable, ayant rejoint les lieux plus tard. », instinctivement, il le défendait. Un peu. « Pour le reste, je pourrais te citer : Johann Kayser, Yoan Wyatt, Onixya Wintersong, qui quant à eux, font partie du personnel de Poudlard. », à mesure de son énumération, il forma une main complète, tenant les comptes plus pour lui-même en vue de ne rien oublier dans un souci de perfectionnisme, que pour le pauvre bougre qui peinait à suivre son rythme.

« Mollo, ralenti un peu. », le conforta dans ce fait. Peut-être qu'il finirait avec une crampe. Dans un bon jour, il espaça ses informations. Il mit une trentaine de secondes avant de jeter sa plume sur le côté, pour mieux chercher un vieil étui à cigarettes de sa poche de chemise. La fumée était âcre. Entêtante. « Ça c'est l'genre d'entretien efficace que j'aime. », tu m'étonnes, ponctua son sourire. Il avait envie de fumer. Il amena sa main à son oreille droite où il coinçait toujours un tube de tabac. Une habitude. Un tic. Entre le majeur et l'index, il le fit danser. Il devait se détendre.

« Je peux ? », prit-il la peine de demander, l'interrompant un moment. Son mouvement de main désintéressé fut une réponse en soi.

« Bon. Qu'est-ce qu'tu peux me dire sur l'extinction des lumières ? T'as l'heure ou un indice sur comment tout ce merdier est arrivé ? »

Lévine posa les coudes sur la table, tapotant de l'ongle sur sa tempe. Il devait être précis. Ordonné.

« Les lumières ont été soufflées d'un sortilège. Un voile de magie noire les maintenant éteintes jusqu'à son levé. », il marqua une pause pensive, remontant le courant des événements. Le noir. Les faibles lueurs. Il devait voir plus loin.  

« Je peux t'affirmer que son lanceur était à l'intérieur de la pièce pour qu'il soit aussi efficace et nous contraigne à son annulation plusieurs minutes. », le souffre avait envahi l'espace. Comme un halo. Il avait senti cet aura. La satisfaction. L’excitation. Il avait été attiré. Comme un limier fou. Comme un taré sur les traces d'un autre.

« Pour l'heure, je te donne une fourchette. Il était entre vingt-une heure trente et vingt-deux heures. », de ce qu'il en savait. Il n'avait pas eu le nez sur sa montre tout le long de la soirée. Si seulement.

« D'la magie noire. Plusieurs minutes, tu m'disais ? », rebondit aussitôt Penley. « Vous étiez combien pour contrer la malédiction, t'sais ? », sans attendre sa réponse, il enchaîna, la clope au bec. « Et avant qu'ça tombe, t'as vu personne baguette à la main ? »

Si je l'avais vu, il serait enfermé, tocard. Le filtre enlaça ses dents et le bout s'incendia d'un claquement de doigts affirmé. La flagrance blonde bruma leur échange, comme une barrière vaporeuse les séparant. Ils ressemblaient à deux vétérans collaborant, et non à deux collègues dans deux camps opposés. C'était amusant. Presque grisant d'être pour une fois ce qu'il laissait paraître quotidiennement. D'être reconnu. Un peu.

« Incluant Stanislas, je suppose que nous étions trois. Je suspecte la présence d'une briseuse de sorts, qui a noté plus tard la présence d'un dôme anti-transplanage qui avait été appliqué sur le village. Je présume qu'elle n'aurait pas laissé un sortilège d'entrave comme celui-ci actif si elle avait les capacités de le rompre. », fit-il avec un haussement d'épaules, le renseignant dans l'ordre. Une simple question de bon sens. Du bout des lèvres, il souffla un mince filet qui s'échoua dans les effluves marquant l'entretiens.

« Non. Personne. Il était sans doute dans un coin de la pièce auquel je n'avais pas accès de ma position. »

À son grand regret.

« Bon, bon, bon. Ça nous avance pas beaucoup sur l'identité des types qui ont foutu ce bordel, mais au moins on sait qu'c'étaient pas des novices en magie. », en une bouffée, l'atmosphère devint quasi irrespirable, manquant lui-même de le faire tousser quand le nuage caressa ses joues, s'il n'avait pas eu le réflexe de s’éventer de la main. « Après qu'vous ayez viré la malédiction, toujours rien vu qui pouvait t'paraître louche ? Et t'as fait quoi ? »

Dans l'idée fixe de ne pas s'attarder ici, il suspendit sa cigarette entre ses canines pour farfouiller dans son blouson. Il en sortit un carnet. Ouvrage en cuir simpliste. Aucune signature distinctive. Il le feuilleta mollement, faisant défiler les pages du pouce. Sa plume à encre perpétuelle était déjà arrêtée en prévention à une feuille vierge. La tenant visible du plat de la main, il plaça le bouquin entre eux, se rehaussant du talon en appui sous sa cuisse pour combler l'écart.

« Faisons plus simple tu veux bien ? », qu'on en finisse.

Il n'était pas un fin dessinateur. Il ne l'avait jamais été. Mais un plan ne nécessitait pas d'être Michel-Ange. Des carrés marquèrent les bâtiments, annotés d'une police manuscrite soignée. Trois-Balais. Impasse du sanglier. Boutiques en tout genre. Les avenues se formèrent sous des lignes droites, biseautées en bout de page. D'une croix, il désigna son emplacement – le devant de l'auberge - qu'il fit évoluer au fur et à mesure de ses explications.

« Le plus louche étant qu'un élève avait disparu, en ne laissant que sa baguette tâchée de sang derrière lui. », il arqua un sourcil évocateur. « Je suis sorti, et me suis placé ici même, à l'endroit où j'aurai une vue dégagée sur l'avenue. J'ai appliqué les sortilèges de traque d'usage, et n'est détecté aucun sortilège, hormis ceux utilisés pour la fête, celui nous ayant servi à contrer les effets de l'entrave et le mien. Donc, celui qui a enlevé le gamin ne l'a pas fait à l'aide d'un sort et l'a sûrement porté sur l'épaule, puisqu'il n'y avait aucune trace dans la terre. », du poing, il soutient son menton dévisageant son vis-à-vis le temps de sa retranscription, la nicotine roulant sous sa langue.

Il était lent. De là où il était, il avait une vue plongeante sur des pâtes de mouches et des points d'interrogations dans tous les sens. Un bordel désordonné qui lui donna aussitôt la migraine.

« C'est louche c'que tu m'dis. Pour un sorcier, c'est louche. », si peu, et en miroir, il s'abandonna contre son dossier, les jambes croisées. Hank lui sembla un peu dépassé, expirant bruyamment, une main sur le visage.

« J'ai l'impression que plus on creuse, plus on s'enfonce dans un beau merdier d'incohérences. », ce qui n'était pas tout à fait faux. « M'enfin, c'est sûrement au fond de c'trou-là qu'on les trouv'ra, nos réponses. Mais, d'jà, on sait pas s'il s'est barré avec le gamin par l'avenue principale du village. Donc tes traces-là, elles ont ptet été retrouvées aut'part. Du coup, c'est quoi ton ch'min à toi ? T'es parti vers où ? T'étais seul ? »

De l'index, il tapa nerveusement sur la couverture de son bloc-note. Son pied se balança faiblement, alors qu'il venait combler son silence dans une lampée addictive. Ils en arrivaient à la partie la plus intéressante de la soirée. Et celle qui le réveillait encore du sifflement d'une détonation au beau milieu de la nuit.

« Un Periculum a été lancé un peu plus loin, à l'Est. En prenant en compte que l'élève disparu était dépourvu de sa baguette, l'alerte ne pouvait être donné que par une tierce personne. Avec Delyla Gavril, Johann Kayser et Andrée de Kerimel nous avons emprunté une ruelle bordant le pâté de maisons jouxtant les Trois-Balais. Une habitante nous avait crié avoir aperçu une silhouette se détacher dans celle-ci. Donc.. », son ton égal le rassura drastiquement. Le filtre se tira sur ses dernières ressources et la fumée lui piqua les yeux. « J'ai émis l'hypothèse qu'il puisse s'agir de notre homme. »

Dites hypothèses dont il se serait bien abstenu compte tenu de l'accueil que leur avait réservé Pétasse de Kerimel. Le café dont se délecta Penley l'attira d'autant plus.

« Et, vous avez pu l'rattraper, c'type ? Ou au moins l'voir d'vos propres yeux, dans c'te ruelle ? »

La question lui arracha un sourire. Un vrai. Teinté d'un amusement joueur. Ils étaient comme qui dirait tombé sur un os. Un bel os à ronger. Un squelette portant un masque. C'était peut-être plus ça qui le faisait cauchemarder d'ailleurs. Des grands yeux creux dans la nuit. Et une étincelle contre un mur.

« On peut voir les choses sous cet angle. », la saveur vanillée nappant sa langue lui fit reprendre son sérieux. Un peu. « Nous avons fait face à deux individus nous ayant pris en tenaille de part et d'autre de la rue. À notre approche, l'un d'eux à fait exploser une vitre pour nous handicaper. Un Lumos solem lancé par mes soins a permis de débusquer l'un de leur comparse. »

Un choix discutable que les moins avertis qualifieraient de stupide. Au mieux. Se battre à l'aveugle n'était pas son genre. Il était plus efficace avec une vision claire de son environnement. Et de ses adversaires. Pour ne pas être davantage surpris. S'il les avait ébloui, juste un instant, il avait fait d'une pierre deux coups.

« Mais pas d'trace du gamin, sinon tu l'aurais dit, j'me trompe pas, hein ? Des complices du kidnappeur pour toi ou l'attaque avait rien à voir et z'étiez au mauvais endroit au pire moment ? »

Un peu des deux.

« Aucune trace de l'étudiant. », confirma l'auror en passant pensivement son pouce sur sa lèvre inférieure. « Cet homme a toujours agi seul. L'attaque ne correspond pas à son mode opératoire, c'est un solitaire. », il soupire du nez. Cette enquête, il la connaît. Et lui aussi. Ce clown. « Je pense qu'il aurait enlevé sa cible, au même endroit, quand bien même il n'y aurait pas eu d'affrontements pour lui faciliter la tâche. »

Il piqua l'intérêt de Penley. C'était gratifiant. La dernière bouffée absorber, le grisonnant écrasa son mégot dans le cendrier. Il hésita à faire de même pour une ultime taffe.

« Donc pour toi, c'est un solitaire ? C'que tu m'dis là est bizarre. Deux attaques distinctes en même temps, ce s'rait une foutue putain d'coïncidence. Qu'est-ce qui t'permet de l'affirmer avec autant d'assurance ? Et les trois types d'la ruelle, tu peux m'dire quoi sur eux ? Détails physiques, façon d'se battre, et cetera, et cetera. Bref, tu connais. »

Des conclusions hâtives. Une déformation de ses propos. Navrant. Il détestait ça.

« Je n'ai pas dis que c'était une coïncidence. », en protestation, il leva son index, un peu professoral. « J'ai dis que leurs attaques coordonnées n'étaient pas le fruit de l'enlèvement en lui-même, et que son auteur, s'il était au courant de leurs préparations, ne l'a utilisé que comme écran de fumée. Nuance. », plus sérieux, il appuya sur le dernier mot, sans appel. Sa cigarette rejoignit celle de son comparse d'un claquement sec.

« Ce qui me permet de l'affirmer, c'est que j'ai étudié cette affaire de long en large, et que l'homme que nous recherchons n'était mêlé à aucun groupuscule d'aucune sorte. »

Il l'avait ratifié noir sur blanc dans son rapport. Déterminant le sujet clos sans attendre la moindre répartie, il se pencha sur la description des suspects. Les masques. Encore. Des belles boucles sur un fond argenté que la Lune n'avait pas camouflé. Une bouche cousue perdue sur une tapisserie rouge, dans la chandelle fragile d'un souvenir.

