Cette rentrée-là, je m'en souviendrais pendant longtemps. Mais quel spectacle ! Tout d'abord, le Ministère fait son entrée avec la sous-secrétaire d'Etat qui s'autorise à couper court au discours redondant du directeur. De quoi attirer mon attention lors du buffet de rentrée, pour une fois. Alors, qu'est-ce que je pense de cette nouvelle professeur de DCFM ? Je ne sais pas, ma famille avait l'air satisfaite de sa venue à Poudlard. Alors peut-être qu'elle peut vraiment apporter du positif à l'école, même si son ton mielleux m'est parfaitement insupportable. On verra bien. Puis, ce n'était pas vraiment elle l'élément le plus intéressant de la soirée, mais bien la Wyatt. Aaah la Wyatt. Elle m'épatera toujours celle-là. Chaque année elle me prouve que les limites de l'idiotie sont encore plus vastes que ce que je ne le pensais. Non mais vraiment, oser manquer ainsi de respect à la sous-secrétaire d'Etat ? Une honte pour son sang.
Les émotions de la rentrée sont souvent fortes. L'excitation. Le stress. Et moi, j'absorbe tout. La nuit, l'insomnie se rit de moi. Comme cette nuit-là. Alors, j'ai abandonné mes draps pour m'isoler dans la salle commune, là où les reflets miroitants du Lac Noir me bercent et m'apaisent. Jusqu'à ce que tu viennes, petite. Accompagnée de tes démons. Telle une boule d'émotions menaçant d'exploser à tout instant. Et là encore, j'ai tout absorbé - foutu don - et c'est moi qui ait explosé. Un dialogue de sourds, des voix qui montent en volume et du verre qui se brise. Nuit des plus charmantes.
La musique, un sublime refuge. Une bulle dans laquelle s'enfermer, une bulle pour oublier le reste du monde. J'aime le violon. J'aime en jouer seule. Alors, des fois, quand il y a trop de monde dans le parc, c'est dans la salle du club de musique que je viens, ciblant les heures où elle est peu fréquentée. Ce jour-là, il y avait toi, De Beauvoir. J'ai bêtement pensé qu'à la fin de ton morceau tu allais t'en aller pour me laisser seule dans ma bulle musicale. Mais tu es restée. Toi et tes questions. Toi et ta sympathie emmerdante. Ais-je voulue te la boucler quand je t'ai donné cette partition ? Peut-être. Mais j'ai ainsi créé une faille dans ma bulle et tu y es entré l'instant d'un morceau partagé.
Un après-midi pluvieux auprès des enclos pour un atelier de Soins aux Créatures Magiques organisé par le nouveau professeur : Johann A. Kayser. Était-ce une bonne idée de mélanger toutes les promotions ? Absolument pas. Entre Shafiq qui a débarqué comme une princesse au bras de Sessho, la petite Fa qui traînait avec elle les souvenirs d'une nuit regrettée, la Sleepy qui m'étouffait de son anxiété muette et le Melwing qui en a rajouté une couche avec sa crise d'angoisse soudaine... Non, ce n'était définitivement pas une bonne idée. Et ce, malgré l'apaisement temporaire que m'a procuré l'approche des différentes créatures, et encore, il a fallu que je sois en binôme avec la dernière personne souhaitée, à savoir Shafiq. Mais je reviendrais quand même au prochain atelier. Pourquoi ? Parce que le professeur a laissé aux futurs inscrits un devoir des plus intéressants : "Les coutumes des êtres de l'eau". Mon domaine. Ma spécialité. Ma passion.
La frustration de l'échec. Ne pas réussir un sortilège. Et te voir toi, le réussir. Frustration doublée. Alors, mes maléfices t'avaient-ils manqués Miss Parfaite ? Parce que moi, j'ai pris un malin plaisir à pointer discrètement ma baguette vers toi à la sortie du cours de métamorphose. Mais, est-ce que cette-fois j'aurais réussi à déclencher une réaction de ta part ? Je crois que oui. Mais pas celle à laquelle je m'étais toujours attendue. Pas de colère. Mais des mots forts qui claquent dans un couloirs qui se désertifie. Et une semaine après, ils résonnent toujours dans mon crâne, ces mots.
