Un cri raisonne dans le bureau, reconnaissable entre mille. Il fait tourner les têtes de ses collègues tandis qu’il sursaute et se laisse glisser lentement sur sa chaise. Il sait déjà que la harpie va débouler dans le bureau dans 3, 2, 1…
Comme d’habitude il ne répond pas et comme d’habitude personne ne relève vraiment. Il est vrai que la paresse et la flemme tenace de l’auror n’était plus à démontrer. C’est devenu sa marque de fabrique. Ça et l’ensemble des tours de Pise qui trônent sur son bureau. Bien souvent les feuilles volent dans ses accès de colère, les dossiers brinquebalant finissent par vomir leur contenu. Ouais. flemmard et bordélique. On se demande comment il a pu obtenir son diplôme en le voyant aussi désinvolte et sans aucune implication au bureau.
Alors que la femme frappe violemment du plat de ses mains la surface de bois, il lui accorde enfin un regard en soupirant. Ses mains s’activent, retournent des pots, fouillent dans des documents, ouvrent des tiroirs jusqu’à sortir un maigre dossier à l’écriture bancale. Lentement il relève les yeux en le lui tendant, victorieux.
Ce n’est pas dans ses habitudes de ne pas répliquer en hurlant plus fort. C’est son ego susceptible et borné qui refuse d’admettre qu’il est en tort. En temps normal il se serait levé, aurait gueulé plus fort encore, aurait tenté de clamer qu’il n’avait pas terminé car le sujet était complexe et demandait toute sa concentration. La vérité c’est qu’il ne l’avait toujours pas ouvert et n’avait pas envie de se fatiguer. Mais comme cette fois-ci il savait qu’il avait réussi il avait tenté une autre approche.
La séduction.
Stanislas est un séducteur dans l’âme. Son sourire tombeur, son regard doux, ses cheveux indisciplinés qui lui donnent un air fougueux, en général ça fait tomber les filles. Il en joue, il le sait. Après tout la vie est faite pour s’amuser, non ? Ce n’est pas le pro des mots mais ces expressions sorties du fond du chaudron et ses blagues vaseuses font souvent mouche. Les femmes, c’est comme les bons alcools, ça se mérite !
Ces quelques éléments pourraient le faire passer pour quelqu’un de stupide et de superficiel pour quelqu’un qui ne le connaît pas et ne l’a jamais vu sur le terrain. Pourtant il est loin d’être si superficiel. Sur le terrain c’est un homme engagé, fonceur, courageux. Certes il observe, et parfois il arrive à se contenir lorsque Lévine prend les rennes. Mais en général il fonce et prend toujours les choses à cœur. Car c’est un homme qui croit en ses valeurs, qui a des convictions et un profond sens de la justice. C’est pour ça d’ailleurs qu’il a choisi cette destinée. Pour combattre la justice, pour aider les plus faibles, pour protéger le monde des monstres. Pour être le valeureux héro des contes et légendes.
Stanislas c’est le cœur sur la main. Le sourire du matin quand la nuit a été compliquée. L’étincelle d’énergie quand les nerfs lâchent. La ténacité quand tout semble pourtant tomber en ruine.
Stanislas c’est le gai luron qui soûle par ses blagues vaseuses. Le dragueur invétéré qui n’a pas toujours confiance en lui mais sait que ça va passer. L’auror qui croit en la justice. Le flemmard qui repousse toujours tout au lendemain, sauf son devoir.
Stanislas, c’est celui qu’on croise une fois mais qui reste en tête.
« A ton âge, ton frère partait travailler aux États-Unis... »Sous ses doigts la point de sa plume perça le parchemin, laissant une tâche noire là où la boucle de son écriture s’était effritée. Ses sourcils se froncèrent alors que ses doigts se serraient d’avantage, faisant presque couiner la plume, comme si l’animal dont elle était extraite tenait encore à son bout. Il était en colère. Lassé. Déconfit. Habitué ? Mais cette fois il y avait quelque chose de trop. Le refrain il le connaissait, l’avait déjà entendu à des centaines et des centaines de reprises. Mais cette fois il y trônait comme un aspect presque insidieux. Malsain. Blessant.