« Trois hommes, portants des capes et des masques identiques à ceux des Mangemorts durant la première guerre des sorciers. Ils sont parvenus à nous tenir tête, profitant de leur avantage du terrain pour nous acculer. Ce n'était pas des novices, mais des sorciers expérimentés, habitués des duels. »

Comme il en existait finalement peu. Allait-il finalement alimenter ses théories dans un déni collectif ministériel ? Rejoindre les rangs des sceptiques pour achever de le convaincre de l'efficacité de ses yeux et de son cerveau ? Dans un silence réflexif, il l'observa se masser les tempes.

« T'essaies pas d'me faire comprendre avec la subtilité d'un bombardia que c'était p't-être des mangemorts ? », soupira-t-il avec ironie, faisant fit de son rictus mordant. Et ben, on avance un peu. « Enfin bref. J'suppose qu'vous êtes pas arrivé à les foutre K.O, sinon on aurait trois cellules d'prises en plus ? Y'a eu des blessés d'ton côté, d'ailleurs ? »

Il aurait voulu les frapper. À mains nues. Se briser les phalanges dans une colère froide. Dans un sadisme ravageur. Les cogner si fort qu'ils auraient perdu tout souvenir. C'était rageant. Autant que d'être prit pour un idiot par un homme empestant l'eau de Cologne bon marché.

« Je te dis qu'ils étaient vêtus comme tel, pas qu'ils en étaient. », son sourcil gauche se souleva d'un tressaillement agacé. Il n'était pas un gamin. Ni un apprenti. Bordel. « Je n'ai aucune preuve concrète à te fournir pour appuyer cette hypothèse, si ce n'est mes observations personnelles et les théories qui circulent dans le service après la retransmission des faits de cette nuit-là du côté des élèves. Quelque soit leur position par ailleurs. À travers l'histoire, l'on a eut assez peu affaire avec des malfaiteurs suffisamment organisés pour parvenir à faire front à plusieurs groupes de sorciers de manière parfaitement coordonnée. », pédagogue, il se pencha en avant, les mains jointes derechef, un peu défiant.

« Beaucoup de coïncidences et de détails penchants dans la balance pour renier les faits purs et durs. Je sais ce que j'ai vu. Mais comme je te l'ai dit, je ne peux t'apporter un masque ou un tatouage sur un plateau d'argent. », théâtral, il se relaxa dans son assise, les pieds en diagonale.  « Quatre blessés. Une dans la ruelle, le tibia fracturé par un parterre de fleurs en pierre et trois dans la rue d'où provenait le Periculum des suites d'un bombarda maxima sur un mur de briques. »

Il l'entendait encore. Quand il y pensait. Un peu dans la journée. Toujours dans la nuit. Le souffle chaud sur ses joues. L'enclume sur sa poitrine. L'odeur du sang. La cendre dans l'air. Et le silence. Un silence de mort, dans un bouquet final.

« C'métier n'existerait pas, si les réponses étaient servies sur plateau d'argent, soupira-t-il avec exagération. Bon, c'est quoi les noms des blessés ? »

« Delyla Gavril pour la jambe, Andrée de Kerimel, Johann Kayser, et la dernière, je ne connais pas son nom. »

Une silhouette lointaine. Une ombre ajoutée à une trop longue liste.

« C'est noté. Et du coup, dans la rue du Periculum, z'avez trouvé quelque chose ? Quelqu'un à s'courir, vu le sort ? »

Seulement nous, jugea-t-il froidement.

« Non. Seulement des acolytes des fauteurs de troubles sur le point de transplaner. L'une d'elle a lancé le sortilège. Un piège qui n'a mené à rien. »

« L'fameux bonbardia sur l'mur ? », il ne prit pas la peine de répondre. « Donc, si j'résume. Vous avez cru qu'la femme vous mettait sur la piste du kidnappeur, mais elle vous a foutu sur la piste des types - p't-être des mangemorts - qui étaient là pour aut' chose ? T'aurais une idée d'ce qu'ils voulaient en dehors d'foutre le bordel le soir d'Halloween ? »

Et lui qui pensait qu'il n'y viendrait jamais. Penley marquait un point.

« On ne peut pas dire que nous ayons eu le temps de discuter, vois-tu. », d'un haussement d'épaules, il balaya le concret et ses questions tournant en rond.

« Admettons, n'est-ce-pas, ça ne reste qu'une hypothèse… », démonstratif, il fit un mouvement de poignet habile dans l'air. « Que les personnes présentes dans les rues cette nuit-là soient effectivement des partisans du Seigneur des Ténèbres... Au vu des déclarations de celui qui l'a défait par le passé alors qu'il n'était encore qu'un bambin, qu'est-ce-qu'ils auraient bien voulu ? », de glaciale, son esquisse se teinta d'énigme.

C'était fascinant. Agaçant, certes. Mais fascinant.

« Y'a qu'une chose qui m'viendrait à l'esprit. », un battement de cil. « Chopper Potter pour l'ramener à T'Sais-Qui. Faut-il encore qu'ce soit pas des bobards, les bruits sur son r'tour. Admettons qu'ton hypothèse soit la bonne, même si on a aucune preuve concrète, t'penses qu'ils auraient été présents en pensant qu'Potter aurait pas manqué une occasion d's'amuser avec ses p'tits copains ? »

« Peut-être. », nonchalant, il s'appuya confortablement, continuant d'une voix traînante. « Ce n'est là qu'une hypothèse, néanmoins, une fois toutes les suppositions plausibles éliminées, il est probable que la seule qui restera sur notre liste, soit celle qui nous semblera la plus invraisemblable. »

Ou à défaut, celle que le gouvernement décidera. Sous la table, il décroisa ses mollets pour mettre un terme tacite à l'interrogatoire.

« Mouais, y'a du pain sur la planche, quoi. », il s'était déjà retroussé les manches. « Bon, j'crois qu'on a fait l'tour, qu'est-ce t'en penses ? J'te lâche la grappe là ou t'as d'autres trucs à m'dire ? »

« Je n'ai rien à ajouter. », prestement, et sans attendre un quelconque aval sous-entendu, il lissa les pans de son manteau pour mieux se camper sur ses jambes. « Si jamais des détails me reviennent et qu'ils relèvent ou non d'une importance capitale pour la poursuite de votre enquête, je t'en ferai part. », poli, il lui tendit une main que le bonhomme serra d'une bonne poigne un peu moite. Écœurant. « Je reste disponible si tu as d'autres questions. »

Ou besoin que je fasse ton boulot.

« Ça roule. Allez, fous l'camp d'là pour t'occuper d'ta propre paperasse. »

Avenant, il se fendit de fossettes retroussées, enfouissant ses mains dans ses poches pour éponger sa paume sur la doublure.

« Et je te laisse retourner à la tienne. »

Les couloirs étaient vides. Froids. Les portes s'alignaient de part et d'autre. Des cellules lourdement blindées. 13. 14. 16, pouvait-il lire en lettres d'argents. Il entendait des cris. Des pleurs. Des suppliques. Il s'arrêta devant la 17, au fond de l'allée. Il se glissa derrière la vitre, aux côtés d'un Elnath immobile, les pupilles dilatées d'analyse. La pièce n'était pas vide. Quelqu'un les y attendait, à la place qu'il avait quitté plus tôt. Homme d'environ vingt ans. Brun. Les cheveux en batailles. Air revêche. Mains endommagées. Caïd.

« Qu'est-ce-qu'on a ? », demanda-t-il après une brève période d'observation.

« Un suspect de l'attaque orchestrée sur Pré-au-Lard. Warren Cooper, 20 ans. Aucun emploi connu, ni adresse recensée. Il a été vu à deux pas du point de transplanage des coupables présumés. », le renseigna platement son apprenti, les joues creusées d'insomnies imposées.

Lévine inspira. C'était la partie la plus grisante. Ses lèvres se relevèrent d'assurance. Fouettant ses chevilles, sa veste le suivit par la porte dérobée. The show must go on.

« Monsieur Cooper, vous possédez d'étranges habitudes nocturnes. »

**

Les graviers grinçaient sous ses pas. Un tintement lui donnant mal au crâne. L'air était humide. Floral de la campagne anglaise, d'un petit coin excentré. Il n'entendait plus le bruit de l'autoroute, ni les klaxons d'une fin de soirée. Il avait passé les grilles en fer forgé du cimetière Saint Andrews depuis cinq minutes. Ouvert jusqu'à minuit disait le panneau à côté des poubelles. Il n'y avait pas de traces de Vince, le gardien. Un homme rabougrit avoisinant les soixante ans, à la tonsure monastique. Distrait, il regardait les dates sur les stèles, calculant les âges par simple réflexe. 81 ans. 26 ans. 78 ans. Il y venait peu. Une à deux fois par an. C'était douloureux.

Sur un morceau de pelouse en bout d'allée, un rectangle de marbre anthracite jouxtait une dalle de béton encore fraîche. Une vingtaine de jours peut-être. Les fleurs étaient encore vivaces. Des orchidées sauvages enlaçant un buisson d'aubépines. Père aimant. Beau-frère regretté. Des boucles d'or sur le contour d'un ange. Cruellement cliché.

Époux formidable. Père exemplaire. Collègue très cher. Plus sobrement, les regrets et hommages ornaient une balance. La justice. Les roses avaient fané. Sa mère ne quittait plus le lit. Un coup de froid disaient les docteurs. Il n'y croyait qu'à moitié. Déposant les deux bouteilles de bières sur le piédestal, il débarrassa les feuilles et racines. Satisfait, il se laissa tomber en tailleur, tâchant ses cuisses de terre retournée. Il s'en fichait. D'une pichenette, il fit sauter les capsules, moussant la boisson jusqu'au goulot. La Bell's avait toujours été sa préférée. William Serger ne s'en passait jamais le Samedi soir. C'était son rituel.

« Salut p'pa. », il trinqua en tendant le bras, puis vida le récipient jusqu'à l'arrondi d'une gorgée. C'était amer. « J'ai vu que tu avais un nouveau voisin. », tordant le cou, il lorgna sur l'inscription. « Monsieur Harisson est sûrement d'une bonne compagnie. », il souffla un rire maladroit.

En fouillant dans sa poche, il extirpa l'insigne flamboyant de Scotland Yard, qu'il éclaira d'un soleil sur le déclin. Matricule BF122889 pouvait-on discerner sur l'étoile couronnée.

« Tu vois, j'ai une étrange affaire en ce moment... »
code by bat'phanie
Lévine Serger
Admin rusé
Lévine Serger

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Comme de la neige sur le sable

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Dim 2 Mai 2021 - 16:21
♛ Les Interrogatoires de Novembre ♚
Quand le roi est en danger, il se replie derrière ses lignes. Quand la dame, les tours et les fous tombent, il ne reste que les cavaliers pour mener la danse.

▼▲▼
Jeudi 16 Novembre 1995,
8 heure 00.

Johann était installé sur une chaise peu confortable dans une salle aussi froide que le reflet que lui renvoyait la vitre sans teinte en face de lui. Droit, les mains jointes sur la table en métal, l'homme était parfaitement dans son élément. Des interrogatoires, il en avait mené des dizaines durant sa courte carrière d'auror. Des mangemorts, des trafiquants d'objets maudits, des petites frappes trop proches du Seigneur des Ténèbres. Il s'en souvenait comme s'ils s'étaient déroulé la veille.