Un mot. Des indications. Une surprise. Une journée matinale au creux d'un cocon tout nouveau. Les cachots. Du vert. Une vue sur les abysses du lac. Un petit-déjeuner. Des chamailleries. Une discussion aussi embarrassante que touchante. Des aveux qui se sont cristallisés dans un duo violon-guitare. Dans cette nouvelle cachette où se sont entremêlés l'irréalité de cet instant intemporel aux précieux souvenirs de notre amitié, je crois bien qu'une chose nouvelle a éclot au sein de notre secret. Terminé
L'angoisse. Pourquoi te dévorait-elle ainsi, Sleepy ? Oui, je l'avais remarqué. Non, je ne voulais pas savoir. Pourtant, mon regard ne cessait de se tourner vers toi en cours. Un champ magnétique. Et tu le remarquas. Tu voulus des comptes. Mais en avais-je vraiment à te rendre ? Peut-être que mes regards incessants t'insupportaient, mais toi, c'étaient tes émotions bruyantes qui m'emmerdaient. Alors, qui a eu gain de cause ? Aucune de nous deux. Ou peut-être un peu plus toi. En tout cas, je n'ai pas éclaté, j'ai retenu en moi les émotions vagabondes, cette fois. J'ai calmé le jeu et ce fut peut-être ça qui a permis de préserver nos deux secrets. Nos dons insoupçonnés. Un accord verbal dans une salle écartée.
Qui aurait cru que derrière une stupide fête d'Halloween m'attendrait tant de réjouissances ? Le concert d'une violoniste idolâtrée, une montée sur scène improvisée avec mon secret, une bouteille de vodka vidée, des nez ensanglantés, un slow entre deux détraqueurs... Ça a été un anniversaire inoubliable que tu m'a offert Eileen. Du fond du cœur, merci. Seulement, je n'aurais pas imaginé une seule seconde que cet anniversaire resterait également ancré dans ma mémoire par la disparition soudaine d'un autre être qui m'étais cher ; Sessho. Propulsée par un courage que je ne me connaissais pas, j'ai fuit avec vous, Eileen et Joris, pour retrouver la trace du pianiste. À nos risques et périls.
L'adrénaline. Je ne l'ai jamais senti pulser dans mes veines aussi ardemment que ce soir-là. Et la peur : incommensurable. Elle étreignait chacune de mes actions, de mes pas, de mes mots, de mes pensées. Eileen, Joris, Elyana, Tabata et moi avions le même objectif au creux de ces ruelles noires : retrouver Sessho. Il nous a fallu combattre une Mangemort, suivre des traces de sang, puis répondre à une énigme pour enfin découvrir le corps meurtri de notre ami enchaîné sur une table dans la Cabane Hurlante. Les mots qui ont été taillés en rouge sur son torse ne s'effaceront probablement jamais de ma mémoire.
Les mensonges. Ils se sont d'abord manifestés par un sommeil trop paisible, trop serein, et se sont ensuite poursuivis par une lettre, puis par la Gazette, pour finalement s'échouer aux commissures de mes lèvres. Tous le monde préfère les mensonges. Ils sont plus doux, plus lisses, plus beaux, plus digestes. Alors, j'ai fais ce que le Ministère m'a indiqué par sa lettre matinale : nier la réalité, effacer d'une simple négations les horreurs d'une soirée. J'ai menti à mes camarades de dortoirs, j'ai menti à mon frère : bien sûr que non, je ne m'étais pas rendue à la soirée d'Halloween, la veille. Si je m'étais réveillée à l'infirmerie, c'était à cause de violentes et soudaines crampes d'estomac. Et si la Gazette parlait d'une farce organisée pour dissimuler les tréfonds de terreur auxquels j'avais secrètement assisté,... croyez-là.