« Bordel c’est quoi le problème ? »Il n’avait pas haussé la voix, était resté le dos voûté sur sa chaise, le regard rivé sur l’énième parchemin qu’il remplissait jusqu’à l’arrivée venimeuse de sa mère. Son bureau de bois était creusé des rides de l’âge et de l’attaque des deux frères qui s’y étaient succédés. La faible lumière posée dans un coin diffusait une lumière jaunie et laissait le reste de la pièce dans la pénombre sans pour autant – malheureusement – camoufler l’aura sombre de la femme ancrée à la porte.
« Je commence à le connaître ton putain de refrain. » Son sourire se fit mauvais, mais vaincu. Comme celui d’un petit être qui voulait se faire plus grand, se faire prédateur face à l’ennemi.
« À ton âge ton frère il était déjà à New-York. À ton âge ton frère il était sorti avec les meilleures notes de Durmstrang. À ton âge ton frère il allait bientôt se marier. À ton âge ton frère il se concentrait sur ses études et sa réussite au lieu de faire le pitre sur un balais. »Les informations n’étaient pas dans le bon ordre. Les reproches n’étaient pas chronologiques. Mais il les avait tellement entendues, toutes, à différentes époques de sa vie, à différents moments de la journée, lors de diverses activités. Tout en crachant d’un ton calme chacune de ses accusations, de ses mélopées quotidiennes il s’était levée. Il avait roulé proprement ses parchemins. Essuyé sa plume sur son chiffon avant de la ranger. Revissé calmement son encrier. Fourré le tout dans un sac avec ses manuels, ses affaires et sa boîte de chocolat entamée.
« Tu sais ce que c’est ton problème ? Tu fuis toujours. » Alors il lui avait fait face. Avait plongé son regard sur l’ombre aux billes éclatantes qui entretenait son écran de fumée entre la lueur de sa chambre et la lumière du couloir. Il avait remonté son sac sur son épaule. Resserré sa ceinture et ajusté sa chemise dans son pantalon. Cette fois-ci il était prêt.
Alors à pas lents, solides, décidés, il s’avança jusqu’à s’arrêter devant elle, la dépassant d’une dizaine de centimètres. La toisant comme jamais alors il n’avait jamais toisé un parent. Trop de respect. Pour la tradition. Pour le nom et l’héritage. Pour son sang. Pour la famille dans laquelle il n’avait jamais su briller.
« Vous savez ce que c’est votre problème ? C’est que si personne ne peut arriver à la cheville de votre cher et parfait Sergei, fallait pas faire un deuxième gosse. »La conclusion était là, dans ces quelques mots. Laissant les syllabes faire leur chemin dans les pensées de sa mère il la dépassa, descendants les escaliers en faisant claquer ses talons sur le bois, les faisant résonner comme en lui résonnait les rêves et la destinée qu’il s’était forgé. Ce soir là il referma la porte derrière-lui, décidé à ne la rouvrir que lorsqu’il aurait réussi. Que lorsqu’il aurait les clés en mains pour prouver qu’il était aussi bon que son frère. Qu’il était même meilleur. Parce qu’il deviendrait
le meilleur qui soit.
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Pourtant il n’avait pas démérité. Avec sa famille ils avaient quitté l’Ukraine alors qu’il était encore tout jeune. Quatre ans ? Six ? Huit peut-être. Il n’avait pas vraiment de souvenir de là-bas, c’est en Angleterre qu’il s’était forgé, le petit Stanislas Ibranovitch. Sergeï, Son unique frère, plus vieux que lui d’une dizaine d’années ne les avait pas suivi. Il s’était envolé pour New-York, pour les banques et les affaires, pour manipuler de l’argent et échanger avec des gens à tout va. Ou l’inverse. Il aurait pu travailler à Gringotts. Mais non, il fallait être ambitieux. Sergeï était ambitieux. Il fallait prendre exemple sur Sergeï. Le plus jeune avait grandi dans l’ombre de son frère, à tenter par tous les moyens qu’on le regarde comme un être à part entière. Lui n’avait pas été dans l’école du froid et du grand nord. Lui avait connu l’immense château perdu près du lac, aux immenses couloirs et à la Grande Salle au plafond changeant et au feu accueillant.