Depuis sa convocation écrite, qu'il avait reçu durant un repas à Poudlard en même temps qu'un certain nombre d'élèves, le magizoologue avait mis son temps à profit pour préparer son témoignage et éviter des réflexions longues et inutiles. Et si l'entretien, pour les adultes, étaient nécessaire à la compréhension des évènements, celui des adolescents étaient d'un absurde à ses yeux.

C'était trop tôt. Et si le professeur s'était empressé de prévenir le directeur pour l'enjoindre à l'action pour empêcher cette idiotie, Albus lui avait fait comprendre qu'il était pieds et poings liés. Le chef de l'Ordre ne pouvait rien faire pour empêcher le désastre, à son grand regret. Combien d'adolescents allaient omettre des détails pouvant être importants par peur ou manque de confiance en l'inspecteur qui allait les interroger ? C'était victime pour certain, pas de simples témoins et il fallait se montrer rusé et patient pour arriver à tirer des informations fiables à ce genre d'individu. L'une des raisons principales qui, par exemple, l'avait poussé à prendre soin lui-même d'Elvỳ plutôt que l'envoyer à Sainte Mangouste où, il s'en doutait, une armée d'auror ou membre de la police serait venue lui poser un grand nombre de questions qui n'auraient trouvé aucune réponse.

Et justement, il se doutait déjà que si certains étudiants parviendraient à offrir leur version des faits, d'autre ne se gênerait pas pour faire de la rétention d'informations. Ce ne serait pas volontaire pour la plupart, encore que ça pût se discuter, mais plutôt parce qu'il ne parviendrait pas à se replonger dans leurs souvenirs traumatiques.

Une idiotie, une preuve nouvelle que le ministère de la magie et le bureau des aurors pouvaient, encore une fois, se montrer incompétent. La guerre avait eu le mérite de former une élite. Aujourd'hui, les membres restant de cet élite se reposait sur leurs lauriers sans remarquer la dégradation de leur talent. C'était tout de même grave de voir que certains citoyens qui n'avaient reçu aucune formation étaient prêts à mettre leurs vies en péril pour faire leur travail parce qu'ils n'étaient pas capables de voir la vérité en face. L'idée même de l'existence obligée de l'Ordre du Phénix, qu'il avait rejoint, parce que les aurors s'aveuglaient pour rester dans leur petite vie confortable lui donnait la nausée.

Par chance, bien que trop peu, quelques exceptions notables pouvaient être pointées. La brigade d'Amanda, s'en doutait-il, devait y croire et se préparer en secret. Si la femme avait tendance à vouloir lui mettre des bâtons dans les roues plus par vengeance que réel intérêt, il devait reconnaître à son ex-fiancée qu'elle avait du flair et qu'elle n'était pas femme à s'aveugler sur ce genre d'évènements. Nul doute que ses hommes devaient être de la même trempe et il en avait eu une preuve avec les actions de Lévine Serger.

La porte du bureau s'ouvrit dans un grincement. Johann sortit de ses sombres élucubrations et se redressa, faisant volte-face pour aller saluer son interrogatrice. L'inspectrice, dans son tailleur, paraissait bien moins strict qu'elle l'aurait pu et sans doute que les couleurs de l'exotisme y aidait grandement, tout comme sa manière de se maquiller ou de bouger. C'était un autre serpent que l'enseignant avait face à lui et c'était bien mieux ainsi. Sans doute n'aurait-il pas supporté de se retrouver face à un homme ou une femme se perdant dans ses recherches. Elle, tout comme il l'avait été à son époque, paraissait posséder une organisation précise.

Gentleman, il vint lui tirer la chaise après lui avoir serré la main, sans se départager de son inexpressivité.

« Bonjour, monsieur Kayser, lui dit-elle, sourire charmeur aux lèvres, en lui désignant, juste après, la chaise où il était installé durant les minutes précédents son arrivée. Installez-vous, je vous en prie. »

Retirant en amont son couvre-chef, ainsi que son long manteau pour les déposer sur son dossier, Johann ne se fit ensuite pas prier.

« Vous êtes donc là concernant l'affaire de la soirée du 31 octobre. Il me semble que vous étiez l'un des professeurs accompagnant les élèves, c'est cela ?
C'est exact. », affirma-t-il en réponse.

Il prit le temps de la détailler un instant, gardant un silence qui, pour lui, était loin d'être gênant. Cette femme, bien que sans doute plus vicieuse à son attitude, avait l'air de la même trempe que Callaghan ; le reste de leur échange lui donnait raison ou tort. Néanmoins, il appréciait l'idée de pouvoir placer un nom sur un visage. Un manque de politesse qui le poussa à penser que la brigade de la sorcière ne devait pas être très à l'aise avec les relations, mais devait être entraînée pour les opérations risquées. Le fait qu'elle se retrouvât devant lui prouvait que le Ministre cherchait à écarter les meilleurs dans leur domaine pour les empêcher de voir la vérité en face, mais sans doute Scrimgeour pensait-il pouvoir s'en servir.

« Vu que nous allons devoir passer quelque temps ensemble dans cette pièce morose, je me permets : quel est votre nom, mademoiselle, madame ?
Eh bien, cette enquête m'en fait oublier la bienséance ! Si vous voulez bien excusez mademoiselle Aimee Stevens de son impolitesse... »

Le sourire charmeur et le brin de malice dans le regard de son interlocutrice lui donna surtout envie de lui répliquer que c'était le manque d'habitude et que c'était visible, mais il préféra s'abstenir. Il acquiesça.

« C'est tout excusé. », offrit Kayser en ramenant un sourire fin, à peine perceptible, sur ses lèvres.

Face à un serpent charmeur, la meilleure arme était de jouer son jeu. Analyser et comprendre le comportement d'un individu pour s'attribuer son comportement était une arme redoutable. Une arme que Johann avait développé durant ses années de service, puis qu'il avait aiguisé avec ses autres activités, plus ou moins illicites.

« Sur ce, revenons-en à nos citrouilles. En tant que chargé de la surveillance des élèves, peut-être avez-vous pu remarquer quelques étrangetés durant la fête ? »

Néanmoins, certaines habitudes devenaient presque des réflexes et il n'avait pas l'intention de laisser Stevens mener la danse. Le rythme était important et maitriser le tempo était l'assurance d'être écoutée, compris et de convaincre. Après de nombreuses secondes s'étirant en une minute, il daigna enfin répondre.

« Non. Du moins, rien qui pourrait sortir de l'ordinaire dans ce genre de festivité. Pensée et organisée par des adolescents pour des adolescents.
Hum... Cela a dû être plutôt ennuyeux pour vous, j'imagine, je me trompe ? Du moins, jusqu'à l'incident. Pouvez-vous d'ailleurs m’expliquer comment celui-ci a débuté ? »

Presque impatiente, s'en amusa l'ancien auror. Était-elle pressée de mettre fin à leur entrevue ? Ce n'était pas spécialement le cas du malfrat, qui se sentait parfaitement dans son élément. Peut-être était-ce aussi pour cette raison, car après tout, le décors lui rappelait de bons souvenirs, qu'il ne se gênait pas pour prendre son temps. Et la soirée aussi avait eu son lot de bonnes surprises, mais il n'allait pas s'attarder sur le sujet.

« Ennuyeux est le terme adéquat, oui. »

De nouveau, un temps-mort dans son discours. Il tourna un regard vers la vitre sans-teinte. Combien de personnes les observaient dans l'optique d'analyser son comportement ? Une personne au minimum, c'était une certitude, encore qu'en avoir deux était pour lui un juste milieu. La perception des êtres humains, dépendant de leur vécu et de leur caractère, pouvait être à l'antipode d'un individu à l'autre.

« Une malédiction pour souffler toutes lumières présentes dans la pièce à ce moment précis, finit-il par offrir après un geste élégant de la main, bien qu'elle n'était pas suffisamment puissante pour empêcher les lumos durant son maintien. Un fait peut-être désiré. »

Stevens se décida enfin à prendre des notes, avant de redresser son regard vers lui, pour continuer de l'interroger à vive allure. Souhaitait-elle le presser pour l'empêcher de réfléchir ? Si tel était le cas, il ne pouvait que s'en excuser pour elle, mais il connaissait les ingrédients de la potion pour les avoir lui-même utilisé à maintes reprises.

« Désiré, hum ? », le questionna-t-elle, tout en se mordillant la lèvre inférieure.

Si certains pouvaient croire qu'il s'agissait d'un signe de réflexion, il n'en était rien. C'était un signe d'inconfort et de stress, ce même si son regard paraissait songeur.

« Pour attirer les regards au mauvais endroit, est-ce cela que vous sous-entendez ? »

Johann hocha la tête, sans accélérer son allure pour autant. Il appréciait prendre son temps, d'autant plus dans des situations aussi importantes que celle-ci.

« Pour deux raisons possibles, mais c'est bien l'une d'elles. »

La seconde option lui paraissait toutefois être plus adéquate, bien qu'il ne s'agissait-là que d'hypothèses. La seule manière de vérifier ses théories seraient d'attraper la personne. Nouvelle interruption, puis la danse put reprendre.

« La seconde est qu'il est bien plus simple de trouver sa cible quand il reste un peu de lumière : une lumière que l'on peut soi-même fournir sans attirer les soupçons ou qui peut être fournie par ceux, présents, qui ont le réflexe de vouloir voir pour se rassurer.
C'est une théorie qui se tient, monsieur Kayser. »

Le sourire approbateur de la femme ne lui fit ni chaud, ni froid. Il avait eu le temps de potasser le sujet pendant des heures. Pour l'Ordre, en premier lieu et parce qu'un élève sous sa protection ce soir-là s'était fait kidnapper. Une simple vérité qu'il avait encore du mal à accepter : son rôle était de les protéger et, ce soir-là, il avait failli à cette tâche. Si toutefois il put le penser face à la dame, rien dans son attitude ne changea, ne laissant nullement la possibilité de le deviner.

« Et cette perspicacité, l'avez-vous eu au moment des faits pour observer un potentiel mouvement étrange parmi cette obscurité parsemée de Lumos ? »

Johann arqua un sourcil. Presque amusé, il prit le temps de bien choisir ses mots avant de répliquer. Tout auror aussi bon fut-il par le passé, il savait que la préparation était d'une importance capitale. Une simple erreur de calcul pouvait créer un bain de sang, mais sans doute ne lui apprendriait-il rien s'il venait à lui dire, si ? Une erreur de calcul que Dumbledore avait fait ce soir-là, bien qu'avec le recul, il ne pouvait lui en vouloir. Albus avait seulement souhaiter apaiser les mœurs et les cœurs, sans se douter un instant de la tournure des évènements. Personne ne pouvait s'y attendre.

« Je ne m'attendais pas à un enlèvement, pour être franc, répliqua-t-il. J'étais alerte, certes, mais j'avais idée d'une attaque directe sur le pub. »

Distiller les informations au compte-goutte avait l'avantage de pouvoir choisir les termes employés pour éviter toute suspicion de la part de la vipère. Le cobra n'avait nullement besoin d'une seconde équipe de chasseurs chargés d'enquêter sur lui.

« Mon manque de clairvoyance sur l'instant m'a forcé à agir dans cette optique pour le bien des élèves : à savoir dessiner une cible sur mon front en allumant un lumos, ce que je n'aurais pas fait dans d'autres circonstances, bien que similaire. »

De nouveau, le silence. L'homme prit son temps pour redessiner les traits de son visage de son pouce gauche. Un signe de réflexion qu'il offrait sans aucune gêne. Forcer ses vis-à-vis, même les invisibles, à se concentrer sur son mouvement lui donner un temps précieux pour, à nouveau, garder le contrôle.