Sessho... Quelle fut cette force invisible qui m'a poussé à te suivre comme une ombre jusqu'à la salle de musique ? Était-ce ta douleur qui m'appelait ? Son chant à résonné dans ton silence, puis dans tes doigts posés sur le clavier. Et j'y ai succombé. Je t'ai accompagné dans cette valse macabre, nos notes ont exploré nos tourments, nos traumatismes, nos staccatos ont redessiné les contours sanglants d'une soirée et nos legatos ont fait résonner nos larmes. Tu avais mal, si mal, tu te sentais seule, tu te sentais vide. J'ai pu le voir, le sentir, à travers cette infime faille dans les barricades de ton mutisme que mon violon a su ouvrir. J'aurais voulu l'élargir, te libérer de cette cage où tu te trouvais encore enchaîné. J'aurais voulu faire plus, faire mieux, savoir, pouvoir. Mais je ne suis qu'une ombre et seul mon violon peut chanter l'espoir.
La venue de ce jour m'avait terrifiée. La date avait été barrée d'une croix rouge dans mon agenda. Ce jour, cette heure, ce rendez-vous, s'était annoncé comme la fin d'un temps : celui des mensonges. Je n'avais pas été convoqué à cet interrogatoire par hasard : les aurors m'avaient retrouvés aux côtés du disparu, de Sessho, le soir d'Halloween. Mes parents avaient rapidement été informés par une missive et, bien évidemment, le patriarche des Beurk n'aurait pas laissé sa fille seule face aux questions d'une auror. Si seulement. Son regard à lui m'a plus pesé que celui de l'inspectrice pendant tout l'interrogatoire. Chacun de mes mots, de mes aveux, de mes omissions ont été soupesés. Je n'avais pas le droit à la moindre erreur. Ais-je réussi ? En ais-je dit assez sans en dire trop ? Qu'en a-t-il pensé ? Père n'en a rien dit. Si ce ne fut pour exprimer sa déception : je n'étais ni une rebelle ni une tête-brûlée. J'étais censée être une fille sage, réfléchie, respectable, une enfant de Sang-Pur se devant de connaître sa place. Et la mienne, c'était celle des oubliés.
Ce n'était pas le jour. Pas le moment pour cette discussion et ces accusations. J'avais besoin de tout sauf de me faire importuner par ta curiosité mal placée, Merula. Qu'est-ce que ça peut bien te faire de savoir si je suis allée à la soirée d'Halloween ou non ? Pourquoi te montrer si déterminée à détruire mon mensonge ? Tu aurais pourtant dû le savoir : je suis aussi têtue que toi, si ce n'est plus. Alors, je suis restée campée sur ma version : je n'ai jamais mis les pieds à la soirée d'Halloween. Pas sûr que je t'ai convaincu, mais j'ai au moins réussi à te faire lâcher l'affaire. Pour cette fois.
Pendant un temps, tu m'as fait oublier que les utopies n'existaient pas, Eileen. J'y ait cru si fort, avec toi, que rien ne m'a fait aussi mal que la désillusion qui en a suivi. La fin des songes pour un retour brutal à la réalité. Et la réalité, c'était que nous n'avions jamais eu aucune raison de nous fréquenter, de nous attacher l'une à l'autre, et cela devait absolument cesser. Au-delà du fait que tu aies heurté ma confiance en révélant le secret de notre lien à Tabata, j'ai réalisé que continuer à te voir ne pouvait que m'enfoncer dans de nouveaux ennuis. Mais pas seulement moi, ma famille aussi. Et le sang prévalait sur tout. Le tien n'était pas assez pur. Alors, dans l'intimité de notre laboratoire secret, je t'ai fait mes adieux. Ce soir-là, tout fut détruit : cette pièce, notre lien, et peut-être un peu de toi, tout comme un peu de moi. De nous, il ne restait plus rien.