Il redoutait toujours les moments où il devait rentrer en vacances chez lui. Parce qu’il faudrait montrer ses résultats, se faire comparer encore et encore. Poudlard était devenu son refuge. Son lieu de naissance. Le lieu de naissance de son vrai lui. Du vrai Stanislas. Celui qui laissait déborder ses affaires de partout pour effacer l’immonde ordre maniaque instauré dans son foyer. Il s’était laissé aller à la paresse pour palier la charge qui posait sur ses épaules lorsqu’il rentrait chez lui.
Les premières années on n’aurait pu dire ce qu’il adviendrait du jeune homme. Il n’était pas particulièrement bon, ni particulièrement mauvais. Il avait surtout un manque de bonne volonté et une dose de mauvaise foi immenses qui camouflaient cependant de bonnes capacités.
Stan c’était toujours le joyeux luron de la bande. Celui qui faisait la bonne blague, qui donnait un coup d’épaule pour essuyer des larmes, qui laissait glisser les commentaires dans un sourire. Stan c’était le bon copain, qui couvrait les retards des amis et terminait parfois les devoirs. Qui prenait des heures pour réexpliquer à ceux qui n’avaient pas compris. Il était loin d’être aussi bête que sa superficialité le laissait paraître.
Le jeune Ibranovitch avait fini par rejoindre l’équipe de Quidditch en quatrième année. Pour frimer devant les filles, pour lâcher son énergie sur le terrain, pour laisser sa folie s’exprimer sur un balai. C’était faire le pitre, selon ses parents. Sergeï n’avait pas fait ça, c’était une perte de temps. Mais Sergeï était chiant comme un scroutt à pétard, ce n’était pas étonnant. Il était bien à son poste de batteur, à défendre les collègues sur le terrain. A déchirer les ennemis à grand coups de cognards, et à les serrer dans ses bras une fois au seul, en terme d’excuse et de paix.
Dans l’intimité, Stanislas c’était les notes. Pas l’écriture. Il écrivait mal, lisait très lentement. Il essayait. Dur. Vraiment. Mais tout n’était pas toujours si simple. Lui,
c’était un p’tit bonhomme, rien qu’un tout p’tit bonhomme malhabile et rêveur. Un peu loupé, en somme. Du moins c’est ce qu’il avait toujours cru.
Se croyait inutile. On le lui avait tellement répété. Alors,
il pleurait sur son saxophone. Sur ce monstre doré, courbé, tenu contre le corps, au souffle de ses lèvres. Dont les états d’âmes passaient si bien dans les notes délicates de ses larmes comme dans les rythmes endiablés du jazz de son bonheur.
Il y mit tant de temps, de larmes et de douleur. Les rêves de sa vie, les prisons de son cœur. Et loin des beaux discours, des grands théories, inspiré jour après jour de son souffle et de ses cris : il changeait la vie. Il changea
sa vie.
Car il y eut ce jour à la fin de sa septième année où
il était entré dans la salle, son écusson brillant à sa poitrine, les baguettes croisées sur son cœur. Son dos droit, ses bottes fermement attachées à ses jambes. Sa chemise proprement rentrée, sa cravate bien en place. Son long manteau frôlant ses mollets à chacun de ses mouvements. Il dégageait une aura majestueuse. Solide. Parfaite. Celle d’un guide et d’un repère. Celle de la baguette de la justice qui réparait les fautes. Ce jour-là, Stanislas comprit qu’il n’y avait qu’une chose qui était mieux que manipuler des pièces. Mieux que les meilleurs résultats de Durmstrang. Mieux qu’être le premier de la classe. Mieux encore que les notes de saxophone qu’il faisait pleurer dans la nuit. Être auror. Auror avec un grand A comme la justice portait son J haut et fier. Il serait auror. Pour le meilleur et pour le pire.