« Les chandelles se sont rallumées d'elles-mêmes, sans aide extérieure pour replacer l'enchantement, après une minute, à quelques secondes près. »

Cette réalité prouvait que le sort employé n'était pas seulement un enchantement éteignant les lumières et c'était parce qu'il l'avait ressenti dans l'air ambiant que le patron de l'Edelweiss n'avait pas cherché à supprimer la malédiction. Le temps mis à profit pour cela aurait pu couter la vie d'élèves si sa première théorie avait été la bonne.

« C'est ce qui me permet de vous dire que ce n'était pas une simple blague ayant mal tourné, mais bel et bien une malédiction lancée. »

Il fallait être idiot pour croire en la version de la Gazette du Sorcier. Johann n'avait jamais apprécié le journal, trop politisé, mais depuis le retour du Seigneur des Ténèbres, c'était devenu un torchon aux inepties plus grosses que Fudge lui-même. Pourtant, toute personne censée savait que Fudge en tenait une couche.

« Je n'ai rien remarqué ensuite, jusqu'à ce qu'un élève nous rapporte la preuve de l'enlèvement : la baguette de Sessho Shinmen, élève de sixième année de la Maison Serdaigle, qui était maculé de son propre sang. »

Nouveau silence, nouvelle pause. Il n'avait nullement l'intention d'accélérer et sans doute Aimee l'avait-elle compris, car elle ne chercha plus à le presser. D'autant que sa lenteur avait un double avantage : elle lui permettait d'offrir un témoignage précis, quand sa compagne de l'instant avait le temps de prendre ses notes.

« Après quelques vérifications rapides que j'ai effectué le soir même, je peux attester qu'aucun sort n'a été lancé en dehors du contre-sort à la malédiction par trois individus. »

Il ne savait pas qui avait pris le risque de lancer les contre-sorts, encore que la présence de deux membres de la brigade d'Amanda lui donnait une vague idée. Néanmoins, il ne formulerait pas cette pensée : ce ne serait qu'une théorie qu'il allait garder pour lui, tout en sachant que le témoignage des deux suffiraient à éclaircir, pour les inspecteurs, ces points d'ombres.

« La seule explication plausible qui reste est que le jeune Shinmen a donc été assommé de manière... très moldu.
Hum-hum..., commença Stevens et Johann s'amusa du parallèle que l'on pouvait faire avec Ombrage – non qu'il pensât qu'Aimee apprécierait la plaisanterie, qu'il garda donc pour lui. Suggestion intéressante, quoiqu'assez insolite. J'en conclus donc qu'après le retour des lumières, votre action première a été de lancer un Appare Vestigium ? Je vois que vous avez gardé les réflexes du métier. »

Il avait été formé en plein milieu d'une guerre sanglante. Guerre qu'il continuait de livrer, pour sa part. Il ne risquait pas de les oublier, contrairement à certains ; non qu'il prétendît que c'était forcément le cas de la demoiselle en face de lui qui souriait en coin. Son regard complice, alors que son ongle venait évasivement tracer les contours du dossier portant son nom, l'obligea à esquisser un très léger rictus ; un rictus, toujours dans l'optique de s'approprier une partie de ses réactions.

« Ce ne sont pas des réflexes qui se perdent, miss Stevens. Un peu comme le balai ou le transplanage. »

Il savait très bien que c'était faux, la preuve en était l'état déplorable d'une partie du bureau militaire, mais il se devait de jouer son jeu et de lui renvoyer son propre reflet. C'était bien trop amusant et fort pour s'en priver. Néanmoins, il ne l'utilisait pas complètement. Il garderait l'emploi, à son maximum, de cette arme pour un autre traqueur de mage noir. Du moins, si celui-ci décidait de revenir vers lui pour une nouvelle partie d'échec.

« Et après cela, qu'avez-vous fait ? »

Ramenant ses mains sur le bureau pour les joindre, démontrant par ce simple mouvement qu'il restait parfaitement à son aise, Johann força l'interrogatrice à patienter un peu avant de lui répondre.

« Avec le concours de l'auror Lévine Serger et de Delyla Gavril, j'ai enquêté. »

Une enquête qui n'avait rien donné de probant le soir-même, mais il ne pouvait rentrer au château avec le reste du convoi sans chercher à retrouver le Shinmen. Ancien auror et professeur, il ne pouvait se permettre de faire de la non-assistance à personne en danger.

« Par ma demande, elle a fouillé l'intégralité du bâtiment, mais n'a rien trouvé. »

Il s'en était douté avant même de l'y envoyer, mais l'autre phénix sur les lieux souhaitaient aider, et il ne fallait laisser aucune piste inexplorée.

« Après cela, nous avons été alertés par un témoin qu'une ombre s'était faufilé dans une ruelle. »

La suite lui paraissait presque surréaliste, maintenant qu'il y pensait. Si travailler avec Andrée était toujours agréable pour son professionnalisme, il devait bien avouer qu'elle paraissait suspecte avec son mouvement. Pour les prochains mois, il devrait faire attention à ne pas être vue en sa compagnie.

« Nous avions pour idée de la suivre quand Andrée de Kerimel a fait une entrée... Remarquée, mais passons. Elle s'est simplement jointe à notre groupe hétéroclite. »

Cacher l'information serait de la rétention d'informations et cela pouvait le mettre dans une impasse. Il n'avait nullement l'intention d'être inquiété pour cette affaire et c'était précisément pour cela qu'il laissait le temps à Aimee de noter les informations qu'il distillait lentement.

« Notre action suivante, avant que vous ne posiez la question, a été de suivre la piste du témoin. »

Une piste qui allait largement les emmener à l'affrontement. Le souvenir, si l'homme n'avait pas un contrôle de son propre corps assez impressionnant, aurait pu le faire soupirer.

« Une piste qui nous a mené directement dans un piège, où trois individus masqués nous attendaient pour nous tendre une embuscade. Peut-être pour ralentir nos recherches ou parce que nous nous dirigions dans une direction qui ne leur convenait pas. »

Ce n'était-là que quelques hypothèses supplémentaires. Il patienta de nouveau un temps, laissant à Stevens le soin de noter, avant de poursuivre.

« Je n'ai pas de réponse précise à ce sujet, seulement ces deux hypothèses. Par ailleurs, ces trois personnes, et les suivantes que nous avons pu observer, étaient parfaitement coordonnés, agissant avec l'efficacité d'un groupe d'auror... »

Un groupe d'auror ou, plutôt, un groupe de mangemorts. L'affirmer de but en blanc ne serait néanmoins pas une bonne idée. Mieux valait le faire subtilement comprendre.

« Ou un autre groupe qui, s'il fut un temps nos ennemis directs, n'est officiellement plus d'actualité. »

Le terme officiellement était le plus important de sa dernière réplique. Si Stevens était suffisamment maligne et observatrice, le professeur lui offrant le bénéfice du doute, elle finirait par comprendre le sous-entendu.

« Eh bien, c'est que nous avons déjà pas mal de détails ici, merci pour ce beau récit. Mais peut-être pourriez-vous m'en dire un peu plus sur le témoin qui vous a redirigé vers le trio masqué ? S'agissait-il d'une personne présente à la soirée, d'un simple passant... ou autre ? »

Un serpent charmeur ou une charmeuse de serpent qui manquait cruellement de doigté. L'empressement de ses questions laissaient des trous béants dans l'interrogatoire, mais pour l'heure, ce n'était pas à son désavantage.

Après une nouvelle attente, acquiesçant avec sérieux, Johann reprit le cours de son discours.

« Il s'agissait de la femme qui vit dans l'appartement, au premier étage, en face des Trois-Balais. Les fenêtres de sa chambre doivent donner sur l'allée principale et sur l'artère vers laquelle elle nous a dirigé, je présume, mais il faudrait le vérifier par vous-même pour en être certain. »

S'il acceptait volontiers de mâcher le travail à la police magique et au bureau auquel Stevens appartenait concernant l'Allée des Embrumes, il n'était pas encore assez stupide et ambitieux pour s'attaquer à l'entièreté de la Grande-Bretagne. Elle avait donc tout intérêt à le vérifier elle-même.

« Après nous avoir donné l'information, un périculum a été lancé, venant approximativement de la direction qu'elle venait de nous montrer ; un sortilège qui a dû lui faire peur, vu qu'elle s'est barricadée chez elle juste après.
Très bien. », souffla l'inspectrice, en prenant notes des diverses informations.

Après cela, elle revint appuyer sa plume sur un point plus haut sur son dossier et tourna son regard vers lui.

« Concernant la Miss... Andréa De Kerimel, c'est bien ça ? Pouvez-vous m'expliquer en quoi son arrivée fut singulièrement remarquée ? »

Seul signe de surprise, Johann arqua un sourcil. Un temps, il se demanda si elle venait de le faire exprès, puis il décida que le savoir n'avait aucune forme d'importance.

« Andrée de Kerimel, la reprit-il, sans pour autant se montrer moqueur. Parce qu'elle s'est comportée comme elle sait si bien le faire, en prenant les autres de haut. »

Il reconnaissait volontiers à Andrée son talent et son utilité. Néanmoins, elle jouait parfois dans une cour qui risquait de l'anéantir. D'autant plus avec son comportement qui, bien qu'amusant parfois, pouvait donner la sensation à ses interlocuteurs qu'elle se voyait comme bien supérieure à eux. Johann la connaissait suffisamment pour savoir que derrière cette façade se cacher une enfant meurtrie, mais il n'avait jamais pris la peine ni le temps d'enquêter plus en profondeur. Il suffisait de savoir de qui elle était la belle-fille pour comprendre.

« Après, il se peut que ma perception du moment ait été biaisée par l'urgence de la situation. »

Johann, après la révélation de ce détail, plaça un temps-mort plus long que les précédents. C'était toujours appréciable de faire languir son auditoire, qu'elle montrât des signes d'impatience ou non.

« Et elle n'était pas à la soirée, mais cela ne m'étonne pas vraiment, reprit-il ensuite. Elle travaille dans une boutique à Pré-au-lard, peut-être a-t-elle terminé tard et a ensuite été attirée par le bruit des festivités juste avant qu'elles soient... Écourtées. »

Néanmoins, comme dit précédemment, Johann n'avait pas l'intention de leur mâcher le travail, que ce fût à Aimee ou aux invisibles derrière le faux miroir. S'il connaissait certaines habitudes de la jeune femme, il ne passait pas son temps à enquêter sur toutes ses activités.

« Vous devriez l'interroger : elle pourra très clairement répondre à vos questions à son sujet bien mieux que je ne le ferais. À moins, bien sûr, que ce ne soit déjà fait. »

La jeune femme raya quelque chose puis prit d'autres notes en dessous, sans pour autant réellement attirer l'attention de l'homme plus qu'avec ses précédents gestes. Elle releva le nez pour poursuivre.

« On ne va en effet pas s'éterniser plus longtemps sur le cas de cette "Andrée". Revenons plutôt à cette embuscade que vous m'avez évoqué avant. Comment y a réagi votre groupe ? Y a-t-il eu des blessés ? »

Toujours aussi pressante et Johann eut exactement la même réponse que depuis le début de l'interrogatoire. Prendre son temps, décider de l'avancement. Gagner du terrain avec la subtilité d'un serpent qui se savait, en vérité, en position de force. La raison en était simple : lui avait été présent sur les lieux.