Au réveil, un goût de culpabilité au palais. Que m'avait-il donc pris, la veille ? Toute la matinée durant, je ressassais mon acte irrationnel qui m'avait poussé à me faire du mal à moi-même, à m'ouvrir les veines. Mais tout était sous contrôle, j'étais la seule à savoir. Ou presque. Si ma grand-mère ne pouvait se douter de ce que j'avais fait cette nuit-là, son don d'empathie - le même que le mien - lui révéla de façon limpide ma détresse émotionnelle. Incapable de me tirer le moindre aveu, elle m'envoya faire quelques courses au marché de Noël dans l'espoir que je m'aère l'esprit. Mais l'air de dehors était tout aussi fade que celui du manoir et nul senteur de Noël ne parvint à me faire humer un semblant d'euphorie. Je me sentais atrocement vide et, tel un spectre désolé, je me perdis dans le labyrinthe de glace, errant parmi l'épouvante de mon propre reflet.
"I would rather see this world through the eyes of a child I would rather feel this world through the skin of a child I would rather feel alive with a childlike soul" - Aurora
Hiver 1989
Pourquoi la Terre s'était-elle laissée dévorer par les ténèbres ?
Assise sur un tabouret, les coudes posés sur la table devant elle, ses joues relevées dans l'enveloppe de ses deux paumes, le regard de glace de la fillette observait la sculpture ronde entreposée dans la vitrine. Une vitrine sobre pour une boutique sombre. Barjow&Beurk.
Quel ennui. Rester là à attendre les clients. N'avoir le droit de toucher à rien de ses mains. Seulement de ses yeux. Deux cristaux polaires qui répandaient dans les lieux leur vent de curiosité lassée tout en frôlant de leur toucher glacé chaque objet entreposé. Des breloques aux vices cachés, des trésors aux pièges insoupçonnés, des héritages de longues lignée, des luxure comme apparats aux plus sombres majestés. Un rideau de banalités tiré devant la scène du diable. L'innocence noire de fourberies éclatantes.
Pourquoi la Terre s'était-elle laissée dévorer par les ténèbres ?
La sculpture ronde tournait sur elle-même. Silencieusement, sans un grincement. Mais dans l'esprit d'Aria, elle criait. La Terre criait. Cette sphère noire entreposée dans la vitrine agonisait. Silencieusement.
Ce n'était qu'un objet. Sombre décoration d'un futur acheteur. Une planète aux continents noire. Des mers englouties par les monstres de l'ombre. Un ciel enveloppé d'un brouillard gris, flottant autour de la sculpture.
Pourquoi la Terre s'était-elle laissée dévorer par les ténèbres ?
C'était plus qu'un objet. C'était un pâle reflet. Une œuvre inspirée, réaliste, effroyable, effrayante. Authentique. Une réalité. Son pâle reflet. Elle tournait. La Terre criait mais continuait de tourner. Pourquoi ?
Pourquoi ?
Pourquoi... Au dehors, les flocons tombaient. Une valse hivernale, morne, grise. L'autre côté de la vitrine n'offrait aucun réconfort au désespoir. Même la neige ne parvenait pas à donner un peu de lumière à cette rue d'une banalité glaçante. Les cristaux blancs se ternissaient dès lors qu'ils pénétraient l'Allée des Embrumes.
Décor désolant. Réalité affligeante. Son père passa devant elle, perturbant son observation absente. Une démarche lente, droite, élégante. Noble. Perplexe. Les affaires picoraient son cerveau, se nourrissaient de ses pensées florissantes, incessantes, omniprésentes. Prévoir, calculer, planifier, résoudre. Des stratégies, des manipulations, des secrets. Un commerce à gérer d'une main d'acier. Le cœur avait disparu derrière le cerveau tout-puissant. Le calme plat, vide, insensible. Aucune émotion. Jamais en surface. Elles étaient enterrées six pieds sous terre, il fallait creuser. Aria était la seule à avoir la pelle. Elle ne la voulait pas.
Le calme morne d'un cœur insensible, d'un hiver de glace. Il sortit de son champ de vision. Elle aurait voulu se dérober de sa vision à lui, s'esquiver de son tabouret, se laisser attirer par la planète des ténèbres, l'explorer de ses mains curieuses et avides. Elle voulait savoir, comprendre, arriver à voir à travers le brouillard pour trouver les réponses à ses questions.