Alors il travailla d’arrache-pied, pour améliorer ses résultats. Pour obtenir les meilleurs notes en métamorphose, en potions, en sortilèges et en défense contre les forces du mal. Il passait son temps à la bibliothèque. Écrivant et réécrivant ses cours pour mieux les apprendre, mieux les enregistrer dans le bout de ses doigts. Palier la lenteur de son écriture et le temps qu’il mettait à déchiffrer les lignes qui s’entrelaçaient sur les livres et les feuillets.
Et il réussit. Il réussit à obtenir un Effort Exceptionnel dans les matières qu’il lui fallait. C’était tout ce qu’il désirait le plus. Il était rentré ce soir là après avoir fêté les résultats avec quelques copains, le cœur plein d’espoir, la tête remplie de rêves. Mais ça n’avait pas suffi. Parce que Sergeï,
lui, avait obtenu des Efforts exceptionnels dès sa troisième année. Il n’avait pas lésiné,
lui. Il ne s’était pas laissé distraire par du Quidditch,
lui. Même alors que la réussite était à portée de ses doigts il avait encore fallu qu’on le rabaisse, qu’on malmène ses envies pour les tourner en ridicule.
« Tu veux être auror ? C’est trop dangereux, t’es trop nul pour y arriver. Regarde ton frère, il a la tête sur les épaules et une situation stable. » Il ne savait pas ce qui lui avait pris ce soir là de leurs en parler alors que l’engouement vrillait ses lèvres.
Mais il n’avait pas démordu. À peine sorti de Poudlard qu’il avait entamé la si réputée et difficile formation des Aurors. Jamais il n’avait autant travaillé de chez lui, révisant, s’entraînant. Face aux collègues il apparaissait décontracté, blagueur, un peu fainéant. Comme d’habitude. C’est là qu’il a rencontré Serger.
Serger. Lévine. Lev. Coéquipier. Partenaire. Ami. Frère.
Ce fut lors de cette formation qu’il le trouva. Ils avaient été mis en paire et depuis ils ne se quittaient plus. C’était écrit, quelque part. Les superstitions n’étaient pas son truc, mais le destin il y croyait. Du moins il voulait y croire pour lui. Parce que son destin serait plus grand que celui que ses parents voulaient lui donner.
Lévine. Il y avait quelque chose dans son regard qui l’avait marqué. Un quelque chose dans son ton qui n’était pas… enfin, qui était… Enfin bref, c’était lui et ce serait toujours lui. Il ne pouvait rêver mieux comme partenaire. Il s’était habitué à ses remarques parfois cinglantes. À ses piques sur sa fainéantise, à son dédain qu’il avait tant de mal à lui cacher réellement. Tout ça aurait fait fuir n’importe qui. Mais pas Stanislas. Lévine ne pouvait pas lui mentir. Enfin si, parfois il y arrivait parce qu’il était naïf et un peu crédule. Mais pas tout le temps, parce que son masque de fainéantise et de vie profondément joyeuse cachait des failles qu’il ne souhaitait montrer. À personne. Ils avaient tous les deux leur jardin secret. Lévine en avait un. Stanislas en avait un. Ils en avaient un commun.
Côte à côte, ils réussirent. Côte à côte ils obtinrent le diplôme. Ce jour-là il sut qu’il n’était pas complètement un raté. Que les parents n’avaient pas toujours raison. Que Sergeï n’était pas le meilleur partout.
Peu importe s’il ne suivait pas la voie qu’on lui destinait – si tant est que sa famille lui en ait décernée une – il suivait la sienne et c’était tout ce qui comptait.
Désormais il était Auror. Il avait un travail. Des rêves. Des espoirs. Des causes à défendre. Des valeurs à garder au grand jour. Il avait une nouvelle famille, celle du bureau.
Il avait Elnath, l’apprenti un peu trop audacieux qui lui tenait tête.
Il avait Amanda, sa supérieure aussi insupportable et horripilante qu’attirante.
Il avait Cliff, le bleu qu’il a formé, la force tranquille qui savait le remettre à sa place.
Il y avait Lev. Son défi. Son ancrage. Son partenaire de toujours. L’unique et irremplaçable Lev.
Alors il ne serait peut-être pas le meilleur des aurors, mais il était Stanislas Ibranovitch, auror !