« Nous avons répliqué, dit-il après presque une minute de calme. Il y avait trois assaillants. Un de chaque côté de la ruelle, et si mes souvenirs sont corrects, un dernier à la seule intersection qui menaient sur une petite veine de celle-ci. »

L'action de Serger avait été bien pratique pour connaître l'emplacement exact de leurs attaquants et pouvoir répliquer avec vivacité. Avec du recul, nul doute qu'ils faisaient une excellente équipe quand ils se retrouvaient du même côté de la barrière. C'était presque dommage que ce ne fût pas le cas et que, par leurs métiers respectifs, ils se retrouvaient ennemis d'obligation.

« Je vais vous passer les détails de l'affrontement, parce que cela n'a rien d'intéressant, en dehors de deux faits marquants. »

Et le premier n'était autre que sa pensée précédente, qu'il n'allait pas se gêner de détailler, en une phrase, pour faire comprendre que l'application avait été d'une grande utilité.

« Le premier est que l'auror Serger a lancé un lumos solem qui nous a permis d'avoir une vue d'ensemble sur la situation et sur l’accoutrement de nos adversaires. »

Un accoutrement qui ne laissait que très peu de doute sur l'identité du groupuscule qui les avait envoyé. Voldemort passait à l'action bien plus tôt que ce que Dumbledore avait prévu, et cela les mettait, lui et les membres de l'Ordre, dans une situation bien délicate. Johann, néanmoins, n'en parlerait pas. Son association avec les phénix n'était pas connue et c'était précisément pour cela qu'elle leur était utile.

« Ils portaient des capes et des masques à l'effigie des Mangemorts qui travaillaient à la solde du Seigneur des Ténèbres quand ce dernier était toujours de ce monde. »

Son ton resta parfaitement neutre, tout comme son visage restait inexpressif. Il ne fallait que rien dans son attitude ne fît comprendre qu'il croyait au retour du Seigneur des Ténèbres, voire que, plus encore, il en avait des preuves.

« Le second fait marquant est qu'ils ont fuis dès qu'ils ont compris que nous étions en position de force, et ce, malgré que Delyla Gavril ait été blessée à la jambe durant l'affrontement. »

Sur l'instant, il ne pensa pas à la mystérieuse femme venue les aider, ainsi que la venue de Cébren. L'un et l'autre les avaient certes aidé, mais les mangemorts s'apprêtaient déjà à fuir dès le signal, à n'en pas douter. Leur venue n'avait qu'accélérer le processus, et encore que la blessure d'un des assaillants par ses soins ne devait pas non plus y être étranger.

« Nous avons cherché à les rattraper ; j'avais suffisamment confiance en Delyla pour savoir qu'elle ne resterait pas sur place et irait immédiatement se poster là où elle serait un minimum à l'abri du danger. »

Stevens prit, durant son récit, des notes tout le long, redressant la tête en signe d'attente quand il plaçait ses silences. Comprenant qu'il en avait terminé pour cette partie de son témoignage, elle survola son dossier d'un œil avant de relever la tête.

« Vous étiez quatre sorciers, dont au moins deux expérimentés en duel, contre trois attaquants tout aussi doués de leur côté..., commença-t-elle, presque suspicieuse. Seulement quatre contre trois alors qu'avec une attaque aussi remarquée, ils auraient pu s'attendre à plus d'imprudents fonçant au combat... Quatre contre trois et ça a suffi à les faire fuir ? »

Une attaque aussi remarquée ? Une attaque qui les avait surtout pris de cour. Le lumos solem, en plus de leur offrir un avantage sur leurs positions respectives, aurait pu les aveugler complètement. Le fait qu'un auror et un ancien auror ayant vécu la guerre contre eux, si tant est qu'ils l'eurent remarqué, auraient pu aussi les faire fuir. Johann était loin d'être idiot. Serger avait remis son insigne et sa tête, à lui, était connue.

Le sous-entendu, également, le surprit, même s'il n'en montra rien. Avait-elle vécu les affrontements contre les mangemorts de la première génération ? Avait-elle dû survivre à des attaques de masse, où les aurors se retrouvaient à un contre trois, quatre voire, parfois, cinq sorciers expérimentés en même temps ? Le talent ne suffisait plus dans ces moments. C'était l'instinct de survie qui prenait le dessus. Les passes d'armes se faisaient alors dans une fuite perpétuelle où les mages noirs cherchaient tous les moyens en leur possession dans un unique but. Les acculer pour mieux les enculer.

Il ne fit aucune remarque pour autant et décida de lui offrir précisément ce qu'elle désirait : un os à ronger pour un limier qui manquait cruellement d'expérience.

« Non, bien qu'il soit évident qu'aussi doué fussent-ils, ils n'avaient pas la carrure pour faire face à votre collègue qui a prouvé qu'il n'avait pas eu son titre dans une pochette surprise. »

Si rien ne pouvait témoigner de ses pensées, Johann décida de commencer par là. La raison était simple. Il reconnaissait en Lévine le talent et la démarche de l'ancien temps. Un compliment qu'il se garderait de lui faire, c'était sûr, mais il lui reconnaissait volontiers sa valeur.

« Toutefois, et même si j'apprécierai pouvoir vous donner raison, le fait que deux personnes, Cébren Gallagher et une femme dont je n'ai pas eu le temps de voir le visage, aient pris l'un d'eux en tenaille a joué en notre faveur. »

Comme il s'y était attendue, Aimee esquissa un sourire presque victorieux. Un os à ronger, comme il l'avait décidé. Sans doute se pensa-t-elle dès lors en position de force, car elle se redressa sur son siège dans une posture bien plus droite que précédemment ; la jeune femme s'était ratatinée sur son siège, de façon involontaire et inconsciente, à mesure que l'échange avait lieu.

« Je vois. En effet, voilà qui est plus cohérent. Avez-vous donc réussi à les rattraper après leur fuite ? »

Johann ignora purement et superbement le sous-entendu et, après une nouvelle mi-temps forcée, il enchaîna.

« Les rattraper, oui. Les attraper, non. Ils étaient dans une autre rue passante de Pré-au-lard, plus au sud du village. »

Et ils étaient nombreux. À cinq, ils n'avaient dès lors plus aucune chance, d'autant plus que ceux qui étaient resté en arrière devait être des lieutenants de Voldemort. Pour en affronté plusieurs - Bellatrix Lestrange, pour ne citer qu'elle, lui avait laissé un cuisant souvenir -, l'idée même d'un affrontement contre un tel nombre aurait été du suicide.

« À vue d’œil, je dirais qu'ils étaient une bonne dizaine, portant tous le même accoutrement. »

Les masques et les robes sombres ne laissaient aucun doute. Malheureusement, la seule information sur l'identité de l'un des leur était que le commandement des troupes était réalisé par une femme. Une femme qui s'était bien joué d'eux.

« L'une des leur a lancé un nouveau perriculum et ils ont stoppé le sortilège anti-transplanage qu'ils avaient placé. »

La suite des évènements pouvaient facilement se deviner au spectacle que les autorités avaient pu voir après leur arrivée. Il se doutait néanmoins qu'offrir une telle affirmation risquait fort de frustrer son interlocutrice et il n'était pas là pour ça.

« Ils ont transplané la seconde d'après, bien que celle qui a lancé le perruculum ne s'est pas gênée pour dégradé l'une des façades d'un bombardia, certainement pour s'assurer que nous ne serions pas plus une gêne. »

Dans sa folie, elle lui rappelait presque les agissements de Bellatrix par le passé. Malgré l'enchainement des événements, il avait aussi décelé le même grain de folie meurtrier dans sa voix.

« Nous avons tous été soufflés par l'explosion et plus ou moins blessés. »

Moins que plus pour sa part. Les quelques égratignures sur son bras l'avait placé ensuite dans une position de faiblesse, peu appréciable, face à sa protégée, mais gérable. Ce n'était dû qu'à la redescente d'adrénaline et à la fatigue de la journée cumulée à celle de la soirée. D'autres s'en étaient sortie avec moins de chance, tout comme l'inverse était vrai également.

« Après cela, j'ai ramené de Kerimel jusqu'au bon soin de vos collègues arrivés sur place et je suis rentrée chez moi pour me soigner ; non sans prévenir le professeur Dumbledore de mon absence pour la nuit, bien sûr. »

Le patronus messager était un sortilège fort pratique qui, à l'inverse des hiboux, ne pouvait pas être intercepté. Il reconnaissait volontiers le génie du vieillard pour cette idée aussi farfelu que brillante. Le seul bémol résidait dans le fait qu'il fallait savoir réaliser un patronus corporel, suffisamment lucide et intelligent pour retrouver les destinataires à qui délivrer les messages.

« Très bien, finit par dire la demoiselle, en redressant la tête quand elle eut terminée de noter ses dires. Étiez-vous gravement blessé ? Si oui, pourquoi ne pas avoir attendu l'intervention des aurors pour pouvoir disposer de soins appropriés ? »

La raison était très simple. Outre son propre métier qui l'avait amené à ne compter que sur lui-même, la guerre avait laissé des traces. Se rendre à Sainte Mangouste était l'assurance de représailles faciles à une époque, alors que se soigner dans une demeure inconnue et protégée avait eu le mérite d'empêcher les mangemorts de les suivre. Les planques pour les aurors, des hôpitaux de fortunes, avaient été nombreuses à une époque, avec des codes précis ou des questions personnelles – comme l'Ordre commençait déjà à les remettre en place – pour s'assurer de l'identité d'un individu. Le polynectar coulait à flot à cette époque.

Aujourd'hui, les sorciers s'étant reposée sur leurs lauriers, il ne fallait plus compter sur ce genre de pratiques. Johann ne se faisait guère d'illusion sur l'utilité du bureau s'il ne se dépêchait pas de réinstaurer les anciennes règles et les anciennes formations.

« Bien que je ne sois plus dans vos services, décida-t-il de dire, sans mensonge de sa part, le métier que je fais reste dangereux et les blessures sont plus nombreuses que beaucoup peuvent le penser, donc j'ai pris l'habitude de me débrouiller. »

Combien d'os avait-il eu de briser au cours de sa vie ? Combien de morsures d'animaux ? Combien de maléfices de magie noire s'était-il pris, se retrouvant entre la vie et la mort ? Lui-même avait perdu le fils très tôt au cours de sa carrière.

« D'autant que, non, je n'étais pas grièvement blessé. Quelques entailles superficielles au bras, rien que je ne puisse pas soigner seul avec les potions adéquates.
Ce métier est encore inscrit en vous, de ce que je vois. Et je serais prête à parier que votre départ du bureau des Aurors a été regretté par plus d'un. »

Aimee esquissa un sourire en coin et Johann commença à se relever. Il n'avait plus grandes informations à délivrer et son geste était simple : l'interrogatoire se terminait ici. Stevens le comprit immédiatement.

« Mais je crains que vous ne soyez à nouveau bientôt sur le départ, alors, auriez-vous d'autres choses à rajouter, monsieur Kayser ? »

Johann attrapa son béret, le plaçant sur la table, pour pouvoir enfiler son manteau sereinement. Il attendit d'avoir terminé pour répliquer.

« Certains de mes anciens collègues ont certes regretté mon départ, mais celui-ci était suffisamment réfléchi pour que ce ne soit pas mon cas. »

Aujourd'hui, il ne le regrettait pas, quand il voyait le manque de clairvoyance dont faisait preuve certaines brigades. Il ne pouvait que se consoler en pensant que son ex-fiancée avait monté les échelons, tout comme Scrimgeour qui, lui, n'était pas idiot. Il était un lion et il ne resterait pas dans la stupide cage de Fudge.

« Il y a parfois des signes qui, cumulés, ne trompent pas. C'est la seule information supplémentaire que j'ai à vous fournir. »

Johann attrapa son béret, puis tendit sa main à la femme qui venait, elle aussi, de se redresser. Elle l'attrapa, ne se départageant pas de son sourire, qui sans nul doute, devait faire craquer plus d'un idiot.