Pourquoi la Terre s'était-elle laissée dévorer par les ténèbres ?
Elle ne bougea pas. Rester sagement assise, rêvasser, soupirer, contempler, s'interroger, abandonner. Ses jambes s'agitèrent d'un léger mouvement de balancier. D'avant en arrière. Au rythme du temps qui ne passait pas. De l'impatience qui ne s'estompait pas. La Terre tournait silencieusement.
Elle aurait bien aimé imaginer des enfants jouer dehors, se lancer des boules-de-neige ensorcelées, se voir les rejoindre, recréer dans son esprit la sensation des flocons gelés venant se fondre dans sa chevelure d'une blancheur similaire. Une scène immaculée. Mais elle n'arriva pas à l'imaginer. L'Allée des Embrume n'était pas un lieu pour jouer. Seuls ses coins sombres accueillaient les enfants égarés, les piégeait dans l'ombre de ses griffes pour leur dévoiler ses pires vices. Un oiseau privé de ses ailes, courbé dans un angle aussi effroyable que l'étaient ses piaillements agonisants. L'allégorie de la liberté assassinée par la cruelle torture de l'effroyable réalité. Voilà tout ce qu'elle arrivait à imaginer.
Le monde s'était laissé engloutir par les ténèbres.
- Aria.
Un ton froid, autoritaire. Elle se redressa, tourna sa tête blonde vers son père.
- Viens, je vais te montrer quelque chose.
Un objet à décortiquer, les profondeurs d'un trou noir à explorer, des secrets à extraire du vice. Enfin. Aria se leva, suivit son père. Douce magie noire, me revoilà. Envoûte-moi, vole mon âme. A mon tour de me laisser engloutir par les ténèbres.
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Aria Beurk
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Ecoute cette médolie troublante. C'est l'eau qui chante.
Jeu 15 Juil 2021 - 13:53
/!\ TW : J'aborde dans ce RP solo le thème du "self-harm" et une scène d'auto-mutilation y est décrite. Le but n'étant ni de choquer qui que ce soit, ni de valoriser cette pratique, mais seulement de représenter le mal-être de mon personnage et la façon dont elle croit avoir trouvé une échappatoire à cet instant-là. Je vous laisse juger par vous-même si vous vous sentez apte à lire ce qui suit ou non. Soyez à l'écoute de vous-même avant tout.
"where do you go, fantastic dreambird ? take me away to somewhere take me away from here where do you go, fantastic dreambird? answer to my yearning take me away from here" - Scorpions
Samedi 23 Décembre 1995
La Terre pouvait-elle seulement espérer se défaire un jour des ténèbres ?
Deux ans plus tôt était apparue une éclaircie. Au sud-est des États-Unis, pile au niveau de la Louisiane. Autour du globe magique qui flottait sur l'une des commodes de la chambre d'Aria, les nuages s'étaient légèrement éparpillés et avaient abandonné leur noirceur à un endroit unique. Cet endroit, c'était Eileen. Sa Louisianaise. Son secret.
La cadette des Beurk avait percé le mystère de cette sphère noire à force d'observation, année après année, avec la solitude comme conseillère au creux des nombreuses heures où elle s'isolait dans sa chambre. L'amas de nuages chatouillant la surface du globe représentait la densité des pensées noires de la personne la plus proche du globe. Le brouillard avait toujours été monstrueusement épais, depuis que l'objet trônait dans cette chambre. Jusqu'aux vacances de Noël de 1993. Jusqu'à l'éclaircie retraçant les origines de la King.
Une première lueur. Un premier espoir.
La Terre allait-elle continuer à se défaire des ténèbres ?
Aria y avait cru. Depuis la naissance de cette amitié particulière, le brouillard avait continué à se désépaissir. Subtilement. Presque imperceptiblement. Mais indéniablement. Eileen était un rayon de soleil obstiné et sa chaleur s'entêtait à se diffuser en elle, allégeant ses maux et éclaircissant ses tourments.