« Ce fut un plaisir, miss Stevens. J'espère que j'aurais l'occasion de vous revoir. »

Et peut-être comprendrait-elle à cet instant la dure réalité de la guerre, quand elle et ses coéquipiers seraient forcée de se retrouver en première ligne au côté des phénix venu leur prêter baguette forte. Une ligne, même cumulée, face à celle, bien plus fournies, de leurs ennemis.

« Eh bien, le monde est petit paraît-il, dit-elle dans un rictus subtil. Au revoir, monsieur Kayser. »

Johann se dirigea vers la porte et la franchit d'un pas vif, sans attendre plus d'instruction. Il connaissait les lieux comme s'il y habitait encore.

19 heure 30.

Debout face au soleil couchant, sa main gauche dans son manteau, jouant distraitement avec un insigne d'auror, l'autre portée jusqu'à ses lèvres pour savourer le doux parfum de son poison, Johann observait la tombe de son grand-père. Amory Kayser avait été un homme fier et dure. Un auror qui avait perdu sa combativité quand son fils et sa belle-fille s'étaient fait tuer par les leurs dans une bataille rangée. Des traitres qui avaient vendu des informations à l'ennemi.

D'aussi loin que l'orphelin se souvenait, Amory n'avait jamais dit du bien de ses parents. Des lâches était le qualificatif le plus doux qu'il employait pour les désigner. Des couards. Pour lui, son propre fils avait craché sur son honneur dès lors qu'il avait accepté de porter une marque l'enchainant à un serpent.

Vieil ami de grandes figures du monde, Amory avait fini par s'isoler devant les railleries, les regards et les coups-bas. Aussi fort avait-il été dans sa jeunesse, le déshonneur et la culpabilité l'avait rongé. Si bien, si fort, que Johann en avait payé le prix pour tous les autres. Ce dernier ne regrettait pas l'éducation violente qu'il avait reçu pour autant, même avec le temps passé. C'était celle-ci qui l'avait forgé. Toutes ses idées, toutes ses décisions, il les lui devait. Il les devait à un homme qui avait tout eu et qui avait tout perdu.

L'un de ces hommes hantait par son passé trop sombre et qui ne savait pas comment faire comprendre l'amour qu'il portait à ses proches. Alcoolique, violent, drogué, Johann n'avait connu que le fier Amory par les récits que son grand-père lui contait quand il était un enfant pour l'endormir. Dès le lendemain, les gifles pleuvaient à nouveau, mais les rares moments de complicités lui manquaient atrocement. Même les coups, parfois.

« Salut grand-père, souffla Johann, recrachant la fumée qui vint lécher son front. J'espère que papa et maman ne te mettent pas trop la misère où que tu sois maintenant. »

Johann soupira. Aucune froideur. Aucun maintient parfaitement rigide. Quand il venait se recueillir sur cette tombe, derrière cette demeure de pierre froide, il redevenait l'adolescent endeuillé.

« Le serpent en V, comme tu l'appelais, est de retour. Tu te souviens quand tu disais que Dumbledore finirait par tomber de son piédestal et que le monde n'était pas prêt ? »

Nouveau soupir. Le dernier des Kayser sortit l'insigne de sa poche. Son œil gauche clôt, il plaça le métal de sorte à cacher le soleil, le bras tendue vers l'avant, pour ne pas s'éblouir. Sur celui-ci, un nom lisible, gravé : Lévine Serger.

« Et bien je crois qu'on s'en rapproche... Je ne sais pas quoi faire. En un mot comme en mille, c'est la merde. »


CODAGE PAR AMATIS

Johann A. Kayser
Admin acerbe
Johann A. Kayser

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Heart Made Of Glass, My Mind Of Stone
Trompe-toi, sois imprudent, tout n'est pas fragile. N'attends rien que de toi, parce que tu es sacré, parce que tu es en vie. Parce que le plus important n'est pas ce que tu es, mais ce que tu as choisi d'être. by Wiise
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Dim 2 Mai 2021 - 19:16
Interrogatoires de NovembreLes inscritsLa traversée des couloirs lui paraissait interminable. Le bruit régulier de ses talons sur le sol parvenait à ses oreilles, détail auquel elle ne prêtait jamais vraiment attention en règle générale. Cependant, depuis quelques minutes, elle s'y était attardée, sans trop comprendre pourquoi. Ou peut – être que si, en fait. Probablement que la secrétaire qui la précédait y était pour quelque chose. La femme, qui devait avoir une bonne soixantaine d'année, avançait à un rythme soutenue comparé à ce qu'on pouvait s'imaginer pour son âge. Delyla l'avait croisée en arrivant au ministère, et lui avait naturellement demandé son chemin pour se rendre dans la salle indiquée sur sa convocation. À peine aimable, la grisonnante lui avait presque arraché le parchemin des mains lorsqu'elle le lui avait tendu pour lui montrer, avant de se mettre en route après lui avoir marmonné de la suivre. Depuis, elle cavalait dans les couloirs pour la mener vers la salle indiquée, tout en ronchonnant dans sa barbe de temps à autres. À sa suite, la couturière semblait presque peiner à maintenir le rythme, et elle aurait bien demandé à la plus âgée d'aller moins vite si cette dernière ne semblait pas prête à lui aboyer dessus à la moindre remarque pouvant lui déplaire. Elle pouvait toujours lui justifier qu'elle sortait de l’hôpital après avoir été guéri d'une fracture de la jambe, et donc qu'une marche aussi sportive quelque temps après sa sortie ne lui était pas forcément des plus agréables. Mais elle s'imaginait déjà la vieille se transformer en harpie, et l'engueuler comme il faut pour lui dire qu'elle n'avait pas que ça à faire de l'aider à trouver une salle, avant de la laisser en plein milieu du couloir sans possibilité de trouver son chemin. Ne voulant pas envisager cette option, elle s'était contenté de la suivre sans un mot.

Finalement, elles étaient tout de même parvenues à destination, et Francine (puisque c'était là le doux nom de sa charmante guide) lui avait sèchement rendu sa convocation en lui signalant qu'un inspecteur ne tarderait pas à venir. Puis elle était repartie à son poste, sans plus de considération pour la blonde. La trentenaire en venait à espérer que la personne qui lui poserait des questions serait un peu plus aimable, sans quoi l'interrogatoire promettait d'être très long et désagréable.

C'est alors qu'un homme robuste et bedonnant, à la démarche un peu boiteuse, était arrivé pour ouvrir la porte de la salle d'interrogatoire. Le grincement du battant leur avait ouvert la voie à une salle d'interrogatoire des plus sommaire, dépouillée de tout superflue inutile. Une pièce sombre, avec une table, deux chaises se faisant face, et un miroir. Derrière ce dernier, la couturière imaginait que se trouvait une autre salle, avec des gens capable de les observer à travers la vitre dissimulée. Un peu comme dans les films policiers que regardait son père. En soit, c'était totalement possible, et elle devenait curieuse de savoir combien de personne pouvait se trouver derrière, à observer l'interrogatoire qui aurait lieu.

Le raclement de gorge de l'inspecteur la tira de cette pensée, alors qu'elle le voyait prendre place sur une des chaises, bien qu'il n'y semblait pas à son aise. Après avoir sorti un carnet et un stylo, il s'était adressé à elle d'une voix rauque.

« B'jour. T'peux t'installer là. » Avait – il dit en désignant la seconde chaise de la main pour l'inviter à s'asseoir, tout en entamant son café. « Hank Penley, enchanté. Ton nom, ta profession et la raison d'ta présence sur c'te chaise, s'te plaît. »

Delyla se rendait alors compte qu'elle l'avait suivit à l'intérieur sans chercher à s'asseoir, absorbé qu'elle pouvait l'être par son inspection des lieux. Elle n'aimait pas particulièrement l'endroit qui n'avait rien de chaleur (et très probablement que c'était voulu), mais elle s'en accommoderait. Ce n'était pas comme si elle y resterait longtemps.

« Bonjour Monsieur. » Lui avait-elle répondu avant de s'installer sur la chaise désignée et de reporter son attention sur lui. « Enchanté de même. Je m'appelle Delyla Gavril, couturière chez Madame Guipure, et je suis ici suite à une convocation. »
« Une convocation, hein ? Et t'sais p'tet la raison de celle-ci, hum ? »

Bien qu'elle n'irait pas le faire remarquer, elle trouvait que cette question n'avait pas vraiment d'utilité. Si elle avait, effectivement, pu se poser la question de la raison de la convocation, il y avait tout de même une certaine logique avec les événements récents. En effet, elle n'avait rien à se reprocher, et vivait sa vie paisible de citoyenne lambda. Le seul fait marquant auquel elle avait assisté ces derniers jours était la soirée aux Trois Balais qui avait mal tourné.

« Pour la soirée d'Halloween du 31 Octobre, je suppose. Du moins, je ne vois pas d'autres raisons. » Avait-elle simplement répondu à l'inspecteur.
« Ouais c'est pour c'te soirée. » Avait confirmé l'inspecteur.

Savoir cela la rassurait un peu. Contrairement aux informations qu'on pouvait interpréter dans le Journal, cette histoire était prise au sérieux. Au vu du nombre de personnes impliquées, rien que part leur présence à la soirée, elle trouvait cela beaucoup plus logique. Puis ce genre d’événement n'était pas anodin. Surtout, ça lui apparaissait beaucoup trop suspect pour une simple blague, notamment au vu des événements qui s'étaient déroulé du côté de l'équipe de recherche dont elle avait fait partie. Mais elle n'en était pas encore à cette partie de l'histoire.

« Ça veut dire que t'y étais ? » Avait-il demandé.
« Oui, j'y étais avec des amis. »
« Et t'as l'nom d'ces fameux amis ? »

Alors qu'il prenait une gorgée de son café, elle s'était questionné sur l'utilité de l'information, avant de se dire que l'homme ne lui poserait pas la question s'il n'y avait pas une raison derrière. Alors, elle avait simplement répondu, attendant de voir la suite.

« Rose Belford, Jonathan Goldberg et Spencer Lovelace. »

Il avait pris note des noms, chose que Delyla avait associée à sa propre présence dans les lieux. Lors d'un précédent interrogatoire, quelqu'un l'avait-il cité ? C'était fort probable, sinon elle ne serait sans doute pas là à cause d'une convocation.

« Mh, et ils peuvent l'confirmer ? » Avait-il ensuite demandé, permettant à Delyla de comprendre la logique de sa question précédente.
« Oui, nous nous sommes préparés chez moi, et nous sommes allés à la soirée tous ensemble. »

C'était l'aspect pratique d'avoir des témoins, ils pourraient confirmer les événements de la soirée. Elle savait que ses amis ne lui en voudraient pas de les avoir cités, ils comprendraient. Peut-être que c'était même le témoignage de l'un d'eux qui avait conduit à sa présence ici. Aucun moyen de le savoir, et ce n'était pas forcément ce qui importait.

« T'as fait quoi à c'te soirée ? R'trace moi l'déroulement, si t'as vu des choses bizarres, sortant un peu d'l'ordinaire. »

Il avait fait un lâche mouvement de la main, comme pour accompagner ses propos et l’encourager à parler, en s'allumant une cigarette. Delyla en avait profité pour réfléchir quelques instants, histoire de remettre ses souvenirs en ordre.

« Après être entrée dans les Trois Balais avec mes amis, la musique a démarré et nous avons dansé. J'ai quitté la piste de danse au bout d'un moment pour aller me restaurer un peu au buffet. Je suis tombée sur une farce et attrape parmi les confiseries. À partir de là, mes souvenirs de la soirée sont un peu flous entre le moment où j'ai mangé la farce, et le moment où un de mes amis a mis fin aux effets. Puis je suis allée discuter avec quelqu'un de la salle. Je n'ai rien remarqué de bizarre durant la soirée, jusqu'au moment où les lumières se sont éteintes sans prévenir. »
« Donc t'as parlé à d'autres gens que t'es potes ? T'as leurs noms à eux aussi ? »

Sur cette information, Delyla avait de nouveau réfléchi pour essayer de se souvenir du nom de la personne. Elle connaissait la jeune femme pour l'avoir déjà rencontré avant la soirée, mais son nom, bien qu'il soit assez particulier, avait du mal à lui revenir.

« Onixya... » Avait - elle commencé avant de faire une petite pause. « Wintersong, je crois... »

Elle avait pris un temps de réflexion, afin d'être sûr d'elle. Le prénom était peu commun, ce qui justifiait qu'elle l'ai mieux retenu, mais le nom lui apparaissait moins net. Pourtant, l'assimilation des deux correspondait à ce qu'elle se souvenait avoir écrit dans son registre de commande lorsque l'infirmière était passée à la boutique de vêtement.

« Du moins, si mes souvenirs sont bons. » Avait-elle poursuivi. « C'est pendant notre conversation que les lumières se sont éteintes. »

L'évocation de ce nouveau nom semblait embêter l'inspecteur, puisqu'elle l'avait entendu marmonner dans sa barbe.

« Qu'est-ce que c'est qu'ce nom encore.... » Delyla l'imaginait aisément peiné à savoir comment cela pouvait bien s'orthographier, mais il l'avait pourtant noté avant de reprendre plus distinctement. « T'étais t'jours avec qu'elle quand les lumières sont rev'nues ? »
« J'étais toujours au même endroit, mais elle n'était plus à mes côtés. » Avait – elle expliqué avant de faire une hypothèse. « Je suppose qu'elle a bougé, mais je ne saurais pas vous dire pourquoi. »
« Ok et tes p'tits amis, t'sais où ils étaient à c'moment là ? »

Un détail pour elle sur le moment, et la question lui faisait se rendre compte qu'elle n'y avait nullement songé lors de la soirée. Quand elle y repensait, elle reconnaissait ne pas avoir pris garde de leur position sur le moment.

« Je les ai perdus de vue. » Avait-elle simplement avoué. « D'après ce qu'ils m'ont dit quand je les ai revus après la soirée, ils étaient sur la piste de danse. »
« "Après la soirée", tiens donc. T'as pas cherché à les r'trouver après le p'tit caprice des lumières ? »

Vue comme ça, elle voulait bien croire que ça pouvait donner l'impression qu'elle ne s'était pas inquiétée pour eux. La vérité était bien plus compliquée que cela. Tout s'était rapidement enchaîné. Pour répondre à l'inspecteur, elle avait poursuivi en expliquant ce qu'il s'était passé.

« Sous l'effet de la surprise, j'avoue ne pas y avoir pensé, et je n'en ai pas eu le temps. J'ai entendu quelqu'un dire aux élèves présents qu'ils allaient rentrer. J'en ai déduit que ce qui venait de se passer devait être assez grave pour prendre ce genre de décision. On est venu m'expliquer la situation et me demander mon aide pour retrouver l'élève disparu, ce que j'ai accepté. »

Bien que l'homme pouvait apparaître bourru, il lui apparaissait également comme capable de comprendre sa logique du moment. Ce qui semblait être le cas, au vu du fait qu'il n'avait pas insisté et qu'il était passé à la suite de son récit.

« Et c'est qui qui t'as d'mander un coup de main pour les r'cherches du disparu ? »
« Johann Kayser. »

Suite à sa réponse, l'homme avait bu une gorgée de son café en retournant quelques feuilles de son dossier de son autre main. Il s'était arrêté sur une page qu'il avait survolée vaguement avant de reposer sa tasse. En observant faire l'inspecteur face à elle, Delyla s'était demandé si le professeur avait, lui aussi, été interrogé. L'Auror n'avait pas noté son nom comme il avait pu le faire pour les personnes qu'elle avait citées précédemment, ce qui l'avait intrigué. Elle donc supposait que ce devait être le cas, même si elle ne pouvait pas confirmer l'information.

« Et comment z'avez procédé pour les recherches, avec ce Johann Kayser ? » Avait reprit Hank.

La trentenaire avait de nouveau pris le temps de réfléchir quelques instants pour se souvenir, avant d'offrir sa réponse. Elle voulait pouvoir raconter les événements sans oublier d'informations, ce qui n'était pas forcément évident. Les informations n'étaient pas toutes fraîches dans son esprit, et certains détails pouvaient lui échapper, mais elle essayait de faire au mieux.

« Pendant que tout le monde sortait, j'en ai profité pour faire un dernier tour des Trois Balais, histoire de m'assurer que tout le monde quitte bien les lieux. En voyant qu'il ne restait plus personne à l'intérieur à part Madame Rosmerta, je suis sorti dehors pour rejoindre Johann et le reste de l'équipe de recherche. Une annonce a été passée pour inviter les habitants à rester chez eux. Puis une femme nous à indiquer une rue où elle a vu partir quelqu'un, et il y a eu un éclair rouge dans cette direction. Nous avons donc suivit cette piste. »

Après avoir pris quelques notes d'un mouvement lent du poignet, l'homme avait enchaîné sur quelques questions de vérification.

« Elle v'nait d'où cette femme ? Elle était à la fête aussi ? Tu la connais p't'être ? »
« Elle était à une fenêtre d'un bâtiment alentours. Je ne la connais pas, et de ce que je sais elle n'était pas à la fête. »
« Ok. » Avait - il simplement répondu en grattant une note rapide, tout en aspirant une bouffée de sa cigarette qu'il avait expiré en prononçant sa prochaine question « Elle vous à m'ner où, vot' piste ? »

De nouveau, la blonde avait pris le temps de réfléchir quelques instants pour se souvenir, et avait répondu de la façon la plus assurée possible malgré les doutes.

« Dans une rue, sur notre gauche, si je ne dis pas de bêtises. Il faisait sombre, il était difficile de voir, mais nous n'avons pas utilisé de Lumos pour éviter les risques d'être repérables. Malheureusement, on a quand même été attaqué après nous y être engouffré. »
« Attaqué, tu dis ? J'peux savoir par qui ou par quoi ? »

Bien qu'elle redoutait un peu la réaction de l'inspecteur face à la réponse qu'elle allait donner, elle s'engouffra tout de même à la prononcer. D'avance, elle savait qu'un des mots employé ne tomberait pas dans l'oreille d'un sourd, mais il s'agissait aussi d'une information qu'elle ne pouvait pas cacher.

« Je n'ai pas pu les identifier au début de l'affrontement, mais c'était par des mangemorts. »
« Ah tiens donc, des Mangemorts ! Ça f'sait longtemps qu'on en avait plus entendu parler d'ceux là. T'as vu leur marque pour affirmer c'te genre de chose ? »

Comme elle l'avait prédit, chose qui n'était pas difficile, la référence n'avait pas manqué. Malheureusement, la réponse n'était pas aussi simple qu'elle l'aurait voulu. Ce n'était pas comme si les assaillants leur avaient mis leurs bras sous le nez pour que tous constatent qu'ils avaient effectivement à faire à des Mangemort. Sans compter qu'il faisait nuit, ce qui n'avait rien aidé. Seul un élément extérieur pouvait faire dire à Delyla le camp d'appartenance des attaquants.

« J'ai vu le masque d'un assaillant, c'est comme ça que j'ai reconnu. »
« Et tu crois que personne est capable d'se dégoter un masque d'crâne flippant autre qu'des mangemorts ? »

Bien qu'elle avait un tantinet l'impression d'être prise pour une idiote, elle ne pouvait pas contester qu'il marquait un point. La réflexion était intelligente, d'autant plus qu'elle n'avait rien pour lui faire remarquer la spécificité du masque. Pour cela, il aurait probablement fallu qu'elle ait un appareil photo sur elle, et qu'elle prenne le cliché au bon moment. De là, problèmes : elle n'avait pas d'appareil photo, et, même si elle en avait eu un, elle avait autre chose à faire à cet instant que de pensée à prendre un cliché pour prouver ce qu'elle disait.

Cependant, même s'il lui faisait remarquer ce détail, elle n'avait pas démordu de sa version, et avait justifié ses propos précédents en les détaillants. Elle aurait bien aimé lui simplifier la vie avec d'autres preuves que ses dires, mais ce n'était pas si simple.

« Ces masques sont assez particuliers et identifiables. Ce n'est pas le genre qui se vend, du moins pas à ma connaissance. Peut-être que je me trompe, mais si c'était possible, je ne vois pas qui d'autre aurait un intérêt à s'en procurer au vu de leur connotation. »

En d'autres termes, elle ne voyait pas l'intérêt de se faire passer pour des mangemorts, sauf si on voulait prendre double peine. En effet, bien que ce ne soit que supposition, pas sûre que les réels mangemorts apprécient qu'on leur colle sur le dos des crimes dont ils ne sont pas les auteurs.

Mais, bien qu'elle lui exposait un point de vue qui lui semblait logique, Delyla voyait bien qu'il n'avait pas l'air complètement convaincu. L'inspecteur inspirait par le tube de sa cigarette en l'observant d'un regard perplexe, comme si quelque chose le dérangeait dans ses propos, mais qu'il n'avait aucune preuve du contraire. Cela justifiait probablement qu'il soit passé à autre chose.

« Ok, t'peux m'parler plus précisément d'l'attaque, s'teuplait ? Z'étaient combien cont'vous ? Y'a eu des blessés ? Comment l'combat s'est arrêté ? Et cetera. »

Encore une fois, elle avait réfléchi quelques instants pour se remémorer les événements de la soirée. La bataille contre les assaillants avait été mouvementée, et, à défaut de se souvenir de chaque détail, elle voulait lui fournir une version aussi complète que possible.

« Peu après nous être engagé les uns à la suite des autres dans la ruelle, nous avons été attaqués par deux assaillants : d'abord une attaque à l'arrière du groupe, puis une à l'avant. La première attaque a fait exploser une fenêtre, mais je crois que personne n'a été touché. »

Fort heureusement, d'ailleurs, car elle aurait trouvé dommage de faire des blessés aussi vite. Elle avait gardé ce commentaire pour elle.

« À l'avant, j'ai entendu un protego, donc je suppose que la seconde attaque a été évité. Comme Johann était à l'arrière, il a pris en charge l'attaquant qui était de son côté. La personne devant moi a lancé un Lumos Solem, probablement pour éblouir ou pour révéler la cachette de l'ennemie à l'avant. J'ai voulu en profiter pour lancer un sort dans cette direction, mais sans succès. »

En soit, ça avait été le cas de quasiment tout les sorts qu'elle avait lancé durant la soirée. En quelque sorte, elle s'était transformée en réceptacle à malchance, ce qui avait probablement réussi à éviter trop de dégâts à ses camarades.

« Si je me souviens bien, c'est à ce moment que j'ai vu le troisième assaillant. »

Elle avait fait une pause de quelques secondes pour se souvenir, avant de reprendre.