Elle y avait cru.
Naïveté ?
Aveuglement ?
Déraison ?
Idiotie ?
Il s'était écoulé deux ans avant le désenchantement. Aux vacances de Noël de 1995, Aria retrouva une sphère aux nuages de charbon. Plus aucune éclaircie, mais un orage attendant son heure partout autour du globe. Une tempête vrombissante et une sombreur sans égale. La Louisiane n'existait plus.
La Terre était-elle condamnée à connaître à jamais les ténèbres ?
Aria s'était noyée un peu plus profondément dans la bibliothèque familiale, dénichant des reliques littéraire enfouie derrière des sortilèges de dissimulation posés par son père. Plus les années passaient, plus elle savait déjouer ses tours et délier ses secrets en cachette. À force de l'avoir toujours éduqué à penser comme lui, elle connaissait à présent les principaux rouages de son esprit et savait comment ils s'engrenaient. Il suffisait simplement de rembobiner les mécanismes et alors, toutes les portes s'ouvraient à elle dans le manoir familial. Et chez les Beurk, c'était à chaque fois sur une nouvelle parcelle du monde souillé des vices enterrés qu'une trappe s'ouvrait.
Cet hiver-là, aucune appréhension ni aucune crainte n'avait retenu la curiosité sinistre de la blonde. Elle voulait plonger, atteindre des profondeurs impensables, et tant pis si elle en perdait le souffle. Elle ne parvenait de toutes façons déjà plus à respirer.
Elle tomba sur un nouveau livre de magie noire. Sa couverture irritait la peau à son simple toucher, comme si sa surface lisse et d'un noir abyssal était en réalité constituée d'un millier de fines aiguilles. Si le premier contact avait d'abord douloureusement surpris Aria et qu'elle avait dû user d'un sortilège de lévitation pour le dérober à la bibliothèque et l'amener furtivement jusque dans sa chambre, elle avait ensuite trouvé une certaine délectation à passer doucement sa paume sur cette couverture. Le picotement réveillait son épiderme et le fait de lutter contre son réflexe de douleur avait quelque chose de stimulant. D'hypnotisant, même.
Mais la douleur était minime. Ridicule en comparaison des barbaries imprimées sur les pages qui suivaient. C'était dans ce genre de grimoire que l'on pouvait apprendre à tordre les ailes d'un oiseau et, si l'image d'effroi restait encore gravé sur sa rétine, c'étaient à présent d'autres idées qui parcouraient son esprit malade à la lecture de cette encyclopédie macabre. Une page, en particulier, la fascina. La page 343. Elle la lu et la relu pendant des jours jusqu'à connaître chacune de ses lignes par cœur. Jusqu'à ce que la fascination atteigne un cran supérieur. Un point de non-retour. Celui de l'envie. Celui du besoin. De voir. D'expérimenter. D'oser. De se lancer. De s'abandonner.
Ce soir-là, un autre objet prohibé lui rappela sa présence du fin fond de sa cachette. Une baguette qu'elle avait à peine osé toucher depuis qu'elle l'avait dérobé. Une baguette à l'aura dangereuse. Une baguette qui avait brillé sous les rayons mesquins de la lune, le soir d'Halloween. Une baguette qui marquait un nouveau tournant, celui de la désillusion, celui de l'éclaircie qui s'était enfuie. Elle ne connaissait pas même le nom de sa propriétaire. Mais elle se souvenait de son masque. Accessoire qui avait probablement un jumeau endormi dans l'un des tiroirs du bureau de son père.
Ce soir-là, Aria osa pour la première fois sortir la baguette de la Mangemort de sous son lit. Elle l'observa dans une contemplation muette et poétique, effleurant son bois d'un toucher timide et plein de respect. Ou de craintes. Dans les rainures du bois, elle déchiffrait l'interdit et l'impardonnable, le vice et la malveillance, la souffrance et la jouissance. Et elle s'en sentait inexplicablement attirée. Au creux de ses mains, le pouvoir de cet objet semblait se propager jusque dans la profondeur de ses tissus pour remonter en une irrésistible vague de tentation dans tout son corps.
Sur sa table de chevet, sa propre baguette lui apparut alors fade, presque désuète. Cela faisait plus d'un mois que sa plus fidèle alliée lui tournait le dos, se montrant tantôt incontrôlable et impulsive, tantôt morne et presque sans vie. Même les sortilèges les plus simples pouvaient s'avérer un défi à réaliser devant ses caprices. La sorcière avait perdu tout contrôle de son bois de noisetier, sans comprendre que celui-ci ne lui renvoyait en réalité que le reflet de son instabilité émotionnelle.
Le grimoire était ouvert sur son lit à la fameuse page 343. Section « Contrôle des fluides corporels ». Chapitre 2, le Sang.
La couleur du sang changeait-elle de nuances d'un individu à l'autre ? La noblesse d'une lignée le rendait-elle plus limpide ? L'impureté le rendait-elle trouble ? Quelles étaient donc les subtilités de cette héritage qu'on lui avait si précieusement confié ?
Ou bien, se pouvait-il qu'il n'y ait en réalité aucune différence, comme Eileen le lui avait attesté ?
Sornettes.
La baguette dérobée s'étendait entre les doigts frêles et pâles de sa main droite. Elle en dirigea la pointe vers la face interne de son avant-bras gauche. Le bois frôla sa peau au creux de son coude avant de descendre en serpentant, au même rythme que ses lèvres récitaient l'incantation.
Les effets se manifestèrent en une vague violente, sans demi-mesure. Les veines de son avant-bras se dilatèrent subitement pour faire apparaître leurs rivières sous la peau diaphane de la blonde. Leurs reliefs se dessinèrent, se heurtant à la gaine de son épiderme. Des fourmillements se firent bientôt sentir dans ses doigts. Le sang les avait désertées pour s'accumuler plus au nord, là où une chaleur diffuse se mettait à enfler. Subjuguée par le spectacle, Aria ignora les premiers pics de douleurs qui envahirent son avant-bras brûlant. Puis, une pensée fugace lui fit imaginer ses vaisseaux éclater sous cette pression trop forte. Perdant la raison, elle se délecta même de cette image passagère.
Elle se retenait d'imploser depuis si longtemps déjà, et s'il s'agissait là de sa libération ? À quoi bon lutter encore ? Ne pouvait-elle pas, pour une fois, s'abandonner entièrement ?
Puis, la douleur devint plus vive. Elle ne sentait plus que les pulsations violentes de son avant-bras. Elle avait l'impression d'entendre son sang heurtant les parois de ses veines et ses tissus hurler pour lancer l'alerte à son cerveau. Elle se mit en apnée. Ferma les yeux. Elle sentit le vertige la happer. Et elle vit le vide. Immense et silencieux. Sans couleur et sans émotions. Sans rien. Le vide.
Puis, l'envie de respirer.
Elle prit une inspiration hoquetante et, la vision trouble, elle stoppa le sortilège. Son avant-bras enflé tremblait, ses veines restaient saillantes. Une inspiration ne suffisait pas, elle voulait respirer autrement. Se libérer. Extérioriser. Se délester. Du bout des lèvres, elle prononça :
- Diffindo.
Rien qu'un millimètre. Un point. Au centre de l'une de ses veines gonflées.
Et un filet de sang déferla.
Le liquide était sombre et chaud. Il tacha ses draps. Cascada le long de son poignet. Colla à ses doigts. Elle expira.
Une sensation inexplicable la submergea en une vague chimérique. Tel un poison enchanteur. L'abandon. La libération. La résurrection.
Elle se sentit légère. Les tourments éteints et le corps aérien.
Si la Terre ne pouvait se défaire des ténèbres, elle pouvait peut-être au moins s'octroyer des temps de répit en laissant ses nuages flirter avec le vide.
Au risque s'y abîmer.
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