« Ce dont je me souviens ensuite, c'est d'un parterre de fleurs se dirigeant à vive allure dans ma direction. J'ai tenté de l'éviter, mais il m'a heurté de plein fouet et m'a fait tomber, puis il m'a cassé la jambe en tombant dessus. Je ne me souviens plus trop ce qui s'est passé autour de moi pendant ce temps-là à cause de la douleur. J'ai fait ce que je pouvais pour me mettre en position assise, et j'ai entendu un sifflement. J'ai compris que les ennemies avaient fui parce que les sorts avaient cessé. J'ai dit au reste du groupe de continuer sans moi, Johann a essayé de créer une attelle sur ma jambe le temps que je puisse me mettre à l’abri, et ils sont partis à la poursuite des assaillants. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ensuite. »

Ainsi s'était achevée l'aventure pour elle. Malheureusement pour l'inspecteur, il devrait se contenter d'un récit qui ne comportait pas tous les événements, seulement ceux auxquels la blonde avait pu assister. Il en avait d'ailleurs pris note tout le long en inspirant de sa cigarette accrochée à ses lèvres. À la fin de sa longue prise de note, l'homme avait pris une nouvelle gorgée de son café en se relisant rapidement, avant de relevé la tête dans la direction de Delyla.

« T'as pas vu où les trois brutes sont parties, hein ? Et personne est resté avec toi en attendant d'l'aide pour ta jambe ? »

En entendant la dernière question, Delyla s'était demandé s'il l'avait vraiment écouté. Elle avait dit elle – même qu'elle avait demandé au reste du groupe de continuer sans elle, ce qui voulait bien dire ce que ça voulait dire. Mais elle avait gardé cela pour elle, et s'était contenté de répondre en faisant référence à ses propos précédents qu'elle allait préciser.

« Je n'en ai aucune idée, tout s'est passé très vite. Pour ma jambe, je leur avais dit de continuer sans moi, ce qu'ils ont fait. Je me suis débrouillé pour me relever sur mon autre jambe, puis j'ai improvisé des béquilles pour réussir à sortir de la ruelle et retourner vers les Trois Balais pour me mettre à l'abri en attendant d'aller à Sainte Mangouste. »
« Et t'as croisé d'aut' gens jusqu'au Trois Balais ? »
« Un inspecteur, qui était sur place. Il m'a vu arriver et il m'a aidé à me mettre en sécurité jusqu'à ce que je puisse être emmené à l'hôpital pour être soigné. »
« T'as l'nom d'cet inspecteur ? Et il t'a emmené où pour t'mettre à l'abri ? »

Face à cette question, elle se rendait compte qu'elle ne se souvenait absolument pas du nom de l'inspecteur qui lui était venu en aide. Elle en venait même à se demander s'il le lui avait simplement dit. Elle avait réfléchi pour essayer de se rappeler, mais rien. Elle allait considérer qu'il avait dû se présenter, mais que sa mémoire lui faisait défaut.

« J'ai oublié son nom, désolé... Il m'a ramené à l'intérieur des Trois Balais. »
« Ça marche. » Lui avait répondu l'homme. Puis il avait expiré longuement en passant la main dans ses cheveux. « T'as d'aut' trucs à m'dire ou on peut clôturer là-d'ssus ? »
« Je pense vous avoir tout dit. »

Du moins, elle n'avait pas l'impression d'avoir oublié quoi que ce soit, ou alors elle ne l'avait pas remarqué. Pourtant, une question persistait dans son esprit depuis la soirée. Elle ne savait pas si elle pouvait le demander. Après avoir pris quelques secondes de réflexion, elle avait osé poser sa question. À défaut d'avoir une réponse, elle aurait au moins essayé de savoir.

« Ça ne me regarde peut-être pas, mais ... L'élève qui a disparu a été retrouvé ? Il va bien ? »

Après tout, c'était dans ce but qu'elle avait rejoint l'équipe de recherche ce soir-là. Contre toute attente, les traits de l'inspecteur s'étaient légèrement déridés, alors qu'il fermait les yeux en hochant la tête, avant de lui offrir une réponse.

« Il a été r'trouvé oui, t'ronge pas l'sang pour ça. » Il avait esquissé un sourire très léger avant de vider sa tasse. « Bien, t'peux retourner à tes occupations, merci pour ta coopération. »

La trentenaire avait eu un léger sourire soulagé sur les lèvres, avant de se lever. Au moins une bonne nouvelle, les recherches avaient abouti à quelque chose.

« Merci de votre réponse, et de rien. Bonne journée à vous. »

Elle avait salué l'inspecteur d'un signe polie de la tête, signe qu'il lui avait rendu avant de lui répondre à son tour.

« Bonne journée oui. »

Elle était tranquillement sortie de la pièce suite à cela. Puis, essayant de se souvenir du chemin qui l'avait mener jusqu'ici, elle avait fait le chemin inverse pour sortir du ministère. Finalement, ça s'était mieux passé que ce qu'elle aurait pensé. Toutefois, même si le fait d'avoir retrouvé l'étudiant disparu était une bonne nouvelle, il restait encore la question des agresseurs. Tant qu'ils étaient en liberté, la menace planait toujours au-dessus des têtes. Pour combien de temps, impossible de le savoir, mais Delyla espérait que cette histoire trouverait une fin le plus rapidement possible.
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Delyla Gavril
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Delyla Gavril
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Dim 2 Mai 2021 - 21:09
Les InterrogatoiresLe pourquoi est la genèse de tout interrogatoire.


Les bureaux se ressemblaient tous. Un alignement de tables dans un open-space laissant peu de place à l'intimité. La porte était entrouverte, faisant courir à ses oreilles les derniers bruits de couloirs et l'agitation d'un service surbooké. Le dos avachi dans son fauteuil en cuir, Grant Marshall disait l'écriteau sur la plaque dorée, observait d'un œil calculateur les quatre pochettes cartonnées disposées à deux centimètres – précisément – de son porte plume. Parfaitement superposées, il en avait réarrangé, par habitude, le placement de l'index, avant de se saisir de la première du lot. Des lignes droites, rentrant dans un cadre invisible. Des informations hachées, toutes ordonnées d'un tiret. Il reconnut aisément la police manuscrite de Charles. Les éléments n'eurent aucun mal à se frayer un chemin dans ses propres observations, aidés par le recul d'une retranscription minutieuse et appliquée.

De la main gauche, il extirpa d'un tiroir un parchemin vierge, pour le noircir de quelques lignes. Attaque sur un cortège d'élèves, détachement d'un groupe, affrontement avec des individus masqués – il n'en précisa pas la nature, préférant passer à son prochain pointiller -, lancement de deux impardonnables, Doloris et Impero nota-t-il dans la marge, deux élèves blessées. La pointe de sa plume d'oie s'arrêta sur la boucle de son « S », pour ne pas perdre le fil. Concentré, il chassa le dossier dans la caisse à ses pieds, l'envoyant rejoindre l'urgence d'un passage aux archives, pour s'appliquer à la lecture de courbes soignées d'Aimee Stevens.

Décalant son poignet d'un cran, il apposa dans une colonne : Suspects, les noms cités par sa subordonnée. Lévine Serger, Andrée de Kérimel, Stanislas Ibranovitch, Astrid Ragnasdóttir et en quelques mots, nota les raisons de sa méfiance. Manque de coopération, imprécisions, collaboration, dissimulation, incohérence, parenté douteuse, philtre d'amour. Satisfait, il fit glisser le rouleau aux côtés des autres documents, et se saisit du troisième et non des moindres, qu'il survola, avant d'apporter des nuances aux accusations de sa collègue.

Hank n'était pas adepte des phrases concises, ni des phrases complètes et son italique empressé n'aidait pas au repos de ses yeux. Il décrocha les feuilles volantes annotées de rouge et de noir, pour les greffer à son propre écrit. Le plan appuierait les dires des témoins et la liste leur permettrait d'y voir plus clair. La version de l'Auror Serger le disculpa intégralement, au même titre que son équipier, dont l'incrimination dépendait exclusivement de l'implication de son binôme, tandis que Delyla Gavril se démarqua par l'absence de suspicions de la part d'un limier comme Penley. Alex Brekke s'ajouta aux adultes à surveiller, ainsi que Cébren Gallagher, qui lui, à contrario de Miss de Kérimel, n'eut pas le droit à un entourage carmin, mais à une simple mention, tout comme la bibliothécaire : À surveiller.

Caroline l'épargna d'affolantes élucubrations, pour se concentrer sur des commentaires empathiques, si bien qu'au terme du troisième prénom, il y ajouta ses recommandations maudissant par avance les procédures interminables à leur mise en application. Si les trois premières déclarations rejoignaient respectivement celles de Merlin Shafiq et Elyana Sleepy, interrogées par Clifton, les suivantes abordaient des points encore obscurs de l'affaire. La course poursuite déjà détaillée par Joris de Beauvoir, fut acté de la déposition d'Aria Beurk, qui de l'énigme à la découverte des lieux, ne différa pas du point de vue de son camarade. Sessho Shinmen n'apporta hélas que peu d'éléments, tout au moins, à chaud, qui ne relevaient pas nécessairement d'une importance cruciale à la conclusion de l'enquête. Un homme, d'âge inconnu, portant un masque de clown, possédant à présent une cicatrice sur le torse.

Avec un soupir, Grant se renfonça dans son assise, les jambes croisées et la plume entre les doigts. Lui qui était resté sceptique à la lecture de la gazette depuis Septembre quant au retour du Seigneur des ténèbres, ne pouvait nier l'évidence. Tous avaient vu quelque chose cette nuit-là. Des imitateurs ou de réels partisans. Se concentrant uniquement sur les faits, il ne put nier la vérité qu'une dizaine de secondes. Tout les ramenait à cette hypothèse folle. Il était de retour. Et l'aveuglement du ministre face à la division de sa population et aux cris d'alertes de ses concitoyens conduisaient à des événements comme le 31 Octobre 1995. Les pistes encore fraîches ne menaient sans doute qu'à des impasses, bien que le sang, lui, pouvait amener à faire sortir un rat de sa tanière. Pour l'heure, il ne souligna qu'un nom, qui serait scruté nuit et jour : De Kérimel.

__________________

HJ

Merci à tous d'avoir participé aux interrogatoires, ce fut un plaisir de vous lire et de les jouer en votre compagnie. Nous espérons que cet interlude suite à Halloween vous a plu. Ci-dessous, vous pourrez lire les rapports des inspecteurs, rédigés par nos soins.

Conclusion du rapport de Charles Clifton:

Liste des suspects d'Aimee Stevens:

Prise de notes d'Hank Penley:

Les conclusions de Caroline Johnson:

Concernant les suspects, les cas d'Alex et Cébren vont vaguement être surveillés, peut-être croiseront-ils une fois un auror les zieutant au coin d'une rue, mais sans plus. Andrée, quant à elle, va être observée de près : elle devra être très prudente dans ses actions durant tout le mois décembre (et potentiellement plus longtemps, selon) car quelqu'un semble la guetter et la suivre à chaque coin de rue. Informations à prendre en compte inRP, bien entendu, car vos chers admins, vous le savez, ont des yeux partout...

Autre point : tous les élèves s'étant réveillés à l'infirmerie au lendemain d'Halloween (Aria, Ariel, Azalée, Eileen, Joris, Jules, Merlin, Sessho) se verront proposer un soutien psychologique par un professionnel. Chaque élève concerné pourra refuser ou accepter, mais il y aura plus d'insistance/encouragement envers Sessho et Ariel en cas de refus, du fait des recommandations de l'inspectrice Caroline Johnson. Si accepté, vous pouvez prendre en compte inRP que votre personnage aura un rendez-vous hebdomadaire avec un psychomage qui se déroulera dans le bureau du directeur de sa maison et ce, pour une durée de votre choix.

À bientôt,
Le Maître du jeu.


:copyright:️ 2981 12289 0
Le Choixpeau Magique
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Le Choixpeau Magique
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